Chroniques désespérées d’un casque-micro

Chapitre 23 : La Gentille – L’art de désamorcer l’enfer

414 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 28 jours

Il y a des gens dont la voix guérit.

La Gentille, c’était ça. Une voix de coton chaud, une diction claire comme une source, et cette manière unique de vous parler… comme si vous étiez le seul être humain qui comptait. Même quand vous appeliez pour râler. Même quand vous l’insultiez.

Son surnom, c’était pas ironique. C’était évident.

La Gentille était… douce. Tendre. Parfois même fragile. Une sorte de Galadriel dans un open space d’orcs et de trolls. Mais attention. Pas une victime. Une survivante. Une tacticienne du calme.

Quand un client hurlait au téléphone, elle ne montait jamais le ton.

Elle disait, avec une voix un peu plus basse, presque complice :

« Monsieur, on va trouver une solution. Ensemble. » Et elle le disait en y croyant vraiment.

Souvent, le client baissait d’un ton.

Parfois, il s’excusait.

Et il arrivait même qu’il dise :

« Franchement, merci madame. Vous êtes la seule qui m’a écouté. »

Mais un jour…

Un de ces jours qu’on n’oublie pas…

Un appel. Un gars. Agressif. Nerveux. Vulgaire. Un énième habitué du tout-m’est-dû.

Et là, même elle, elle a craqué. Pas en criant.

Non. Elle a retiré son casque. Doucement.

Elle me l’a tendu.

Ses mains tremblaient.

Elle m’a dit d’une voix blanche :

« Je vais le frapper si je continue. »

Et moi j’ai su.

Que quelque chose s’était brisé ce jour-là.

Parce que même la Gentille, même la plus douce d’entre nous, avait atteint la zone rouge.

Je lui ai pris le casque.

Et j’ai repris le type. Avec une voix ferme, sans m’énerver.

Je lui ai dit :

« Ce n’est pas comme ça qu’on parle à une femme, monsieur. Pas à une collègue. Pas à un être humain. »

Le gars a raccroché.

Et nous, sur le plateau, on a senti que quelque chose s’était déplacé.

Un seuil avait été franchi.

La Gentille n’a jamais changé. Elle continuait à consoler les clientes âgées, à guider les abonnés perdus.

Mais moi je l’ai regardée différemment après.

Pas comme une enfant fragile.

Mais comme une combattante pacifique.

C’était notre ange.

Notre boussole morale.

Notre rayon de soleil dans les pires tempêtes.

Et si un jour, vous l’entendez parler à un client, vous saurez.

Vous saurez ce qu’on a perdu en la laissant partir.

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