Le domaine de Leandr
Les murs imposants de Brakziuq se dressaient devant eux, défiant l'armée de Troëna de leurs pierres millénaires. Aiyanna, debout aux côtés d'Eyota et Nayati, contemplait la capitale de Veldoria avec un mélange d'appréhension et de détermination. Le siège qui s'annonçait promettait d'être le point culminant de cette guerre sanglante, l'ultime épreuve qui déciderait du sort des deux royaumes.
"C'est donc ça, Brakziuq," murmura Eyota, ses yeux ambrés scrutant les défenses de la cité. "On dirait que les légendes ne mentaient pas sur son imprenabilité."
Nayati hocha gravement la tête. "Mais nous n'avons pas le choix. C'est ici que tout se joue."
Aiyanna resta silencieuse, son médaillon pulsant doucement contre sa peau comme pour l'avertir des dangers à venir. Les semaines de combats avaient laissé leur marque sur le trio. Leurs visages, autrefois empreints de jeunesse et d'innocence, portaient désormais les stigmates de la guerre : des yeux hantés par les horreurs vécues, des traits durcis par la nécessité de survivre.
Le capitaine Darius, leur commandant, s'approcha d'eux. Son visage buriné trahissait la fatigue, mais ses yeux brillaient d'une détermination farouche.
"Vous trois," dit-il, sa voix rauque de tant d'ordres hurlés sur les champs de bataille, "j'ai une mission spéciale pour vous. Nous avons repéré une faiblesse dans les défenses du côté est de la ville. Un petit groupe pourrait s'y infiltrer et ouvrir les portes de l'intérieur."
Aiyanna sentit son cœur s'accélérer. Une mission d'infiltration. Dangereuse, certes, mais qui pourrait mettre fin à ce siège avant qu'il ne devienne un bain de sang.
"Nous sommes prêts, Capitaine," répondit-elle, sa voix plus assurée qu'elle ne l'aurait cru.
Darius hocha la tête, un éclair de fierté traversant son regard. "Bien. Vous partirez à la tombée de la nuit. Que les dieux vous protègent."
Alors que le soleil descendait lentement vers l'horizon, teignant le ciel de pourpre et d'or, les trois compagnons se préparèrent en silence. Chacun était plongé dans ses pensées, conscient que cette nuit pourrait être leur dernière.
Eyota vérifia une dernière fois son équipement, ses gestes précis trahissant sa nervosité. "Vous vous souvenez de notre première bataille ?" demanda-t-elle soudain, brisant le silence pesant.
Nayati esquissa un sourire triste. "Comment l'oublier ? Nous étions si naïfs, si sûrs de nous."
"Et regarde-nous maintenant," murmura Aiyanna, son regard perdu dans le lointain. "Parfois, je me demande si nous nous battons vraiment pour la bonne cause."
Ses mots restèrent suspendus dans l'air, lourds de doutes et de questions sans réponses. Le médaillon d'Aiyanna sembla chauffer contre sa peau, comme pour lui rappeler que des forces plus grandes qu'eux étaient à l'œuvre.
La nuit tomba, enveloppant le monde dans son manteau d'obscurité. Silencieux comme des ombres, Aiyanna, Eyota et Nayati se glissèrent hors du camp, se dirigeant vers les murs est de Brakziuq. Le cœur battant, ils se faufilèrent entre les patrouilles ennemies, leur progression lente mais constante.
Soudain, alors qu'ils approchaient de leur objectif, une alarme retentit. Des cris s'élevèrent, suivis du bruit caractéristique des armes qu'on dégaine.
"Nous avons été repérés !" siffla Eyota, ses muscles se tendant, prêts au combat.
"On fonce !" ordonna Aiyanna, son instinct prenant le dessus.
Ils s'élancèrent vers les murs, abandonnant toute tentative de discrétion. Des flèches sifflèrent autour d'eux, certaines frôlant leurs têtes de trop près. Nayati activa son Prana d'observation, ses yeux brillant d'une lueur surnaturelle alors qu'il anticipait chaque projectile.
