La huitième merveille

Chapitre 6 : L’ACADEMIE DE GALA

2915 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 07/10/2024 17:50

Le voyage se prolongea sans que Thésée ne pût dire combien d’heures s’étaient écoulées depuis leur départ. Ils s’émerveillèrent un long moment devant l’éclat bleu de la nouvelle étoile. La navette voguait dans le champ d’astéroïde, et le spatio-port militaire d’Antaria était dorénavant derrière eux. Hormis les quelques pierres qu’ils frôlaient de près, tout était immensément vide, majestueux.

Thésée s’endormit devant un film. Quand il ouvrit les yeux, les autres l’avaient imité. Fanny sommeillait les genoux repliés à la poitrine, la capuche de son sweat rouge repliée sur le front. Elle mâchouillait une mèche de ses cheveux. A côté, Aaron, affalé les jambes en V, respirait la bouche ouverte. Sa tête dangereusement inclinée menaçait à tout moment de se détacher de son cou. En face, Samuel avait déplié son siège pour étendre ses jambes. Sa paire de lunette noire sur le nez, son gros casque de musique sur les oreilles, il avait l’allure d’un type qui prend un bain de soleil à la plage, le visage fixe, stoïque. Seule Eva, leur partenaire de cabine, était réveillée. Elle jouait avec un vieux Gameboy jaune et bleu sur laquelle était collée une souris jaune avec une queue en forme d’éclair.

—    Tu joues encore à ça ! murmura Thésée pour ne pas réveiller les autres.

—    J’adore, répondit-elle en soufflant sur sa frange parce que ses mèches tombaient devant son nez. Je ne m’en sépare jamais. C’est mon oncle qui me l’a donné.

Le vaisseau croisa quelques rares astéroïdes. Au loin, Antaria brillait comme un phare.

Thésée eut froid, il s’enfouit sous une épaisse couverture avec le logo de la compagnie. Il mit la main sur un vieux magazine coincé entre les fauteuils. Les pages étaient froissées. Il réussit toutefois à déchiffrer une rubrique intitulée : Les ingénieurs célèbres. L’article présentait des portraits de personnages qui avaient marqué l’histoire. Le premier de la liste s’appelait Archiloque. On le qualifiait de « Grand Ingénieur », en soulignant qu’il avait créé une étoile avec ses larmes : « une des sept merveilles de l’Univers. »

—    Tu lis quoi ? demanda Aaron en émergeant de sa sieste.

Thésée montra la couverture du magazine. Aaron se détourna vers le hublot. Fanny s’étira en baillant bruyamment.

—    Quelqu’un sait où on en est ? demanda-t-elle en retrouvant son sourire.

La navette approchait de sa destination. L’intervention du capitaine réveilla tout le monde.

—   On arrive ? sursauta Samuel.

—    Je n’aurais pas dû me gaver d’autant de bonbecs, confessa Aaron en se plaignant d’un début de nausée.

Eva se colla au hublot :

—    On va atterrir !  

—    Où ça ?

Thésée ne voyait rien depuis sa place.  

La navette ralentit brusquement, comme si une immense main invisible l’avait empoignée pour l’aider à effectuer son embardée. La carlingue vibra. Un brouhaha enthousiaste se diffusa dans les compartiments voisins. Thésée se pencha pour mieux voir : la silhouette d’une grande structure se détachait du fond de la nuit.

La carte interactive de la cabine indiquait :


Station Spatiale Intergalactique de Gala.


Toute en hauteur, la structure tenait en équilibre dans le vide de l’espace. De grands anneaux effectuaient un mouvement rotatif autour d’une volumineuse sphère située sur la partie inférieure de la station. Thésée en compta huit de différentes tailles.

Lentement, la navette se rapprocha et frôla le plus grand des anneaux. Thésée put alors se faire une meilleure idée de l’immensité de la structure.

—    Comment peut-on construire une chose pareille ? s’émerveilla Aaron la bouche collée à la vitre.

