La prophétie du roi déchu: L'enfant sombre

Chapitre 8 : Taläsna

9565 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 25/09/2024 08:06


Chapitre 8: Taläsna



Lors de son trajet, il rejoignit un groupe de voyageurs devaient partir en royaume elfique. Pour la plupart ils étaient de simples marchands, mais il y avait également des missionnaires, des diplomates, des prêtres et même d’autres apprentis paladins.


Ils étaient tous bien plus âgés que lui, et bien plus grands. Galro ne se laissa pas impressionner et tenta d’imiter Tilbar. Mais il avait plus de difficulté à se faire passer pour plus grand que ce qu’il était réellement. L’un d’entre eux se pencha vers lui et lui dit en regardant le pommeau de son épée:

_ Hé, t’es pas un peu jeune pour avoir droit à ça ? Donne-la moi !

Galro saisit le manche de son arme, prêt à dégainer au moindre signe d’agressivité de la part du jeune homme. Mais celui-ci n’en fit rien et se rassit à sa place. Alors qu’un prêtre buvait une boisson bouillonnante pour se réchauffer, le carrosse sauta sur une pierre qui était en travers du chemin, renversant le contenu de la tasse sur la soutane, dont le propriétaire hurla de douleur et de rage. 

_ Quel imbécile ce cocher ! Fit t-il. Il ignore donc que le thé vaut une fortune de nos temps ? Je vais devoir me changer si je veux me présenter devant nos camarades elfes. 

L’un des jeunes apprentis se mit à rire devant le curé écarlate, mais son tuteur le rattrapa vite en lui assénant un coup de bâton sur la tête. En se frottant la tête, celui-ci reprit sa place, le dos courbé devant son maître. Galro regarda par la fenêtre l’extérieur. L’hiver l’avait recouvert d’un manteau de soie blanche dans un monde de silence. Les rares oiseaux à ne pas avoir migré grattaient la neige, en quête de graine et de petits vers. Un cavalier passa devant lui, cachant la vue, qui tenait dans sa main droite une lance ornée d’un fanion à son extrémité. Le cheval avait un pas lourd qui faisait sonner un rythme lors de sa marche. 


La route était dégagée pour laisser aux montures un passage sûr. L’escorte qui les accompagnait était composée de cinq cavaliers et de quelques hommes d’armes à pieds, équipés de lances et d’écus, ayant pour seule armure du cuir clouté et des fourrures de bêtes. Pendant un bref instant, il crut voir une énorme créature entre les branchages, mais il se rendit vite compte que ce n’était qu’une illusion. Il se retourna vers son professeur de l’abbaye et lui demanda.

_ Puis-je vous poser une question, mon père ?

L’homme acquiesça d’un regard froid sans la moindre expression, Galro avait pris l’habitude de ce genre de réponse.

_ D’après les cartes que j’avais étudiées, il aurait été plus court de passer par la vallée qui traverse les monts de Léondia. 

_ Là-bas, la vallée est infestée de bandits et la route incertaine. Même si le chemin est plus long, nous arriverons à destination car la voie est sécurisée par notre Ordre depuis des générations.

 

Tout en rêvassant, il continua à regarder le monde qui l’entourait. Des arbres à pertes de vue, dont les branches étaient penchées à cause du poids des milliards de flocons qui s’étaient entassés. Un serviteur passa sur le côté de la calèche, et tendit le bras pour donner la tasse de thé au prêtre qui avait commandé une nouvelle infusion. Un espèce de seau était accroché à l’arrière, avec des braises dedans, qui servait entre-autre à réchauffer les cochers. Le convoie rencontra deux gardes frontières, qui selon les ordres, inspectèrent les cargaisons. L’un d’eux était robuste, portant de longs cheveux et une grande barbe, tandis que le deuxième était plus mince, avec une chevelure blonde et un épais manteau de fourrure. Ils demandèrent à tous les passagers de se mettre face contre la calèche, les mains sur la tête. Le jeune garçon demanda:

_ Pourquoi nous arrêtent t-ils ?

_ Il y a un trafic d’esclaves et de diamants en ce moment. Ils ne font que leur travail. 

Les soldats firent une brève inspection corporelle avant de s’arrêter derrière un des marchands. Ils lui demandèrent de bien vouloir déposer toutes ses marchandises dans un grand sac. 


Quand l’homme entendit ces ordres, il commença à courir au travers de la forêt. Mais il n’eut pas le temps d’atteindre la vingtaine de mètres que le soldat blond prit un arc, encocha une flèche et celle-ci se retrouva plantée dans la nuque du fuyard. L’autre garde-frontière fouilla le cadavre et revint, des bijoux pleins les mains.

_ Encore un voleur ! Fit t-il à son camarade. Il imaginait sûrement qu’il pourrait vendre son butin dans n‘importe quelle brocante. L’imbécile !

La vue du corps inerte couché dans la neige, une flèche au travers de la gorge, coupa le souffle au garçon. Cet homme avec qui il venait de voyager a été abattu comme un animal, et pourrirait sûrement dans cet endroit avant que ses ossements ne se reposent dans l’herbe fraîche du printemps qu’il ne verra jamais. Cette vision d’horreur lui donna la nausée, un ignoble goût amer dans la bouche. 


Un sang pourpre maculait la neige si blanche et s‘y infiltrait. Les deux militaires repartirent en faisant un signe de la main au cocher qui reprit sa route, comme si de rien n’était. Les autres convois le suivirent et le voyage continua. Un des prêtres commença à commenter la façon dont ce pêcheur allait être jugé puis condamné par le Grand Phénix, qu’il le brûlera dans les flammes éternelles du courroux. 


Galro n’y faisait pas attention, encore en état de choc. Il venait de voir pour la première fois un homme se faire tuer devant lui, sans qu’aucun ne réagisse devant la mort atroce de l’individu. Il était peut être un voyou qui ne méritait pas de pitié après tout, mais le fait que toutes ces personnes n’aient pas cillé un seul sourcil lorsque la pointe du projectile eut fini cette misérable existence l’isola dans un monde froid et sans âme. Comment arrivaient t-ils à ne rien ressentir quand un homme mourrait juste devant eux ? 


À croire qu’ils préféraient ignorer la mort pour y voir une démonstration de l’efficacité de leur armée. Ils étaient impressionnés par la vitesse à laquelle le guerrier blond avait décoché sa flèche et en faisait un objet d’éloge. Mais il n’était pas question de savoir si la cible aurait droit à des sépultures décentes pour ses funérailles ou si il s’en passerait après tout. Les prêtres sortirent de leur toges des morceaux de fromages jaunes et un gros morceau de pain. Son tuteur lui tendit un gruyère et lui donna l’ordre de manger. Galro savait qu’il serait inutile de refuser poliment le présent de son maître, il ne lui laissait pas le choix. Alors à contre cœur, il mordit dans son repas et regarda dans le vide. L’un des apprentis paladins lui demanda:

_ T’as vu le voleur ? 