"À gauche, Aiyanna !" cria-t-il, permettant à son amie d'esquiver une flèche mortelle.
Eyota, quant à elle, laissa exploser son Prana de renforcement. Avec une force surhumaine, elle saisit une lourde poutre abandonnée et la projeta vers les archers sur les remparts, les forçant à se mettre à couvert.
Alors que le groupe était de plus en plus acculé, Aiyanna sentit à nouveau cette énergie unique, qui semblait transcender les limites connues. Alors qu'ils atteignaient enfin le pied du mur, elle posa ses mains contre la pierre froide et ferma les yeux, se concentrant intensément.
"Couvrez-moi !" cria-t-elle à ses compagnons.
Eyota et Nayati se placèrent de part et d'autre d'elle, repoussant les défenseurs qui tentaient de les atteindre. Aiyanna, quant à elle, laissait cette énergie ancienne monter en elle, guidée par son médaillon qui brillait désormais d'une lueur aveuglante.
Sous ses paumes, la pierre commença à se fissurer, des craquèlements de plus en plus prononcés se faisant entendre. Soudain, dans un grondement assourdissant, une section entière du mur s'effondra, créant une brèche béante dans les défenses de Brakziuq.
"Par tous les dieux," souffla Eyota, ses yeux écarquillés de stupeur.
Nayati, bien que tout aussi choqué, reprit rapidement ses esprits. "L'armée ! Il faut prévenir l'armée !"
Comme en réponse à ses paroles, un cor de guerre retentit au loin. L'armée de Troëna, voyant la brèche, lança l'assaut. Des milliers de soldats se ruèrent vers l'ouverture, leurs cris de guerre déchirant la nuit.
Aiyanna, épuisée par l'effort, sentit ses jambes céder sous elle. Nayati la rattrapa juste à temps, la soutenant alors qu'ils s'engouffraient dans la ville.
Les rues de Brakziuq devinrent rapidement un champ de bataille chaotique. Les défenseurs, pris par surprise, tentaient désespérément de repousser l'invasion. Mais la détermination des troupes de Troëna, galvanisées par cette percée inattendue, était implacable.
Au cœur de la mêlée, Aiyanna, Eyota et Nayati se battaient côte à côte, leurs mouvements parfaitement synchronisés après des mois de combats partagés. Eyota balayait des groupes entiers d'ennemis d'un seul coup, sa force démultipliée par son Prana. Nayati, anticipant chaque attaque, guidait ses compagnons à travers le chaos, évitant les pièges et les embuscades.
Aiyanna, quant à elle, modulait son utilisation du Prana selon la situation. Anticipant les attaques ennemies grâce au Prana d’observation, elle parait d’un bouclier d’énergie puis frappait avec une force surhumaine à l’aide du renforcement et de la matérialisation. Ses cheveux noirs flottant dans l’air, elle semblait telle un ange de la mort dans les ruelles de la cité. C'était enivrant et terrifiant à la fois.
Alors qu'ils progressaient vers le cœur de la cité, Aiyanna ne put s'empêcher de remarquer la terreur dans les yeux des habitants. Des civils, pris au piège de cette guerre qui les dépassait, fuyaient devant l'avancée des troupes de Troëna. Des familles séparées, des enfants en pleurs, des vies brisées... La réalité crue de la conquête s'imposa à elle, faisant naître un profond malaise.
"Est-ce vraiment ce pour quoi nous nous battons ?" murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour ses compagnons.
Nayati, percevant son trouble, posa une main sur son épaule. "Nous sommes soldats, Aiyanna. Nous suivons les ordres."
"Mais à quel prix ?" rétorqua-t-elle, ses yeux embués de larmes contenues.
Leur discussion fut interrompue par un cri de victoire retentissant. Au sommet de la citadelle centrale, le drapeau de Veldoria venait d'être abaissé, remplacé par les couleurs de Troëna.
"C'est fini," souffla Eyota, un mélange de soulagement et d'incrédulité dans la voix. "Nous avons gagné."
