La prophétie du roi déchu: L'enfant sombre

Chapitre 10 : La Bête

5148 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 01/10/2024 09:35

      Chapitre 10: La bête






À la vue de l’hémoglobine, sa flamme plongea dessus. La terreur envahit Galro. La chaleur le faisait souffrir au-dessus de toute douleur de ce qu’il avait ressenti. Il enfonça son pied dans la neige fondue dans l’espoir d’éteindre le feu, mais elle n’était pas assez profonde. Alors il saisit sa chaussure à deux mains, détacha les sangles et la jeta au loin. C’était stupide, il connaissait les risques et il avait quand même prit la magie à la légère. Combien de fois Sire Taläsna lui avait répété que c’était dangereux et qu’il ne fallait l’utiliser qu’en cas d’extrême nécessité. Le froid de la neige lui soulagea les orteils brûlés. Mais après quelques minutes, ce qui avait connu la chaleur extrême se fit prisonnier par un excès de fraîcheur. Il ne pouvait rester pied nu dans la neige, même fondue. Il se dirigea vers chez lui, tout en boitant. Il serait la risée de tous les apprentis paladins si jamais quelqu’un venait à ébruiter ce qui c’était passé. Alors qu’il s’éloignait, la chaussure continueait de se transformer tranquillement en un tas de braises incandescentes. Le plus difficile furent les escaliers, jamais il ne s’était douté à quel point cela pouvait être dure de monter de simples marches à cloche pied, surtout lorsque le vide vous menace d’un côté. Le Charyl sortit la tête d’une des fenêtres et lança un « Crua ! » d’encouragement à son maître. Galro était juste en-dessous, voyant l’oiseau penché vers lui, avec ce même regard que peut avoir n’importe quelle volatile, insinuant « J’ai faim ! ». Dans ce cas là, c’était plutôt « Dépêche toi de monter ! J’ai faim ! »

_Viens m’aider stupide poule, au lieu de rester bêtement à me regarder ! 

Dans sa logique d’enfant, l’oiseau n’aurait pas hésité un instant à secourir son maître, mais malheureusement ce n’était pas toujours ainsi, car les oiseaux comprennent aussi bien le langage des hommes que les hommes comprennent le langage des oiseaux. Donc, le Charyl fit comme tout bon Charyl ferait dans cette situation, il resta planté en s’imaginant que son maître venait de lui dire qu’il allait lui donner son dîner. Il poussa d’autres « Grua ! » afin de dire à son maître qu’il devait se dépêcher. 

_ Viens au lieu de quémander sale vautour !

_Grua !

Galro se rendit compte que c’était complètement inutile et ridicule de tenter de demander de l’aide à l’animal. Donc, il monta sans aide, sous le regard intensif de son compagnon inutile. Et quand enfin il fut au seuil de la porte, il entra en s’effondrant dans un fauteuil non loin. Il souffla pendant deux minutes, contemplant son pied massacré. C’était vraiment hideux, d’énorme cloques sanglantes recouvraient l’épiderme. « Ça m’apprendra à faire le malin ! » se dit t-il. Les sorts ne servent pas à se raser ou éclairer le chemin, ni d’autres choses anodines. À moins d’être le pire des crétins, personne n’utiliserait la magie dans ces conditions, et à sa grande honte, Galro se vit faire partie des crétins. 


Il ne pouvait ni être suffisamment concentré, ni faire le vide dans sa tête dans ces circonstances, et il n’avait non plus assez d’expériences dans la magie de projection pour s’amuser à ce genre de fantaisie. Il boita péniblement jusqu’à sa salle de bain, où la bassine de bain l’attendait. Il prit une bassine  remplie de braises et la passa sous la baignoire. Les fourrures qui recouvraient les murs conservaient la chaleur à l’intérieur et rejetaient le froid du dehors.


