La prophétie du roi déchu: L'enfant sombre

Chapitre 19 : Merci

2891 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 14/12/2024 16:51

Chapitre 19: Merci






Le soleil se levait à l’horizon, éclairant une gigantesque montagne qui se dressait à la frontière de l’Étale et de la Guiogne. Mais les rayons peinaient à l’atteindre, car un souffle glacial soulevait la neige dans de violentes bourrasques. Warda avait reprit la route il y a déjà trois heures, sa nuit de repos lui avait été profitable. Ses cicatrices ne le faisaient plus beaucoup souffrir, il avait retrouvé une allure normale. Son manteau de fourrure claquait dans son dos, les flocons blancs l’aveuglaient mais déterminé il ne renonçait point. Il rencontra durant son périple deux autres totems comme celui qu’il avait croisé en contrebas. Il en conclut que ce devaient être les restes de visiteurs indésirables. Et en les exposant de cette manière, les fauves prévenaient les intrus de ce qu’ils leurs arriveraient s' ils ne décidaient pas de faire demi-tour. Il tomba nez à nez avec une falaise, aucun moyen de l’éviter. Il décida donc d’arpenter le mur. Grâce à la forme griffue de ses gants d’acier et ses bottes renforcés, il grimpait sans rencontrer de difficulté majeure, sauf le froid. À côté de lui poussait des stalactites de glace qui tremblaient sous le vent. Il parvint en fin de compte à gravir le mur et quand il voulut reprendre son souffle, un spectacle inouïe s’offrit à lui. Une immense terre verdoyante l’attendait en bas de cette montagne, de la forêt à perte de vue. Il regarda autour de lui le paysage, derrière lui l’Étale, devant lui un nouveau monde. Il comprit que sans s’en rendre compte, il avait atteint le sommet. Ce n’était peut être pas le pic le plus impressionnant de la chaîne montagneuse, ce n’était qu’une petite sœur du vrai sommet de Léondia, mais peu importe, il avait franchi le col. Il entreprit de descendre, et constata avec joie qu’il avait franchi le blizzard. Cette face de la montagne était plus calme, mais la neige était néanmoins aussi profonde. Il marcha ainsi plus paisiblement pendant deux journées entières. Ensuite, la neige se mit de nouveau à tomber, mais le vent était calme, Warda ne souffrait pas trop des conditions climatiques. Il marchait dans un couloir de glace à moitié ouvert sur une combe, et surgit de nul part, deux bras commencèrent à encercler sa gorge, et un éclat argenté apparut. L’elfe noir tira de toutes ses forces et fit tomber un homme encapuchonné. L’inconnu recula de deux pas et pointa un long poignard dans la direction de Warda.

_Merde ! S’écria-t-il en crachant du sang. Je n’ai pas parcouru des kilomètres dans cet enfer de glace pour échouer !

_ Recule si tu tiens à la vie, avertit l’elfe sombre en dégainant Algazalm

Un rire sarcastique sortit de la capuche. Jonglant avec son couteau, il dit:

_Si je pars, je perdrais ma réputation auprès de ma clientèle. Lorsqu’on me commande un travail, je le fais bien !

Soudain, de sous sa cape il sortit un second couteau qu’il envoya vers Warda qui l’esquiva en se plaquant au mur givré. Il attrapa le bras qui brandissait une longue dague courbée ornée d’un rosier et frappa avec son pied dans le ventre de l’homme au capuchon. Warda tenta une contre-attaque, mais ses marges de manœuvres étant limités à une seule possibilité, l’assassin parvint à prévoir le coup et esquiva aisément. 

_Elle n’est pas un peu encombrante ton épée par hasard, dit-il en riant.

Il voulut s’élancer pour perforer l’elfe noir, mais une lance se planta violemment en travers de son chemin. De l’autre côté de la combe, le fauve qu’avait assommé Warda se dressait avec une étincelle de colère dans le regard. Il rugit et bondit jusqu’au rebord du couloir gelé. Lorsqu’il parvint à grimper, l’elfe noir était encerclé. Warda ne put retenir un juron qui résumait assez bien la situation. 

_On dirait que le Ssaros a des contentieux avec toi ! Dit l’homme aux couteaux. En fait ça me conviendrait bien qu’il te tue à ma place, du moment que je garde la tête.

