La huitième merveille

Chapitre 23 : Là où naissent les étoiles

3092 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 31/10/2024 18:35

Musique: The highest journey


Quand il se réveilla, le premier réflexe de Thésée fut de consulter ses messages. Il déchanta, Spéciae n’avait toujours pas répondu. Evidemment, les interrogations étaient nombreuses, et l’inquiétude grandissante. Mais il n’eut pas le temps d’en parler à ses amis, l’amiral Trah-an et Elénaïde pénétrèrent dans le dortoir des terriens. Ils étaient accompagnés par monsieur Dalembert, et par le lieutenant Achab, le chef de la sécurité de Gala. C’était un homme court sur patte, carré d’épaule, un crâne rasé dont la sévérité était accentuée par des lèvres de pitbull. Le lieutenant Achab avait, à première vue, l’allure d’un type antipathique, bourru. Il ne fallait pas se fier aux apparences, car nul doute que dans son travail, le lieutenant était un homme compétent, consciencieux, et parfaitement serviable.

—    J’ai quelques explications !

L’Amiral Trah-an avait réuni tout le monde autour de lui. Il semblait soucieux, et se présentait avec les traits d’un homme fatigué.

—    Mais avant tout, permettez-moi de vous dire une chose importante.

—    Importante, répéta monsieur Dalembert ébranlé par la situation.

—    Vous avez été absolument remarquables.

—    Remarquable ! Oui, remarquable !  

L’Amiral Trah-an déposa un boîtier noir sur la table. L’objet était déchiré sur les côtés.  

—    La navette a été saboté.

—    Saboté ! s’exclama monsieur Dalembert en s’essuyant nerveusement le front avec un mouchoir.

Il l’essora discrètement avant de chasser la buée de ses lunettes.

Le long soupir de Samuel et le frémissement infatué au coin de ses lèvres résonnaient comme un « je vous l’avez bien dit ».

—    Mais pourquoi attenter à la vie des élèves ? s’affola mademoiselle Misse, en étouffant à peine le sanglot qui lui nouait le fond de la gorge. Qui voudrait faire ça ?

Le lieutenant Achab s’avança :

—    Je ne pense pas que celui qui a fait cela ait cherché à attenter à la vie des élèves. Et je crois que l’on peut exclure l’hypothèse d’une tentative vol d’une navette dont vous auriez été les victimes corolaires.

—    Mais quoi alors, s’empressa mademoiselle Misse.

Le lieutenant Achab dévisagea toute la salle comme un homme qui prend le temps de mesurer ses mots.

—    Une tentative de kidnapping.

Les élèves, comme les adultes, restèrent profondément silencieux. Un néon bourdonnait au plafond, il clignota et finit par s’éteindre.

—    Vue la dose de curare (un poison paralysant) retrouvé dans l’organisme de votre enseignante, dit le lieutenant, on penche plutôt pour la seconde solution. Et ce n’est pas tout, non, ajouta-t-il en secouant ses joues de pitbull.

 Il désigna le boîtier éventré :

—    Il s’agit d’un brouilleur-émetteur. C’est la raison pour laquelle nous avons perdu votre trace et que vous ne pouviez plus communiquer via le Serveur. Cette pièce fonctionne avec un système de clé unique. Seul celui qui avait en sa possession la clé correspondante pouvait vous localiser. Quelqu’un a cherché à vous éloigner au maximum de la station, sans doute pour vous récupérer plus loin, là où on ne pourrait pas vous trouver.

Aaron lorgna discrètement vers Thésée. Ils pensaient à la même chose : le vaisseau fantôme.

—    Mais pourquoi ? Pourquoi nous ? 

L’amiral soupira :

—    Pour être honnête, nous n’en savons rien. A ce stade de l’enquête, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses. Toutefois, nous avons désormais la preuve formelle que la taupe est encore dans la station, et que la même personne a sans doute attentée à la vie du capitaine Goodmeyers. Nous faisons tout pour l’identifier. Ne vous inquiétez pas, ajouta-t-il pour répondre aux mines grises des terriens, vous êtes désormais en sécurité. On va vous surveiller de près. Mais vous devez rester vigilant. J’insiste : à partir d’aujourd’hui, en aucun cas vous ne devrez quitter la station sans l’autorisation de mademoiselle Misse, de monsieur Dalembert ou de moi-même. Suis-je assez clair ?