Quand il entra dans l’eau il se massa les partis douloureuses de son pied, et se dit que dans le fond, ça aurait pu être pire, il aurait bien pu y perdre des orteils. La blessure était surtout superficielle, il s‘en remettrait vite. Mais la vue du sang le refit revenir en tête la vision qui était la cause de son incident, la substance noire rouge qui recouvrait sa chaussure. 

Quelqu’un était en danger, il devait agir. Il se sécha rapidement, se fit un bandage, se revêtit de vêtements moins chauds mais plus léger, pour ne pas le gêner dans ses mouvements, et prit son épée. C’était risqué mais il ne pouvait resté les bras croisés. Il accouru la ville, à la recherche d’aide. Même s' il était apprenti paladin, il n’avait que dix ans et ne pourrait être d’un grand secours s' il tombait nez à nez avec un monstre. Si il arrivait à trouver un garde ou quelqu’un qui sait se battre, il pourrait alors s’avérer utile. Mais il était à court de temps, il en avait déjà trop perdu en rentrant chez lui. Et il arriverait probablement trop tard, à cause de son sort raté. Les rues étaient désertes, et le palais de Taläsna était trop loin pour se permettre d’y aller faire un détour. Au bout de dix minutes, il abandonna ses vaines recherches et retourna à l’endroit où il avait trouvé la trace de sang. Il ne fit pas la même erreur, sachant que l’endroit était obscur, il avait cette fois-ci une torche pour se guider.


Là où l’hémoglobine gisait, la neige et la terre s'étaient mélangées avec pour former un horrible liquide. Non loin il y retrouva sa botte carbonisée. Il avait intérêt à prendre soin de sa dernière paire de chaussures, car il serait bien incapable d’en acheter de nouvelles. La piste allait droit vers la forêt au nord de la ville. Bien que son pied gauche était encore douloureux, il avançait étonnement vite. Le stress semblait avoir bloqué certains sens pour se focaliser sur la recherche de l’individu menacé. Il n’avait plus une minute à perdre ! Il traversa longtemps la ville avant d’arriver à l’orée des bois. Il eut un moment d’hésitation avant de poser sa botte entre les racines. Est-ce que ce serait prudent de partir à la recherche de cet homme sans même avoir un soutien ? Peut être ferait t-il bien de refaire un tour dans la ville pour trouver une sentinelle. Non ! Il n’avait pas le temps, l’elfe devait être en train de se faire dévorer à l’heure qu’il était.


Alors il prit son courage à deux mains et pénétra dans la forêt. Mais alors qu’il avançait, il entendit une voix chantante derrière lui.

_Hayïlte !*

En se retournant, il vit un grand guerrier elfe équipé d’un sabre et d’une armure assez légère. Il portait élégamment un grand manteau de fourrure qui le protégeait du froid, et ses deux grand yeux d’or fixaient attentivement le jeune garçon.

_ Venez vite je vous en supplie !

L’elfe paru légèrement troublé en entendant Galro, et répondit:

_ Vous êtes Etalen ?

_Vite ! Quelqu’un est en danger !

Le garde sursauta au mot « danger », et instinctivement il plaça sa main sur la gaine de son arme.

_ Où ça ?

_ Il y a des traces de sang dans la neige ! Il doit être dans les bois !

_ Restez avec moi ! Surtout ne vous écartez pas.


Enfin, l’aide que Galro cherchait tant était enfin venu, un vrai guerrier qui pourrait agir. Il avait une sacré chance de l’avoir trouvé au dernier moment. De savoir qu’il avait un allié à ses côtés le rassura, il se sentait beaucoup plus en sécurité aux côtés de l’elfe. Que serait t-il passé s' il n’avait pas hésité face au bois obscur, peut être qu’il ne l’aurait pas aperçu et qu’il se serait retrouvé seul face à une bête. Ou bien c’est peut être le fait de traverser la forêt qui avait attiré l’attention du garde. 


