Tu le paieras un jour William Afton
Il sembla à William que le sang ne cessa jamais de couler du ventre du robot. Parfois, un morceau de chair retombait dans un "ploc" macabre et il prenait conscience de la situation. Mais le plus clair que dura le temps que les secours arrivent, il les passa à genoux à contempler le massacre, inerte. Henry et Scott n'arrivaient pas à le tirer de sa transe. Son cerveau était comme un fusible en train de rendre l'âme. Il avait l'impression qu'il ne prendrait plus longtemps avant de s'éteindre entièrement.
Autour de lui, plus rien n'existait. Il ne restait que le flou, le ventre du robot et le sang. La marée rouge s'était considérablement élargie et le pantalon de William baignait désormais pleinement dedans.
"On ne peut pas le laisser comme ça, entendit-il Scott dire à Henry. Quand les pompiers arriveront, tire-le de force dans les coulisses. On... On ne peut pas le laisser voir ça. Il ne le supportera pas."
Ses neurones firent le lien entre la scène qu'il avait sous les yeux et la gravité de ce qui allait se passer : ils voulaient lui enlever Elisabeth. Pourquoi ne disait-elle rien ? Elle était là ! Juste devant lui ! Elle avait tout entendu. Jamais elle ne le permettrait. Il se leva pour tirer la fillette du robot. Sa blague avait assez duré maintenant. Elle devait se réveiller. Elle le devait. Il ne savait pas ce qu'il ferait si elle ne se réveillait pas.
Il tendit les mains et saisit les chevilles de sa petite fille. Il tira, mais le corps résista. Très vite, deux paires de bras vinrent le ceinturer pour le forcer à reculer. William les repoussa, agacé, et tenta de renouveler l'expérience, sans succès. Pourquoi Scott l'empêchait-il de l'atteindre. Etait-il en train de jouer lui aussi ?
"Liz', ma puce... Il est temps de rentrer maintenant, s'entendit-il dire. Il faut... Il faut que tu te réveilles. Tu ne peux pas dormir sur la scène.
— Wi... William, tu... William, elle est partie, tu ne peux pas...
— Partie ? Mais non, elle est... Elle est là... Elle va bien ? Oh mon dieu, Scott, pleurnicha-t-il, elle va bien ? Dis-moi qu'elle va bien..."
La réalité lui revint à la figure et il décrocha des hallucinations avec brutalité. Elle n'allait pas bien. Elle était morte. Le robot l'avait presque coupée en deux et il avait aggravé les choses en tirant. Les jambes de la fillette s'agitèrent, prises de spasmes, comme une oie à qui l'on a coupé la tête. Horrifié, William recula vivement. Les larmes revinrent en une fraction de secondes et il s'effondra de nouveau. Il hurla le nom de sa fille à s'en brûler les poumons, plusieurs fois.
Devant son état de détresse, Scott et Henry ne surent quoi faire. Les sirènes des pompiers en approche accélérèrent les choses. Le manager fit signe à Henry de l'emmener. Dès qu'il sentit les bras le tirer en arrière, le père de la fillette se cabra violemment et poussa un hurlement sauvage. Son collègue réussit à le tirer en bas des marches, mais William commença à se débattre, comme possédé. Il donna des coups de pied, des coups de poings et mordit même plusieurs fois Henry au bras avec toute la force et la haine dont il était capable. L'homme à la chemise rose ne se laissa pas démonter et le poussa dans son bureau. Il s'empressa de fermer la porte à clé.
William se jeta sur l'ouverture et se mit à tambourinner dessus en hurlant de colère et de tristesse. Mais le morceau de bois resta désespérément fermé. Alors il abandonna. Il se laissa tomber contre la porte et se mit à pleurer comme un enfant. Il tremblait de tous ses membres et paraissait sur le point de se briser d'un instant à l'autre. Une loque. Ce n'était plus qu'une loque.