Les élèves acquiescèrent.

Aussitôt que l’entrevue fut terminée, Thésée s’éclipsa et partit à la recherche de Spéciae. Cette histoire de kidnapping le préoccupait. Elle le préoccupait d’autant plus que Spéciae ne répondait toujours pas.

Il fila au jardin où il ne trouva que des papillons et une forte odeur de pain d’épice. Il commença à imaginer les scénarios les plus sombres. Il fit alors un détour par l’Arène mais, là encore, personne. Il songea, pendant un instant, à avertir monsieur Dalembert de la disparition de sa copine. Par chance, en traversant le dôme principal, il croisa un groupe de filles dans lequel il reconnut des camarades de classes de Spéciae. Il se jeta sur elles :

—    Excusez-moi, vous n’auriez pas vu Spéciae ? Je la cherche partout.

—    Spéciae ! Non, elle n’était pas en cours ce matin.

L’angoisse l’empoigna à la gorge.

—    Peut-être au dortoir, ajouta une des filles.

—    Au dortoir ! répéta Thésée pour qui la réponse était évidente.

Il les remercia et courut vers le téléporteur le plus proche.

—    Vous ne pourrez pas rentrer dans le dortoir ! avertit Voxa.   

—    Je sais ! 

Il avait appelé dix fois Spéciae, et elle ne décrochait toujours pas. Thésée en était certain désormais, il lui était arrivé quelque chose.

Le dortoir de Spéciae était situé sur le quatrième anneau-orbital. Les couloirs de l’anneau dégageaient une atmosphère rouillée, orangé. Comme il devait s’y attendre, les scanners ne le laissèrent pas passer. Il tourna en bourrique devant la plateforme jusqu’à ce que la porte du dortoir s’ouvre. Une fille en sortit.

—    Excuse-moi ! Est-ce que Spéciae est-là ?

Surprise, la fille le dévisagea comme s’il parlait un langage inconnu.

—    Je ne l’ai pas vue, finit-elle par dire. Désolé.

Elle s’échappa et disparut, happé par le téléporteur.

Thésée avait envie de pleurer. Il songea un tas d’histoires sordides toutes plus inquiétantes les unes que les autres. Il était prêt à courir chez l’amiral Trah-an. Il fallait avertir l’armée, mettre tous les moyens en œuvre pour retrouver Spéciae. Pourquoi ne répondait-elle pas ? Si tout allait bien, elle aurait mise au courant de leur « accident ». Elle aurait alors appelé Thésée, elle aurait voulu le voir, le prendre dans ses bras pour le réconforter.

Voxa tenta de le raisonner.

—    Ne vous inquiétez pas. Je suis sûr qu’il y a de bonnes raisons. S’il était arrivé quelque chose à votre chérie, vous auriez été prévenu. Les évènements d’hier vous ont chamboulé, par conséquent vous avez du mal à maîtriser vos émotions, ce qui est normal.

—    Thésée l’invita à fermer son clapet.

Mais Voxa avait raison sur un point, Thésée laissait ses émotions gouverner ses pensées. Cette attitude était contraire à ce qu’il avait appris durant toute l’année : à savoir analyser rationnellement, avec sang-froid, les situations les plus désespérantes.

—    Ce que vous avez très bien fait hier, remarqua Voxa dont l’oreille artificielle était collée à toutes les pensées de son hôte.

 Thésée poireauta une heure devant le dortoir, temps durant lequel il se rongea les ongles, la peau des doigts, les os, puis la moelle, suppliant Spéciae de donner un tout petit signe de vie.

Il était sur le point d’alerter l’Etat-Major, quand le téléporteur s’activa.

C’était elle.

Thésée poussa un immense ouf de soulagement, excommuniant hors de lui le terrible essaim d’idées noires qui lui torturaient l’imagination.

