La prophétie du roi déchu: L'enfant sombre

Chapitre 7 : Les Croisés de l'Ordre de la Pierre Sacrée

7759 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/09/2024 13:26

Chapitre 7: Les croisés de l’Ordre de la pierre sacrée




Il se souvint du jour où les soldats étaient venus chez lui pour lui ramener le corps de son père, la tête séparée des épaules. Ils lui avaient raconté qu’il s’était battu contre un démon aux yeux rouges, et qu’il s’était fait tuer alors qu’il lui tournait le dos. Ils le décrivaient comme un monstre féroce à la peau noire du cauchemar et aux cheveux blancs du fantôme, armé d’une épée dotée d’un seul tranchant aussi grande que lui, avec une lame qui se prolongeait le long du manche. Il avait inscrit des runes démoniaque sur son arme, pour plonger ses ennemis dans le néant, et son regard de flamme sortait droit des ténèbres du cœur du Démon. Jamais plus il n’oubliera cette description, celle du monstre qui avait assassiné son père, le Paladin phénix de l’Ordre Lurthor. 


Le nom de ce garçon qui pleura la mort de son père n’était d’autre que Galro, un enfant châtié par les ombres pour avoir été le fils d’un guerrier de la lumière. Il se jura ce jour-là qu'il retrouverait ce monstre et qu’il le tuerait, le tuerait et le tuerait encore jusqu’à ce qu’il ne revienne plus, qu’il ne soit plus que néant et vide. Il pria son Dieu de lui donner la force et le courage de réduire le tueur de son père à l’état de sang et de chair purifiée.

Il décida qu’un jour, pour accomplir sa vengeance, il rejoindrait la confrérie à laquelle son père avait appartenu. Il servira lui aussi le grand Phénix. 


Il n’avait que huit ans, mais il avait déjà le cœur rongé par la haine la plus brutale et violente, il y parviendrait même s' il devait y passer sa vie entière. Les chevaliers de l’Église acceptèrent de le recueillir et le présentèrent devant le Prophète. En apprenant que celui-ci était le fils d’un paladin phénix, il eut un sourire au coin des lèvres. Il venait de trouver un serviteur qui serait à la hauteur. 

Après avoir donné son admission dans l’Église, Galro fut amené dans une salle où plusieurs hommes l’attendaient. Un d’entre eux était plus grand que ses congénères, il avait un teint qui penchait légèrement vers le gris, et il avait une grande cicatrice qui partait du front jusqu’au bas de sa joue, passant en dessous d’un cache œil. Malgré son œil bleu, son regard était dur et froid. Sa barbe et ses cheveux étaient noirs avec des mèches grises, et ses dents blanches semblaient aiguisées comme des couteaux lorsqu’il souriait. Et dans sa main droite, il tenait une hache par le plat de la lame, avec un phénix qui décorait le tranchant. Un chevalier approcha le garçon et dit:

_ Galro, je vous présente le capitaine Tilbar. Cet homme est l’un des meilleurs combattants de notre Ordre. Il vous formera comme il conviendra, avec lui vous deviendrez fort. 

Tilbar paru surpris et fronça sévèrement les sourcils.

_ C'est ce jeune freluquet que je dois former ? Je m’attendais sincèrement, avec tout le respect que je vous dois, à quelqu’un de... Disons, un peu plus grand. 

Le son de cette voix était désagréable à l’oreille de Galro. Elle était râpeuse et rauque. Le chevalier regarda le guerrier qui se tenait face à lui et lui dit froidement:

_ Je vous rappelle, capitaine Tilbar, que ce n’est pas seulement une offre que vous aviez accepté pour monter en grade, mais également un devoir envers l’Église que vous deviez accomplir. Vous formerez ce futur serviteur de Dieu, peu importe votre décision actuelle. 

La main de métal qui tenait la hache resserra légèrement la pression, dont le métal grinçait bruyamment. 

_ Il passé que trop peu de saisons pour oser se présenter comme représentant de notre Ordre. Si vous aviez un peu de connaissance dans ce domaine, vous sauriez alors qu’il doit repartir chez lui pour jouer à la guerre, et non la faire. Notre institutions devrait arrêter de prendre nos soldats de plus en plus jeunes. 





L’accompagnateur de Galro s’avança et lui murmura doucement à l’oreille, très doucement:

_ Seriez- vous en train de critiquer notre Ordre ? Un Ordre qui a pour mission de vaincre l’ombre et les ténèbres.

_Non, répondit le capitaine, bien sûr que non. Je donne juste un conseil que je peux donner parce que j’ai l’expérience. 

Le chevalier s’écarta d’un pas, le fixant dans les yeux, comme s' il lui jetait des éclairs à travers ses pupilles. 

_ Notre Dieu sera clément avec lui s'il se montre à la hauteur. Soyez comme le Seigneur, ne le jugez pas sans qu’il ait pu faire ses preuves. 

Le grand homme fixa de son œil unique l’enfant, le perçant du regard, et une espèce de grondement intérieur retentit dans la tête de Galro. Après un instant de réflexion, le capitaine Tilbar retourna son regard vers le chevalier.

_ J’écouterais votre conseil, je ne le jugerai pas sans qu’il ait pu faire ses preuves. Mais si il se montre incapable de suivre la voie, ma sentence sera terrible. 