Il imita l’archer de tout à l’heure, avec un grand « Tchak ! » lorsqu’il lâcha la corde imaginaire. Mais le curé le frappa de nouveau avec son bâton, rappelant son élève à l’ordre. 


Plusieurs jours passèrent, sans qu’un mot soit libéré de la bouche de qui que ce soit. Le seul bruit qui régnait était le choc entre les sabots et le sol. De nouveau ils furent interrompus par des patrouilles frontalières, sauf que ce n’était pas des hommes… mais des elfes. Ils portaient une armure noire et blanche, avec un grand casque doré qui était coiffé d’une grande crinière blanche. Ils avaient tous un bouclier et deux sabres qu’ils rangeaient sur leur flanc gauche, l’un était dans un fourreau blanc, l’autre dans un fourreau noir. Dans leur dos ils avaient une cape blanche ou noir, avec un symbole de leur appartenance. Deux grandes ailes qui entouraient une étoile, au-dessus et en-dessous un triangle dans lequel était inscrit une lettre. Mais surtout, ce qui les distinguait était la grande lame de deux à trois mètres qu’ils portaient comme des lances, avec une deuxième lame qui était au bout du pommeau. Un d’eux s’approcha du carrosse et examina l’intérieur. Galro put observer son visage et voir les différences entre ses confrères et ces individus. Il avait deux yeux d’un bleu profond, ses traits étaient bien plus fins que celui de n’importe quel humain et une mèche dorée s’était laissée tomber devant son nez. Une voix chantante, presque mélodieuse, s’adressa au cocher.

_ Bienvenue en pays de Guiogne, soyez heureux durant votre séjour. 

La patrouille escorta les carrosses et les charrettes jusqu’à la ville la plus proche. Les maisons étaient perchées en haut des arbres, et l’architecture très particulière. Le bois était traité avec respect et les contours des bâtisses formidablement arrondis et courbés. Pour ceux qui vivaient au sol, les maisons étaient en pierre mais magnifiquement bien sculptées, laissant les passagers des convoies rêveurs. Une fontaine dont l’eau fut gelée était ornée d’un cygne qui s’envolait, ses ailes déployées, le bec pointé vers le ciel. Les plumes, les muscles, les yeux… Tous les détails étaient si bien respectés que certaines personnes le confondirent avec un vrai. Les elfes étaient tous richement vêtus, de soie et de broderie, aussi bien les hommes que les femmes. Quand tous les passagers descendirent, les marchandises furent entassées dans un coin sous la protection des gardes elfes. Un des chevaliers s’approcha du prêtre et l’invita à manger avec lui. 

_ Nous sommes ravis de votre invitation sire elfe, nous acceptons volontiers.

_ Nous avons un Nimirïu où la nourriture est succulente et le foyer chaud. 

Le curé commença à suivre le chevalier, et fit signe à son apprenti de faire de même. En s’approchant, Galro demanda à son professeur:

_Qu’est ce qu’un Nimirïu ? 

Le prêtre regarda son élève d’un œil sévère puis se détourna vers un bâtiment un peu plus loin.

_ Un Nimirïu, jeune inculte, est le lieu du repas raffiné par excellence. Les elfes sont très sensibles lorsqu’il s’agit des saveurs de leur nourriture, si bien qu’ils le divisent en sept étapes différentes, pour mieux l’apprécier. Le plat froid pour se mettre en appétit, la mise en bouche pour réveiller le palais, l’entrée avec un plat chaud, la garniture pour compléter l’entrée, le plat de viande et le plat de fruits sont servis en même temps et pour finir ils ont les douceurs, ou le dessert. 


A l’intérieur, il y avait une cheminée qui digérait des fagots de bois dans son grand gosier de feu, face à de nombreuses tables dressées où les gens étaient assis devant de petites assiettes avec les petites saveurs qui ne réclamaient que d’être avalées. Le chevalier posa ses armes à l’entrée et réserva une place avec trois chaises. Quand ils s’assirent, un serveur leur offrit une petite bouteille violette avec un bouchon en forme d’oiseau. L’elfe se sépara de son casque en découvrant une magnifique chevelure d’or. 

_ Du Nectar, une petite boisson pour le bonheur de tous.

Il en versa un soupçon dans de petits verres à pieds, qu’ils burent ensemble. C’était incroyablement sucré et doux, dans lequel les hommes auraient dit qu’il y a un goût de paradis. Galro ne saurait dire ce qu’il y avait dedans mais c’était la meilleure boisson qu’il put boire durant sa vie. Deux autres elfes de service leur offrirent le fameux plat froid. C’était de la salade accompagnée d’une sauce à la menthe et aux différentes épices. Certaines feuilles violettes et bleues se promenaient au milieu de la verdure. 

_La laitue pèlerine, dit l’elfe. Pour une raison inconnue, nous ne la trouvons jamais au même endroit. C’est pour cela qu’il est très rare d’en trouver dans un Nimirïu. Chaque feuille vaut une petite fortune.

Galro fut gratifié du cadeau qui lui était donné. Il avait le privilège de manger une plante rare et recherchée. Quand ils eurent fini leurs assiettes, les serveurs les débarrassèrent rapidement avant de les remplacer par de nouvelles remplies. La mise en bouche était constituée de petits légumes frais et de petits biscuits salés. Le palais de l’enfant était envahi de nouvelles sensations encore jamais ressentis, de goûts encore insoupçonnés. La garniture vint renforcer les saveurs de part ses sauces et ses accompagnements. L’entrée arriva en scène, avec des échantillons de plats chauds et savoureux. Le jeune garçon goûta en autre le fameux œuf fourré à la myrtille, au magret d’oie trempé dans un soupçon de vin, à la pomme de terre douce caramélisée, à la truite noire aux champignons de l’Ange… quand ils finirent ces assiettes ils eurent le plat de viandes et le plat de fruits. Il y avait deux assiettes superposées avec des rondelles de viandes diverses et une autre avec des rondelles de fruits découpés finement. Sur le côté étaient déposées des petites pointes de bois pour piquer les échantillons disposés. Puis le repas fut clos par une ultime assiette garnie de confiseries et de pâtisseries elfiques. Après que le chevalier eut réglé la note, ils repartirent vers la place principale. Ils attendirent environ une demi heure avant qu’au milieu des elfes blonds aux yeux bleus, un elfe aux cheveux noirs et yeux d’or en armure de parade n’apparaisse. Il était suivi d’une escorte de gardes aux cheveux d'un noir profond également aux yeux dorés, avec leur sabre rangé dans leur fourreau. Ils avaient en autre de ces différences avec leurs congénères, une musculature plus développée et des traits légèrement plus marqués. Galro n’avait pas besoin que l’on lui dise qu’ils appartenaient à une autre espèce pour le comprendre. L’elfe blond lança:

_ Soyez le bienvenue messire Taläsna.