Ou il devait faire le tour de la ville, et le temps que Galro cherche de l’aide, il était arrivé à son niveau. Dans tous les cas, Galro se jugeait très chanceux. La forêt était épaisse et sombre, nulle lumière passait au travers des branchages, la lune était comme coincée par un barrage d’arbres et de neige. Si Galro n’avait pas emmené sa torche, il serait tombé à plusieurs reprises dans des trous ou emmêlé les pieds dans les racines. Les traces étaient de moins en moins visibles au fur et à mesure de leur progression. Les deux compères avaient dégainé leur lame. Il fallait qu’ils puissent se défendre s' il y avait une embuscade, ou s'ils se faisaient attaquer par des bêtes. L’elfe avançait, sûr de lui, le regard rempli de détermination, et Galro l’admirait. Il était quand à lui mort de trouille, le regard zigzagant de droite à gauche à toute allure. La neige devant eux était balayée, comme si quelque chose s’était remué dedans, comme si quelqu’un s’était débattu alors qu’il était traîné. Le temps jouait contre eux et ils ne pouvaient se permettre de perdre davantage de temps. Galro ne sentait plus les brûlures de son pied, il était bien trop focalisé sur les traces pour faire attention à sa propre douleur. Il osait à peine imaginer les atrocités que devait subir la pauvre victime, car bien qu’elles soient moins importantes que tout à l’heure, les marques de sang étaient quand même énormes, et sur le chemin ils trouvèrent de temps à autre des cheveux et de la peau. Un froissement survint de derrière Galro, qui immédiatement se retourna en pointant le bout de son arme. Il découvrit avec stupéfaction que ce n’était qu’une chouette qui s’était envolée pour se poser sur une branche non loin du duo. À la vue de l’acier, l’oiseau prit la fuite et disparut dans la nuit noire. L’elfe se retourna à son tour et demanda à Galro ce qu’il avait vu.

_Rien. 

Les deux sauveteurs reprirent la route, en quête de traces sanglantes. L’odeur du pin et du chêne envahissait les narines de Galro, mais la puanteur de l’hémoglobine le fit vite oublier. Plus ils avançaient, plus le sang était chaud. La boue et la neige étaient de moins en moins remuées, la personne avait dû sûrement cesser toute lutte, s’abandonnant au désespoir, ou elle devait être inconsciente. Elle était à la merci de la bête. Galro savait qu’il y avait du danger, mais il ne saurait dire à quel genre d’ennemi il devrait faire face. 


Peut être que c’était des loups, peut être un énorme sanglier, ou même peut être un Raas, mais rien n’était sûr, sauf une chose, plus ils plongeaient dans les ténèbres, plus ils s'approchaient de cette chose. Ils continuèrent encore leur marche pendant une ou deux heures avant d’entendre des bruits sourds qui martelaient la terre. C’était probablement une créature qui courait à travers le bois. Peut être que c’était l’agresseur. Il devait soit être énorme, soit très puissant, mais le monstre auquel ils devront faire face ne sera pas simple à battre. Le guerrier se baissa et toucha la trace de sang. 

_ C’est chaud.

Galro fit le tour du tronc et vit le bras d’un elfe. Il avait été déchiqueté et arraché de son propriétaire. Les os étaient brisés, la chaire pilée et la main réduite en charpie. Il y avait des traces de dévoration fraîches. Il se retint de gerber, afin de ne pas être le prochain à avoir le bras dans cette état, mais il pouvait sentir les sucs gastriques lui remonter dans la gorge. Il senti la pression amicale de l’elfe sur son épaule. 

_Il faut se dépêcher, il peut être encore sauvé.

Le garçon s’essuya les yeux, et trouva des larmes sur sa main. C’était la première fois qu’il voyait un membre gisant à terre. Puis l’image de son père lui revint en tête, le jour où il l’avait vu, décapité. Il ne pouvait laisser une telle chose se reproduire, il sauverait cette personne coûte que coûte !


