La huitième merveille
Chapitre 5 : STARSCHIP SYSTEME COMPAGNIE
3340 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 06/10/2024 09:17
— Tu as vu ça ! s’exalta Aaron en attrapant spontanément Thésée à l’avant-bras.
Thésée partagea la surprise et la joie de ses partenaires. C’était un véritable vaisseau spatial. Mieux encore, l’hôtesse les invita à monter à bord.
— Bienvenue !
Aaron joua des coudes pour passer en premier.
— « Ce tombeau sera votre tombeau ! », s’écria-t-il euphorique.
Les autres gloussèrent.
L’excitation était palpable. Le groupe franchit un premier sas. Aussitôt les portes refermées, le tintamarre de la grotte s’estompa. Un luxueux lambris au bois verni recouvrait les cloisons de l’habitacle, pointillées par des abats jours beiges.
— On croirait pénétrer dans un vieux paquebot, dit la fille avec sa rose dans les cheveux.
Elle n’avait pas tort. Ils durent avancer à la queue leu leu comme dans une coursive.
Thésée suivit Aaron dans le premier compartiment qu’ils croisèrent. La cabine était déjà occupée. Une jeune femme était assise à côté du hublot. Elle devait avoir leur âge. Elle les salua sans un mot et rangea son sac à main sous son fauteuil.
— On se croirait en première classe ! s’exclama dans leur dos la jeune fille en robe.
Elle imita l’accent d’une grande dame de Paris.
— Si j’avais su, j’aurais pris mon chapeau.
Puis elle dévisagea Thésée et demanda :
— Ça ne vous dérange pas si l’on fait le voyage ensemble ?
— Pas du tout, répondirent Thésée et Aaron d’une seule voix.
Elle leur tendit le bras pour se présenter. Elle avait les mains fines, délicates, et des lèvres mesquines.
— Je m’appelle Fanny, dit-elle en leur offrant son plus large sourire. Fanny Desanges.
Aaron échangea une vive poignée de main. La jeune fille grimaça, Thésée crut que son bras allait se disloquer.
Le garçon aux lunettes de soleil rentra à son tour.
— Samuel ! dit-il sobrement en s’installant.
Il avait le visage froid et semblait blasé.
Thésée lança la conversation avec Fanny :
— Tu as un joli accent.
— Ma mère est Française, expliqua la jeune fille.
— Je m’en doutais ! s’exclama Aaron comme si c’était une évidence.
Puis il se tourna vers le hublot et colla son nez contre la vitre :
— On n’est pas les seuls à monter à bord.
Une liasse d’individus faisait la queue sur une seconde passerelle d’embarquement, située au niveau inférieur. Il n’y avait que des terriens.
Une sonnette retentit, une hôtesse se matérialisa au milieu de la cabine. C’était un hologramme.
— « Bienvenue dans la navette transpatiale n° 1991, en départ de la Zone-51, et à destination de la Station Spatiale Intergalactique de Gala. Arrivée prévue à 23h59 horaire de la Terre.
Elle détailla l’itinéraire :
— Nous desservirons le spatio-port militaire d’Antaria. Nous vous rappelons que les ceintures de sécurité doivent être enclenchées au moment du décollage, ainsi qu’à l’atterrissage. En cas de besoin, vous pouvez solliciter mon aide en appuyant sur le bouton dédié à cette action. Mesdames, messieurs, STARSHIP SYSTEME COMPAGNIE et tout son équipage vous souhaite un agréable voyage. »
L’hologramme se volatilisa et une voix nasillarde prit la relève à travers les hauts parleurs :
— Mesdames messieurs, ici votre capitaine. Veuillez attacher votre ceinture, départ imminent.
Thésée ne se fit pas prier pour s’enfoncer dans son siège.
— Mais où est la ceinture ? s’alarma soudainement Aaron parce qu’il ne la trouvait pas.
L’occupante, jusqu’alors silencieuse, vint à leur rescousse. Elle désigna un pictogramme censé représenter une ceinture.
Il appuya sur le bouton de sa ceinture. Aussitôt, il se retrouva scotché à son fauteuil, comme s’il était aspiré par les fesses par un tuyau d’aspirateur.
Fanny rigola.
Les hauts parleurs grésillèrent de nouveau :
« Activation du magnétisme gravitationnel. »
De puissants ventilateurs s’enclenchèrent, les sièges fourmillèrent. Une désagréable sensation de lourdeur pesa sur les jambes et l’estomac.
« Dépareillage de l’appareil ! »
Le vaisseau tremblota légèrement.