_ Je vous remercie chevalier haut-elfe. répondit son interlocuteur.

L’elfe sylvestre en question avait une longue tresse dans son dos, avec un aigle à son extrémité. Sur le manche de 

son sabre était inscrit une glyphe encore inconnue du jeune Etalen. Quand à son regard à la rétine d’or, il pouvait y voir un meneur de troupe implacable, une férocité intérieure qui hurlait de tout son être dans une peau inexpressive et froide. L’elfe sylvestre se tourna vers le curé humain et le salua en faisant le signe de la bienvenue. 

_ Nous allons prendre ce futur paladin en charge, fit t-il avant même que le prêtre puisse parler. Nous vous le renverrons lorsqu’il sera prêt. 

Il ne fit qu’un mouvement de tête vers ses hommes que ceux-ci s’exécutèrent et emmenèrent Galro vers des chevaux. Le jeune garçon fut impressionné par la discipline avec laquelle cet elfe menait ses soldats. Tous les chevaux étaient d’un blanc pure, invisibles dans la neige. A peine finirent t-ils de s’installer que toutes les montures partirent au trot à travers les bois. Le voyage dura quelques jours, et arriva lorsque la lune se leva. La ville était éclairée de mille éclats lumineux, accueillant les guerriers de Taläsna. Au milieu des habitations il y avait un arbre gigantesque accueillant une énorme bâtisse. Un escalier s’enroulait autour du tronc emmenant à l’entrée principale. Le jeune homme tenta d’ignorer le vide et de gravir les marches la tête haute, mais rapidement l’altitude lui donna le vertige et la peur de s’écraser en bas comme un oiseau qui tomberait du nid s’empara de lui. Il se demandait d’où venait cette idée saugrenue de vivre en hauteur. Quand ils pénétrèrent, le seigneur elfe montra une chaise d’une main.

_ Asseyez vous jeune homme. 

Le garçon s’exécuta et prit place. L’elfe s’assit à son tour, dans un trône d’argent. Et il demanda au jeune paladin de bien vouloir lui parler de ses motivations. Alors Galro commença son récit.


Dans la nuit sombre, dans une petite ville éclairée de mille petites bougies, un homme vêtu d’un grand manteau noir et ténébreux pénétra dans la cité. Un grand capuchon cachait totalement son visage si bien qu’il aurait pu y avoir confusion de l’existence de celui-ci. Marchant à vive allure, il fut interrompu par deux gardes elfes. Un des deux guerrier fit:

_ Halte !

L’homme en noir ne semblait pas réagir, puis dit d’une voix profonde et inquiétante des paroles en ancien elfique:

_ Nul ne peut m'imposer halte... 

Les deux guerriers mirent un moment à comprendre les paroles de l’ancienne langue, quelque peu déstabilisés par l’utilisation de celle-ci, mais ils finirent par répondre dans le langage de leur interlocuteur.

Les deux gardes encerclèrent l'inconnu, mais celui-ci murmura les paroles que voici :

_Duilar ! Zan Yuili *!

Un bref courant d’air passa entre les deux guerriers, dansant en soulevant quelques feuilles au passage. Un elfe tenta de parler quand il remarqua que sur le front de son camarade était inscrit un étrange emblème saignant en train d’apparaître. Il sentit ensuite à son tour un étrange liquide chaud couler de son front sur son visage. Mais lorsqu’il voulut tâter la provenance de l’étrange sensation, sa main tomba dans la neige opalescente, la souillant du sang pourpre. Il tenta de crier, mais à son tour la mâchoire inférieure se décrocha avant d’atterrir par terre. Puis son pouce et son index de la main gauche suivirent les morceaux tombés, puis la main entière, puis l’avant-bras, puis le bras entier, ainsi de suite jusqu’à ce qu’il se retrouve à l’état de pièces de viandes détachées. Sa dernière vision avant de tomber dans le néant fut l’homme en noir tenant un sabre noir dans sa main, dont un symbole brillait de mille éclats à la base de la lame. L’étranger fit un rapide geste de la lame et le sang en fut séparé en un clin d’œil, puis il rangea son arme dans un fourreau aussi sombre que la lame. Les deux corps dispersés par le vent qui danse donnaient naissance à une énorme flaque de sang et de tripes, provoquant un bruit humide sur la neige. L’homme au manteau murmura quelques paroles en faisant un bref signe de la main, puis continua son chemin. Il parcouru longtemps la cité endormie avant de se retrouver devant une maison située dans un arbre blanc. D’après ses derniers renseignements soutirés à un elfe qu’il avait torturé, c’était ce bâtiment. Il monta tranquillement les marches, sans précipitation, comme quelqu’un qui monterait les marches du paradis. Le vent glacial emporta le brouillard de son souffle vers d’autre horizon, tandis qu’il arrivait vers l’inévitable. Devant la porte, il saisit la poignée et remarqua qu’il était devant un obstacle verrouillé. Alors, il posa sa main droite contre la serrure et murmura des mots incompréhensibles. Un bref éclat bleu jaillit de son doigt et ouvrit le passage entravé jusqu’ici. Il marcha dans la pénombre du bâtiment, sans aucune difficulté au milieu des épaisses ombres. Il arriva dans une bibliothèque où plusieurs rangées d’étagères furent posées. Toutes étaient rangées de selon un ordre alphabétique et par numéro. Il parcourra cinq lignées avant de trouver la lettre « Al ». Il entama ainsi une intense recherche en prenant une pile d’ouvrages et les ouvrant sur un bureau. Dans les livres, il était présenté un immense arbre avec des noms qui commençaient des racines pour atteindre les branches. Il regarda en priorité les racines, et tomba sur Alanial, Alezaïal, Alombral… Aucun nom ne correspondait. Soudainement, un bruit vint déranger l’homme en noir. Un bruit inaudible pour une oreille humaine, mais pas pour les siennes. Quelqu’un tentait de marcher discrètement, de peur de se faire repérer. Mais cela n’inquiéta pas plus l’homme noir, qui continua sa lecture. Alezar, Alezklar, Alecuïl, il y était presque. Mais une vive lumière l’interrompit, un elfe tenait une urne lumineuse au bout du couloir, tenant un sabre dans la main.