_ Moi tuer vous ! Grogna le Ssaros. Vous avoir violé terre sacrée, moi doit vous tuer !

Voilà, tout était en place pour un massacre à trois, chacun luttant pour sa propre survie. Warda était en très mauvaise posture, aussi il décida de foncer sur l’homme au manteau pour le bousculer, lui marcha dessus, et courut aussi loin que possible. Le Ssaros ramassa sa lance encore figée dans le mur et menaça l’assassin à terre. 

_ Toi mourir !

_ Compte pas sur ça sale bestiole ! Cria le tueur à gages en faisant jaillirent de sous son manteau un couteau volant qui se planta dans la cuisse du fauve blanc. J’ai des affaires à régler !

L’homme au capuchon se releva et partit à la poursuite de Warda qui de son côté faisait face à un ravin. Il entendait son assaillant courir derrière lui, et lorsqu’il se retourna, il brandissait cette longue dague à la rose. Le vent souleva son capuchon qui découvrit un visage balafré avec deux yeux verts remplis de colère. Le guerrier sombre brandit son épée immense et frôla l’assassin lorsqu’il fit siffler l’air. Délivré de cet étroit couloir de glace, son épée était libre de tout mouvement. Comprenant que son adversaire avait pris l’avantage, le balafré recula et chercha sous son manteau une autre dague. 

_Tu ne t’échapperas pas ! Je rapporterai ta tête en trophée à mon client qui sera ravi de ta mort !

Son client ? Ainsi on avait commandité sa mort ? Certes tous les humains qu’il croisait voulaient le tuer, mais là quelqu’un lui en voulait particulièrement, assez pour faire appel aux services d’un tueur à gages.

_ Qui veut ma tête ? Demanda Warda.

_ Ainsi c’est vrai, s’écria l’assassin étonné. Tu sais parler. Je croyais que c’était juste des racontars. Tu es décidément plus intelligent que tes frères.

_ Répond à ma question !

L’homme aux poignards chargea en esquivant l’épée géante et tenta de transpercer la gorge de Warda. L’elfe noir lui attrapa le poignée à temps, renversa son ennemi et frappa dans la neige. L’assassin venait de rouler sur lui-même à temps, se releva, sauta et frappa avec son poing dans le nez du sombre guerrier qui recula. Il dévia la lame à la rose, tenta une riposte mais Algazalm ne trancha que du vent. L’homme au capuchon releva son manteau et sortit une nouvelle dague de son fourreau. « Maintenant ! » Se dit Warda en évitant le couteau volant et s’apprêta à fendre en deux son adversaire. Il s’interrompit dans son mouvement car un second poignard vola, mais pas dans sa direction. L’assassin roula en arrière et la lame s’enfonça dans un rocher. 

_ Encore toi ! Fit l’homme en regardant le Ssaros enragé. Je croyais m’être débarrassé de toi !

_ Compte pas sur ça sale bestiole ! Articula avec difficulté le Ssaros. 

Il leva sa grande lance et fonça vers l’assassin. L’homme au capuchon attrapa l’extrémité de l’arme du fauve avec son manteau et flanqua un coup de pied dans le ventre de la bête bleue. À la plus grande surprise de l’assassin, le Ssaros résista, rugit en l’attrapant à la gorge. La grosse main griffue commença à lui écraser la trachée. Warda profita de l’occasion pour prendre son élan, bondit et fendit l’air avec son épée. Les deux adversaires esquivèrent à temps. Le monstre frappa dans la direction de l’elfe noir qui para, qui lui même attaquait le tueur qui para avec sa dague et tenta de poignarder avec un autre couteau le Ssaros qui le saisit au poignée. Les trois ennemis se regardèrent mutuellement avant que l’homme au capuchon ne se mette à rire.

_ Voilà un bien étrange trio !

_Je crois que tu es mal placé pour plaisanter ! Vociféra Warda.