—    Tu m’as fait peur ! dit-il en se précipitant vers elle avec des larmes aux yeux. Tu ne répondais pas à mes messages.

Spéciae sursauta, un mouvement de stupéfaction qui n’échappa pas à Thésée.  

—    Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle en se figeant.

Elle semblait confuse, hagarde. Le visage rubéfié, d’immenses cernes violacés creusaient les contours de ses yeux fatigués, et une désagréable fragrance de détritus flottait dans l’air ambiant. Thésée eut un mouvement de recul, car sa copine était dans un sale état. Elle sentait mauvais. Spéciae s’en aperçut :

—    Pardon si je ne t’embrasse pas, mais je suis sale.

Elle se tenait la main comme si elle s’était cassée le poignet. Elle avait un vilain hématome sur sa peau pâle, sa belle combinaison blanche était déchirée, et une éraflure remontait sous son menton. Thésée s’effraya : 

—    Tu t’es fait mal ? Qu’est-ce qui t’es arrivé ?

—    Je vais bien, ne t’en fait pas, répondit Spéciae d’une voix plutôt évasive. C’est juste que… j’ai eu une séance de sport un peu costaud. On n’était pas prête pour ça. Mais ça va aller, je vais vite m’en remettre. 

Gadga apparut à son tour sur la plateforme de téléportation. Elle était exactement dans le même état que Spéciae, la peau rougie, suintante, des égratignures au visage, et une tache de sang séché dans la chevelure jusqu’au lobe de l’oreille. Et comme Spéciae, une forte odeur de rance flottait autour d’elle.

Une trace de larme sillonnait encore ses joues.      

—    Eh bien ! s’exclama Thésée à la fois impressionné et à la fois mal à l’aise. La séance devait vraiment être costaud.

Gadga le fusilla du regard. Il brillait dans ses yeux une fureur noire, un feu de Dieu.

—    Tu n’as pas à être-là ! s’agaça-t-elle comme un chien qui aboie.

Son mépris sans façade désarçonna Thésée, il ne savait pas quoi répondre. Mais Spéciae tança Gadga d’invisibles reproches. Il y avait de la friction dans l’air, une forte tension entre les deux copines, et un orage sur le point d’exploser

—    Tu peux nous laisser, s’il te plait, demanda froidement Spéciae avec un ton qui ne donnait pas d’alternative à Gadga.

 Thésée vit les cheveux de Gadga se dresser sur sa tête. Il crut qu’elle allait l’insulter. Mais elle se claquemura dans un silence glacial et s’engouffra dans son dortoir.   

—    Excuse-là, dit Spéciae pour tenter de rattraper la situation. On s’est disputées, mais… ça va aller. Ok ?

—    C’est du sérieux. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Elle ne lui donna pas le temps d’approfondir la question.

—    Je me dépêche. Il faut que je passe à l’infirmerie. Je vais me doucher, et je crois que je vais aller me coucher.

Elle fit trois pas en avant, mais, au moment de franchir le seuil de la porte, elle se retourna et l’interpella :

—    Thésée !

Il attendit gauchement.

—    Je suis vraiment contente de te voir.

La porte se referma devant elle, laissant Thésée tout seul, comme un imbécile, dans l’enclave ferrugineuse du corridor.

Thésée connaissait trop bien Spéciae pour deviner qu’elle luttait contre ses larmes. Mais la scène était trop irréaliste, tout avait été si vite. Ahuri, il se demandait s’il n’était pas en train de rêver, incapable de comprendre ce qu’il se passait. Le pire, c’est qu’il n’en savait pas plus, sinon que Spéciae n’avait pas été kidnappé. Mais vu son état, c’était tout comme.

Il revint sur ses pas, plus mal à l’aise que jamais. 

—    Alors ? se renseigna Eva quand Thésée retrouva les siens dans le cocon du dortoir.

Il était tellement déboussolé qu’il vida son sac sans omettre les détails.  

Aaron, fidèle ami, conclut :

—    Ça sent le moisi !