_ Lâchez ces documents ! Ils sont tenus secrets par le décr…

Il n’eut pas le temps d’achever sa phrase qu’une épaisse main d’ombre solidifiée le tenait à la gorge. L’homme en noir se tourna vers l’importun et le fixa dans les yeux, de deux yeux rouges brûlants de rage. Sentant la fin proche, le bibliothécaire fit:

_ Qui êtes vous ?

L’homme en noir ne répondit pas de suite, il se contentait de se tenir debout. Puis après quelques instants de silence profond, il tendit sa main vers l’elfe aux yeux d’or et lui répondit, tel un profond écho qui pénètre l’âme:

_ San Zuan *!

Sur ce mot, il referma son poing et la main ténébreuse fit de même. On entendit un bruit sourd du corps tomber par terre, sans aucune souplesse, devenu rigide comme du marbre. Il reprit sa lecture où il fut interrompu: Alener, Alenas, Alenir, et enfin, Alënar. D’après les écrits, avant de rejoindre le conseil des cinq, Alënar eut deux fils qui donnèrent naissance à leur tour plusieurs autres progénitures qui procréèrent à leur tour, jusqu’à arriver à la plus haute branche, Taläsna et Lindilla. Il les avait enfin trouvés.

Un sourire apparut sur ses lèvres invisibles. 


Le lendemains, Galro se réveilla par la caresse des rayons solaires. Le lit elfique était admirablement doux et moelleux, il n’avait pu qu’avoir un bon sommeil dans ces conditions. Le seul facteur qui le réveilla dans la nuit fut le démon de ses cauchemars, et ce problème ne pouvait être résolu avec la meilleure literie du monde. Un bol de fruits fraîchement cueillis était disposé sur la table de nuit, prêts à être consommés. Le garçon s’empara d’une Lingyl* et l’amena à sa bouche. Elle était fraîche et sucrée à volonté. Quand il eut fini son petit déjeuner, il jeta le trognon à un Charyl * de compagnie qui se jeta dessus. Les plumes colorées qui ornaient sa tête étaient dressées tel un éventail, dévoilant de somptueux dessins de poix rouges et de rayures jaunes. Galro sortit sur un balcon et s’appuya contre la rambarde. La vue était magnifique, au-dessus l’activité de la cité elfique, où les gens se saluaient du signe de bonheur et vaquaient à leurs occupations. Mais la sensation de vide en dessous de lui se ressentit aussi, Galro n’était pas habitué à vivre perché sur un arbre. Les enfants de nobles en Étale voulaient toujours une cabane dans l’arbre, histoire de fuir la surveillance des parents, mais jamais ils n’auraient imaginé une maison entière, bâtie par de grands architectes, construite seulement sur des branches. Il prit ses affaires et descendit les marches, sur lesquelles il avait encore quelques difficultés à tenir en équilibre. Avec son manteau, son sac de provision et son glaive, il partit au point de rendez-vous qu’avait fixé sire Taläsna. Mais à la sortie de la ville, il rencontra un attroupement de civils qui formaient un cercle autour de quelque chose, en lançant des « Ce n’est pas possible ! » ou des « Quelle horreur ! ». Trois soldats arrivèrent et écartèrent la foule autour de la scène. Galro était trop petit, et les elfes trop grands, pour qu’il réussisse à voir quelque chose. Dans une bousculade, il marcha dans quelque chose d’humide et visqueux. Il souleva la semelle de sa botte pour y voir du sang noir accroché. Il sentit son cœur faire un bond et rebondir contre ses côtes. Un des soldats donna l’ordre à son camarade d’aller chercher des renforts. Un coéquipier dit dans sa langue:

_ Cela ne s’est jamais produit en ville ! Nous ne sommes plus à l’abri !

Un elfe écœuré du spectacle sorti de la mêlée, allant reprendre son souffle en s’adossant contre un arbre. Galro en profita pour prendre la place libérée, et regretta aussitôt. Deux elfes étaient déchiquetés, les morceaux répandus dans la neige. 

_ Un autre aurait été trouvé dans le bureau des renseignements royaux, la gorge à moitié déchirée. Des Arcanistes sont en train d’essayer d’identifier la nature de la magie employée, et nous avions recensé plusieurs livres disparus. Nous craignons le pire.

Un autre guerrier réagit, et répondit:

_Ce n’est pas possible ! Ils ne peuvent pas venir ici ! Nous avons fait une battue la semaine dernière et nous n’avions rien trouvé ! De plus, les Djinns sentinelles nous auraient avertis s' il y avait intrusion. 

_ Sauf si nous avions affaire à Lui.

Les regards se figèrent, un silence de mort régna pendant quelques instants.

_Ce n’est pas possible ! Fit le soldat de tout à l’heure. Ce ne peut pas être Lui ! Il n’est plus qu’une légende ancienne quasiment oubliée ! Il ne peut pas exister ! Il n’est qu’un mythe !

_ Comment peut t-on affirmer que ce n’est qu’un mythe ! Peut être qu’Il existe réellement et qu’Il va revenir ! 

La discussion dégénéra en dispute, entre l’existence ou non de ce fameux Lui. Galro reprit la route, et en s’éloignant de la scène de crime il put entendre les deux voix qui tentaient de dominer l’autre. De plus en plus de spectateurs affluaient dans la direction du massacre sanguinolent, étant terrifiés et attirés par les morts. Après un quart d’heure de marche, il finit par rejoindre le seigneur elfe, au milieu de la clairière comme prévu. Il était adossé contre un arbre, sirotant un verre de Nectar. Il leva ses yeux sur l’humain et lui dit:

_ Vous êtes en retard, sire Galro. 

_Je vous pris de bien vouloir m’excuser mon altesse, il semblerait que quelque chose de terrifiant m’ait quelque peu retardé...

_ Vous voulez parler des deux cadavres ? 

Pour une raison inconnue, Taläsna avait réussi à lire dans ses pensées avant qu’il ait pu les formuler mentalement sous une forme orale. Mais quelque chose lui disait qu’il le saurait bientôt.

_Une femme les avait trouvé en se levant, dit t-il calmement. Je fus le second arrivé sur les lieux. J’ai fait venir le plus vite possible des Arcanistes haut elfes pour découvrir des indices sur la nature de l’agression. Ils sont encore actuellement en train de mener une enquête. Mais nous ne sommes pas là pour parler de ça, avez vous ce que je vous ai demandé d’apporter. 

