Une connexion à part
Le sommeil m'avait emportée de façon aussi profonde qu'un abîme sans fin, et, miraculeusement, aucun cauchemar ne m'avait dérangée. Le poids des événements s'était dissipé pendant ces heures d'inconscience, me laissant dans une sorte de tranquillité. Quand je me réveillai, la pièce était baignée d'une lumière douce, et je constatai que Sephiroth n'était plus là. La sensation de solitude m'envahit un instant, mais je fus vite tirée de mes pensées par la porte qui s'ouvrit doucement. Sephiroth entra, presque comme s'il avait pressenti mon réveil.
Je me redressai immédiatement, m'étirant maladroitement tout en cherchant des mots à dire. Un "bonjour" s’échappa de mes lèvres, mais il avait un goût un peu amer, teinté de gêne. La pensée que j'avais dormi dans son lit me traversa, et une chaleur de honte monta à mes joues. Puis, un autre détail m'effleura l'esprit, et je détournai rapidement le regard. Est-ce que j'ai ronflé ? L'idée même de l'avoir fait, de l'avoir dérangé de cette manière, me fit me sentir encore plus maladroite.
Il s'assit alors sur la chaise de son bureau, d’un air calme et posé. Ses gestes étaient mesurés, comme toujours, mais son regard était empreint de cette douce intensité qui m’observait en silence. Il me parla alors, m'informant que ma mère avait été mise au courant de l’incident, mais qu'elle ne pouvait pas venir. Elle était trop occupée avec une expérience en cours. Il ajouta que, si il avait pu lui parler c'était uniquement parce qu'elle travaillait étroitement avec Hojo.
Hojo… Ce nom ne m’évoquait rien de bon. Loin de là. La mention de son nom fit naître une inquiétude sourde dans ma poitrine. Je n’approuvais déjà pas totalement le métier de ma mère, et plus j’en apprenais sur la Shinra, plus je m’en éloignais. Je savais que ma mère n'aurait jamais compris ce que j'avais vécu, et je n'avais aucune envie de lui en parler. Je savais qu'elle voudrait connaître chaque détail, l’analyser, comme si tout devait être expliqué. C'était une habitude malsaine qu’elle avait développée au fil des années.
Mon regard se porta instinctivement sur mes mains. Elles étaient couvertes de marques, des ecchymoses qui me rappelaient le combat, ma lutte pour m’échapper. Un silence lourd s’installa entre nous. Sephiroth observa mes mains et, d’un ton presque taquin, brisa le silence.
"Tu aurais pu éviter ça, tu t'es battue comme un chaton, on dirait."
Je ne savais pas si c’était un compliment ou un constat moqueur, mais la façon dont il l’avait dit me fit légèrement sourire, bien que je n’aie pas pu retenir la vérité qui s’échappa de ma bouche. "Je… Je ne me souviens plus de cette partie-là, comme si mon esprit avait préféré tout effacer."
Il sembla comprendre. Ses yeux s’adoucirent un instant, et il s'excusa presque de son attitude.
"Ça doit être normal. C’est la façon dont ton esprit se protège." Puis il me proposa de déjeuner à la cafétéria, sûrement pour me permettre de reprendre des forces.
Nous sortîmes donc tous les deux en direction de la cafétéria, l’ambiance toujours calme et maîtrisée dans les couloirs. Mais alors que nous approchions du hall, une silhouette familière apparut : c’était ma mère. Elle me prit dans ses bras, son visage affichant un faux semblant d’inquiétude, comme si elle venait tout juste de comprendre l’ampleur de ce qui s'était passé. "Je suis désolée, ma chérie…", dit-elle d'une voix pleine de fausse sollicitude, avant de se tourner vers Sephiroth. "Merci beaucoup pour ton aide. Tu es un véritable héros." Elle me lâcha finalement, mais son attitude n’avait pas changé. Rapidement, elle s’éclipsa, me laissant là, sans un mot supplémentaire, pour repartir travailler. Elle m'exaspèrait.
Je restai sans voix, me sentant plus seule que jamais. Nous étions venus ici en famille, mais je me sentais isolé, sans but. Midgar, avec toute sa grandeur, ses artifices et ses faux-semblants, ne m’offrait rien de plus que la solitude. Une solitude qui m'envahissait de plus en plus, au fur et à mesure que je me rendais compte que mes proches étaient bien plus éloignés que je ne l’avais imaginé.
