La huitième merveille
Le vaisseau dérivait, et les secours n’étaient toujours pas là. Eva et Samuel s’étaient introduits dans le générateur depuis une heure ; ils n’avaient plus donné de nouvelles.
Madame Gastère était toujours inconsciente. Fanny et Elvis l’avaient sanglé à la tête, à la poitrine, et aux pieds, pour éviter que l’enseignante ne s’abime en se cognant dans les bords du vaisseau.
La coupure de courant était totale. Plus aucun appareil électronique ne fonctionnait à bord de l’Explorer.
— Je m’en souviendrais de cette sortie, se plaignit Malvina.
Fanny se voulut rassurante :
— Ils ont dû envoyer les secours.
Le vaisseau toussota, les lumières de la cabine se réallumèrent, l’espoir avec elles.
— Ils ont réussi !
— On est sauvé ! s’écria Elvis.
Aaron jubila, il sauta sur ses deux amis à leur retour à bord.
Mais ni Eva ni Samuel ne partageaient son enthousiasme bondissant. Ils en expliquèrent la raison :
— L’Explorer a été saboté.
Ils montrèrent d’étranges débris qu’ils avaient retrouvés éparpillés dans le générateur.
— Saboté ? Mais pourquoi ?
Ils n’en savaient rien.
— Et la prof ?
— La prof ? A mon avis… empoisonnée. Ce n’est pas une coïncidence.
Un long silence interrompit la conversation. Pourquoi attenter à la vie de madame Gastère ? Pourquoi mettre en danger celle des terriens ?
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Aaron.
Fanny, Samuel et Eva dévisagèrent Thésée :
— Thésée, piloter, c’est ton truc ?
— Heuuu… Seulement dans le simulateur.
— Alors il est temps de passer aux choses sérieuses.
Ses camarades croyaient en lui. Mais il n’avait jamais piloté que de faux vaisseaux où il ne risquait pas sa vie.
« Ce n’est pas le moment de vous dégonfler, murmura secrètement Voxa. Après ce que vous venez d’accomplir, piloter l’Explorer ne devrait pas être la tâche la plus difficile que vous aurez faite aujourd’hui. »
— Je vais voir ce que je peux faire.
Eva l’encouragea.
— Tu vas y arriver.
Il fila aux commandes, requérant Aaron à la place de co-pilote. Puis, Voxa était là pour le conseiller.
Thésée se concentra et s’enferma dans sa bulle. Il n’y avait rien d’extraordinaire, ils se contentèrent de répéter ce qu’ils avaient vu cent fois lors de leurs entrainements. Ils contrôlèrent l’état général du vaisseau. Les dégâts sur la carlingue étaient légers, les propulseurs fonctionnaient, le bouclier était de nouveau opérationnel ; tous les voyants étaient au vert.
Aaron enclencha le générateur gravitationnel. Mais comme il n’avait prévenu personne, ils entendirent depuis le cockpit leur camarades chuter par terre.
Thésée activa l’interphone :
— Mesdames, Messieurs. Ici votre commandant de bord. Le départ à destination de Gala est imminent. Veuillez attacher vos ceintures.
— As-tu déjà piloté un engin pareil ? se renseigna Aaron.
Thésée ne prit même pas la peine de répondre, il ne voulait pas l’inquiéter inutilement.
Mais Aaron devina ses pensées. Il s’agrippa à l’accoudoir, s’enfonça fermement dans son siège, et baissa la visière de son casque.
— Je ne sais pas où on va, dit Thésée, mais on y va.
Il avait une vague idée de la position de Gala.
Main sur les commandes de vol, de légères vibrations secouèrent la navette. Il réalisa à la perfection une manœuvre de retournement.
— Tiens ! s’exclama soudainement Aaron avant que la navette ne redémarre. Le radar a repéré quelque chose.
— Un vaisseau ?
— Je ne sais pas.
Aaron plissa les paupières, attentif à l’écran.
Thésée aussi l’avait brièvement aperçu.