Le garçon sortit de sa sacoche un cahier, de l’encre et une plume, ainsi que de la nourriture. 

_ Bien, nous pouvons commencer le cours...

_ Qui c’est Lui ? Interrompit le jeune homme.

_ Comment cela lui ? 

_Lui ! Celui dont les elfes sont effrayés ! Tout à l’heure, deux soldats parlaient de Lui, ils se disputaient sur Son existence, et l’un d’eux affirmait que ce n’était qu’un mythe. 

Le grand elfe soupira, et se leva en s’appuyant sur ses deux genoux.

_ Voyez-vous homme, Il est notre passé honteux, celui qui a engendré les démons aux chevaux blancs. C’était Raldir. Pendant la guerre de la reconquête orque, il avait usé une magie interdite pour transformer ses serviteurs en monstres sanguinaires sans âme. Il a ensuite déclenché la guerre du Conseil des sept et le Conseil des cinq. Depuis, les cicatrices sont toujours présentes sur notre continent, tout comme les elfes noirs et d’autres immondices. Avant de disparaître de ce monde, il aurait condamné son peuple à la soif de sang éternelle. Nul ne sait si ce n’est qu’une légende inventée par nos ancêtres ou une simple rumeur qui se serait répandue à grande échelle, mais quoi qu’il en soit, plus personne n’ose prononcer le nom du roi déchu. 

Un mélange de peur et de fantasme commença à naître dans la tête du jeune homme. Une légende si ancienne, si étrange, si terrifiante... Et pourtant si fascinante. Il aurait aimé un sursaut, quelques éléments qui donneraient du suspens, des rebondissements, mais visiblement l’histoire s’arrêta là. Il n’y avait ni héro pour braver le roi déchu, ni chevalier légendaire, juste un roi elfe qui fut incapable de contrôler sa création. Il ne voulut pas se l’avouer, mais il était quelque peu déçu. Le seigneur posa sa main sur l’épaule du garçon et lui dit doucement:

_ Oublions cette histoire et étudions. Nous sommes déjà en retard dans notre programme. Ouvrez votre cahier, la leçon va commencer.

Le futur paladin s’exécuta et ouvrit l’ouvrage sur une de ses pages vierges. L’elfe s’installa confortablement dans la neige, et se mit à citer la leçon.

_ Pour savoir utiliser la magie, il est capital de la comprendre et de la respecter. La magie n’est ni un pouvoir divin, ni un don réservé au gens au cœur pur, mais une manifestation commandée de la Magilith. La magilith est formée de particules qui sont omniprésentes dans l’air, l’eau, la terre, le feu et la chair. Il est possible de retrouver la magilith sous forme liquide, solide ou, la plupart du temps, gazeuse. Si la magilith rencontre un autre flot d’énergie ou un support, elle peut y être attirée ou s’accrocher. Et les Archimages découvrirent le moyen de commander ces infimes molécules,  à l’aide de la pensée. Si une volonté assez forte, concentrée uniquement sur la magilith, est dégagée d’un être vivant, il peut grâce au flot d’énergie de sa pensée modeler cette matière, la transformer ou la concentrer. Par exemple, les dragons inconsciemment font appel à la magilith, la concentre dans leur gueule avant de lui ordonner de devenir feu. La magilith est la seule matière au monde à être capable de reproduire une autre matière. Si quelqu’un, par exemple un haut elfe, venait à faire appel à la magie, il doit d’abord faire appel à la magilith dans son corps, faire abstraction des autres lois physiques, dégager la magilith de son organisme et lancer l’incantation afin de la modeler. Un sort basique, comme pousser une pierre, demande une force mentale énorme, et il faut être endurant psychologiquement. C’est pour cela que beaucoup d’apprentis paladins ne réussissent pas à contrôler la magie. Un humain ordinaire ne peut avoir la patience et l’attention requise lorsqu’il s’agit de contrôler les flux de magilith. Seuls quelques hommes arrivent à avoir la concentration et la force psychologique pour modeler selon leur volonté ces particules omniprésentes. Il suffit juste d’un seul moment d’inattention, un moment d’impatience, et la magie la plus bénigne peut devenir dangereuse et déclencher des catastrophes. Beaucoup de paladins ont brûlé leurs amis alors qu’ils tentaient de les soigner. Cela risque également de vous arriver également, que lorsque vous serez sous une pluie de flèches et de projectiles, que vous voyez un de vos compagnons être réduit à l’état de cendre entre vos mains alors que vous vouliez l’aider. C’est pour cela, que lorsque vous utilisez une magie quelconque, il faut dans un premier temps, entrer en état de transe, faire abstraction du monde physique pour ne se concentrer que sur la magilith, ensuite libérer la magilith et formuler l’incantation sous une forme verbale. Il est possible de se passer de réciter une formule, mais fortement déconseillé. Seuls les plus doués dans ce domaine peuvent se contenter de diriger la magilith par la pensée. Mais la plupart du temps, nous citons des formules, souvent sous forme de phrases courtes et faciles à retenir, pour diriger notre flux de pensées et rester concentré sur notre sortilège. Par exemple, Draziel est le mot désignant le feu dans notre langue. 

L’elfe sylvestre tendit sa main en l’air, et quelque chose en sortit, comme une flamme bleutée transparente, qui se mit à former une sphère parfaite avant que le seigneur au yeux d’or ne dise d’un ton solennel:

_Draziel !

Instantanément la sphère devint une boule de feu ardente, prête à brûler tout ce qui serait sur son passage. Mais elle n’en fit rien, elle se contenta de disparaître sous les doigts qui se refermaient de son maître. La démonstration épata Galro, il imaginait à l’avance ce qui se passerait s' il voulait changer un oiseau en glace, ou transformer un triangle en terre, ou bien même se transformer lui-même. Mais il renonça à la dernière idée, elle était complètement folle et dangereuse. L’elfe reprit son cours:

_ Imaginez quelque instants: si jamais par malheur je pensais à vous alors que je tenais ce projectile de plasma dans ma main, je vous aurais tué instantanément  sans rien pouvoir y faire. Pour empêcher ce genre d’accident, nous avions convenu que nos formules se composeraient en trois parties: l’élément invoqué, l’ordre donné à l’élément et la cible. Par exemple, avec le feu j’aurais pu lui donner l’ordre d’embraser un arbre, que j’aurais formulé dans ma langue Draziel drazar liertal. Certains elfes expérimentés peuvent se contenter d'appeler l’élément souhaité et formuler les deux autres étapes mentalement, mais encore il est fortement déconseillé. La magilith est un élément très instable, susceptible de devenir d’un instant à l’autre très dangereuse. Il faut savoir que nous seuls, les elfes et les dragons, produisons de la magilith naturellement dans le sang, et n’avons pas besoin d’avoir recours à des flacons de magilith comme les humains qui en sont démunis normalement. Mais il faut savoir qu’un homme, comme un paladin, ne doit pas boire au-delà d’une certaine dose de magilith par jour, sous peine de voir sa durée de vie se raccourcir considérablement. Pas plus d’un flacon de magilith par jour, tel est la contrainte des humains. La magilith a pour propriété de réparer les cellules et d’éliminer les bactéries dans l’organisme, à condition de ne pas dépasser le seuil de tolérance du corps, sinon les particules de magilith détruisent les organes vitaux et usent le système sanguin. Nous les elfes avons un seuil très élevé, étant adapté depuis toujours à la magilith, mais pour un humain le seuil peut être rapidement dépassé et peut facilement en mourir. De plus, une activité trop intense de la magilith la mène souvent à la solidification de celle-ci et les caillots de magilith peuvent boucher les artères. Une seule espèce semble ne pas avoir de seuil de magilith et ne rencontre pas le problème de la solidification, les elfes noirs.

Les cheveux de Galro hérissèrent sur le mot « Elfes noirs », une profonde pulsion meurtrière l'envahit, prêt à dégainer son arme et trancher toutes les créatures à le peau couleur nuit. Mais il ravala sa rage, et continua à prendre des notes.

_ Une récente étude montre que des particules de magilith en activité attirent d’autres particules de magilith, et que lorsqu' une énorme quantité s’amasse, nous obtenons une pierre que l’on nomme Kielar en elfique. Lorsqu’elle grossit, la surface se solidifie davantage tandis que l’intérieur se liquéfie pour se concentrer et obtenir la magilith liquide, celle qui est à l’intérieur des fioles utilisées par les magiciens. L’extérieur du bloc est la croûte, l’intérieur l’essence. Lorsqu’un mage utilise trop la magie, il se forme des blocs dans ses artères et le privent de sa circulation sanguine, et finissent par le tuer. Maintenant que nous avons vu les points importants, nous allons nous entraîner à la formulation des incantations. Jeune homme, je vous prie de bien vouloir me citer des phrases que vous dicterez à la magilith lors d’un sort. Par exemple, demandez à l’eau de partir en l’air. 

Donc, le garçon quelque peu déconcerté par l’exercice, s’exécuta. 

_ Eau, vole dans les airs !

_ Raté !

Galro ne comprit pas tout de suite ce qui se passait, mais il sût relativement vite que sire Taläsna pouvait lire dans ses pensées, et qu’il avait deviné qu’à un moment que le jeune homme avait pensé à son professeur. L’exercice était bien plus complexe que laissait croire son apparence, il fallait réussir à se localiser que sur l’action voulu et sur aucun autre élément. Il recommença dans l’espoir de réussir.

_ Eau, vole vers le ciel.

_ Encore raté !

Il ne perdit pas confiance en lui, mais il se doutait que ce ne serait pas aussi simple que de se défendre avec une épée comme avec Tilbar. Cet exercice ne demandait pas d’effort physique mais une force mentale à toutes épreuves.

_ Eau, envole toi !

_ Encore raté ! Il faut faire le vide totale dans sa tête, et ne penser qu’à la surface de l’eau. 

_ Eau, va dans les airs !

_ Cessez de penser à ce qui vous entoure, quittez le monde matériel et concentrez vous uniquement sur l’eau.

_ Eau, part dans les cieux !

_ Encore raté !

Ils continuèrent ainsi le drôle d’exercice pendant un certain temps, l’élève répétant avec acharnement la même phrase, et son professeur le reprenant à chaque fois. Un être humains ordinaire, ne connaissant rien au concept de la magie, les aurait pris pour deux fous. 


Mais pour un elfe, c’était la plus anodine des choses. La magie se transmet de parents à enfants dans leur civilisation, le savoir est une chose à laquelle ce peuple tenait à tout prix. Quand le soleil atteignit son zénith, le froid s’empara un peu plus de la terre et la neige commença à tomber. Les deux personnes prirent leur sac et sortirent leur repas. Galro n’avait prit que du pain et un énorme morceau de fromage jaune, tandis que le seigneur sylvestre avait comme provision tout un menu de Nimirïu composé de petits plats vraiment appétissants. Galro se frappa mentalement de ne pas y avoir pensé, il n’était plus à l’abbaye où la restriction de nourriture était vue comme une vertu. Il se contenta de son maigre repas, salivant devant les denrées de sire Taläsna. Quand ils finirent leur déjeuner, ils reprirent l’exercice.


L’elfe jugea bon d’arrêter cette partie de son cour, ayant déjà perdu beaucoup de temps, et enchaîna avec la suite.

_ Pour récupérer de la magilith, il existe trois solutions pour les humains. Soit il suffit juste de respirer, car ceux qui ont déjà ingéré une fois de la magilith la conserve dans leur corps quand ils inhalent, et la magilith, comme je l’ai déjà précédemment cité, est omniprésente dans l’air. Soit il faut manger de la nourriture exposée à la magilith, comme un lapin élevé dans une caverne à magilith ou des légumes plantés avec un engrais à base de magilith, soit boire des potions de magilith. Il existe également des équipements qui permettent de conserver la magilith, par exemple un collier ou des rubis, ou minimiser le tribut de magilith, comme les Dyaladuils, des armes forgées avec un alliage de métal et de magilith. Elles permettent d’exécuter un sort propre à chacune à moindre coût de magilith et en ne prononçant que le nom de l’arme. Mais elles sont extrêmement rares, à cause de leur coût et de la complexité à la fabrication. À l’heure actuelle, seules dix armes sont recensés: mon sabre Jindaïlyu avec le pouvoir de la guérison, Juzaliäl la lance du seigneur haut elfe Zuanlanor au pouvoir de la lumière ardente, Grandal l’épée du prophète de votre ordre au pouvoir de la foudre divine, et Falcionn l’épée du roi de Guiogne venant du dieu Daös. Cinq d’entre elles appartiennent aux Spectres, serviteurs ténébreux des Enfërs, et la dernière appartiendrait selon la légende à Raldir, Zuanduil, la lame du souverain au pouvoir de la Destruction. 