« Stabilisation ! »
— Je veux descendre, souffla le dénommé Samuel crispé dans son siège.
Il était comme pétrifié, cloué à sa place.
— Trop tard ! répondit Fanny.
Pour la première fois, elle avait perdu son sourire.
Aaron était tout pâle.
— Mais on décolle par où ? s’inquiéta-t-il. On est sous terre.
Il avait raison, Thésée n’était guère plus rassuré.
Seule la seconde voyageuse, des cheveux boucle d’or et d’épais sourcils blonds, se payait le luxe de rester stoïque. Elle fouilla même dans son sac.
La navette 1991 s’éloigna de l’embarcadère. A l’intérieur, les passagers eurent une vision plus ample de la grotte. La cavité était gigantesque. Plusieurs vaisseaux au fuselage bleu et jaune étaient alignés le long des passerelles. C’était un véritable spatio-port enfoui au plus profond de la Zone-51.
Tout à coup, la navette bascula vers l’avant. Elle était suspendue, le nez en bas, au-dessus d’un immense et abyssal gouffre noir dont les ténèbres se perdaient dans les profondeurs de la terre.
— Ils ne vont pas nous larguer ! s’écria Aaron prit de panique.
Il regrettait ce qu’il avait pu dire en entrant dans le vaisseau.
Les hauts parleurs grésillèrent encore :
« Ouverture du portail. Calcul de la limite de Planck. »
— Personne ne me croira, murmura Thésée.
— Je te crois, répondit Fanny.
— Je ne veux pas mourir, susurra Aaron en plantant ses ongles dans l’accoudoir. Je ne veux pas mourir.
Quant à la seconde lycéenne, elle regardait par le hublot, claquemurée dans un silence serein. Thésée rechercha ce fameux portail, mais il ne pouvait pas le voir.
La navette s’immobilisa complètement. Le capitaine annonça :
« Attention au largage ! »
La sentence annoncée, la navette plongea dans le vide, provoquant des cris dans les compartiments voisins. Tout se passa très vite. Une explosion retentit, la carlingue du vaisseau trembla violemment, et une puissante accélération écrasa les passagers dans le fond de leur siège. Thésée sentit sa cage thoracique s’enfoncer dans ses poumons, ses poumons dans ses vertèbres, et ses vertèbres dans son fauteuil. La respiration coupée, il n’avait même pas la force de cligner des yeux. Un flash de lumière vint aveugler la cabine.
Il crut que ses organes essayèrent de s’enfuir tous en même temps par l’étroit canal de son gosier. Mais sa gorge se rétracta automatiquement comme un tuyau d’arrosage que l’on vide de son eau. Le sang reflua vers ses tempes et brouilla sa vue. Des étoiles tourbillonnaient à l’intérieur de son crâne.
La voix du capitaine dans l’interphone le ramena progressivement à lui :
« Largage réussi ! Nous voyageons actuellement dans le sixième couloir multidimensionnel en direction du système d’Antaria. Nous desservirons le spatio-port militaire avant de rejoindre Gala, notre destination finale. »
Le pictogramme de la ceinture clignota ; ils étaient autorisés à se lever.
Thésée se détacha spontanément et dégobilla la tête en avant. Une poubelle venait de s’ouvrir entre ses pieds.
Il s’essuya la bouche d’un revers de manche.
De son côté, Aaron n’était pas plus fier ; pâle comme un cadavre. Le décollage lui restait en travers de la gorge ; il tira sur son t-shirt pour s’aérer les poumons.
— Tenez, j’ai des mouchoirs, proposa gentiment Fanny en partageant ses kleenex mentholés.
Ils mirent du temps à retrouver tous leurs sens.
— Un peu déçu du paysage, dit le prénommé Samuel en regardant derrière le hublot.
Il avait de la buée plein les lunettes. Ceci dit, il avait raison, on ne voyait rien dehors, si ce n’est du noir, un noir impénétrable.
— Je m’attendais à autre chose, confirma Thésée.
L’hôtesse se matérialisa devant eux.
— La compagnie et moi-même espérons que ce premier saut dans le couloir multidimensionnel s’est bien déroulé.
— On a connu meilleure forme, marmonna froidement le garçon qui pour la première fois retira ses lunettes de soleil pour les essuyer.
Thésée comprenait mieux pourquoi il gardait toujours ses verres noirs sur le nez : il avait les iris rouges et les pupilles bleues ; deux fleurs d’anémone à la place des yeux.
Il remit ses lunettes.