La buée qu’il crachait à chaque expiration obstrua la vue.

La navette plongea vers un des anneaux. Les passagers ne voyaient déjà plus l’extrémité supérieure de la station. Elle était si haute qu’elle ne tenait pas toute entière dans les hublots.

Une nouvelle secousse fit trembler le vaisseau.

—    On va s’écraser ! paniqua Samuel.

L’édifice se rapprochait dangereusement.

—    On arrive beaucoup trop vite !

Une lumière blanche enveloppa la navette. Ils venaient de pénétrer à l’intérieur de l’un des anneaux.

Le vaisseau s’amarra en douceur.

La voix du chef de bord grésilla une dernière fois :

« Ici votre capitaine. La compagnie et moi-même espérons que vous avez effectué un agréable voyage et vous souhaitons un bon séjour à bord de Gala. »  

Les terriens s’agglutinèrent devant le sas de sortie. Des éclats de rires résonnaient ici et là. Le long voyage prenait fin. Pour la première fois, Thésée constata qu’Eva était légèrement plus grande que lui. 

—    Les nouveaux ! Par ici !

Une jeune femme les attendait au bout du quai. Les cheveux châtains, elle portait de petites lunettes rondes sur son nez busqué, deux yeux verts flamboyants, des cernes violettes, et une pochette serrée contre sa poitrine. Elle leur fit un signe de main en répétant :

—    Les terriens !

Ils se regroupèrent autour d’elle.

—    J’espère que vous avez fait bon voyage ? Vous êtes tous là ? Parfait ! Je me présente, je m’appelle Elenaïde Misse, et je serai votre tutrice à bord de la station. Je suppose que vous devez être fatigués. Je vais vous conduire jusqu’à votre dortoir où vous pourrez vous rassasier et vous reposer. Afin de ne pas vous perdre dès le premier soir, je vous demande de rester groupés derrière moi.

—    Hâte de voir la tronche des aliènes, dit Aaron en se frottant les mains.

Son intervention fit froncer les sourcils de la tutrice. Mais elle ne dit rien et les conduisit devant un étrange complexe de tuyaux cylindriques transparents, juxtaposés à la manière des flutes d’un orgue.

—    Savez-vous ce que c’est ? demanda-elle.

—    Des ascenseurs ! se risqua Samuel.

—    Presque ! Vous avez dû remarquer en arrivant que la station est très grande. Pour vous déplacer rapidement et pour ne pas vous perdre, notamment entre chaque anneau-orbitale, vous pouvez utiliser ceci, ce sont…

—    Des téléporteurs, chuchota Thésée à l’oreille d’Aaron.

—    … des portails intra-dimensionnelles !

Elle se tourna vers Thésée :

—    Nous n’utilisons plus de téléporteurs, même si le terme est resté dans la langue.

—    Pourquoi on n’utilise plus de téléporteur ? s’enquerra Fanny

La tutrice répondit :

—    A cause des accidents lors des phases de recomposition atomique. Certains se retrouvaient avec le cerveau de leur voisin. C’est embêtant, surtout quand l’on se rend à un examen de fin d’année. Les portails sont plus fiables, car ils n’interagissent pas avec la structure votre corps, mais se contentent d’ouvrir un passage à travers l’espace.

Les tubes s’activèrent. Deux anneaux, l’un rouge, l’autre vert, s’allumèrent de chaque côté des cylindres.

—    Vous en trouverez plusieurs répartis dans toute la station. Pas d’excuse pour arriver en retard en classe. Aujourd’hui je dois vous aider, mais dès demain, après la visite médicale, les choses iront plus vite. En attendant, il vous suffit de sélectionner l’icône du plan correspondant à l’endroit où vous voulez vous rendre.

Un plan holographique en trois dimensions apparut. Thésée commençait à avoir l’habitude.

—    Nous sommes sur le cinquième-anneau-orbital, expliqua la tutrice. Votre dortoir se trouve dans le troisième anneau, Zone-52. C’est tout simple. Avec le temps, vous finirez par connaître le plan par cœur.