Le nom de Raldir provoqua un nouveau frisson dans la colonne vertébrale de Galro. Le pouvoir de la Destruction, qu’est ce que cela pouvait bien vouloir dire ? Puis son regard tomba sur le sabre de l’elfe, c’était l’une des Dyaladuils, l’une des seules armes mythiques aux pouvoirs incommensurables, une épée de légende. 

Taläsna fouilla dans son sac avant d’en sortir deux petits flacons bleus, avec un liquide argenté à l’intérieur.

_La leçon est finie pour aujourd’hui malheureusement, mais avant de nous quitter je veux que vous preniez ceci, et que vous en buviez le contenu après le dîner. C’est de la magilith appauvrie, destinée aux humains qui débute dans notre art. Vous ne pouvez pas encore boire de la vraie magilith, votre corps n’y résisterait pas, et ce n’est pas une magilith assez concentrée pour que vous puissiez lancer un sort avec, mais elle contribuera à habituer votre organisme à cette nouvelle matière. Pendant une semaine ou deux, il vous faudra boire ceci matin et soir, et vous devrez faire de l’exercice pendant au moins une demi heure après chaque consommation. Et surtout, proscription de boire plus d’une dose à la fois, sinon votre espérance de vie risque de diminuer considérablement. 

Galro repartit en direction de sa maison arboricole, les petites bouteilles à la main. Sur le chemin du retour, il vit plusieurs elfes blonds qui inspectaient les corps pour trouver un indice qui ferait avancer leur enquête. Mais Galro n’avait pas besoin d’être un arcaniste de haut niveau pour comprendre que c’était une épée qui les avait sectionnés, mais certainement pas une lame ordinaire. Maintenant que la foule avait disparu, il pouvait voir que les os avaient été coupés avec une précision extrême, tranchés d’un seul trait. Mais surtout, il n’y avait pas de fragment d’os brisé. On aurait put les recoller et reconstituer le squelette entier sans qu’il ne manque le moindre morceau de cartilage. Une arme ordinaire, même très tranchante, brise avant tout les parties osseuses de sa victime, éclatant une articulation en plusieurs dizaines de morceaux. Mais ce n’était pas le cas ici, comme si toutes ces côtes, ces vertèbres, ces phalanges... N’avaient pas eu le temps de se décrocher les unes des autres avant d’être toutes sectionnées. C’était comme si la lame les avait déjà traversés avant même que les membres ne commencent à tomber. L’homme qui avait tué ces deux pauvres elfes devait pouvoir atteindre une vitesse telle qu’il aurait été invisible à l’œil humain. L’idée qu’une personne puisse avoir une telle accélération et déchiqueter une personne avant qu’elle ne se rende compte glaça le sang de Galro. Leur assassin ne pouvait pas être humain, ni elfe, ni orque, mais encore autre chose. Il se remémora le cour qu’il venait juste de prendre avant, et aucune Dyaladuil connue n’avait le pouvoir d’accélération momentanée. Il contourna la scène de crime et marcha vers la ville. Il songea qu’un petit entraînement à l’épée ne serait pas une mauvaise idée. De plus, il n’avait pas eu le temps de perfectionner sa frappe d'estoc avant son départ. Avant de rentrer, il se trouva un petit espace vide, isolé du reste de la cité. Un terrain vague sûrement. Il dégaina son glaive, d’une beauté à couper le souffle, et commença son exercice. Il prit sa pose de combat, les jambes légèrement fléchis, les pieds orientés dans la même direction sans être parfaitement parallèle, le revers de la main droite posée sur son front, la lame parallèle à son bras. Il fit à deux reprises le kata de base, attaque verticale, horizontale et de biais pour l’achever l’attaque perçante. Ensuite, il enchaîna avec une série de mouvements complexes, composée de gestes vifs et rapides. Attaques directes, charges, feintes... Au bout d’une heure et demie, la nuit commença à tomber. Il s’apprêta à rentrer chez lui, quand il songea au Nimirïu. Après tout, il avait assez de monnaie pour se permettre une petite douceur, et cela faisait longtemps qu’il fut privé d’un bon repas par les curés de l’abbaye. Tant pis pour la vertu ! Un valeureux guerrier doit avoir l’estomac plein ! Et rempli de bonnes choses ! Ces restaurants feraient parfaitement l’affaire. Il ouvrit sa besace, et commença à compter les pièces. Il avait trois Densas* d’or, quatre d’argent, sept de fer et dix de cuivre. Peut-être qu’ils accepteraient la monnaie étalen. Et si ce n’était pas le cas, est-ce que le seigneur Taläsna accepterait de lui prêter de l’argent ? Valait pas mieux se poser la question, un écu est un écu, peu importe la nation. Il parti dans la paisible cité en quête de restauration. Il choisit finalement un Nimirïu du nom de Galziel san, dont les cours reçus à l’abbaye sur la langue elfique l’aidèrent à le traduire sous le nom de A la tienne. L’enseigne était décorée de deux branches entrecroisées avec une cigogne tenant dans son bec une tige de blé. Quand il ouvrit la porte, il fut directement prit en charge par deux serveurs, qui s'installèrent à une table à côté de la cheminée. Une carte du menu lui fut donnée, et lorsqu’il l’ouvrit, le désespoir s’empara de lui. Tout était écrit en elfique, et ses études ne l'avaient pas encore mené à commander un repas ni à lire une carte. Il se sentit soudainement extrêmement gêné. Jusqu’ici, tous les elfes qui le côtoyaient avaient étudié l’Etalen et le parlaient fréquemment, mais qu’en serait t-il de ces personnes ? Est-ce qu’il serait assez clair pour commander le bon plat et comprendre son interlocuteur ? Jusqu’ici il ne s’était pas posé la question, mais maintenant que le problème se posait, il n’arrivait pas à trouver le moyen de s’échapper. Il entendait les conversations des clients autour de lui, et au milieu de tous ces bavardages, il se sentit aussi muet qu’une carpe avec la bouche cousue. Dans quel pétrin il venait de mettre les pieds ? Il était sûr à tous les coups qu’il demanderait un verre d’eau usagée au lieu du Nectar si jamais on lui demandait quelle boisson lui ferait plaisir. Un elfe s’approcha de lui, la plume à la main. L’instant fatal était arrivé ! Il ne pouvait plus reculer, il allait devoir parler. Le serveur se pencha élégamment, et lui dit:

_Ken ollidassaï numérasan ? 

_Bruïyal zy collazan sinïzial.

Le regard de l’elfe se figea quelques instants, puis partit vers les cuisines. Galro sentait qu’il venait de faire une énorme erreur, espérant ne pas s'être trompé dans sa commande. Un second serveur arriva et lui demanda:

_Ken glilial servizyal numérasan ?