— Vous finirez par vous habituer ! rassura l’hôtesse en parlant du malaise provoqué par le décollage.
— Vous êtes un hologramme ? questionna Aaron en reprenant des couleurs.
Il passa sa main au-travers pour vérifier.
— Ce n’est pas très poli, remarqua l’hôtesse en conservant un sourire forcé.
Aaron retira aussitôt ses doigts comme s’il venait de se brûler.
— J’ai un désagréable goût de vomi dans la bouche ! s’exclama Thésée. Ça me brûle la gorge.
— Désirez-vous vous désaltérer ? Nous avons une large gamme de choix offerte par la compagnie.
L’hôtesse rétrécit ; un menu se matérialisa à côté d’elle.
— Comment ça marche ? s’interrogea Aaron.
— Il faut sélectionner ce que tu veux prendre, intervint la seconde jeune fille.
— Comment-ça ? répondit Aaron
Il tourna, perplexe, autour de l’hologramme.
— Attends, laisse-moi faire, dit Fanny en tendant la main.
Elle déroula la liste du bout des doigts comme si elle manipulait un écran tactile, sélectionna des pastilles à la menthe, et, quand elle retira sa main, elle tenait une véritable boite de dragées KAILL’KAILL FRESH-FRESH
— Comment c’est possible ? s’exclama Samuel qui, comme Aaron et Thésée, avait du mal à en croire ses yeux.
— Miniaturisation atomique, expliqua l’hôtesse.
— Je veux essayer !
Aaron se jeta sur l’hologramme et retira un paquet de gâteaux, un soda rose fluo, et un sachet de bonbons.
Quand tout le monde fut servi, l’hôtesse les laissa tranquilles.
Thésée repéra un petit vitrail de couleur sable. Il représentait un vaisseau spatial. C’était une carte. Elle précisait la position de la navette dans le couloir multidimensionnel.
— Chi ‘u n’aimes pas cha ‘u pouhhas me la ‘onner, dit Aaron la bouche pleine en désignant les caramels que Fanny déballait.
— J’ai du mal à croire à ce qui nous arrive, dit Samuel en partageant l’opinion commune.
— Tu en veux ?
Fanny proposa son sachet de pastilles blanches.
— Pour rafraichir l’haleine.
— Merci, dit Thésée en en prenant une poignée.
— Attention, ça pique ! avertit-elle.
Il ne l’écouta pas et en avala trois en une fois. De pourpre, il vira violet en traversant toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
— Ça arrache ! souffla-t-il d’un râle glacé.
— Je t’avais prévenu.
Il se soulagea en s’aspergeant le palais d’un litre d’eau.
Aaron avait du mal à tenir en place. Il peinait à trouver une position confortable pour soulager les grandes tiges qui lui servaient de jambes.
Les langues se délièrent, chacun se présenta. Aaron était originaire de l’Indiana où il vivait seul avec sa mère. Il se venta d’avoir pour pyjama un maillot des Pacers. De son côté, Fanny habitait New-York. Elle avait des origines françaises du côté de sa mère et se rendait dans l’hexagone au moins une fois par an. Aaron lui demanda si elle aimait le « fromage qui pue ». Fanny répondit qu’il n’y avait rien de meilleur au monde, surtout pour faire fuir les mecs un peu lourds dans son genre. Aaron fit semblant de s’étrangler avant de marmonner :
— Il paraît que les français sont de vrais dragueurs !
A côté, le prénommé Samuel n’était guère très bavard. Il avait du mal à dérider ses lèvres. Il expliqua qu’il venait de Boston, mais n’en dit pas beaucoup plus. Econome en mot, il ne parlait que si on l’interrogeait, ce qui ne l’empêchait pas de suivre les conversations d’une oreille attentive. Quant à la dernière passagère, elle s’appelait Eva. Elle était du genre plutôt timide. En effet, à chaque fois que quelqu’un lui posait une question, des tâches de rougeur gonflaient les pommettes de ses joues. On aurait dit deux grosses tomates bien mûres qu’elle essayait de cacher derrière les boucles d’or de ses cheveux. Elle essayait aussi de cacher son sourire, car elle avait les dents du bonheur, mais ce que Thésée observait avant tout, c’était les nuances rosées de ses yeux. Elle avait le cristallin pur, un peu comme monsieur Dalembert, mais d’une couleur inhabituelle.
Entre les magnifiques et exubérants yeux fauves d’Aaron ; les iris malicieux couleurs noisette de Fanny ; le rouge éclatant percé de bleu de Samuel ; et le timide embrun rose dans les globes d’Eva ; tous avaient, dans la cabine, des yeux de couleurs différentes.