Il se retourna et posa sa hache sur son épaule droite. Il marcha jusqu’à une porte qui le mena à l’extérieur. Le chevalier s’agenouilla devant le jeune homme et lui prit les mains:

_ Il est d’une apparence rustre et brute, mais il est bon et juste. Il est un homme d’honneur qui se bat toujours loyalement. La lâcheté n’a jamais souillé son cœur et sa force sera bientôt votre. Il se montrera sévère, même des fois cruel, mais vous saurez qu’il le sera pour vous rendre service. Vous verrez, tout ira bien. 

On l’emmena plus tard dans une caserne de phalanges. Il y avait un de grands espaces réservés aux entraînements, tel que des pistes de joutes ou des postes de tir à l’arc. Le capitaine emmena le jeune garçon dans un bâtiment qui se trouvait de l’autre côté du camp. Plusieurs forgerons étaient en train de donner vie à de nouvelles armes et armures. Une fois à l’intérieur, il n’y avait que les minces rayons du soleil qui passaient au travers les murs de bois. Un vieil homme maigrichon s’approcha du comptoir et fit:

_  Bonjours Capitaine ! Je suis heureux de vous voir ! Je suis également heureux de servir le Seigneur, et si...

_ Est-ce que vous auriez une épée ou deux, Galdim ? Celles-là feront l’affaire. 

Le vieillard regarda par-dessus la table et aperçut Galro, qui intimidé par les armes qui l’entouraient, se cacha derrière Tilbar.

_Je vois ! fit t-il. On vous a chargé d’un bien lourd fardeau. Vous êtes sûr de ne pas préférer des dagues ou des bâtons pour le début de son entraînement ? Des épées longues seraient un peu trop lourdes pour le commencement...

_ Des épées feront l’affaire !

_Si vous me permettez, ces lames sont tranchantes, il pourrait se blesser. Ce ne serait pas raisonnable...

_ Des épées feront l’affaire !

Le vieux se résigna et chercha dans le fond de la salle deux épées longues, dont l’on pouvait estimer leur poids à un kilo. Quand il les déposa sur le comptoir, il demanda:

_ Aviez-vous besoin d’autre chose ?

_ Ce sera tout pour le moment.


Le petit vieux se retourna vers un tableau où étaient installés plusieurs bouliers. Il en déplaça deux au mot « épée longue » de gauche à droite.

_ Je sais que je n’ai pas un titre honorifique comme vous, fit le vieux, mais je me plais dans ce travail. L’intendance des armes est très importante dans une armée, vous ne trouvez pas capitaine ?

_Je suis reconnaissant de votre respect du travail, intendant. Je vous souhaite une bonne journée.

Avant que le capitaine ait pu passer le seuil de la porte, la voix de l’intendant résonna dans la pièce.

_ Bonne journée à vous aussi Capitaine ! Mais promettez moi de ne pas être trop dur avec le gamin !


Ils partirent dans un champ, où plusieurs barrières étaient installées. Au milieu des parcs, des hommes armés suivaient les instructions d’un entraîneur qui hurlait depuis une estrade de bois. A chaque mot qui résonnait, les guerriers faisaient le geste adéquat en synchronisation, en face à face. Galro et Tilbar allèrent un peu plus loin, où ils s’arrêtèrent avant que le capitaine jette à son apprenti les instruments, qui soulevèrent la poussière lors du contact avec la terre sèche. 

_ Ramasse l’épée !

Le jeune garçon comme tout brave enfant obéit, mais lorsqu il tenta de soulever la lame plus haut que ses hanches, l’attraction terrestre l’attirait toujours vers le bas. 

_ Plus haut ! Dans cette posture, tu laisses à ton adversaire toutes les ouvertures possibles. Allez ! Plus haut !

Galro tenta de nouveau de lever la pointe de son épée, mais il n’y arrivait toujours pas. 

_ Plus haut ! Qu’est ce qui t’arrive, tu n’es pas assez fort ?

L’enfant réessaya d’obéir, mais il lui était impossible d’exécuter l’ordre correctement. Il usa de toutes ses forces, mais elles semblaient infiniment faibles. En voyant le drôle de spectacle, plusieurs, recrues se retournèrent pour voir le gamin les deux bras forçant de leur mieux pour retirer le glaive de la terre, les fesses levés vers le ciel, haletant comme un bœuf. Certains commençaient à faire des commentaires, d’autres riaient comme des sots, et une autre partie l'encourageait ironiquement. Alors que le désespoir envahi le cœur du garçon, le capitaine regarda fixement le groupe d’hommes et hurla:

_Ce n’est pas bientôt fini ! Vous n’êtes plus des mômes bande de sales garnements ! Votre position est lamentable et vos mouvements sont encore moins rapides que l’érosion d’une pierre ! Retournez à vos postes et faites quelque chose de correct pour une fois dans votre misérable vie ! 

Les soldats ressentirent la puissance cachée derrière la voix de Tilbar, et ils obéirent tous sans broncher, reprenant l’exercice interrompu. 

Quand enfin Galro réussi à lever son épée, le grand homme lui dit d'un ton sec :

_ Pour commencer, je vais t’enseigner les mouvements de base. L’attaque vertical, horizontal, de biais et transpercer. Tu devras exécuter ces mouvements à la perfection et dans un intervalle de temps très court pour que l’exercice soit acquis. 

Le capitaine arracha du sol la deuxième lame, dégaina et fit un kata des quatre mouvements cités avec une rapidité déconcertante. 

