La prophétie du roi déchu: L'enfant sombre
Chapitre 20: Galaran
Warda fut étonné du changement radical d’un lieu à un autre. Alors qu’il venait de traverser une montagne où seule la neige régnait, il était cerné de verdure. Il trouva sur place une variété végétale qu’il n’avait jamais pu voir auparavant, tout comme les fougères ou des arbres aux feuilles en forme de crochet. Les animaux aussi étaient abondants, et pour beaucoup si étranges. Tout comme un oiseau à quatre pattes dépourvu d’ailes. Où bien ces écureuils aux grandes membranes sous les bras qui planaient d’arbre en arbre. Mais la plus grande curiosité qu’il put voir fut cette créature caparaçonnée au long museau effilé qui passait son temps à plonger sa langue dans les fourmilières. L’elfe noir tenta d’en manger un, mais en plus d’avoir une carapace rigide, leur viande était sèche, sans goût et cartilagineuse. Cet animal ne devait pas avoir beaucoup de prédateurs. Il marcha jusqu’à une clairière et s’y reposa. Il avait encore fait une longue route, il était exténué. Maintenant qu’il était de l’autre côté de la frontière, il n’y avait aucune raison pour qu’on le traque. Il décida finalement qu’il resterait ici pour au moins deux jours. Il commença à poser des pièges autour de la clairière dans le but d’attraper un gibier. Pour beaucoup c’était de fines cordes tressées avec des fougères suspendues. Si un lièvre, un lapin ou animal de cet envergure courait dans cette direction, fatalement il s’attraperait dans la corde au niveau du cou et s’étranglerait. Mais le piège le plus imposant fut un trou qu’il creusa avec ses gants d’acier dans lequel il mit ses javelots la tête en l’air. Il le recouvra avec un camouflage confectionné avec des feuilles et des brindilles. Si une proie de plus grande envergure marchait dessus, elle s’empalerait immédiatement. Lorsqu’il finit, il retourna à la clairière. Il faisait très tard, la lune était à son plus haut point. Il dormit et ne se réveilla qu’au lever du soleil. Il fut déçu en voyant qu’aucun piège n’avait fonctionné durant la nuit. Dommage, il devait chasser s'il voulait manger. Il reprit ses javelots au fond du trou et traversa les bois. Il marcha pendant des heures, c’était comme s' ils avaient deviné ses intentions, tous les animaux avaient disparu. Le vent faisait bruisser les feuilles sur une étrange mélodie. Le soleil brillait par-dessus les arbres. Mais ce qui était troublant, c’était ce silence de mort. Les oiseaux qui chantaient naturellement étaient muets. Les herbes qui tremblaient à cause des insectes rampants étaient immobiles. Même le vent faiblissait jusqu’à s’éteindre. Quelque chose arrivait, quelque chose terrifiait la forêt. Warda aussi sentait cette présence. Des ailes aux plumes noires l’encerclaient, les ténèbres s’insinuaient lentement dans les sous-bois. Une peur sans nom faisait mourir toute autre émotion. C’était là, c’était proche. Warda croyait un instant avoir un sentiment qui lui était familier, mais il ignorait lequel. Encore plus angoissant que le tonnerre, ce silence insufflait en chaque chose une part de cauchemar. Son cœur battait de plus en plus vite dans sa poitrine, battait de plus en plus fort. Il ne savait pas à quoi il avait affaire, mais ça ne ressemblait en rien à ce qu’il avait rencontré auparavant. Il trouva enfin la réponse à ce sentiment qu’il ressentait, c’était celui qu’il avait éprouvé face à l’étrange homme au casque de bête qui lui était apparut sur la montagne. Mais à la fois, il y avait une légère différence. Il avait l’impression qu’à chaque inspiration il avait au fond de sa gorge le goût... De la haine. Le silence fut perturbé par le fracas des sabots au loin. Quand il passa à travers les fougères, soudainement six chevaux blancs apparurent devant lui, hennissant de terreur, et des hommes en armure d’or portant un casque dorée ornée d’une longue chevelure blanche les chevauchaient. Et un septième apparut, et Warda crut pendant un instant voir une divinité. Une magnifique femme en robe blanche, aux cheveux noirs bouclés et aux yeux d’or lui apparut. Elle semblait si belle, mais à la fois si effrayée. Quant elle vit l’elfe noir, elle tira sur ses rênes de toutes ses forces et son cheval cabra. Elle tomba de sa monture qui prit la fuite, et aussitôt les six chevaliers se retournèrent et vinrent à son secours.
_Draël sïn Feala Lindilla !* Hurla l’un d’entre eux.