Ils s’avancèrent encore dans les ténèbres nocturnes, au milieu des arbres qui avaient pris une allure terrifiante. Les filets de sang étaient de plus en plus rares, de plus en plus chauds, ils s’approchaient du corps. Mais d’après les traces, la victime avait peu de chance d’être encore vivante. Ils avaient parcouru une dizaine de mètres de piste sanglante. Il devait y avoir deux litres d’hémoglobine qui s'étaient étalés sur cette distance, il devait certainement déjà passer les portes de la mort à l’heure qui l’était. Ils devaient vite le retrouver; sinon il serait vidé de tout son sang.

La peur avait ôté Galro de toute fatigue, car plus ils s’approchaient, plus il pouvait sentir la présence de la bête qui devait se régaler de la chair du pauvre elfe.


Alors qu’ils marchaient, ils aperçurent un éclat rouge au milieu des arbres. Ce devait être le stress qui était à l’origine de cette étrange vision. Ils pouvaient sentir l’odeur de la mort. Galro ressenti la même nausée que lorsqu’il avait approché le bras. Ils devaient être proches de la scène du crime. Les traces de sang étaient de plus en plus grandes de nouveaux, et de plus en plus profondes. Il pouvait voir les vapeurs s’échapper des marres de sang. Au détour d’un arbre, il y avait un cadavre avec les tripes à l’aire. 


Et une silhouette humanoïde d’allure terrifiante surplombait le corps, recouverte de glyphes en forme d’épines rouges ardentes sur sa peau noire, coiffée d’une chevelure blanche. Mais surtout, Galro voyait la folie meurtrière dans les yeux rouges du démon. Ses grandes dents plongeaient profondément dans le corps de l’elfe, arrachant de grands filaments de chair. Quand ses pupilles se dirigèrent vers les deux sauveurs, il arrêta instantanément de dévorer la victime et hurla de rage. Son cri de colère ressemblait incroyablement au rugissement d’un fauve. Ce qui se passa ensuite fut très rapide. Le guerrier elfe brandit son arme et fonça sur son adversaire, attaqua de front d’un mouvement éclair qui fendit l’aire. Mais le monstre évita l’attaque sans aucune difficulté d’un saut rapide et rebondit sur un autre arbre, et riposta d’un coup de pied violent qui propulsa le combattant contre un tronc fort solide. Même si le démon était totalement dénudé et que l’elfe était en armure, il y avait aucun doute que c’était le monstre qui avait l’avantage. 


Le guerrier se releva rapidement et tenta une nouvelle série d’attaques, mais aucune n’atteignit son opposant, et l’elfe noir frappa de son poing dans l’aine, coupant le souffle de celui-ci. Profitant de l’étourdissement du garde, il lui planta profondément ses crocs dans l’épaule, dont l’armure ne semblait point atténuer la puissance de la morsure. La douleur intense se matérialisa sous la forme d’un hurlement qui sortit de force de la bouche du chevalier. Le sabre essaya de se frayer un chemin au travers de la chair du monstre démoniaque. L’elfe noir esquiva de nouveau et répliqua de nouveau en griffant son adversaire au niveau du visage, puis en le frappant aux côtes, dont un ignoble « crac ! » résonna au travers de la forêt. 

Sous l’effet de l’adrénaline, Galro lâcha sa torche qui s’éteignit dans la neige. Les glyphes rouges s’agitaient dans tous les sens, le démon frappait sans relâche le seul renfort du garçon. Alors, Galro se remémora les leçons avec Tilbar et fit une violente attaque verticale sur le démon. Celui-ci se retourna, le fixa droit dans les yeux et retint de la main l’acier tranchant, et même si la paume fut légèrement entaillée et que le sang coulait le long de la lame, il la retint sans difficulté. Son regard brûlant plongeait dans celui de Galro. Il pouvait distinguer la flamme du besoin de tuer dans son iris. 