_ Voilà ce que je voudrais voir d’ici la fin de la semaine !

Il recommença, mais cette fois-ci tout en lenteur, afin de décomposer chaque mouvement, aussi bien des bras que des jambes. Lors de sa première démonstration, il semblait presque enfantin d’exécuter ces quatre attaques, mais c’était alors que le capitaine était au ralenti que Galro comprenait toute la difficulté de l’entraînement. L’entraîneur indiqua à son élève que c’était à son tour de reproduire ce qu’il lui avait montré juste auparavant. Le poids de l’acier dans ses mains semblait infini, et la position de ses jambes était encore peu stable. Lors de l’attaque horizontale, il lui arrivait de perdre l’équilibre. Mais il ne découragea pas pour autant, il continua son exercice sans relâche, même s' il y avait des erreurs lors de certaines phases. 


Le tranchant n’était pas toujours bien orienté, ou la trajectoire de la lame était déviée par le poids. Au bout d’une heure, son maître lui donna l’autorisation de se reposer et de faire des étirements. Alors qu’il soufflait un peu, il vit les hommes de tout à l’heure qui suivaient les instructions de leur commandant. Ils faisaient exactement le même exercice que lui !


Il ne s’était pas rendu compte, mais ces hommes bien plus âgés que lui suivaient les mêmes mouvements de bases. Certes ils étaient plus forts, ils tenaient fermement leur arme sans perdre l’équilibre, mais le principe était le même. Le pire, c’était que eux aussi semblaient éprouver quelques difficultés. Il se retourna vers son maître qui lui dit:

_ Vois tu pourquoi je ne voulais pas de toi ? L’Ordre n’était plus ce qu’il était. C’est de la folie d’entraîner des gens si jeunes dans une telle histoire. Mais toutefois, est-ce que tu tiens à continuer ? Veux-tu que je t’entraîne dans une histoire qui te dépassera de plusieurs cieux ? Es-tu prêt à marcher en eau trouble ?

Une seule réponse était possible, car une seule réponse était murmurée à ses oreilles depuis qu’il a vu le corps inerte de son père, la tête séparée des épaules. Il n’avait cessé de penser à tout ce qu’il avait perdu à cause de ce démon. 

_ Oui, je veux suivre cette voie messire ! Dorénavant, je pourrais marcher dans n’importe quel brouillard, dans n’importe quel ténèbres, dans n’importe quel cauchemar qui m’attend !

L’homme fronça des sourcils, et se pencha au-dessus du jeune garçon, le cachant complètement du soleil.

_ Pourquoi tu te battras ?

_ Pour vaincre les monstres des ténèbres et venger les innocents morts.

C’était une phrase que son père lui avait fait réciter à plusieurs reprises lorsqu’il était vivant. Mais pourtant cette réponse citer des paroles du paladin défunt ne semblait pas être la bonne. Et soudainement, sans aucune raison visible, le guerrier tendit son épée et frappa vers son visage. Galro, instinctivement leva son arme et para l’agression. Mais la force de son professeur était telle que le revers de sa propre lame lui coupa sa joue. Tombant face contre terre, le sang se maculant dans la poussière, les cailloux se plantèrent cruellement dans sa peau, le choc avec le sol rude. L’enfant se mit à pleurer à chaudes larmes, les deux mains sur sa plaie saignante et dégoulinante. Ses hurlements de douleurs attira l’attention des autres militaires qui se précipitèrent à la barrière, mais n’osèrent la franchir à cause du capitaine Tilbar. La souffrance était atroce, la douleur aiguë, mille fois pire que dans ses souvenirs lorsqu’il se coupait brièvement un doigt avec un couteau lors des repas. Il regarda ses doigts inondés d’hémoglobine. Il était en état de choc, ne comprenant pas ce qui venait de se passer. Il se souvint juste du capitaine qui avait tendu la lame de son arme vers son visage et du contact froid du métal. La voix râpeuse et désagréable retentit:

_ Comprends tu pourquoi tu te bats maintenant ? Pourquoi as-tu dressé ton arme contre moi ? Pourquoi as-tu dévié mon épée de ta tête ? 

Le garçon leva ses yeux dont la vision était trouble vers son professeur.

_Je vais répondre pour toi, jeune homme. Pour survivre !

Alors que ces mots résonnaient dans l’esprit de Galro, sa blessure lui paralysait le visage et une horrible expression d’inscrit sur ses traits. Et plus il faisait ces grimaces, plus la plaie s’ouvrait, et plus la douleur était intense. 

_ Lorsqu’un soldat entre dans la mêlée, lorsqu’il sait qu’il peut mourir à n’importe quelle moment, une seule pensée survient à notre esprit. Survivre ! Nul idéalisme, nul pensée, nul courage, nul héroïsme... Seul l’instinct guide l’homme dans le conflit. Même si c’est une vérité pessimiste, que même l’Église refuse d’entendre entre ses enceintes, elle est la seule qui existe pour cette question. Il est possible de faire la guerre dans un but noble, mais une fois dans le combat, le seul objectif sera de survivre. Peu importe ses camarades, les ordres des généraux, des paladins ou du prophète, la peur aura toujours le dessus. Ne soit pas comme tous ces abrutis qui nous regardent, qui s’imaginent invincibles et sans peurs ! Lorsqu’ils seront confrontés à la réalité du combat, ils auront déjà la tête entre les pieds. Sache que lorsque tu lèveras ton épée vers ton ennemi, tu le tueras uniquement parce qu’il te tuera si tu n’es pas le premier à frapper. 