_Yauna !* Fit un second en brandissant un sabre incroyablement long et effilé qu’il tenait comme une lance de joute.
Warda sauta sur le côté pour éviter l’épée du chevalier. Affolé, il ne pensait plus qu’à fuir. Même eux voulaient le tuer, pourquoi ? Warda dégaina Algazalm et para un second chevalier d’or. La grande lame du cavalier se brisa sur la pourfendeuse d’acier tant le contact fut violent. Warda tomba sous la puissance du coup et quand il tenta de se relever, une autre épée lance était posée sur sa gorge.
_ Bon sang ! Fit Warda.
Les hommes blêmirent sous leur casque d’or. Warda n’eut pas le temps de comprendre leur expression d’étonnement qu’un bras d’ombre sorti d’un tronc d’arbre pour frapper un chevalier de plein fouet. Les chevaux affolés cabrèrent tandis que les cavaliers tentaient de les calmer. L’elfe noir en profita pour se relever, mais lorsqu’il voulut prendre la fuite, il vit un autre elfe noir avancer vers lui. Il portait une armure noire, une grande cape ténébreuse et un long sabre noir. Ses cheveux blancs flottaient comme ceux d’un spectre et ses yeux rouges étaient emplis de colère. Mais sur son visage on ne pouvait que lire l’indifférence. Warda remarqua également sur son cou un début de cicatrice qui lui déformait légèrement la chair. Il avait dû être tranché très profondément à cet endroit, mais aurait-il pu survivre s' il s’était réellement fait blessé à ce point ? Il avait tant de questions qui se bousculaient dans sa tête, pourtant une chose était certaine. Il était à l’origine de ces ailes noires. Une telle malveillance flottait autour de lui qu’il pouvait presque la palper. Les chevalier lancèrent un assaut contre le nouvel arrivant, qui avec une agilité incroyable, sauta sur un cavalier et le tua d’un coup de sabre. Les guerriers repartirent à la charge, mais des flammes jaillirent de la main de l’elfe noir. Apeurés, les cheveux cabrèrent et désarçonnèrent les cavaliers et prirent la fuite. Les hommes à l’armure d’or se relevèrent, dégainèrent leur sabre et chargèrent. Avec une habilité et une vitesse stupéfiante, le démon noir les combattit en utilisant des techniques guerrières extrêmement complexes. Bondissant, parant et trucidant tous ses adversaires, il était inévitablement bien plus fort que tous les soldats réunis. Il maniait bien mieux le sabre que tous ses adversaires qui pourtant étaient eux aussi de très bon manieurs d’épée. La lame noir traversait leur corps de part et d’autre en versant sur son passage le sang de ses victimes. Lorsqu’il ne resta plus qu’un seul chevalier d’or, celui-ci chargea mais la sombre lame lui traversa le ventre. L’homme lâcha son arme et saisit le sabre qui l’empalait. L’elfe noir tourna violemment l’épée dans les entrailles du combattant d’or qui tomba à genoux. Il le domina pendant un bref instant de toute sa hauteur avant de retirer brusquement le katana dans une effusion de sang et trancha la gorge de sa dernière victime. Lorsqu’il se retourna vers Warda, son visage et ses cheveux étaient recouverts d’hémoglobine. Alors qu’ils étaient l’un en face de l’autre, Warda eut l’impression de regarder un miroir. Son cœur battait si fort dans sa poitrine qu’il le sentait contre ses côtes. L’inconnu se mit à marcher dans sa direction. Puis, il passa juste à côté de lui. Les ténèbres qui émanaient de cet être étaient si profondes que Warda crut tomber dedans durant un bref instant. C’était si froid, si noir, si... enivrant. Puis l’individu continua de marcher vers la jeune femme qui se mit à courir. Lui, il continuait de marcher calmement quand il sortit une dague d’un petit fourreau.
_ Adrël !* Fit-il lorsqu’il envoya le couteau qui se planta dans le bas du dos de la fugitive.
Celle-ci hurla et s’effondra. Warda sentit quelque chose se déchirer en lui en la voyant choir. Que se passait-il ? Il était le spectateur d’un massacre et il ne pouvait rien faire. L’elfe noir au sabre ténébreux s’approcha lentement de la femme et posa sa lame sur la gorge.
_Indral san tarda !* S’écria le démon au cheveux blancs.