Les heures qui suivirent passèrent dans un brouillard pour Aiyanna. La ville fut sécurisée, les dernières poches de résistance écrasées. Le roi de Veldoria, capturé dans ses appartements, fut traîné devant le capitaine Darius.
C'est alors qu'un messager, le visage exalté, fendit la foule des soldats.
"Nouvelle d'Azuria !" cria-t-il. "Le royaume est tombé ! La commandante Lyra a vaincu leurs plus grands guerriers à elle seule !"
Une clameur de joie s'éleva parmi les troupes de Troëna. La victoire était totale, absolue. Le continent tout entier était désormais sous le contrôle du roi Aldric.
Mais Aiyanna ne partageait pas l'euphorie générale. Son regard était fixé sur le roi déchu de Veldoria, un homme brisé qui contemplait les ruines de son royaume. Dans ses yeux, elle ne voyait que douleur et incompréhension.
Les jours suivants furent consacrés à la consolidation de la conquête. Les trois compagnons étaient célébrés comme des héros pour leur rôle dans la prise de la ville.
Mais le cœur d'Aiyanna n'était pas à la fête. Les questions qui la tourmentaient depuis le début de cette guerre ne cessaient de la hanter. Quel était le véritable but du roi Aldric ? Pourquoi cette quête effrénée de pouvoir ? Et surtout, quel rôle jouait son mystérieux médaillon dans tout cela ?
Une semaine après la chute de Brakziuq, le roi Aldric lui-même fit son entrée dans la cité conquise. Son arrivée fut marquée par des célébrations grandioses, mais aussi par une annonce qui glaça le sang d'Aiyanna.
Sur la place centrale de Brakziuq, devant une foule mêlant vainqueurs euphoriques et vaincus terrifiés, le roi de Troëna proclama sa sentence :
"Pour avoir résisté à la volonté divine de Troëna, pour avoir causé la mort de tant de nos valeureux soldats, le roi de Veldoria est condamné à mort. Son exécution aura lieu demain à l'aube, comme un exemple pour tous ceux qui oseraient encore s'opposer à nous."
Un murmure parcourut la foule. Aiyanna échangea un regard horrifié avec Nayati et Eyota. L'exécution d'un monarque vaincu était un acte sans précédent, une violation de tous les codes d'honneur de la guerre.
Cette nuit-là, incapable de trouver le sommeil, Aiyanna erra dans les rues désertes de Brakziuq. Son médaillon semblait peser une tonne contre sa poitrine, comme pour lui rappeler le poids des responsabilités qui pesaient sur ses épaules.
Elle finit par atteindre les remparts, contemplant la cité endormie sous le clair de lune. C'est là que Nayati la rejoignit, son visage trahissant sa propre inquiétude.
"Tu ne peux pas dormir non plus ?" demanda-t-il doucement.
Aiyanna secoua la tête. "Comment le pourrais-je ? Nayati, tout ceci... Ce n'est pas ce pour quoi nous nous sommes engagés. Ce n'est pas juste."
Nayati soupira profondément. "Je sais. Mais que pouvons-nous faire ? Nous sommes soldats, nous avons juré fidélité au roi."
"Et si le roi avait tort ?" La question d'Aiyanna flotta dans l'air, lourde de implications. "Et si toute cette guerre n'était qu'une quête égoïste de pouvoir ?"
Le silence s'installa entre eux, chacun perdu dans ses réflexions. Finalement, Nayati prit la parole :
"Quoi que tu décides, Aiyanna, sache que je serai toujours à tes côtés. Tout comme Eyota. Nous sommes dans cette histoire ensemble, jusqu'au bout."
Aiyanna sentit une vague de gratitude l'envahir. Malgré toutes les horreurs qu'ils avaient traversées, malgré les doutes et les peurs, elle avait trouvé en Nayati et Eyota une famille, un roc sur lequel s'appuyer.
L'aube les trouva sur la place centrale, mêlés à la foule venue assister à l'exécution. Le roi de Veldoria fut amené, dignité intacte malgré sa défaite. Son regard balaya la foule, s'arrêtant brièvement sur Aiyanna et ses compagnons. Dans ses yeux, elle ne vit ni peur ni colère, seulement une profonde tristesse.