— Le signal vient de disparaître.
Ils scrutèrent le fond du ciel, mais il n’y avait plus rien.
— On n’a pourtant pas rêvé ?
— Moi aussi je l’ai vu. On aurait dit… un vaisseau.
— Un vaisseau fantôme alors. Parce que même le radar l’a perdu de vue.
— Ne restons pas là, tu veux !
Thésée aux commandes, l’Explorer vola deux heures sans croiser personne. Ils avaient retrouvé le champ d’astéroïdes, preuve qu’ils étaient sur le bon orbite, dans la bonne direction. Ne voyant toujours pas Gala, il se demandait s’il n’avait pas dépassé la station, quand Aaron s’écria :
— Je détecte un signal !
— Quelle direction ?
Thésée modifia sa trajectoire en suivant les indications de son co-pilote.
— Là ! Ce sont les vaisseaux de secours ! On est sauvé !
Il beugla dans le micro.
Un hourra retentissant exulta depuis la cabine des passagers, saturant les systèmes de communication. La navette établit le contact avec les vaisseaux venus porter secours.
— Navette HS28, veuillez confirmer votre identité. Navette, parlez plus fort, je ne comprends rien.
— Ici Thésée London ! Je suis actuellement aux commandes de l’Explorer HS28. Nous avons eu un accident. Notre enseignante, madame Gastère, a perdu connaissance.
— Thésée London, ici le lieutenant Achab. Nous étions à votre recherche. Tout va bien ?
— Pas de blessé, informa Thésée.
— Heureux de voir que vous vous portez bien.
— C’est la première fois que je pilote, informa Thésée.
— Vous vous en sortez à merveille, on vous ouvre la voie.
Les vaisseaux de secours escortèrent l’Explorer à travers le champ d’astéroïde. Enfin, Gala surgit du fond de la nuit.
Il reçut les instructions d’amarrage :
— Vous pouvez atterrir sur le huitième anneau, porte H.
Le huitième anneau était de loin le plus large de tous les anneaux.
— Tu vas y arriver ! encouragea Aaron alors que l’Explorer volait dans l’ombre de l’immense structure.
Thésée avait déjà expérimenté des atterrissages sur Gala à l’aide des simulateurs. Il appréhendait pourtant la manœuvre à cause du mouvement rotatif de l’anneaux. Il devait stabiliser sa vitesse. Tout compte fait, ce ne fut pas plus compliqué qu’à l’entrainement.
Il ne prêta pas attention aux cris de joie de ses camarades quand la navette atterrit.
Une foule de curieux cerna les rescapés pendant qu’une équipe de soin prit en charge madame Gastère. On scanna les terriens un à un, puis on les escorta à leur dortoir. Les consignes étaient claires : interdiction de sortir jusqu’à nouvel ordre, on viendrait les chercher au matin.
Thésée en profita pour appeler Spéciae pour la rassurer et narrer ses exploits. Hélas, elle ne répondait pas. Il se contenta de laisser un message.
Personne ne voulut dormir cette nuit-là. Les rescapés restèrent ensemble durant toute la soirée. Refusant de laisser la morosité se diffuser dans le dortoir, Fanny mit de la musique et entama quelques pas de danses. Aaron la rejoignit d’un saut, suivit par Elvis, Alevina, et même, pour le plus grand étonnement de tous, par Samuel dont le manque de souplesse rappelait un robot désarticulé. Thésée n’était pas non plus à son aise quand il s’agissait de danser, son déhanché était plutôt rigide. Mais ce soir-là, il s’en moquait.
Les génius aussi dansaient. Comme le serpent de Fanny, tous se trémoussaient, sautillaient, se tortillaient en chantant à tue-tête. Thésée, harassé, finit par fermer les yeux et laissa la musique vibrer dans chacune de ses fibres. Il bascula sur un canapé, et, sans s’en rendre compte, il s’endormit. Les cris de joie de ses amis se mêlaient à ses songes. Ils étaient vivants, c’est tout ce qui comptait.