La seule réponse qu’il reçu c’est un regard affolé. Il écarta son sabre pour prendre assez d’élan pour lui trancher le cou, fit siffler l’air et para l’attaque d’une énorme épée aux étranges inscriptions. Il recula de plusieurs pas quant il vit dressé contre lui un elfe noir. Le sabre avait résisté à Algazalm, Warda n’en croyait pas ses yeux. Aucune arme auparavant lui avait opposé la moindre résistance, et voilà que cette épée noire l’avait paré. Elle était vraiment résistante, il ne pouvait pas compter sur le poids de son épée pour faire céder le katana. Il regardait derrière lui, la jeune femme était paralysé de terreur, une expression d’incompréhension se lisait dans ses yeux. Il se concentra de nouveau sur l’elfe noir face à lui et dit:
_ Tu as assez versé de sang, laisse la !
Le guerrier ténébreux le regarda avec étonnement.
_ Tu parles l’Etalen ? Comme c’est curieux.
Sa voix était froide, mais à la fois chargée de haine. À chaque mot il faisait ressortir son antipathie. Aucun doute, c’était un démon. Warda voudrait le faire taire une bonne fois pour toute pour ne plus jamais l’entendre, mais il s’abstint d’agir.
_Je sais, beaucoup de gens m’ont déjà dit que c’était étrange que je parle.
L’elfe noir au sabre se mit à rire et dit:
_ Je ne crois pas que tu comprennes. Effectivement tu parles, mais moi aussi je parle. Nous sommes tous deux dotés d’intelligence, mais ce qui m’étonne vraiment c’est que tu parles une langue humaine.
Il tâta le bout de son arme et contempla le sang sur sa main. Le sang des guerriers fraîchement éviscérés. Ses yeux rouges se fixèrent ensuite sur ceux de Warda qui sentit ses muscles se crisper.
_Toi aussi tu parle ma langue, fit l’elfe noir à l’énorme épée. En quoi tu es étonné ?
_ Moi, j’ai eux le temps d’apprendre les langues humaines sur cette terre, et j’en ai besoin pour interroger mes victimes. Mais toi, ça semble différent. Bien que tu sembles très avancé en âge par une vie rude mené certainement dans des contrés sauvages, tu n’as pas encore la centaine. Tu dois être très expérimenté, mais tu es encore très jeune. De plus, tu ne m’as pas répondu dans notre langue, donc j’en conclus que tu ne connais que l’Etalen.
_ Et alors ?
Le guerrier ténébreux brandit son sabre dans la direction de Warda et ricana comme pour montrer sa supériorité.
_Je n’ai qu’une seule théorie plausible, même si cela semble assez fou. Tu as été élevé par des humains, je me trompe ?
Warda se sentit trembler de l’intérieur. Il venait de toucher un point sensible, et il fut profondément perturbé. En brandissant sa lame, Warda répondit:
_ Quelle importance ? Laisse la partir, c’est tout ce que je veux !
L’elfe noir se mit de nouveau à ricaner avec un sourire mauvais au coin des lèvres.
_ On pourrait presque croire que finalement ils ont un cœur, dit-il.
L’elfe noir bondit dans la direction de la jeune femme mais de nouveau la gigantesque lame lui barra le passage. Les épées l’un contre l’autre poussaient chacune de son côté de toute la puissance de leur manieur. Nez à nez, les deux elfes noirs usaient de leur force pour faire reculer l’autre.
_ Pourquoi tu fais ça ?! Cria le démon noir. Elle est notre ennemie commun, nous devons la tuer pour ses péchés !
_ Qui es-tu pour décider du droit de vie ou de mort ?! Répondit Warda en repoussant son adversaire.
Reculant de quelques pas, le guerrier au sabre noir se dressa.
_Je suis ton souverain, soumet-toi.
Une force surnaturelle commença à appuyer sur les épaules de Warda qui tombait petit à petit à genoux. Il comprenait qu’il venait de faire une erreur en dressant son épée contre cet elfe noir.
_Je suis le fils du roi déchu, continua-t-il alors qu’il avançait jusqu’à Warda. Je suis celui qui nous libérera de la malédiction, je suis Galaran ! Et toi vermisseau, qui es-tu pour t’opposer à ton roi.
Warda lutta de toutes ses forces contre l’attraction invisible vers la terre et se libéra du sortilège. Il frappa dans la direction de Galaran qui para sans difficulté.
_Je suis Warda ! Répondit-il.
_ Le guerrier sombre. Tu manie une bien grande épée. Mais je crains qu’elle soit encore trop lourde pour toi.
Le guerrier ténébreux repoussa Algazalm et effleura le plastron de Warda qui recula assez vite. Il tenta une contre-attaque mais son adversaire était bien trop habile et rapide. Il l’esquiva et lui entailla légèrement la jambe. Il posa sa lame ténébreuse sur le cou de Warda.