Il lui soufflait son horrible haleine de sang sur son visage.  Le cœur de Galro s’arrêta devant la vision de cauchemar. Il tenta de retirer son épée des doigts d’acier du démon, mais totalement inutile, elle était coincée comme dans un rock. L’autre bras du démon se tendit vers la cime des arbres et s’apprêta à s’abattre sur le jeune garçon. Mais au moment fatidique, l’elfe maudit se contracta de tout son corps en poussant un gémissement, juste après un grand « tchak ! ». Le guerrier n’avait toujours pas donné son dernier souffle et avait profité de la diversion pour trancher le dos de l’ennemi. Mais la peau de la créature était incroyablement solide et la lame elfique ne fit qu’une brève blessure peu profonde. Mais elle fut assez douloureuse pour obliger l’elfe noir à lâcher son emprise et Galro recula jusqu’aux côté du gisant. Le garde avait son casque entièrement défoncé et sa figure était en lambeau. Il dut jeter la protection de sa tête pour se soulager du fardeau et faciliter ses mouvements. 


Ses lèvres avaient explosé et la marque des griffes le traversait du front jusqu’au bas du menton, passant par l’oeil gauche. La bête sauta sur un arbre, grimpa et sauta tel un faucon sur sa proie, les ongles tranchants en avant. L’elfe n’eut pas le temps de lever son arme et se retrouva de nouveau à terre, vulnérable face à la colère du monstre. Galro saisit une pierre et la lança de toute ses forces sur le crâne du démon. Cette action ne fit qu’augmenter la haine de celui-ci qui se jeta sur le côté pour rebondir et donner un violent coup de pied sur le fémur du garçon. Il fut éjecté sur un rocher et senti une forte pression dans ses côtes qui lui coupa le souffle. Il décala sa tête assez rapidement pour esquiver un coup de poing redoutable. Les phalange du monstre craquèrent et la bête hurla de plus belle, montrant sa rage et sa douleur. Galro tourna les yeux et vit sur la pierre la marque ensanglantée. Lorsque la bête regarda un bref instant ses doigts, le garçon se leva et fit une brève offensive avec un revers de lame vers le haut, mais son ennemi était d’une vivacité incroyable, et la pointe de sa lame ne fit que l’érafler. L’elfe vint au secours de Galro en exécutant une attaque horizontale, qui fut également esquivée avec facilité. Cinq griffes se plantèrent dans sa joue et en moins d‘un instant, l’elfe se retrouva face écrasé contre terre. Il tenta désespérément de se relever, et l’elfe noir en profita pour lui flanquer un autre coup de poing sur la tempe. Galro empoigna son épée, fit une attaque de biais qui fut paré de la même façon que le premier coup. Il reçut un coup du revers de la main droite qui le projeta de nouveau à terre. Désormais il été désarmé et vulnérable, il était à la merci de la rage du démon. La bête noir prit son élan et se jeta sur Galro. Ses yeux terrifiant plongeaient de nouveaux dans les siens, toutes ses marques illuminaient d’un rouge écarlate sa folie et sa colère. Mais à l’instant où il allait l’atteindre, Galro dit plusieurs syllabes, les doigts tendus avec une lueur bleutée qui avait formée une sphère.

_Feu ! Brûle ce démon !

Un éclat d’or et de rouge éclata et dansa sur la peau noir du monstre, léchant sa chaire et faisant bouillir son sang. L’ennemi fut repoussé contre un tronc, et s’effondra lourdement dans la neige. Galro accouru vers le garde inconscient, et tenta en vain de le faire revenir. 

_ Réveillez-vous ! Réveillez-vous ! Il faut fuir !