—    Mais, ne risque-t-on pas de se retrouver avec le cerveau d’un autre ? s’inquiéta l’une des jeunes filles présente que Thésée n’avait pas encore remarqué.

Des cheveux courts bouclés, elle respirait la bouche ouverte, comme si elle n’arrivait pas à refermer sa mâchoire.  

—    Malvina ! C’est ça ?

La jeune fille confirma.

—    Aucun risque, Malvina ! Ça se passe comme si vous franchissiez une porte.   

Le groupe s’aligna devant le complexe de tuyaux. Aaron joua des coudes pour être parmi les premiers. Mademoiselle Misse donna les consignes :

—    Une fois de l’autre côté, vous attendez. Pas question de vous courir après.

La première élève activa les téléporteurs. Les anneaux verts et rouges clignotèrent. Ils se refermèrent brusquement sur elle avec le fracas d’un marteau sur une enclume. Quand ils se rouvrirent, avec le son d’une clochette, la fille avait disparu.

Aaron trépigna d’impatience.

—    Ne pousse pas, se plaignit Samuel qui venait de prendre un tampon dans le dos. Chacun son tour.

La file avança, les anneaux avalèrent les élèves les uns après les autres. Samuel disparut, puis Aaron, et enfin Thésée. Les anneaux l’engloutirent. Le décor changea d’un trait. Il était désormais en face d’un long couloir bleuté.

« Veuillez ne pas obstruer la plate-forme ! »

Thésée sauta du socle et rejoignit le groupe. Chacun rigolait. Eva apparut dans son dos, puis mademoiselle Misse se matérialisa en dernière.

—    Personne ne s’est perdu ?

Malvina manquait à l’appel. Mademoiselle Misse soupira. Elle émit un avis de recherche. On retrouva la jeune fille plusieurs minutes plus tard. Elle surgit d’un des portails, accompagnée par un droïde. Mademoiselle Misse ne comprenait pas pourquoi elle avait été expédiée au mauvais endroit. Elle promit de signaler le bug.

—    Il n’y avait personne, murmura Malvina. Je commençais à paniquer.    

L’incident clos, la tutrice leur fit franchir une série de portes, jusqu’à une minuscule salle octogonale avec sept miroirs, un par pan de mur.

—    J’aime bien cette salle, dit Fanny en faisant le tour des miroirs.

—    Mesure de sécurité, expliqua la tutrice. Seuls les membres du dortoir sont autorisés à rentrer. C’est-à-dire vous et moi.

Elle posa sa main sur une boule de cristal qui lévitait au milieu de la salle. La boule s’illumina d’une vive lueur bleue.

La salle pivota sur elle-même, Fanny perdit l’équilibre et attrapa l’épaule de Thésée. Les premières marches d’un escalier apparurent sur le sol. Elles s’enfonçaient en spiral au niveau inférieur.

Aaron glissa le long de la rambarde. Ils pénétrèrent dans un spacieux salon, et s’émerveillèrent quelques instants devant la baie vitrée incurvée en C, elle faisait tout le tour de la pièce. De l’autre côté, c’était l’espace, éclairé par la magnifique étoile d’Antaria,  

—    Votre salon, expliqua la tutrice. Vous avez un coin cuisine, et vos chambres sont de l’autres côtés.

—    Je sens qu’on va bien se plaire ici, s’enthousiasma Aaron en se laissant tomber sur un des canapés. Ça vaut largement un hôtel cinq étoiles.   

—    Un hôtel une étoile, rectifia Samuel, mais quelle étoile.

—    Je vous laisse prendre vos repères, prévint la tutrice. Je cous retrouve demain pour la visite médicale.

Elle remonta l’escalier.

—    Nous, on va chercher notre chambre !

Fanny et Eva disparurent par une porte adjacente. Les garçons emboitèrent le pas. Les chambres étaient individuelles. Il fallait déverrouiller sa porte en scannant sa pupille par un œil de judas. 