_Tu n’es pas assez fort pour exploiter correctement une lame de cette envergure. Tu n’as aucune chance.
_La ferme ! Hurla le guerrier sombre en attaquant de nouveau.
Le sabre bloqua de nouveau Algazalm mais Galaran fut contraint de reculer. Warda se releva maladroitement mais tenta quand même un nouvel assaut. L’elfe noir bondit sur le côté et lui entailla la pommette. Warda recula en se tenant sa nouvelle blessure.
_ Malgré ta force intrinsèque, tu es un mauvais combattant. Tu n’as aucune tactique quand tu attaques, tu es désordonné et tu suis seulement ton instinct pour me blesser. Et tu te dit être un guerrier sombre. Ridicule !
_ Garde tes conseils pour toi ! Rugit Warda.
Il prit son élan et chargea de nouveau. Chaque tentative d’attaque ratait. Soudain, Galaran fit glisser sur son sabre l’épée géante et planta sa lame dans l’épaule de Warda. Ses yeux rouges plongeaient dans ceux du guerrier sombre blessé.
_ Pitoyable !
Il retira le sabre et s’écarta de quelques pas. Il fit un signe de la main comme pour l’inviter à danser. Il le provoquait ! Warda furieux brandit Algazalm au-dessus de sa tête et tenta une offensive. Galaran para de nouveau mais à sa grande surprise Warda souleva le sabre noir et attaqua à l’aide de la lame qui remontait derrière le manche de son épée. Elle ne pénétra qu’à peine dans l’armure de son ennemi, mais du sang coulait de la blessure. Ce n’était que superficiel, mais enfin il l’avait touché. Galaran recula en se tenant la plaie et regarda avec haine son agresseur.
_ Tu as osé levé ton arme sur ton souverain ?! Tu vas savoir ce qu’il en coûte !
Il se mit à attaquer à une vitesse incroyable Warda qui tentait tant bien que mal de parer les coups qui pleuvaient. Mais il se fit toucher à l’épaule puis au bassin. N’en pouvant plus de douleur, Warda s’agenouilla et regarda Galaran qui venait de reculer. Il mit son épée dans une bien étrange position et se mit à dire:
_ Duilar, Zan...
Surgit de nul part, un autre elfe noir qui portait une tunique déchiré bondit et frappa le sabre noir avec un cimeterre difforme. Saisissant sa chance, Warda se leva et prit la jeune femme sur son épaule, puis prit la fuite. Sa seule chance était de partir aussi loin que possible.
Alors que Warda courait à travers les bois, les deux elfes noirs face à face, lame contre lame, se regardaient mutuellement droit dans les yeux. Le prince noir peinait à croire ce qu’il voyait. Il repoussa le cimeterre et dit dans sa langue natale:
_ Toi ? Je croyais que tu étais mort.
L’elfe à la tunique déchirée recula de quelques pas, son corps était mutilé par les nombreuses cicatrices qui le traversaient. Ses cheveux étaient emmêlés et les cernes sous ses yeux résumaient sa vie. Sur ce qui restait de son vêtement, presque totalement effacé par les années rudes, on pouvait voir l’insigne de la garde de l’ancien roi. L’individu s’avança et brandit son arme d’une manière étrange.
_J’ai juré de le protéger, ne m’obligez pas...
_Craziel, pourquoi me barre-tu la route ? Je t’ordonne de me laisser partir à sa poursuite !
Craziel menaça Galaran avec son cimeterre. Une larme coulait le long de sa joue, mais son regard était déterminé.
_ Vous n’êtes plus le Maître sire Galaran. Vous avez échoué, votre majesté, vous n’êtes plus la Lumière.
_Je ne suis plus la Lumière ? C’est impos...
Les yeux de Galaran s’écarquillèrent, pour la première fois depuis longtemps l’effroi s’empara de lui. Il leva son sabre vers Craziel, il sentait quelque chose dans son cœur se briser.
_Non ! C’est impossible ! C’est impossible ! Je suis la Lumière ! C’est moi qui doit délivrer notre peuple de la malédiction ! Père n’aurait jamais osé faire ça ! Pas à moi !
L’elfe noir à la tunique en lambeaux garda le silence, mais ses yeux parlaient pour lui. Galaran avait le goût amer de la trahison qui avait envahi son palais. Sa colère grandissait, il tentait de se calmer mais sa haine était trop forte. C’était son destin ! C’était à lui d’accomplir la prophétie de l’Ombre, nul ne devait barrer son chemin.
_ Laisse moi le tuer ! Fit Galaran. Ce n’est qu’une erreur, il me faut la détruire.