L’elfe ne répondit pas, il était toujours allongé dans la boue, saignant abondamment du nez et des multiples plaies. La terreur envahissait toujours plus Galro, il était flageolant et il était sévèrement touché aux côtes, mais surtout il avait croisé le regard avec le démon. Il était comme paralysé devant ce regard rouge qui lui disait « je veux ton sang ! ». Il secoua encore l’elfe, mais il cessa en entendant le bruit de la neige craquelée derrière lui. L’elfe maléfique était de nouveau debout, tous ses muscles bandés au maximum. La neige avait rapidement éteint les flammes et seulement la surface de sa peau était légèrement brûlée. « Comment il peut être aussi résistant ? » Se demanda Galro. Il était sûr de l’avoir touché en pleine face, mais ce ne lui avait quasiment rien fait. Galro ne pouvait plus fuir, il avait été rabattu par le monstre et à présent il était à sa merci. Il savait qu’il ne réussirait pas deux fois le même exploit, et il n’était pas assez fort pour l’affronter. Il ne pouvait non plus espérer s’échapper car son pied gauche était toujours douloureux et il se ferait rattraper en un rien de temps. Les longs cheveux blancs se mouvaient au travers du vent, il était maintenant en position quadrupède et s’apprêter à charger, et son regard transperça de nouveau celui de Galro, ces yeux remplis de démence pénétraient une fois de plus dans au plus profond de son âme. Il poussa un nouveau rugissement et fondit sur sa proie. Galro sauta sur son glaive et le ramassa, se retourna et frappa de toute ses forces la bête enragé. Celle-ci ne fut que juste déviée de sa trajectoire, mais ne broncha point quand le froid de l’acier pénétra sa chair. Il rebondit sur une pierre et fonça encore sur Galro. L’apprenti paladin utilisa une feinte comme il l’avait appris avec Tilbar et contre attaqua par une frappe frontale. Contrairement à ce qu’il avait prévu, le bras de son assaillant ne se détacha pas, car la lame avait juste à peine entamé le muscle. Le sang noir gicla et coula abondamment sur la neige, mais l’elfe noir n’y fit pas attention. Il profita de la stupeur de son adversaire pour l’attraper par l’avant-bras et le lança d’une force brutale contre le tronc d’un pin. Un douleur aigu déchira Galro dans le dos de toute sa longueur. Il releva la tête et vit une main noire recouvrir sa vue. Il tenta de reculer mais il fut attrapé trop rapidement pour tenter quoi que ce soit, et il sentit la puissante pression l’écraser contre la terre. Il n’arrivait plus à respirer, ses narines étaient aplatis par la force de l’agresseur. Il savait que si le démon ne décidait pas de lui broyer la cervelle, il l’étoufferait sans la moindre pitié. Il se débattit mais c’était en vain, c’était comme si il n’était qu’un petit veau qui fuirait le couteau du boucher alors qu’il était ligoté de toute part. Il allait mourir et il n’avait aucune chance de s’en sortir. Alors qu’il perdit tout espoir et que ses poumons étaient vides d’oxygène, le son du sabre qui tranche la chair résonna dans la clairière et l’emprise cessa aussitôt. Un rugissement de rage et de douleur s’en suivi, la créature se courba et essaya d’appuyer sur sa nouvelle plaie. Le guerrier elfe était à peine debout, mais il avait réussi à infliger une nouvelle blessure dans le dos du monstre. Les deux marques étaient entrecroisées et saignaient abondamment. Mais ce fut son ultime assaut, car la seconde d’après il se retrouva les crocs plantés dans la gorge, transperçant de part et d’autre la carotide. Galro reprit son souffle, paralysé devant le spectacle d’effroi, et entoura de ses doigts le glaive ensanglanté. Il pouvait entendre les cris d’agonie étouffés de son camarade, et lui il ne pouvait rien faire. Son pied brûlé se remit à saigner et à lui infliger d’atroces souffrances, et ses côtes étaient fêlées. Il était vulnérable et sans défense. Il était hors d’état pour espérer donner le coup de grâce à son ennemi. La seule chose qu' il était capable de faire, c’était lever son bras gauche pour tendre son épée. Le craquement de la nuque du guerrier résonna sous les dents acérés de l’elfe noir. Celui-ci se retourna vers Galro, la bouche dégoulinante d’hémoglobine et de bave. C’était bien pire que dans les pires cauchemar de Galro, ces vision d’horreur étaient un millier de fois plus terrifiantes que les monstres les plus horribles qu’il avait rêvé. C’était donc ça, un elfe noir. Le démon s'appuya sur un roc et l’utilisa pour se propulser. Souvent, ce sont les gestes les plus simples qui peuvent sauver la vie, ce fut la leçon que Galro reçut ce jour-là. Il avait juste tendu sa lame, et rien d’autre. L’élan du monstre suffit à faire le reste. L’acier entra d’abord en contact avec son front, puis pénétra sous la peau, puis dans le crâne, traversa le cerveau, ressorti par l’autre côté de la tête. Le choc fut si violent que la lame se brisa à la base. Galro fut obligé de lâcher sous peine de voir son bras réduit en charpie, et l’elfe noir s’écrasa contre le tronc juste à côté du garçon. Il resta ainsi pendant deux heures, en état de choc, encerclé par les trois cadavres. Les mouches commençaient à se frayer un chemin sous la peau des défunts. Il n’arrivait plus à bouger, il était en état de transe. Ses yeux étaient fixés devant lui, contemplant le vide qui séparait les arbres. Des elfes hurlaient son nom, brandissaient des torches et couraient en tous sens au loin, mais il ne les entendait pas. La seule chose qui résonnait dans ses oreilles fut l’ultime hurlement de la bête. 