Il avait le mérite de parler honnêtement.

—    C’était réellement le cas, répondit Thésée les lèvres oscillantes de tristesse. Elles puaient toutes les deux. Je ne sais pas ce qu’elles ont foutu.

—    Elles se sont peut-être baignées dans une décharge ? suggéra Aaron soucieux de redonner le sourire à son pote.  

—    Il vous faudrait une conversation franche, conseilla Fanny. Mais pour l’instant, je pense que tu dois laisser retomber la tension, que les choses s’apaisent un peu de ton côté comme du sien. Ensuite, vous verrez bien ce que vous voulez pour votre couple.

—    Mais moi je sais ce que je veux, s’écria Thésée. C’est elle que je ne comprends plus. Hier on a failli crever, pas un message, pas un mot. Et là, je la retrouve dans un état lamentable. Franchement, je ne comprends pas !

—    Bah, tu sais quoi ? dit Aaron en mettant une manette de jeu dans les mains de Thésée. Pour le moment on a un championnat à finir.

Son attitude ulcéra Fanny :

—    Tu ne vois pas que Thésée a besoin de parler, qu’il ne va pas bien !

—    Si, se défendit Aaron. Mais justement, il a besoin de se distraire, de penser à autre chose.

Fanny s’exaspéra, elle avait bien envie de gifler Aaron.

—    Vous savez que tout le monde vous entend, intervint timidement Eva.

Thésée secoua la tête.

—    C’est gentil de vous inquiéter. Vraiment ! Mais ça va aller.

Au fond, Aaron et Fanny avaient tous les deux raisons. Thésée devait laisser l’orage se disperser.

Pour se distraire, les terriens regardèrent plusieurs épisodes d’une série intitulée Died or Alive. L’humour de la série décrocha un sourire à Thésée. Cela faisait une heure qu’ils se marraient devant leur écran quand Malvina se précipita dans le salon. Elle était en peignoir.

—    Regardez ce que je viens de trouver !

La tête d’un oiseau dépassait de ses mains. Elle ouvrit à peine la poigne que l’oiseau s’échappa. C’était un colibri.

—    Qu’est-ce que ça fait là ?

—    Je ne sais pas, je l’ai trouvé dans le conduit d’aération de la salle de bain. Je prenais ma douche…

Les terriens rigolèrent. L’oiseau faisait des cercles en frôlant le plafond. Puis, il se posa sur les genoux de Thésée, où il se figea comme un animal empaillé.

—   Qu’est-ce qui lui arrive ? interrogea Aaron.

Thésée avait compris.

—   C’est un drone !

En effet, dès l’instant où Thésée posa sa main sur sa tête, l’oiseau ouvrit le bec. Un bout de papier était enfoncé dans sa gorge. Thésée retira le rouleau, l’oiseau referma son bec et s’envola. Il disparut quelque part dans les escaliers.

—    C’est qui ? voulurent savoir les autres.

Il déplia le message, c’était écrit en anglais.


Ce soir, une heure, là où naissent les étoiles.


—    C’est Spéciae, répondit-il en ramenant la feuille contre sa poitrine pour cacher le message.

—    Qu’est-ce qu’elle dit ?

—    Elle veut que l’on se voie.

—    Drôle de manière de procéder, remarqua Aaron. Elle ne pouvait pas t’appeler, tout simplement !

—    Elle est trop chou, coupa Eva. Elle a quelque chose à se faire pardonner.

—    Tu vois, ajouta Fanny, les choses vont s’arranger.

Thésée acquiesça, mais Samuel intervint :

—    Je ne sais pas si c’est une bonne idée. L’amiral nous a demandé de ne pas sortir.

—    Je te rassure, répondit Thésée. On ne va pas faire de folies.

Aaron s’insurgea contre Samuel :

—    C’est bientôt les vacances, quoi ! Ils ne vont plus se voir pendant deux mois. S’il faut mettre les choses aux clairs, c’est maintenant. 

—    Et il est avec Spéciae, rappela Fanny, la fille la plus badasse de toute la station.

Samuel n’insista pas davantage. 

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