_Je l’ai déjà dit messire, j’ai juré de le protéger contre quiconque lui voudrait du mal, vous y compris.
Galaran se mit en position de combat sur ces paroles. C’était donc pour cette unique raison qu’ils devaient se retrouver, pour s’entre-tuer. Puisque c’était le seul moyen pour atteindre cette vermine, Galaran tuerait tout ce qui s’opposerait à lui. Y compris son ancien serviteur. Il frotta la garde de son sabre et commença à réciter:
_ Duila...
_ Draziel draztar* Galaran !
Il sauta sur le côté assez vite pour éviter une boule de feu jaillie des doigts de Craziel. Celle-ci s’explosa sur un arbre qui s’effondra. La Lumière regarda son ennemi à travers les flammes ardentes qui les séparaient. L’ancien serviteur prit son élan, sauta par-dessus le feu et frappa de toutes ses forces sur Zan Yuili. Les deux elfes noirs se foudroyaient du regard.
_Tu étais plus fort que ça auparavant, dit Galaran. La vie à l’état sauvage t’as été néfaste.
_Je dois protéger le Maître, tout comme je vous protégeais avant.
_ Pour protéger ses maîtres, il faut être fort !
Galaran repoussa son assaillant, sauta sur un arbre, exécuta un saut périlleux arrière et attaqua celui qui lui obéissait autrefois. Craziel para l’attaque, et lorsque Galaran utilisa son cimeterre comme support pour sauter et attaquer de nouveau, il fut contraint de reculer. Avec son habileté sans égale, le prince des elfes noirs se mit à frapper sans répit. Les épées s’entrechoquèrent jusqu’à ce que Craziel esquiva le sabre noir et ne parvienne à le bloquer contre un tronc d’arbre.
_ Je te croyais plus rusé Craziel, fit Galaran.
Il leva sa main et un bras d’ombre solide sortit de la terre pour saisir la jambe de son ennemi qu’il balança contre un tronc d’arbre. Craziel sonné se releva et plaça son cimeterre au-dessus de sa tête assez vite pour bloquer le sabre noir.
_ La boule de feu est un sort de faible niveau, commenta Galaran. Facile à utiliser, même pour un vulgaire débutant. Même pour ça tu es obligé de réciter toute la formule, tu es donc tombé bien bas.
_ Mon devoir envers le Maître prime sur le reste.
_ C’est moi ton maître !
Galaran frappa si fort avec son sabre que son ancien serviteur fut projeté. Craziel percuta un arbre, plaça son arme en position de parade, et son ancien maître frappa de nouveau, avec une telle puissance que le tronc explosa. Avec son agilité hors du commun, le prince ténébreux atterrit sur le morceau du tronc qui tenait debout encore tremblant, voyant son adversaire tomber sur le sol. L’omoplate craqua lors du contact violent avec la terre, Craziel ne pu retenir un cri de souffrance. Le fils de l’Ombre se mit une main sur le début de sa cicatrice au cou et dit:
_ Je te remercie de m’avoir sauvé la vie ce jour là, alors pourquoi veux-tu me l’ôter aujourd’hui pour sauver ce misérable ?
Le serviteur se releva en se tenant l’épaule gauche. Il regarda en hauteur son prince qui était illuminé par un cercle d’or céleste. Serait-ce réellement la Lumière ? Il était devenu si fort depuis leur dernière rencontre.
_Je vous ai sauvé cette fois-là parce que c’était mon devoir, fit Craziel en se crispant de douleur. Mais sachez que si j’avais eu le choix je vous aurais laissé périr.
_Ce n’est pas de ma faute ! Hurla Galaran. Je n’ai rien pu faire, je...
_ Ma fille est morte à cause de vous, tout est votre faute !
Galaran la revoyait, elle souriait quant un rayon de soleil l’avait illuminé. Puis, tout est arrivé si vite... Il sentait cette ancienne douleur se réveiller dans les profondeurs de son âme. Il brandit sa lame au-dessus de sa tête et sauta. Avec son talent pour l’acrobatie, il se mit à courir sur le reste du tronc afin d’acquérir plus d’élan, et frappa le cimeterre avec tant de force qu’il se planta dans le sol. Il plaça son pied droit sur le dos de l’épée et tenta de trancher la tête de Craziel qui recula assez pour éviter. Il se tint la joue et découvrit du sang sur ses doigts. Il regarda ensuite Galaran qui sortit l’arme de la terre.
_ Ce n’est pas très malin d’avoir abandonné ton cimeterre Craziel, dit-il en admirant la lame. Comment comptes-tu me stopper ?