Alors que Galro rampait à terre, hébété, à la recherche d’aide, suivant uniquement son instinct, le grand homme continuait.

_ Est-ce que tu veux savoir d’où me vient cette blessure ?

Il souleva son cache oeil et découvrit un orifice vide, dont un amas de chaire ratatinée remplaçait son globe oculaire. Cette vision provoqua la nausée chez plusieurs spectateurs.

_ Lorsque mon maître m’avait posé la même question, j’avais passé trop de temps à comprendre pourquoi ma réponse n’était pas la bonne. Puis quand je voulut me défendre...

Il remit son bandeau, insinuant la suite des événements. Les recrues comprirent où il voulait en venir, et par conséquent repartir lentement vers leur position. 

_ Aujourd’hui, tu m’as prouvé que tu avais vite compris ton erreur, que tu as été meilleur que moi sur cette épreuve. J’accepte de te former. 

Il s’éloigna vers l’intendance des armes, les épées dans leur fourreau. Puis il lança:

_Va te nettoyer ce visage crasseux, et va te faire soigner cette plaie. Ce sera tout pour notre entraînement aujourd’hui !

Le regard vide du garçon contemplait le ciel, sourd aux ordres du guerrier. Mais pourtant, il se releva et alla vers l’abreuvoir des chevaux pour s’enlever le sang qui le tâchait. Puis il marcha en serrant ses mains sur sa plaie vers l’infirmerie. 


Le soir venu, il rejoignit son professeur à la cantine, des bandages au travers du visage. Il fut servi par un autre militaire, dans un bol, un potage de légumes et de viande. Tilbar était assis avec des phalanges, autour d’une chope de Graïnbar * et d’un bol de soupe. Quand Galro s’assit sur un tabouret, un des hommes se montra agressif en le voyant:

_ Que fais-tu ici garnement ? Ici c’est la caserne ! Pas une garderie !

_ Laisse ! Dit le capitaine. C’est mon élève, et je suis chargé de faire de lui un croisé pour notre Ordre.

Les autres soldats se mirent à rire sur ces mots, pensant que c’était une plaisanterie. Mais le capitaine hurla de colère, et certainement aussi parce qu’il était saoul.

_ C’est vraiment mon apprenti ! Les dirigeants veulent que je le forme pour qu’il devienne un paladin, figurez vous ! C’est le fils du paladin phénix Lurthor qui est mort dans le village à la frontière ! Il n’aura même pas besoin de se casser la tête à monter en grade ce fils d’ortanong ! Il va devenir paladin dès la fin de sa formation !


Galro sentit la colère monter en lui, pas tant parce que son formateur venait de traiter son père d’une grossière insulte, mais parce qu’il n’était au courant de rien. Personne n’avait osé lui avouer qu’il sera promu au grade de paladin de par son sang. Il était à la fois ravi de ne pas devoir suer et de se trancher les quatre veines, mais en même temps il trouvait injuste qu’un homme soit promu selon sa famille et non par ses qualités. Tilbar fit un signe de la main vers lui et lui indiqua de venir:

_Assis toi gamin ! Tu sais que t’es un chanceux ! Tu vas avoir le poste que j’ai toujours envié ! Mais tu sais pourquoi moi je peux pas être paladin ? Et toi si ? Parce que tu es un putain de noble !

Et moi je suis un salopard de soldat sans famille ! 

La grossièreté extrême qui fut évoquée aurait dû être rapporté auprès des supérieurs, sitôt sorti de la bouche. Ainsi, celui qui voulait obtenir le titre de capitaine l’aurait obtenu sans difficulté au dépend de Tilbar. Mais personne ne bougea, se contentant d’être choqué et abasourdi. L’un des compagnons du capitaine lui proposa d’arrêter l’alcool nain pour cette soirée mais les mains légèrement grises resserrèrent leur étreinte sur la chope, comme s' il voulait éviter qu’on la lui vole. Le teint mélangé entre rose et gris lui rendait une couleur particulièrement désagréable à la vue de quiconque. L’énorme champignon qui sommeillait dans sa bouteille fut réveillé par l’homme qui s’empara de la bouteille et se versa une nouvelle rasade. Quand l’enfant s’assit, le capitaine le serra amicalement.

_Tu veux goûter ? 

Il lui désigna la bouteille, et la vue d’un énorme champignon coincé dedans lui fit penser que c’était probablement une mauvaise idée. Mais alors qu’il s’apprêta à refuser poliment l’offre de son maître, une chope atterrit devant lui, pleine à ras-le bord. 

_ Après tout, t’es un homme maintenant !

Se sentant obligé, le garçon tendit le godet devant lui, au bord de ses lèvres. Lorsqu’il huma, une odeur aussi infecte d’un pet de diable lui traversa les narines. En essayant de faire abstraction de son odorat, il plongea sa langue dans la boisson, qui instantanément lui tua plusieurs milliers de papilles gustatives. Sa bouche était en train de fondre de l’intérieur et il avait l’impression d’avoir avalé un désert qui serait resté logé en travers de sa gorge. 

_ Alors ? Fit l’homme borgne. C’est légèrement sucré, hein ?