Thésée n’eut pas le temps de partager son observation, l’intervention du commandant de bord interrompit la conversation :
« Mesdames, messieurs, ici votre capitaine. Nous pénétrerons d’ici quelques minutes dans l’espace aérien du spatio-port militaire d’Antaria. Si vous avez des questions sur vos correspondances, je vous invite à vous renseigner auprès du personnel de bord. Quelques perturbations sont à prévoir dans le nuage d’astéroïdes qui bordent le portail. Veuillez rester assis et attachés jusqu’au signal. »
— Le nuage d’astéroïdes ! s’alarma Aaron
— Pas d’inquiétude, rassura Samuel qui semblait s’y connaître. Les astéroïdes sont espacés de plusieurs centaines de kilomètres. On pourrait traverser la ceinture entre Mars et Jupiter sans voir l’ombre d’une pierre.
Aaron n’était pas convaincu, et il n’était pas le seul. Thésée et Fanny s’enfouirent dans leur siège. Le puissant aimant magnétiques leur scotcha les omoplates et le postérieur.
« Nous sortons du tunnel. »
Thésée se prépara au pire, il saisit ses accoudoirs. Ce n’en fut pas moins désagréable qu’au démarrage. Il eut la terrible sensation d’heurter un mur invisible. La pression était telle qu’il n’arrivait plus à respirer. Le mal être ne dura que quelques secondes : mais quelles secondes ! Aaron avait la tête penchée sur le côté, un filet de bave coulait sur le bord de ses lèvres. Il s’était évanoui.
— Je ne ferai pas ça tous les jours, maugréa Samuel.
Aaron réouvrit péniblement les yeux. Il bafouilla :
— Où est-ce que je suis ?
La lumière de l’environnement extérieur avait changé.
— Tu es dans l’espace, répondit Fanny en désignant le hublot.
Aaron cligna des yeux, tourna la tête en silence, perplexe, et, comme s’il n’avait pas entendu la réponse de Fanny, il s’écria en sautant :
— ON EST DANS L’ESPACE !
Ils se bousculèrent pour pouvoir coller leur visage au hublot. La navette planait dans un vide intersidéral.
Une énorme roche grise et difforme frôla le vaisseau. Ils sursautèrent, Aaron s’écria :
— Espacés de plusieurs centaines de kilomètres qu’il disait !
Des milliers de roches flottaient à perte de vue. Le vaisseau naviguait dans un champ d’astéroïdes.
— Je ne comprends pas, admit Samuel dubitatif.
Il regrettait d’en avoir trop dit.
— Tu es sûr d’avoir lu les bons bouquins ? railla gentiment Fanny.
Samuel se rassit, vexé.
La navette pivota sur elle-même poussait par une main invisible. Une vive clameur s’éleva depuis les compartiments voisins.
— Regardez ! s’écria Aaron en bondissant de son siège.
Il ne tenait plus sur place.
Une immense étoile bleue de jade brillait comme un soleil.
— C’est Antaria ! expliqua sèchement Samuel.
— Antaria ?
— Oui, le nom de l’étoile.
— Comment tu sais ça ?
— C’est écrit sur le plan, remarqua Samuel d’un air blasé.
Eva confirma d’un signe de tête.
— Là ! réenchérit Aaron en faisant sursauter tout le monde.
Un impressionnant vaisseau spatial stationnait dans le vide en contre bas. Quelques météorites rebondissaient contre sa coque. Le mastodonte restait impassible devant l’assaut répétait des insignifiants grêlons. Il scintillait d’une lueur bleue, visiblement protégé par un champ de force capable d’absorber les chocs.
— Je n’en reviens pas ! s’ébahit Aaron.
Ses yeux traversaient le hublot.
— Moi non plus, répondit Thésée, tu m’aurais dit ça il y a deux jours, je t’aurais pris pour un fou.
La carte leur indiquait qu’ils survolaient le spatio-port militaire d’Antaria. C’était une longue structure circulaire flottante où étaient amarrés de nombreuses navettes autres vaisseaux. Une véritable armada de guerre était alignée le long de la colonne principale.
L’impressionnante structure spatiale grandissait à vue d’œil. Thésée put se faire une idée de la taille colossale des vaisseaux de guerre.
La navette n°1991 accosta. Les passagers concernés eurent vingt minutes pour débarquer. Enfin, le capitaine informa les nouveaux arrivants :
« Cette navette est à destination de la Station Spatiale Intergalactique de Gala, attention à la fermeture des portes. »