_ Huilas guila !*

Un soldat sylvestre avait identifié Galro, et s’avança vers lui. Les autres accoururent et commencèrent à entourer le garçon. Ils le recouvrirent d’un manteau de fourrure, et le relevèrent. Il était transi de froid et de terreur. Il n’avait pas besoin de dire ce qui c’était passé, les nombreux indices l’indiquaient déjà. Les glyphes rougeoyants du démon étaient de nouveaux noirs, et le resteront à jamais. L’escorte raccompagna le jeune paladin à la cité, et disparurent dans l’ombre de la nuit.


Alors qu’ils partaient, laissant le corps de l’elfe noir à la merci de la vermine, l’homme en noir s’approcha de lui. Pourquoi ne voulaient t-ils pas comprendre ? Pourquoi devaient t-ils toujours se montrer plus cruels ? Quand est-ce qu’ils auront enfin droit à la vengeance ? L’homme au capuchon se baissa vers le cadavre, et lui passa la main sur les yeux. Ensuite, il tendit ses doigts au-dessus de la lame brisée, et comme attirée par un aimant, elle sortit délicatement de la tête avant d’être dans sa paume. Il se pencha d’avantage et murmura à l’oreille du mort:

_ Soit pardonné de tes péchés et soit béni par nos ancêtres. Tu as été un loyal serviteur et un honorable guerrier. Tu t’es battu pour notre cause et je te remercie au nom de notre peuple. Désormais tu reposeras en paix dans l’au-delà. J’accomplirais ta vengeance pour toi, je te promets que je tuerais ton assassin. Je te promets que je nous libérerais tous de la malédiction de Raldir, que plus jamais nous souffrirons. Nous reprendrons notre monde et nos droits, nous serons de nouveaux libres. Toi, qui a versé ton sang et donné ta vie pour nous, soit gracié par la Lumière. 

L’homme en noir se releva, sorti son sabre ténébreux et inscrivit sur la roche le symbole de la lumière dans l’ancien langage des elfes. Et d’un geste incroyablement vif, il rengaina aussitôt son arme. Une de ses mains passa au-dessus de sa tête, renversant le capuchon en arrière, dévoilant une longue chevelure blanche. Il avait la peau noir, recouverte de glyphes maudites, et ses deux yeux écarlates se levèrent vers les cieux. Il prit une profonde inspiration et fit:

_Je te promets, enfant des ténèbres, que je vous sauverais tous. Je te promets que je tuerai cet homme. Et je promet que le sang des elfes coulera pour leur trahison. Je le jure sur mon âme, je le jure car je suis la Lumière née de l’Ombre ! Je suis Galaran* !





















Hayïlte !: Halte !

Huilas guila !: Il est là !

Galaran: Lumière



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