Les yeux aux bord des larmes et le visage pourpre, il ne savait choisir entre ces deux réponses: soit lui avouer que c’était aussi bon qu’un jus de chaussette distillé pendant deux jours ou soit que c’était aussi sucré que de l’acide chlorhydrique. Mais il ne choisit aucune des deux et préféra répondre d’un hochement de tête. Il avait la bouche trop douloureuse pour oser l’ouvrir.

_En plus, ça à l’avantage de désinfecter n’importe quelle plaie ! Ça ne peut pas te faire de mal !

Même si cette boisson avait réellement cette vertu, il pensait que ce serait davantage efficace s' il l’appliquait sur son entaille que de  la boire. Mais peu importait son opinion, il était pris au jeu dont il était une marionnette. 

_Je t’aime mon p’tit gars ! Tu vas devenir un brave gaillard toi ! Allez ! Cul sec !

Il ne savait que faire, soit boire cette boisson infecte qui lui réduirait ses entrailles à l’état de purée rouge fumante ou soit jeter sa boisson par terre et fuir son capitaine qui voudrait l’étrangler. Dans les deux cas, il ne vivrait pas assez longtemps pour finir sa formation. Alors il prit sa décision, qui selon lui, devait être le moindre mal.


Le lendemain, il se réveilla avec la bouche sèche et un mal de crâne phénoménal. Il se demandait sincèrement s' il avait fait le bon choix. Peut être que son capitaine aurait été indulgent en fin de compte s' il avait refusé. Il déambulait dans les dortoirs, avec son pyjama pour seul compagnon. Il récupéra ses affaires et, sans perdre un instant, enfila ses vêtements. Il prit un miroir et souleva ses bandages. C’était une belle plaie, dont il gardera une cicatrice certainement pour le restant de ses jours. Elle lui traversait verticalement la joue, passait au-dessus de son œil droit avant de continuer sur son sourcil. Un peu plus et il aurait porté lui aussi un cache œil. Il jeta les anciens rubans de toiles avant de remplacer par des bandages neufs. Il courut à l’extérieur, l’air était glacial. Durant la nuit, le givre avait envahi le camp, le colonel Hiver était arrivé. Son capitaine l’attendait, l’œil fixant le vide. Il se retourna vers son apprenti et lui dit.

_ Désolé pour hier soir, il est vrai que cette maudite boisson me rendra fou ! Allons, passons ! Suis moi !

Il marchèrent vers l’intendance, où ils récupérèrent l’équipement adéquat. Le doux roulement du boulier recommença comme la dernière fois, deux aux épées. 

Ils se retrouvèrent sur la même place que la dernière fois, l’un en face de l’autre. Avant de commencer l’exercice, le jeune apprenti fit un rapide échauffement et reprit son entraînement là où il s’était arrêté. Sous le regard attentif de son professeur, et sous ses critiques incessantes, son attitude et ses gestes prenaient toujours un peu plus une véritable forme. Attaque verticale, horizontale, de biais et transpercer, toute sa concentration et ses pensées étaient dirigées vers ces quatre mouvements de base. Même si le poids de l’acier était encore terriblement lourd entre ses doigts, il commençait à sentir une espèce d’aisance. Tout en croquant une pomme, l’œil du capitaine le fixait sans relâche, à la recherche du moindre défaut. Un genoux pas assez plié, les bras pas assez tendus, ou soit la lame qui était mal orientée. Il reprenait sans cesse son apprenti sans aucune difficulté, car aucune prestation n'était parfaite, postillonnant des morceaux de fruit, mais Galro se montrait persévérant. Après plusieurs heures, le capitaine lui dit.

_Tu as commencé à apprendre l’attaque, c’est un début. Mais dans la mêlée tu devras aussi te défendre. Je vais t’attaquer à mon tour, quand à toi tu devras me bloquer à chaque fois. Je garde les fourreaux cette fois-ci, mais plus tard, j'irai les lame à vive. Pour commencer, je vais t'attaquer par le haut. 

Tandis que le jeune apprenti se mit en garde, son professeur lança une attaque par le haut qui lui passa par-dessus sa lame et vint toucher le sommet de son crane. Le contact, volontairement fort, eut l'effet de faire lâcher l'épée du garçon qui poussa un bref cri de douleur et se frotta la tête. 

_ Voilà ce qu'il ne faut pas faire, s'exclama le géant en armure d'or. 

Galro ramassa maladroitement son arme, faisant face à son professeur. Alors qu'il reprenait sa garde, le capitaine ordonna que son élève l'attaque vers le haut, comme lors du précédent exercice. Le fils de paladin brandit son épée et frappa en direction de la tête de vétéran qui le para sans difficulté en tenant son épée à l'horizontale, perpendiculaire à celle de Galro. 

_ Voilà comment on pare une attaque haute garçon ! S’exclama le guerrier. 

Comprenant où en voulait venir son entraîneur, Galro repositionna ses pieds, prêt à encaisser le prochain coup. Alors qu'il reprit ses appuis, le capitaine enchaîna avec une nouvelle attaque, glissant fourreau contre fourreau et vint heurter le sommet du crâne du garçon qui se vit attribuer une nouvelle bosse.

_ L'angle de parade n'était pas bon, reprit le guerrier. Tu ne dois pas me laisser d'angle où je puisse forcer, tu dois être perpendiculaire à ma lame. Dans un vrai combat tu serais mort !

_ Désolé, répondit Galro intimidé par la grosse voix de son maître.