Je jetai un regard furtif à Sephiroth, qui avait observé la scène d’un air neutre. Il ne dit rien, comme s’il savait tout ce que je ressentais, sans besoin de mots. Mais sa présence, calme et rassurante, restait la seule chose qui me faisait sentir moins perdue dans cet endroit.
Ce matin-là, en compagnie de Sephiroth, je me rendis compte que peut-être, juste peut-être, je n’étais pas complètement seule. Un léger espoir que, contre toute attente, il y avait encore des possibilités, des opportunités dans cet endroit sombre.
Nous arrivâmes à la cafétéria. Curieusement, la salle était bien plus calme que ce à quoi je m’attendais. Quelques soldats et employés de la Shinra étaient éparpillés ici et là, certains plongés dans leurs plateaux, d’autres absorbés par des conversations discrètes. Sephiroth, lui, n’eut pas besoin de dire quoi que ce soit en arrivant au comptoir. Il me regarda simplement avant de déclarer :
"Prends ce que tu veux."
L’odeur des pains au chocolat encore chauds me fit presque oublier mes appréhensions. Mon ventre gargouilla bruyamment, et je me dépêchai de choisir mon petit déjeuner. Nous nous installâmes à une table à l’écart, où l’atmosphère semblait suspendue entre un calme inhabituel et une tension que je n’arrivais pas à identifier.
Sephiroth, pourtant maître dans l’art de l’impassibilité, avait l’air soucieux. Je l’observai un instant, me demandant ce qui pouvait bien traverser son esprit. Puis, une pensée me frappa : je ne l’avais même pas remercié pour tout ce qu’il avait fait pour moi la veille. Pas seulement pour m’avoir retrouvée, mais pour tout. Pour m’avoir apporté des vêtements, pour m’avoir offert un refuge sans poser de questions, pour ne pas m’avoir forcée à parler avant que je sois prête.
Cette pensée resta dans un coin de mon esprit alors que je mangeais en silence. Pourtant, ce silence entre nous n’avait rien d’inconfortable. Il était… naturel. Comme si les mots étaient superflus, comme si nous nous comprenions au-delà de tout ça.
Quand nous eûmes fini, nous retournâmes vers sa chambre. Mais une fois la porte en vue, la réalité me frappa de plein fouet : je devais rentrer chez moi.
L’idée m’angoissait. Mon estomac se noua à l’idée de revoir cet endroit. Je craignais de revivre cette nuit en boucle, d’être hantée par des souvenirs que je n’étais pas prête à affronter. Et plus que tout, j’avais peur qu’ils reviennent… qu’ils cherchent à se venger.
Je pris une profonde inspiration et rassemblai mes affaires. "Je vais devoir rentrer."
Les mots avaient à peine franchi mes lèvres que je sentis ma voix vaciller. Sephiroth me regarda un instant avant de répondre simplement :
"Tu es sûre ?"
Je lui adressai un sourire un peu forcé, tentant de masquer mon appréhension.
"Je m’en voudrais que tu dormes encore sur ta chaise de bureau."
À ma grande surprise, il laissa échapper un léger rire, un son rare, presque étranger venant de lui.
"Tu serais étonnée de savoir à quel point elle est confortable."
Cette légèreté me fit du bien, même si une part de moi hésitait encore. Mais je ne voulais pas m’imposer plus longtemps. Depuis cette nuit, j’avais la sensation que quelque chose avait changé entre lui et moi, sans que je puisse réellement mettre des mots dessus.
Alors je lui souris avec sincérité.
"Je te remercie… mais un jour ou l’autre, je devrai affronter cet endroit. Faire traîner les choses ne ferait qu’augmenter mon angoisse. Quand on tombe de chocobo, il faut tout de suite remonter."
Je plaisantai pour alléger l’atmosphère, bien que je sentais qu’il trouvait ma décision précipitée. Pourtant, il n’insista pas.
Contre toute attente, il me raccompagna jusque chez moi.
Là, une nouvelle surprise m’attendait : tout avait été nettoyé.
Pas une seule goutte de sang, pas une trace du combat. C’était comme si rien ne s’était passé.
La Shinra avait effacé chaque preuve.
Pour une fois, c’était une bonne chose.
Pourtant, malgré cette illusion d’ordre, un frisson parcourut mon échine. Je n’avais plus l’impression d’être chez moi. Les murs, les meubles, chaque recoin de cette maison m’oppressait désormais.
Mais je savais que je n’avais pas le choix.
Je devais apprendre à vivre avec.