_Crassel zalmatel !*
Il plaça sa main à côté d’un tronc dont le bois se déforma pour former une lance entre les doigts. Il saisit sa nouvelle arme et l’envoya vers le prince sombre. Il se décala légèrement et la branche meurtrière traversa un pin juste derrière lui.
_ Modélisation. C’est pittoresque !
Il jeta le cimeterre vers Craziel qui le récupéra au vol, mais alors que son ancien serviteur se remettait en pose de combat, une sinistre phrase sortit des lèvres de Galaran.
_Duilar, Zan Yuili !
Soudainement, il apparut juste devant son ancien serviteur et un léger vent dansa sur ses bras.
_Non, supplia Craziel. Galaran, ne faites pas ça !
_Je suis navré, tu n’aurais jamais dû te mettre sur mon passage.
Les deux avant-bras de Craziel se détachèrent avant de choir sur le sol. La victime commença à hurler mais la lame noir se trouva soudainement figée dans son ventre. Il ne put retenir un hoquet quand Galaran lui dit:
_Tu étais presque un père pour moi.
_ Épargnez le, je vous en conju...
Il ne fini pas sa phrase que Galaran retira violemment sa lame et la rengaina lentement. Lorsque la garde heurta le fourreau, un léger trait sombre traversait le corps de Craziel horizontalement. Puis le buste commença à glisser petit à petit jusqu’à tomber par terre. Le bas du corps tomba d’abord sur les genoux puis s’étala sur le sol. Les tripes n’eurent même pas le temps de jaillirent, elles restèrent immobiles dans le tronc sectionné.
_ Je t’aurais souhaité une autre fin, mais le destin voulait qu’il en soit ainsi.
Galaran repartit ensuite dans les bois, inutile de pourchasser l’étrange individu, il avait perdu sa trace dès l’instant où Craziel lui avait barré la route. Il avait autre chose à faire.
Après de longues heures de marche, Mayirr se retrouva devant un spectacle effrayant. Au milieu de débris d’arbres calcinés il vit des chevaliers elfes morts, des cendres et des membres découpés. « Quel genre d’horreur a put provoquer ce carnage ? se demanda Long-couteau dans sa tête de psychopathe. » Il fouilla les lieux pour savoir ce qui s'était passé. Les traces étaient nombreuses, il était difficile d’y discerner quoi que ce soit. Puis il trouva des empreintes intéressantes, deux bottes lourdes certainement en acier avait déposé un indice en dessous d’elle. Il défendait apparemment une position, mais que pouvait-il bien protéger ? Peu importe. Sa cible était passée dans le secteur, c’était le principal. Il marcha en contournant les arbres qui brûlaient encore pour certains. Puis il trouva un elfe noir. Voilà ce qui était intéressant. Celui-là portait une tunique qui le couvrait à peine, et ses deux bras avaient été sectionnés et puis il fut coupé en deux. Qui a bien pu le tuer ? Pfff. Ce n’est qu’un détail dont il pouvait s’en passer. Il ne se souvenait pas que celui qu’il avait rencontré dans la montagne avait le même visage, mais qui y ferait vraiment attention, tous les elfes noirs se ressemblent après tout. Ce ne sont que des bêtes féroces que tout le monde souhaiterait éradiquer de la surface de la planète. Il saisit son long couteau et commença son travail de boucher. Il découpa la gorge du cadavre jusqu’à ce que la tête soit détachée du corps. Il attrapa son trophée par les cheveux et le regarda de face.
_ Tu sais mon gars, tu me rends un fier service.
Il arracha un morceau de la tunique et l’enroula autour de la tête. Voilà un magnifique colis pour le paladin, et l’emballage était assorti. Il prit la route de la montagne en chantant.
_ Qui fait bien son travail
A toujours droit à sa victuaille
Aujourd’hui, mon pain j’aurais gagné
Ce soir, une catin j’irais baiser !
Warda s’arrêta près d’un ruisseau après une course effrénée. Il regarda dans son dos pour voir si Galaran n’était pas sur ses talons. Il semblait l’avoir semé. Il en profita pour déposer la jeune femme sur le sol et rangea Algazalm dans son dos. Il regarda ensuite celle qu’il avait sauvé, la dague était toujours plantée dans son dos. Elle avait perdu connaissance, ses lèvres pulpeuse devenaient violettes, sa peau pâlissait de plus en plus. La dague devait être empoisonnée. Il saisit la poignée du couteau et retira la lame. La jeune femme sortit de son sommeil en hurlant. Elle regarda un instant l’elfe noir avec une expression de terreur. Warda voulut la rassurer en jetant la dague au loin.