La bedonnante valise de Thésée l’attendait déjà dans sa chambre. L’endroit était plutôt spacieux. Une large mezzanine lévitait au-dessus d’un bureau ; une vue incomparable derrière la baie vitrée.

Il contrôla le moelleux du matelas. C’était une sorte de matière gélatineuse. En s’allongeant, elle gonflait et vous enveloppait. D’abord déconcerté, Thésée le trouva super confortable. Il inspecta ensuite les placards incrustés dans les murs. Il les trouva trop étroits et s’inquiéta de ne pas pouvoir ranger toutes ses affaires. Il déposa un premier t-shirt dans le caisson qui se referma automatiquement. Quand il le réouvrit, le t-shirt avait disparu. Il venait de s’afficher dans un inventaire. Tout ce qu’il déposait dans le placard était miniaturisé. Il suffisait de cliquer sur le vêtement depuis l’hologramme pour le voir réapparaitre comme par magie dans le fond du caisson.

—    Alors, tu prends tes marques ?  

Aaron rentra dans la chambre, un hamburger dans les mains. Une feuille de salade tomba par terre.

—    Tu as eu ça où ?

—    Il y a un distributeur dans la cuisine.

Il ramassa la feuille et la mangea.

—    Mais je n’ai pas trouvé de chocolat.

Thésée s’étonna :  

—    Tu as déjà rangé tes affaires ?

—    C’est fait ! affirma Aaron.

Par « c’est fait », Aaron voulait dire qu’il avait entassé son sac-à-dos ouvert dans un coin de sa chambre.

Il s’assit sur le siège du bureau de Thésée et lécha la sauce qui dégoulinait sur ses doigts.

—    Je n’arrive toujours pas à y croire, dit-il. Tu imagines…

—    J’ai peur de me réveiller, avoua Thésée. Tout ça est si irréel...

—    … on peut manger tout ce qu’on veut à volonté. Il n’y a personne dans ton dos pour t’engueuler quand tu finis le paquet de céréales.   

Un grand éclat de rire attira leur attention.

—    On l’entendrait rigoler à l’autre bout de la galaxie, souffla Aaron avant que Fanny et Eva ne déboulent dans la chambre.

—    Faites voir ! s’écria Fanny inspectant les lieux. Oh, elles sont largement moins grandes que les nôtres.

—    Vous avez sans doute besoin de plus de rangement, répliqua Aaron.   

Fanny en profita pour piquer une frite.  

—    Tu aurais pu attendre les autres, ajouta-t-elle sarcastique.

—    Tu as qu’à aller t’en chercher ! rouspéta Aaron qui n’aimait pas que les autres lorgnent sur sa barquette.    

—    Vous êtes dans le dortoir des garçons, remarqua Samuel en arrivant derrière elles.

Aaron avait dit vrai, un coin cuisine jouxtait la pièce commune, suppléé par plusieurs cabines vides aménageables au choix. Il suffisait de sélectionner la configuration à l’aide d’une projection holographique, et les objets se matérialisaient sous leurs yeux.

Samuel, désorientait, se questionnait. Il ne comprenait pas comment la miniaturisation était possible.  

Thésée abandonna ses camarades pour passer sa première nuit à bord de Gala. La baie vitrée était désormais complètement opaque. Il gravit l’échelle de sa mezzanine et se vautra dans son lit comme dans une piscine. Il attendit d’être complètement au chaud sous sa couette de gélatine pour se dévêtir et balancer ses affaires par terre. Il n’arrivait pas à mettre de mots sur ce qu’il était en train de vivre. Tout était si soudain. Il devait sa présence à sa mère. En y réfléchissant, sa propre maman lui parut très mystérieuse. Était-elle venue, elle aussi, sur Gala ?

Au chaud dans son lit, harassé par un long voyage, bercé par un calme absolu où il entendait ses propres pensées, il s’endormit, pour la première fois, très loin de chez lui.

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