Le monstre rugit, lança l’homme dans la neige puis repartit à l’assaut contre l’elfe noir. Ses attaques étaient rapides et puissantes, mais l’épée de Warda était large et longue. Il para toutes les tentatives de son opposant, se décala sur le côté en tournant sur lui-même, et frappa de toutes ses forces vers le Ssaros. Celui-ci sauta sur la gauche et frappa avec la hampe en bois la nuque de l’elfe noir qui se retrouva à genoux. L’homme à la dague fleurit l’utilisa comme support et bondit sur le fauve en plantant son arme dans l’avant-bras gauche qui l’empêcha d’atteindre le point vital. La bête rugit et envoya valser son agresseur. Un poing d’acier le frappa dans le bas de la mâchoire ce qui fit reculer le Ssaros. Warda prit de nouveau son élan, enfonça ses pieds dans le ventre de la créature, l’utilisa comme support et bondit sur l’homme encapuchonné. Lorsqu’ils roulèrent dans la neige, l’assassin perdit sa capuche et le dévisagea. Il était brun, très mal rasé, des sourcils très fournis, une longue cicatrice sous l'œil qui allait jusqu‘à la lèvre supérieure, mais surtout, un regard haineux et haïssable. 

_ Dégage sale monstre ! 

Les deux bottes du tueur se placèrent entre lui et l’armure de l’elfe noir et le poussèrent. Warda retomba sur le dos au bord du ravin, et lorsque son corps heurta le sol, un effroyable craquement retentit. Une longue fissure entourait les trois opposants et le sol tanguait tel un navire vers le vide.

_Oh merde ! Lâcha l’homme aux couteaux alors qu’il sortait un grappin de sous son manteau. 

Il eut juste la lancer vers un rocher que la terre se déroba sous leurs pieds. Tandis que l’elfe noir et la créature des montagnes tombaient, l’assassin stoppa sa chute grâce à sa corde. Emportés dans une avalanche, Warda et le Ssaros continuaient une terrible descente infernale. Par chance pour l’elfe noir, son épée se figea dans une fente de la falaise et arrêta sa course vers le ravin. Par un incroyable réflexe, il attrapa la main du Ssaros. Algazalm s’inclina brusquement sous le poids du gardien de la montagne, mais elle tint bon. Alors qu’ils étaient en suspension au-dessus du vide, le fauve regarda hébété son sauveur.

_ Pourquoi ? Demanda-t-il.

_ Accroches-toi !

L’elfe noir commença à balancer à bout de bras le monstre blanc jusqu’à l’envoyer sur la falaise. Avec ses énormes griffes, le Ssaros s’agrippa à la paroi et lâcha la main gantée. Alors que le fauve avait trouvé ses appuis, l’épée géante s’inclina de plus en plus jusqu’à finalement sortir de la feinte. L’elfe noir entama une nouvelle chute, mais une énorme patte l’attrapa à temps. Quand Warda regarda au-dessus de lui, le monstre le souleva jusqu’à le porter par-dessus son épaule. 

_ Accroche-toi ! Ordonna-t-il tout comme Warda lui avait ordonné plus tôt.

L’elfe noir entoura de ses deux bras le cou musclé de l’animal. Quand il regarda vers le bas, il vit Algazalm plantée dans la neige à la verticale. De là-haut, elle semblait minuscule.

_ Comment va-t-on descendre ?

_ Nous Ssaros beaucoup grimper montagne, nous savoir aussi descendre.

Après avoir répondu, le fauve  entama sa descente. Contrairement à ce que laisser supposer cette énorme carrure, il était d’une extrême habilité lorsqu’il s’agissait d’escalade ou de désescalade. Ses énormes griffes noires étaient parfaitement adaptées pour s’accrocher à la paroi rocheuse. Alors qu' eux descendaient lentement, Warda vit en haut le tueur se hisser sur sa corde jusqu’à atteindre les rebords. Lorsque sa silhouette disparu, l’elfe noir se doutait bien que hélas ce n’était qu’une première rencontre, et que leurs chemins se croiseraient de nouveau. Alors que son compagnon continuait de descendre avec beaucoup de précautions, Warda lui demanda:

_ Quel est ton nom ?

_Nom ?

_ Oui, comme te nommes-tu ?

Le Ssaros semblait ne pas réagir, mais il était assez troublé pour que Warda comprenne qu’il était gêné. 

_ Nous pas nom. Nous Ssaros, nous montagne, nous neige. Nous pas nom.