_Je veux vous sauver, dit-il. Restez tranquille.
_ Vous parl...?
Elle retomba dans le coma. Warda regarda la plaie. Un liquide noir se mêlait au sang, et se répandait dans son organisme. Il n’avait pas de temps à perdre, seuls des médecins pouvaient la sauver. Mais un nouveau dilemme se posa à lui. Si il allait dans une ville, il avait toutes les chances de se faire flécher. Mais si il ne faisait rien elle allait mourir. Dans les deux cas, la mort frapperait l’un des deux. « Il y a trop de morts à cause de moi. » Pensa Warda. Si il devait faire un choix entre elle et lui, c’était elle. Il déchira un morceau de la robe soyeuse de la femme et en fit un ruban qu’il serra autour des reins. Avec un peu de chance, ça bloquera légèrement la circulation sanguine, donc la propagation du poison, et ça lui laisserait un peu de temps.
_ Tenez bon, dit-il.
Il prenait de gros risques, mais avait-il vraiment le choix pour la sauver. Il la prit dans ses bras, et se mit à courir comme jamais. Ses blessures le faisaient souffrir, mais il lutta contre sa propre douleur. Une ville, il devait trouver une ville et vite. À peine consciente, elle murmurait:
_ N’allez pas... au nord, ils... vous abattrons...
Au nord, il devait sûrement y avoir une ville importante.
_Je suis désolé, mais je dois vous désobéir !
Il sauta par-dessus les arbres renversés, contourna les rochers, grimpa à toute allure les talus et traversait les buissons épineux sans s’en soucier. À chaque minute qui passait la femme se crispait d’avantage de douleur, ce poison devait être puissant. S' il n’agissait pas rapidement, c’était pour mieux faire souffrir ses victimes. Quel genre de monstre fallait-il être pour user de ce genre d'armes ? À chaque instant Warda espérait voir apparaître la ville, mais il craignait en même temps de devoir faire face aux gardes. Le temps s’écoulait, il devait courir plus vite. Il se fit violence et accéléra encore l’allure malgré son épuisement. Les blessures infligées par le sabre noir se mettaient à saigner d’avantage, ses muscles se raidissaient et son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. « Plus vite ! Je dois aller plus vite ! ». Il traversa un ruisseau, dépassa un tronc où il ne remarqua pas le squelette recouvert de mousse avec un trou dans le crâne et le rocher gravé du signe de la Lumière. Il zigzagua entre les arbres, seconde après seconde il commençait à perdre espoir. Quant est-ce qu’il allait enfin trouver cette ville ? Il contourna un arbre et entre l’épais feuillage qui lui barrait la route, il crut voir quelque chose.
_Tenez bon, dit Warda à la jeune femme.
_ Partez... Ordonna-t-elle de sa faible voix presque muette.
Warda plongea vers l’inconnu. Il s’attendait à mourir lui-même sur le coup. Lorsqu’il traversa d’immenses fougères, il vit devant lui d’étranges maisons dans les arbres, des gens terrifiés et un homme en armure d’or portant une cape rouge dans son dos. La population se mit à hurler quant ils virent l’elfe noir. Celui qui semblait être un noble donna un ordre incompréhensible et plusieurs soldats se mirent en position. Des archers bandèrent leurs arcs et attendaient le signal. Warda tentait de retrouver son souffle, puis il se mit à marcher vers les soldats en boitant.
_ Sauvez-la ! Dit-il.
_ Aëren...*
_ Sauvez la ! Je vous en supplie !
_ Irann !*
_ Sauv...
Une flèche vola dans sa direction et le toucha à la cuisse. À cause de la douleur il se retrouva à genoux mais vaillant il se releva et se remit à marcher vers les soldats sourds.
_ Sauvez la ! Faites quelque chose !
Il tendait la jeune femme en s’attendant que l’un d’entre eux se décide à la prendre. Mais la seule réponse qu’il reçu fut une seconde flèche dans l’autre cuisse. Ne pouvant plus supporter la souffrance, il tomba à genoux. Pourquoi s’acharnaient-ils sur lui ? Pourquoi ils ne la sauvaient pas ? Il lança un regard désespéré vers le noble comme pour le supplier et tandis à bout de bras la jeune femme.
_ Sauvez la, je vous en supplie !
Un archer s’apprêta à tirer mais le noble le stoppa dans son geste.