_Je ne veux pas d'excuse ! S'écria le croisé. Je veux que tu pare mon attaque. Allez, on recommence !

Les deux pratiquants se remirent en face à face, le futur paladin se prépara à la prochaine attaque, mais leva trop tôt son épée. Contre toute attente, le professeur ne vint pas heurter sa lame, mais passa par dessous et effectua une attaque horizontale, frappant de plein fouet son épaule. L'enfant lâcha d'une main sa garde et Tilbar frappa de toutes ses forces son épée, l’éjectant au loin.

_Qu’est ce que tu fabriques ? Lui demanda Tilbar furieux. Tu te laisseras occire aussi facilement lors d’un vrai combat ?

Un coup rapide et redoutable vint frapper à l’aine du jeune élève, le fit basculer en arrière puis il sentit le contact dur et douloureux du sol. Ses poumons étaient comme paralysés, incapables de respirer. Alors qu’il se relevait péniblement, l’homme borgne lâcha violemment:

_ Tu es faible.

Le regard du jeune garçon se tourna sur le capitaine, jetant des éclairs de haine. Comment pouvait-il être fort ? Il n’avait même pas une dizaine d'années, comment était t-il censé résister.

_Je ne parle pas de ta force physique, dit l’homme, mais de ta force mentale. Pendant que je te frappais, tu te soumettais à moi. Cela peut paraître normal pour un élève, qu’il se soumette à son maître. Mais ici tu n’es ni en train d’apprendre la couture, ni la religion, ni toutes ces foutaises. Tu es en train d’apprendre à te battre ! Ton objectif est de me dépasser, d’être plus fort que moi ! Tant que tu seras dans l’état d’esprit de dominé, tu ne pareras jamais, tout comme tes attaques qui ne m'atteindront jamais. Le but de l’affrontement est de dépasser son adversaire et de le vaincre. Allez, lève toi !

_ Mais vous êtes trop grand ! Et trop fort !

La réponse semblait amuser le capitaine Tilbar, qui s’agenouilla et lui murmura dans l’oreille:

_Je vais te confier un secret. Je ne suis pas grand.

Cette révélation étonna Galro, car il l’avait toujours comparé son maître avec d'autres hommes et il les surplombait toujours de son imposante taille.

_Ne me compares pas avec les autres soldats en me jugeant arbitrairement. Tu n’es jamais monté sur un tabouret, pour placer tes mains au-dessus de ma tête et celle d’une autre phalange. Je ne mesure qu’un mètre soixante-cinq mais pourtant tout le monde me trouve grand. Et je vais te dire pourquoi, parce que je me tiens la tête haute. C’est mon attitude qui écrase les autres autour de moi, ils sont soumis à moi, donc ils me trouvent grand. C’est étonnant tout ce que peut accomplir l’esprit humain. 

Maintenant qu’il le disait, Galro le trouvait soudainement beaucoup moins grand, comme s' il avait rapetissé instantanément. Il avait compris le principe, peu importe la taille normale d’un homme, il faut voir si les autres s’affaissent autour de lui. Et Tilbar plantait dans le sol quiconque le croisait, comme s' il mesurait deux mètres de hauteur. Le facteur mental y était pour quelque chose, trompant l’œil des gens sur la véritable nature des choses. Ils reprirent position et l’entraînement recommença. En écoutant les conseils du professeur, il se sentit pousser d’une dizaine de centimètres, même s' il savait que ce n’était que purement artificiel, il avait l’impression de mieux encaisser les coups. Il se sentait devenir petit à petit une muraille de roc qui ne laissait rien passer au travers. Le poids des armes et la force des attaques devenaient un peu moins lourdes. Un sourire de satisfaction s’affichait sur le visage balafré du capitaine. Il tenait entre ses mains un jeune talent. 


Au bout d’une semaine d’entraînement intensif, les mouvements de bases ont été enfin acquis, et lors de ses prestations, le jeune homme était certes plus lent que son maître lorsqu’il l’avait vu faire, mais ses gestes étaient fluides, nul hésitation, les mains fermes. Il savait que la vitesse viendrait avec le temps, et la force physique avec l’âge. Quand il devait faire du combat d'entraînement, il fallait cinq ou dix minutes avant qu’il ne commence à se faire toucher aux genoux ou sur l’avant-bras, mais là encore l’endurance viendrait avec le temps.

Tilbar était fier de lui, mais malheureusement il était l’heure pour eux de se séparer. Car comme convenu par l’Ordre de la pierre sacrée, les prêtres le récupérèrent avant de l'emmener à l’abbaye. Mais tout de fois, avant de se quitter, Galro reçut l’autorisation de parler avec son capitaine. Celui-ci était appuyé de façon nonchalante sur un arbre, la main sur sa hache, comme lors de leur première rencontre. 

_ Que vais-je faire capitaine ? Pourquoi je dois partir ?

_L’autre soir quand j’avais dit que je te formais dans le but de faire de toi un paladin, tu t’en rappels ?

L’enfant acquiesça de la tête.