Galro resta quelques instants silencieux. Qu’allait t-il pouvoir dire ? Il ne savait dire ne serait-ce que le mot « salade » ! Il prit sa carte de menu incompréhensible. Il y avait affiché plein de glyphes auxquels il ne comprenait absolument rien. Il se demanda pourquoi les peuples n’ont t-ils pas tous choisi la même langue, cela aurait simplifié les choses. Il fallait qu’ils s’obstinent à tout prix à parler différemment de son voisin, ne pas avoir le même mot pour désigner exactement la même chose. Pourquoi un verre était un Theirdal en étalen, et un Bruïyal en elfe. Il se rendit compte que forcer des yeux ne l’aidait pas à traduire ces foutus glyphes elfiques. Il pouvait deviner l’impatience de l’elfe, cela faisait cinq minutes déjà qu’ils étaient figés devant cette table. Quel plat froid pouvait t-il commander ? Sans savoir ce que tous ces mots signifiaient, il était difficile de choisir. Et comment allait t-il formuler son souhait ? Il ne savait pas encore utiliser la grammaire elfique, il n’avait eu que deux ans pour apprendre à lire, à écrire, à compter, à calculer et occasionnellement apprendre l’elfe. Que pouvait t-il espérer faire maintenant ? Il fut étonné de voir le serveur toujours planté devant lui, à attendre la commande. Il avait pensé que cet elfe avait autre chose à faire que de rester debout à regarder un garçon qui refuse obstinément de donner le menu qu’il avait choisi. Mais il avait bien plus de patience qu’un humain, et il resterait certainement debout à cette place exactement, même quand Galro se retrouverait à l’état de squelette, des araignées pendues sur sa phalange dénudée appuyée sur la carte. Après tout, les elfes ne sont t-ils pas immortels ? Ils avaient tout leur temps. Son impression de tout à l’heure était faussée, l’elfe était peut être tout sauf impatient. Mais comment réagirait t-il si il lui répondait que finalement il renonce et qu’il ne mangerait pas ce soir ? Il n’avait plus le choix, il devait commander un plat, maintenant qu’il avait les pieds dedans. Il cru un moment qu’il avait été lancé dans un élan héroïque et qu’il donnerait enfin son menu, mais il fut interrompu par un trou. Il n’y avait rien qui sortait de sa bouche, tout comme rien n’y entrait. Qu’allait t-il dire ? Il ne savait même pas lire la carte, alors comment pouvait t-il commander sinon une autre carte de menu. Il se demanda quel genre de goût pouvait avoir une carte de menu. Amère, sec et infecte ou simplement sans goût ? Le parchemin devait être difficile à mâcher, mais mis à part elle pouvait ne pas être si mauvaise que ça. Il comprenait enfin pourquoi l’Eglise rationnait la nourriture, pour éviter que la gourmandise ne mène ses fidèles dans ces situations où la famine guette. Tant de saveurs et si peu de mots pour les acquérir. Il prit sa carte de ses deux mains, et il découvrit que la traduction n’était pas apparue entre-temps. Tant pis, le ridicule ne tue pas, il choisit une ligne au hasard et dit:

_Az*.

Le serveur se pencha et regarda le doigt du garçon. Il fit un haussement d’épaule et s’en alla. Galro sentit un fardeau en moins sur sa conscience. Le premier serveur arriva avec, au grand étonnement de Galro, un verre rempli d‘un liquide translucide. Il huma puis goûta, s’étouffa et suffoqua devant une foule d’elfes qui l’observaient avec un certain étonnement. C’était de l’eau de vie, avec un arôme de fleur en arrière goût, mais encore trop corsé pour un enfant tel que Galro. 

Il sentit la déprime l’envahir. Comment allait t-il expliquer à l’elfe qu’il s’était trompé entre « eau alcoolisée » et « eau sucrée » ? Il commença à bafouiller en elfique pour changer de boisson, mais les mots ne lui venaient pas. Il lui tardait d’apprendre la magie pour faire écrouler une montagne d’excrément sur ce maudit curé qui fut incapable de lui apprendre l’elfique. L’interlocuteur fut aussi capable de comprendre le discours de Galro que  Galro lui-même. « Maudite langue qui ne veut rien dire ! » se hurla mentalement le jeune garçon. Il y avait le temps que des clients partent et d’autres qui les remplacent alors que lui était toujours en train de lutter frénétiquement pour avoir sa boisson. Il sentait de plus en plus que son dîner se finira avec ses deux bottes dans l’assiette, mastiquant avec acharnement ses semelles. Le goût frais du pain rassis et du vieux fromage jaune lui manquait tant, il avait toujours rien sous la dent alors que la nuit était à son heure la plus sombre dehors. Finalement il abandonna toute forme de communication en elfique et laissa les choses se dérouler comme elles se dérouleraient de toute façon. Son verre rempli d’eau de vie devant lui, une assiette de salade verte sans sauce à sa droite, du sel à sa gauche, son repas ne fut pas aussi bon que lors de son arrivée avec le chevalier elfe. Il décida que la prochaine fois, il demanderait à Taläsna de l’accompagner. Pour clore son dîner, il sortit le flacon et bu la dose. Il n’aurait su décrire quel goût la potion avait, mais ce n’était pas fameux. L’épais liquide visqueux coulait lentement dans sa gorge, dégageant une chaleur étouffante. Après ce dîner désastreux, il rentra chez lui, et abandonna tout autre idée. Il allait avoir besoin de force et de repos pour son prochain cours.




Duilar, Zan Yuili !: En ancienne langue elfe, « Tranche, Vent qui danse ! »

San zuan !: en ancien elfique « Ton souverain »

Lingyl: Fruit qui pousse sur les Lingylyali qui se trouvent dans les régions tempérés, comme dans les royaumes elfes. Ce fruit ressemble à une poire à la teinte bleue longue de vingt centimètres, large de dix centimètres. Il a un énorme noyau logé dans son trognon, d’une rigidité à toutes épreuves. 

Charyl: Oiseau qui a perdu ses ailes pour se retrouver sur quatre pattes. Il a une énorme crête sur la tête pour les parades nuptiales et pour impressionner ses prédateurs. Cet animal est très docile, il est souvent apprivoisé par les elfes sylvestres.

Densas: Argent étalen. Un Densas d’or vaut vingt Densas d’argent, un Densas d’argent vaut trente de fer, et un Densas de fer vaut cent Densas de cuivre. 

Az !: En elfique, ce mot signifie « ça ! »



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