Warda comprenait alors qu’il ne portait pas de nom, comme tous les représentants de son espèce. Il oubliait qu’il n’était pas avec un hominidé qui a pour coutume de se donner des noms pour se différencier, mais un Ssaros, grand fauve vivant dans les montagnes. Ils étaient trop différents pour avoir des coutumes similaires. Lorsqu’ils atteignirent le sol, Warda descendit du dos du Ssaros et reprit son souffle. 

_ Merci, dit-il.

_ Merci ? Demanda le Ssaros.

_Oui, répondit l’elfe noir. Toi merci.

_ Moi Merci ? 

L’elfe noir rit en voyant que visiblement le grand fauve ne comprenait pas. Il appuya sa main sur le torse du colosse et lui dit.

_ Merci.

_ Moi Merci. Toi nom ?

_ Warda. Moi Warda. 

La bête blanche imita son compagnon et répéta.

_ Warda. 

Il l’enleva et la posa sur lui-même en disant:

_ Merci. 

Il répéta ainsi « Warda » et « Merci » en posant sa main à tour de rôle sur Warda et sur lui-même. L’elfe noir l’imita, et ils communiquèrent ainsi pendant une minute. Un lien venait de naître. Ils marchèrent côtes à côtes au milieu des débris de glace et de roche jusqu’à la grande épée. Le guerrier sombre la saisit et la rangea dans son dos. Se sentant rongé par la culpabilité, il prit le sac qu’il avait volé au Ssaros et lui tendit.

_ Merci.

La bête refusa.

_ Warda. 

Warda comprit que le Ssaros lui offrait ses provisions comme un cadeau. Il se sentait indigne, mais le fauve insista. Il accepta à contrecœur. Il ne voulait pas offenser son nouvel ami. Lorsque l’elfe noir se tourna et commença à marcher, il remarqua que le Ssaros ne le suivait pas. Il lui fit face et demanda:

_ Merci ? Tu viens ?

_Non.

La réponse du Ssaros troubla un peu le guerrier noir, mais avant qu’il ne puisse poser une quelconque question, le fauve des neiges s’expliqua.

_ Merci Ssaros, Merci montagne, Merci neige. Merci pas ailleurs. Warda pas montagne, Warda pas neige, Warda ailleurs. Mais avec Merci, Warda toujours aimé par montagne et neige. 

Alors qu’il venait de se lier d’amitié, il était déjà l’heure de se séparer. Warda le regarda une dernière fois avant de reprendre sa route. Il aurait aimé qu’il puisse l’accompagner, mais comme disait lui même le Ssaros, il était la montagne et la neige, il ne pouvait pas quitter cet endroit qui était sa place. Warda n’appartenait pas à la montagne, il devait la quitter. Alors qu’il s’éloignait, Merci cria:

_Route sûr Warda.

Quand l’elfe se retourna une dernière fois pour voir le Ssaros, celui-ci marchait dans la direction de la falaise sûrement dans le but de l’escalader.  Ils continuèrent ainsi, à marcher dans deux directions opposées, jusqu’à se perdre de vue.


La neige commençait à disparaître petit à petit, jusqu’à ne plus n’être que de simples petits ruisseaux qui zigzaguaient entre les rochers. Au fur et à mesure que l’elfe noir progressait, il avait de moins en moins besoin des fourrures. Ses stocks de nourritures étaient presque vides, mais la végétation se faisait de toujours plus abondante et les baies aussi. Il avait réussi à capturer une chèvre et à la tuer. Il fuma aussitôt sa viande et sa réserve de vivres fut de nouveau remplie. Il bénit Merci car sans lui il ne serait pas arrivé jusque là. Alors qu’il venait de grimper un mur, il vit devant lui une forêt encore verdoyante. Ça y est, il était passé. Enfin la Guiogne, royaume où les elfes, les nains, les hommes et les dragons vivaient en harmonie. Il ignorait si il serait bien reçu, mais au moins, on le traquerait plus. Il arpenta encore une demi-heure entre les rochers pour enfin atteindre la lisière de la forêt. Il pénétra dans le bois profond, et pendant ce temps, derrière une pierre au loin, une étrange créature l’épiait. 


Le maître devait repartir dans la montagne, c’était sa seule chance. Dans les bois vit la pire chose que le Maître pourrait rencontrer. Si jamais l’Autre rencontrait le Maître, il serait en grand danger, et Il devait empêcher ça.



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