Lorsque la porte ne fut plus suffisante, le gérant braqua son regard sur Henry. Le visage de ce dernier, bien que soucieux pour lui, ne témoignait d'aucune autre forme d'empathie. Comme s'il s'en fichait. Et cela le rendit complètement fou. Sans crier gare, William se jeta sur son collègue comme un animal enragé et commença à marteler son visage de coups en hurlant de manière hystérique que tout était de sa faute. D'abord surpris, Henry ne mit pas longtemps avant de reprendre le dessus. Il le fit rouler au sol et plaqua ses deux mains contre le carrelage. William agita ses jambes comme un enfant capricieux et continua de hurler à s'en déchirer les cordes vocales.
"Je vais te tuer ! hurla-t-il. Je vais te tuer ! C'est de ta faute !
— William, arrête, tu es ridicule ! Tu vas finir par te faire..."
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. William prit de l'élan et claqua sa tête contre la sienne. Henry roula sur le côté, les mains sur son nez en sang. En quelques secondes, l'autre homme était sur ses jambes et fouillait frénétiquement les tiroirs de son bureau. Henry tenta de l'arrêter, mais l'objet qu'il braqua sur lui l'en dissuada net. Le regard fou, William pointa le pistolet acheté le matin même sur Henry.
"William... William, calme-toi. Tu vas faire une bêtise.
— C'est... C'est toi qui l'as tuée ! J'en suis sûr ! Comme tu as tuée ta fille !
— Arrête de crier, tu vas te blesser, idiot !"
Le gérant leva l'arme en l'air et tira un coup. La détonation fit sursauter Henry qui recula d'un pas, les mains en l'air. La situation prenait une allure plus risquée et dangereuse. Il savait qu'il devait faire très attention.
"William, écoute-moi ! Tu... Tu es en colère, c'est normal. Mais... Mais tu te souviens de ce que je t'ai dit ? On... On peut la sauver. On peut encore la sauver.
— Ferme-la ! Ferme-la ou je te bute !
— S'il te plaît, écoute-moi ! Tu... Tu as raison, William. Elle n'est pas morte. Elle est là, quelque part. Elle a besoin de toi, de ton aide. Tu peux encore la sauver."
Il hoqueta, avant de regarder le canon de l'arme. Sa main trembla. Un instant, l'arme se baissa, puis il la remonta doucement vers son front.
"C'est... C'est de ma faute, chuchota William. C'est de la faute des robots... C'est... J'aurais dû écouter Maggie. J'aurais dû...
— William, ne fais pas ça ! Baisse cette arme !
— Monsieur Afton ? appela la voix d'un secouriste à l'extérieur, tout va bien.
— Je...Elle est morte... Elle est morte, Henry, qu'est-ce que je vais faire ? Qu'est-ce que...
— On peut la sauver. On peut la sauver, fais-moi confiance. S'il te plaît."
Il dévisagea Henry, les yeux perdus, avant de finalement laisser tomber l'arme à terre et éclater une nouvelle fois en sanglots. Henry poussa un soupir de soulagement et récupéra le pistolet. Il vida le chargeur avant d'aller ouvrir aux pompiers et à Scott, au bord du malaise. Il regarda le pistolet dans sa main, puis William, toujours en train de hurler.
"Bravo, monsieur, dit le pompier. Vous lui avez sans doute sauvé la vie. Vous pouvez sortir maintenant, nous allons le prendre en charge."
Henry obéit et rejoignit la salle principale. Sur la scène, deux pompiers essayaient de recoller les morceaux de la fillette, sans grand succès. Il ne resterait pas grand-chose à mettre dans le cercueil.
Un mal pour un bien, songea l'homme, avec une pointe de jubilation. Avec l'exécution de son plan et la réaction prévisible de William, il venait de reprendre le contrôle de la partie.