_ Un paladin ne doit pas se contenter d’être une grosse brute comme un soldat ordinaire. Il a pour devoir de savoir pourquoi les ténèbres existent et comment lutter contre les démons qui en jaillissent. Par conséquent, il doit être instruit pour les comprendre et découvrir leurs points faibles. En outre, le savoir est une arme redoutable entre de bonnes mains. Les paladins existent pour guider les hommes et les diriger à travers l’ombre et les aider à vaincre. C’est pour cela que lorsque nous traquons des êtres de la nuit, tel que les elfes noirs par exemple, nous sommes toujours en compagnie d’un paladin, qui sait comment contrer leurs pouvoirs. Ils sont aussi un symbole pour le peuple, car ils sont nos représentants. Et bientôt, toi aussi tu porteras le Phénix sur ton armure. 

_ Nous nous reverrons ? Demanda le garçon.

_ Bien sûr, tu croyais te débarrasser de moi ? Tu passeras une semaine à l’église avant de revenir à la caserne. Et le cycle reprendra de plus belle. Et quand nous t’aurons enseigné tout notre savoir, tu seras escorté en pays nain et elfe, pour approfondir tes connaissances sur les peuples alliés. Ensuite, les hauts-elfes t’enseignerons la magie divine, celle que les paladins et les elfes sont les seuls à détenir. 

Le carrosse était prêt et les moines commencèrent à trépigner à l’intérieur, et à parler de leurs doutes sur le futur paladin. L’homme borgne les fixa furieusement de son unique œil et posa sa main sur l’épaule du garçon.

_ Vas y mon gars, je crois qu’ils s’impatientent. Mais surtout n’oublie jamais, même s’ils t’inculquent des idées humanistes à travers la voie du sang, elle est toujours malsaine. Et les ténèbres les plus sombres et les plus terrifiantes sont cachées dans le cœur des hommes. 

Ainsi, Galro parti vers l’église où il apprendra un tout autre art que celui du combat. Il reçu en cadeau un glaive de la part de son maître qu’il regardait comme une femme admire ses bijoux. Elle était certes plus lourde  et plus longue que celles de son entraînement, mais elle était magnifique. Son pommeau était incrusté de pierres précieuses et des anges y étaient gravés. Le manche était couvert de cuir noir et de fils tressés. Il entendit une voix désagréable et peu chaleureuse en face de lui.

_Ce Tilbar n’est qu’une brute ! Il a déjà blessé son élève en moins d’une semaine ! Regardez cette balafre ! Si jamais il devait se confesser pour avoir osé porter la main sur un futur paladin, je lui accorderais le pardon seulement s' il marchait sur des lames ardentes!

Le prêtre qui se tenait face à lui était couvert d’une capuche, qui lui plongeait le visage dans l’obscurité. Mais il arrivait à deviner une grimace de mécontentement sur ses lèvres. Lui-même n’était pas ravi de porter cette cicatrice, mais il acceptait son existence. Après tout, c’était le prix à payer pour obtenir la vengeance. Au travers de ce visage caché, il s’imagina la figure que pouvait porter le meurtrier de son paternel. Une face sombre et sinistre, les yeux révulsés de sang, le regard rempli de folie et de colère. Il avait envie de le prendre et de le trancher en milliers de petits morceaux. Mais malheureusement, ce n’était pas son ennemi juré qui se tenait avec lui, mais un pauvre prêtre innocent qui astiquait son perchoir du phénix entre ses doigts. Le bijoux était en or, le côté droit représentait le paradis, le gauche les flammes du Phénix, Galro l‘avait appris de son père. À sa droite se tenait les lettres représentant le pardon et le paradis, et à sa gauche la condamnation  dans les flammes éternelles du courroux du Phénix. Et au bas du Perchoir, il était inscrit les mots « Jardin éternel » qui était réservé aux enfants morts avant leur baptême. 

_ Qu’il brûle dans le feu de la colère du grand Phénix ! Fit le prêtre.

Un autre qui était assis à côté fit le signe de la Trinité, un geste en bas pour la Sainte Pierre, un geste à gauche pour le Grand Phénix et un dernier à droite pour le Seigneur.

_ Chère ami, puis je vous rappeler que l’une des Lois est de ne souhaiter aucun mal à son prochain, peu importe ses péchés. Seul le Grand Phénix à le droit de faire souffrir les serviteurs de Dieu, car c’est son rôle à lui seul.

 Le premier des prêtres rangea son phénix dans son manteau et répondit:

_ Mais regardez ce que ce barbare a fait à ce jeune homme. C’est inhumain !

_ Mais juste !

Les regards revinrent sur le garçon. Galro était peut être couvert de bleu, de plaies et d’égratignures, mais il avait compris que c’était une nécessité. 


Une fois arrivé à destination, il fut emmené au monastère, qui de l’extérieur était magnifique, couvert de gravures et de représentations angéliques, mais l’intérieur était sombre et sinistre. Il y avait des tableaux du Grand Voyage, le jour où le message fut porté au quatre coins de l’Etale par Isalnor*. Mais à part ces peintures, le temple était triste à mourir. Il y avait seulement une estrade de trois rangées de bougies pour éclairer. Il n'y avait ni vitraux, ni ouverture extérieur. L’air était glacial, rappelant le vent du nord qui souffle au travers du Mont Léondia. Un prêtre équipé d’un torche mena le groupe jusqu’à la bibliothèque. Un moine de l’abbaye apporta une pile de livres et la déposa sur un bureau qui fut le délice pour de nombreuses termites. Le curé du carrosse s’assit en face de la table et ordonna à son élève de s’asseoir. Celui-ci s’exécuta et prit la plume et l’encre. 

_ Première leçon, nous apprendrons les lettres et les mots de notre langue.

