Chroniques désespérées d’un casque-micro
Chapitre 8 : L'Art de ne pas péter un câble... ou presque"
743 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour il y a 28 jours
Ah, l'art du contrôle émotionnel, ce merveilleux sport olympique qu’on pratique en call center. Le tout, avec un sourire aussi crispé que celui d’un acteur de sitcom face à une caméra qui tourne.
Un jour, le grand moment arrive. Le client de l'enfer, celui qui te fait regretter d’avoir choisi ce job. Celui qui, au lieu de dire "bonjour" ou "merci", commence par te traiter de "moulin à paroles", de "robot sans âme", et de "clown" parce que tu lui as répété une information deux fois.
Les insultes fusent. Lui, ça ne lui fait rien. Toi, tu restes là, sourire étiré jusqu'aux oreilles, serrant les dents au point de t'entendre grincer. Mais un moment, la pression est trop forte. Tu sais ce qu'il te dit ce client ? "Je n’ai jamais eu affaire à une équipe aussi incompétente." Là, tu pètes un câble.
“Mesdames et messieurs, le casque micro se rebelle !”
Là, c'est la chute. Tu lui dis, sans réfléchir :
“Excusez-moi, monsieur, mais mes oreilles ont une limite. Vous êtes peut-être un client, mais ça ne vous donne pas le droit de nous traiter comme des chiens. On est des humains, pas des robots. Vous pouvez rester poli, non?”Un silence de mort. La tension grimpe en flèche.
Et là, le superviseur débarque, aussi rapide qu’un Ninja, juste avant que tu n’aies eu le temps de respirer.
“Rappelle-toi que tu es un professionnel. Garde ton calme. Ce n’est pas toi qui insulte, c’est la société. Compris ?” Et toi, tu n’as plus de voix. T’es là, les poings serrés, prêt à défaillir, et tu réponds avec toute la grâce d’un chevalier en armure : “Ouais, mais c’est pas la société qui encaisse, c’est MOI.”Silence.
Tu as parlé.
Et tu as senti ce poids sur tes épaules.
Tu sais que cette phrase ne te vaudra pas une prime.
Tu sais aussi que tu viens de faire une infraction à la loi du sourire éternel.
Mais, au fond, t’as gagné. T’as osé dire ce qu’on pense tous, en silence, au fond de notre cœur brisé.
Et tu sais quoi ? Ce n'est même pas ta faute.
C’est un talent rare, vous savez.
Se faire insulter par un client enragé, suintant de rage téléphonique, pour une erreur commise… par quelqu’un d’autre… dans une autre agence… dans un autre pays… voire sur une autre planète…
Mais vous, pauvre casque micro greffé au crâne, vous êtes là. Disponible. Joignable. Engueulable.
Et donc, vous prenez.
Vous encaissez.
Vous êtes la barrière anti-choc humaine de l’entreprise.
— « VOUS ÊTES INCOMPÉTENTS ! » hurle le client à travers l’écouteur.
— « Je comprends votre frustration monsieur, et je tiens à vous présenter nos excuses pour ce désagrément… » (traduction : je suis payé à peine plus que le ticket resto pour écouter vos hurlements, je mérite une médaille, pas une insulte).
Mais attention, dans ce théâtre d’absurde, vous n’avez même pas le droit de poser des limites.
Si, d’un ton un peu plus humain, vous osez dire :
— « Monsieur, je vous demande simplement de baisser le ton, je suis là pour vous aider… »
Alors là, alerte rouge ! Vous devenez le méchant.
Le client ? Un roi offensé.
Le superviseur ? Une IA détraquée du management.
Et vous ? Un fusible grillé.
— « TU DOIS RESTER PROFESSIONNEL ! »
— « C’est pas toi qu’il insulte, c’est la société ! »
Ah bon ? Et c’est qui qui rentre chez lui avec la gorge nouée et le moral écrabouillé, la société ?
Dans cette logique néolibérale poussée à son paroxysme, votre dignité devient un coût optionnel.
Un luxe que vous ne pouvez plus vous offrir.
Mais le KPI, lui, est sacré.
Il a plus de valeur qu’un SMIC et plus d’autorité qu’un DRH.
Vous êtes un gilet pare-balles avec un badge.
Et même quand vous êtes blessé, votre souffrance passe en silence radio.
Mais certains jours, entre deux insultes et trois « vous êtes incompétents », une petite voix en vous murmure :
« Tu mérites mieux que ça. »
Et c’est là que l’espoir commence.
Pas celui d’un changement venu d’en haut — soyons sérieux — mais celui d’une révolte intime.
Un appel à la dignité.