Le roi Aldric s'avança, sa silhouette imposante dominant la scène. Son visage, autrefois empreint de sagesse et de compassion, ne reflétait plus qu'une détermination froide. D'une voix qui porta jusqu'aux confins de la place, il annonça :
"Peuple de Troëna, peuple de Veldoria. Aujourd'hui marque la fin d'une ère et le début d'une nouvelle. La résistance de Veldoria n'a apporté que souffrance et mort. Que cette exécution serve d'exemple à tous ceux qui oseraient encore s'opposer à la volonté divine de Troëna."
Un silence pesant s'abattit sur la foule. Aiyanna sentit son cœur se serrer. Elle jeta un regard à Nayati et Eyota, voyant dans leurs yeux le reflet de son propre malaise. Pourtant, aucun d'eux ne bougea. Ils restèrent immobiles, témoins impuissants de ce qui allait suivre.
Le bourreau s'avança, sa hache luisante sous les premiers rayons du soleil. Le roi de Veldoria s'agenouilla, son dos droit, sa tête haute. Dans un dernier acte de défiance, il leva les yeux vers Aldric et prononça d'une voix claire :
"Vous pouvez prendre ma vie, Aldric, mais vous ne prendrez jamais l'âme de mon peuple. Un jour, vos actions vous rattraperont."
Aldric ne cilla pas. D'un geste de la main, il donna l'ordre. La hache s'abattit dans un sifflement sinistre. Un bruit sourd retentit, suivi d'un halètement collectif de la foule. C'était fait. Le roi de Veldoria n'était plus.
Aiyanna ferma les yeux, incapable de regarder. Elle sentit la main de Nayati se glisser dans la sienne, un geste de réconfort silencieux. De l'autre côté, Eyota resta droite, son visage impassible, mais ses poings serrés trahissaient son trouble.
Alors que la foule commençait à se disperser, certains célébrant, d'autres pleurant en silence, Aiyanna ne put s'empêcher de penser aux paroles du roi déchu. Un jour, les actions d'Aldric le rattraperaient-elles vraiment ? Et si oui, quel rôle joueraient-ils, elle et ses compagnons, dans ce qui allait suivre ?
Le médaillon contre sa poitrine sembla pulser, comme pour lui rappeler que son propre destin était lié de façon mystérieuse à toute cette histoire. Alors qu'elle quittait la place avec Nayati et Eyota, Aiyanna sentit un changement en elle. La guerre était peut-être gagnée, mais quelque chose lui disait que leur véritable combat ne faisait que commencer.
Cette exécution marquait la fin d'une époque, mais aussi le début d'un nouveau chapitre. Un chapitre où les lignes entre le bien et le mal, entre le devoir et la morale, deviendraient de plus en plus floues. Et au milieu de tout cela, Aiyanna et ses compagnons devraient trouver leur propre voie, leur propre vérité.
Alors qu'ils regagnaient leurs quartiers, un silence lourd pesait entre eux. Chacun était plongé dans ses propres réflexions, essayant de donner un sens à ce qu'ils venaient de vivre. Ce n'est que lorsqu'ils furent seuls, à l'abri des regards, qu'Aiyanna osa enfin exprimer ce qu'ils pensaient tous :
"Ce n'est pas pour ça que nous nous sommes battus. Ce n'est pas... juste."
Nayati hocha gravement la tête. "Non, ça ne l'est pas. Mais que pouvons-nous faire ?"
Eyota, qui était restée silencieuse jusque-là, prit la parole : "Peut-être que la vraie question est : que devons-nous faire ? Nous ne pouvons pas ignorer ce qui vient de se passer."
Leurs regards se croisèrent, chargés de doutes, de peur, mais aussi d'une détermination naissante. Ils ne le savaient pas encore, mais cette conversation marquerait le début d'un chemin qui les mènerait bien au-delà de tout ce qu'ils avaient pu imaginer. Un chemin où leur loyauté, leurs convictions et leur amitié seraient mises à l'épreuve comme jamais auparavant.