_ Esran sor déladen !*
Les archers baissèrent les arcs, mais les soldats gardaient arme au poing. Le noble donna de nouveaux ordres que Warda ne comprenait pas, puis les soldats s’approchèrent de lui en le menaçant avec des armes d’hast. Warda leur tendit la jeune femme qu’un soldat prit dans ses bras. Il partit voir le noble qui lui donna de nouvelles instructions. Le soldat disparut dans la foule amassée devant l’étrange spectacle. Puis l’elfe noir fut assommé par un militaire et il perdit connaissance.
Lorsque l’elfe noir fut assommé, les gardes le saisirent et l’amenèrent à Taläsna. Le roi des elfes sylvestres regarda l’étrange individu. Il portait une épée incroyablement large et longue dont la lame se prolongeait jusque derrière le pommeau. Il portait d’autres blessures que celle des flèches au niveau de l’épaule, de la joue et de la jambe. Un elfe noir venait de lui ramener sa sœur à moitié morte. C’était un comportement inhabituel pour un monstre de cette espèce. Serait-ce un avertissement pour dire qu’ils ne sont plus à l’abri dans les bois, ou bien... L’avait-il sauvé ? Pourquoi un ennemi de race risquerait-il sa vie pour sauver la sœur du roi sylvain. En temps normal Taläsna aurait ordonné son exécution immédiate, mais les circonstances étaient différentes de la normale. Qu’il le veuille ou non, cet elfe noir avait sauvé Lindilla. Selon les lois ancestrales, il faut toujours être reconnaissant envers ceux qui sauvent votre vie ou celle d’un de vos proches. Et Taläsna devait accepter de se montrer reconnaissant auprès de cet elfe noir, même si il était un ennemi de race. Deux gardes le saisirent par les aisselles et le traînèrent jusque devant le seigneur.
_ Que faisons-nous de lui ? Devons nous le tuer sur le champ ?
_ Il en est hors de question, répondit Taläsna. Enfermez dans les cachots, il détient peut-être des informations sur notre ennemi.
_ Bien messire.
Les gardes amenèrent ainsi l’elfe noir au milieu de la foule qui s’écartaient en voyant le monstre s’approcher d’eux. Ils marchèrent jusqu’à une énorme souche aussi large qu’une maison gardée par deux elfes. En les voyant avec un elfe noir inconscient, ils ouvrirent la porte qui donnait accès à une galerie sombre. Les guerriers elfes amenèrent leur prisonnier jusqu’au troisième sous-sol, ouvrirent une porte suintante. Ils débarrassèrent l’elfe noir de son épée, de son armure. Il ne garda que son pantalon vert foncé lorsqu’il fut jeté comme un déchet dans la cellule froide et humide. L’air empestait la moisissure, la putréfaction, l’urine et les sels délaissés depuis plusieurs jours.
Lorsque Warda commença à rouvrir les yeux, il vit deux silhouettes dans l’ombre refermer une porte.
_ Estime-toi heureux démon ! Dit l’un d’eux. D’habitude, à ceux de ton espèce, nous leur tranchons la tête !
Warda était dans l’obscurité, seul, dans une atmosphère répugnante. Il se plia en deux dans un coin et rentra sa tête entre ses genoux. « Qu’est-ce que j’ai fais ? Pensa-t-il. Pourquoi me haïsse-t-il ? Quel mal je leur ai fais ? ». Peut être que s' il avait laissé Galaran agir à sa guise, il n’en serait pas là. Maintenant il ne pouvait plus rien faire à part rester assis dans cette prison ténébreuse. Des rats étaient sortis de leur trou pour voir le nouvel arrivant, et l’un d’eux leva sa patte et pissa sur le pantalon de Warda. L’elfe noir furieux attrapa le rongeur et l’envoya violemment contre le mur. Un éclat de sang gicla de la tête de l’animal et son cadavre tomba par terre. Ses frères et sœurs se mirent à le dévorer tel un festin. Peut-être que lui aussi sera un jour le dîner de ces mendiants des cachots. Il se recroquevilla dans un coin de la cellule et se mit à sangloter. Il était désespérément seul, et il le serait encore pendant longtemps.
Draël sïn Feala Lindilla !* : Sauvez Dame Lindilla
Yauna !*: Chargez
draztar* : explose
Crassel zalmatel !*: Crassel: bois; zal: diminutif de zalgan qui signifie changer ou changement; matel: lance
Aëren...*: Visez
Irann !*: Tirez
Esran sor déladen !*: C’est trop risqué !
Adrël: poison ( lorsque l’on utilise ce mot dans un sortilège appliqué sur un objet, cela créer une aura autour de l’arme qui transforme la magilith dans le sang de la victime en poison.)
Indral san tarda !* : Reçois ton châtiment