La froideur avec laquelle cette phrase fut prononcée ne fit que refroidir l’atmosphère ambiante. Le clerc lui ouvrit le livre à la page correspondante et ils commencèrent la leçon.

_ Pour commencer, cette lettre est le « Ra ». Répète le et écris-le dans ce cahier !

Il lui désigna un autre ouvrage dont les pages étaient encore vierges.

_ Écris !

La leçon de Tilbar lui revint en tête, dépasser son maître, et écrit la lettre de sa plus belle écriture. Ensuite ils passèrent au « Ro », après à « Ri », « Ren », ainsi de suite. Les cours étaient ennuyeux et le cadre démotivant. Ce qu’il était en train d’apprendre aurait fasciné n’importe quelle personne du peuple, mais son maître le privait de toute la beauté du savoir. Ce que voulait Galro, c’était cette adrénaline qu’il ressentait avec le capitaine Tilbar. La peur et la passion éprouvée dans l’affrontement, un mélange de besoin de fuir et de tenir ses positions en même temps. Hors, il était assis, coincé entre quatre murs de pierres froides, en train d’écrire bêtement des lettres et des syllabes sans y voir la moindre utilité. Et ses cours étaient interminables, comme si le temps, lui-même ennuyé, tournait au ralenti. Sa seule pause était l’heure de la prière. Ils étaient à genoux, face à une statue du Seigneur, tenant dans sa main droite le monde et dans l’autre l’épée du courroux. D’après une prophétie, si les ténèbres finissaient par envahir le monde, Dieu considérera sa création comme irrécupérable et l’anéantira. Sur la gauche du Souverain, le Grand Phénix regardait les fidèles du haut de son Perchoir. Ils chantaient en chœur en ancien Etalen, ne comprenant leurs paroles, mais fervemment comme si c’était un message de bonheur et de paix. Quand le grand clerc monta en haut de son estrade, il citait pieusement les paroles d’Isalnor et les Lois. Il proférait des menaces du haut de son siège envers les infidèles et les mauvais croyants, les démons et les anges déchus, les hommes et les femmes, les vieux et les jeunes. Ces discours grandiloquents et longs de plusieurs heures étaient tout de fois plus passionnés que la voix glaciale de son professeur. Après une longue communion, chacun reprenait son travail et ses occupations. Le principe de s’enfermer dans les ténèbres pour mieux écouter la voix de la lumière était un concept difficile à comprendre pour le jeune homme. Mais il ne découragea pas, et continua ses études fervemment. D’ici plusieurs années, il serait un paladin et pourrait traquer le démon qui lui hante ses souvenirs. Lors de son sommeil, ce même démon lui apparaissait. Debout, tenant un énorme cimeterre, les cheveux se confondant avec la neige, sa peau noire démoniaque recouverte de glyphes ardents, son regard fou orné d’yeux rouges remplis de flammes. Pourquoi le narguait t-il ? Est-ce que son père ne lui avait pas suffit ? Seul le sang du monstre pouvait lui donner la réponse. 

Ses cauchemars lui troublaient ses nuits, l’empêchant d’avoir toute sa tête lors de ses cours. Les jours devenaient des copies de copies d’autres copies toujours aussi mornes et sinistres. Mais heureusement, la fin de la semaine le sauva et le ramena auprès de Tilbar. Pendant ses entraînements à la caserne, son capitaine lui enseigna de nouveaux mouvements et comment perfectionner son positionnement. Un jour, ils commencèrent même à se battre en duel, chacun tenant sa lame et mettant en pratique les mouvements enseignés lors des semaines précédentes. Tilbar le gagnait toujours avec aisance, mais il le rassurait assez souvent pour le maintenir sur la voie de la réussite.

_ N’oublie jamais, ce sont souvent les mouvements les plus simples qui te sauveront la vie.  

Mais malheureusement pour Galro, le clerc n’était pas aussi juste que son maître d’arme et lui avait donné des travaux interminables pendant sa semaine au camp des phalanges. Si son capitaine était une brute, cela ne l’empêchait pas d’être humain envers lui, mais ce curé était dénaturé, privé de toute émotion, l’âme vide. Quand il tenait son épée, une chaleur remplissait son cœur à chaque impact répété. Tilbar avait envie de lui enseigner son savoir, de le voir dépasser un jour, ce qui ne semblait pas être la préoccupation principale du religieux. Quand il partait à l’abbaye, son cœur était souillé par le désespoir et l'ennui, et sa peau pâlissait au fil des jours, tout comme le monde extérieur par la neige. Mais quand il revenait à la caserne, son cœur était rempli de joie. Deux ans s’écoulèrent ainsi avant qu’un homme l'interrompt dans un de ses devoirs.

_ Messire Galro, votre carrosse vous attend. 



Graïnbar : alcool nain fabriqué à l’aide d’un champignon nommé le Goutran. Ce champignon ne pousse que dans les cavernes humides dont les températures avoisinent la dizaine ou la vingtaine de degrés, donc fréquent dans les mines naines. Bien que comestible, ce champignon n’est pas réputé pour son omelette. Mais si il est conservé dans une eau chauffée pendant trente-cinq heures, il libère des spores qui fermentent et produisent de l’alcool.


Isalnor: Le fondateur de l’Ordre de la pierre sacrée. Il a porté le message divin à travers l’Etale et écrit les Lois.


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