*********
Lorsque Elisabeth ouvrit les yeux, elle se sentit vraiment étrange, sans qu'elle ne l'explique. Elle était toujours sur la scène du restaurant, mais ce dernier était maintenant désert. A en juger par la lune haute qui planait dans le ciel, via les vitres, il était même très tard.
Elle ne se rappelait plus de grand-chose. Elle se souvenait vaguement de la fête d'anniversaire et de la magnifique peluche Circus Baby qu'elle avait reçue. Elle se souvenait aussi du magnifique spectacle que lui avait offert son père. Elle était heureuse pour lui, il avait tenu sa promesse et le restaurant allait fonctionner. C'était moins bien que le restaurant d'avant, où les machines d'arcade étaient plus neuves et les jeux moins d'occasion, mais c'était un début. Au moins, les robots étaient-ils plus jolis que ceux de la pizzeria Freddy Fazbear.
S'était-elle endormie sur la scène ? Elle baissa les yeux le bois et fronça les sourcils. Une tâche foncée dont elle ne parvenait pas à définir la couleur l'entourait. Ses grandes jambes blanches étaient tâchées de la même substance visqueuse. Pourtant, elle ne le sentait pas vraiment. A bien y regarder, ses jambes lui semblaient bien grandes.
Si Papa s'en apercevait, elle allait être grondée. Elle décida de descendre de la scène pour rejoindre les toilettes. Etrangement, les environs lui parurent plus petits que d'habitude, comme si elle avait grandi, beaucoup grandi pendant la nuit. Peut-être que tous ces bols de soupe avalaient avaient-ils eu un effet magique pendant la nuit ? Après tout, elle avait huit ans maintenant, elle était grande. Peut-être était-ce un effet magique ? Pourtant, elle était sûre que lorsque ses amies avaient passé ce cap fatidique, ce n'était pas arrivé.
Elle poussa la porte des toilettes et alluma la lumière. Elle se figea net. Dans le miroir se tenait Circus Baby. Une version étrange de Circus Baby. Son ventre était ouvert, comme lorsque son papa s'occupait de la réparer, sauf que ce liquide rouge sombre était présent partout. Dans les circuits, sur ses jambes, sur ses chaussures. Cette Circus Baby là avait aussi les yeux verts, comme elle, au lieu des douces pupilles bleues qu'elle arbhorait habituellement. Perplexe, la petite fille se demanda où se trouvait son reflet à elle. Elle leva le bras et fit coucou au reflet. Circus Baby agita le bras en même temps qu'elle.
Elle trouva la blague drôle, l'espace de quelques minutes. Son père lui avait certainement créé un déguisement et lui avait enfilé pendant qu'elle dormait. Mais très vite, plusieurs choses clochèrent. Elle ne pouvait pas le retirer. Elle ne trouvait pas la fermeture. De plus, les circuits métalliques de son ventre étaient bien réels. Perdue, elle essaya alors d'arracher la tête, sans plus de succès.
"Papa ? Papa, je suis coincée ! cria-t-elle."
Le son de sa propre voix la surprit. C'était la sienne, assurément, mais elle avait un timbre plus métallique, plus robotique, comme lorsqu'elle avait enregistré sa voix sur le vieux micro de son papa. Elle sortit de la salle de bain et toqua au bureau de son père. Si la porte s'ouvrit, la pièce était plongée dans le noir. Inquiète, elle se rendit dans chacune des pièces du restaurant, sans plus de succès. Il n'y avait personne. Elle était seule.
"Papa ? s'étrangla-t-elle, au bord des larmes. Papa, c'est pas drôle !"
Elle hoqueta, mais aucune larme ne coula de ses yeux. Elle n'avait plus de larmes. Plus de coeur. Plus de jolis cheveux roux. Elle était devenue elle. Toute la nuit, elle appela à l'aide. Après quelques heures, elle se mit à hurler de détresse. Mais personne ne l'entendit.
Personne n'entend les cris de quelque chose qui n'est pas vivant.