Le domaine de Leandr
L'aube se levait sur les plaines de Veldoria, teintant le ciel d'un rouge sang qui présageait la journée sanglante à venir. Aiyanna, le cœur battant la chamade, se tenait aux côtés d'Eyota et Nayati, leurs silhouettes se découpant dans la lueur naissante du jour. Le silence pesant qui précédait la bataille était ponctué par le cliquetis des armures et le souffle nerveux des soldats.
"Ça y est," murmura Eyota, ses yeux ambrés scrutant l'horizon. "Notre première vraie bataille."
Aiyanna acquiesça silencieusement, son médaillon pulsant contre sa peau comme pour l'avertir du danger imminent. Elle jeta un coup d'œil à Nayati, dont le visage habituellement doux était marqué par une détermination farouche.
Soudain, le cor de guerre retentit, brisant le silence de l'aube. Le rugissement collectif des soldats de Troëna s'éleva, et comme une vague déferlante, l'armée s'élança vers les lignes ennemies.
Le choc des deux armées fut brutal. L'air s'emplit du fracas des armes, des cris de guerre et des hurlements de douleur. Aiyanna, propulsée au cœur de la mêlée, sentit son entraînement prendre le dessus. Ses mouvements devinrent fluides, son corps réagissant instinctivement aux attaques ennemies.
Elle vit du coin de l'œil Eyota, son visage maculé de sang et de poussière, repousser deux soldats de Veldoria avec une force surhumaine. Le Prana de renforcement d'Eyota brillait autour d'elle, transformant chacun de ses coups en une frappe dévastatrice.
Non loin, Nayati se mouvait avec une grâce létale. Ses yeux verts, habituellement si doux, brillaient d'une lueur intense alors que son Prana d'observation lui permettait d'anticiper chaque mouvement ennemi, esquivant les attaques comme s'il dansait au milieu du chaos.
Aiyanna, quant à elle, sentait une énergie nouvelle couler dans ses veines. Son Prana, unique et versatile, semblait s'adapter à chaque situation. Un instant, elle renforçait ses membres pour repousser un assaillant, l'instant d'après, elle matérialisait une lame d'énergie pour parer un coup mortel.
Mais malgré leur talent et leur entraînement, rien n'aurait pu les préparer à l'horreur de la guerre.
Un cri déchirant attira l'attention d'Aiyanna. Elle se retourna pour voir Liam, un jeune recrue avec qui elle avait partagé de nombreux repas à la caserne, s'effondrer, une lance transperçant sa poitrine. Ses yeux, écarquillés de surprise et de douleur, croisèrent ceux d'Aiyanna avant de se voiler à jamais.
Le temps sembla s'arrêter. Aiyanna sentit une vague de nausée l'envahir alors que la réalité de la situation la frappait de plein fouet. Ce n'était pas un entraînement. C'était la guerre, dans toute sa brutalité et son absurdité.
"Aiyanna, attention !" Le cri de Nayati la ramena brutalement à la réalité. Elle esquiva de justesse la lame qui sifflait vers sa gorge, ripostant par réflexe. Son attaquant s'effondra, et Aiyanna se retrouva à fixer ses mains tremblantes, couvertes du sang d'un homme dont elle ne connaîtrait jamais le nom.
La bataille faisait rage autour d'elle, implacable et impitoyable. Des visages familiers disparaissaient dans la mêlée, engloutis par le chaos. Chaque perte était comme un coup de poignard, rappelant cruellement à Aiyanna que chaque vie fauchée était celle d'un camarade, d'un ami, d'un être humain avec ses espoirs et ses rêves.
Les heures s'écoulèrent dans un brouillard de violence et de désespoir. Lorsque enfin les cors sonnèrent la retraite, Aiyanna se tenait au milieu d'un champ de bataille jonché de corps, l'odeur métallique du sang imprégnant l'air.
"On a... on a gagné," murmura Eyota, sa voix habituellement assurée tremblant légèrement. Son visage, marqué par l'épuisement et l'horreur, reflétait les sentiments qui tourmentaient Aiyanna.
Nayati s'approcha d'elles, boitant légèrement. "Victoire," dit-il amèrement. "Oui, mais à quel prix ?"
Alors qu'ils regagnaient le camp, le silence qui régnait entre eux était lourd de non-dits. Les cris de joie et les célébrations des autres soldats semblaient obscènes face à l'horreur qu'ils venaient de vivre.
Cette nuit-là, alors que le camp s'endormait peu à peu, Aiyanna se faufila hors de sa tente, incapable de trouver le sommeil. Les images de la bataille ne cessaient de défiler devant ses yeux, accompagnées des cris et des odeurs qui semblaient s'être imprimés dans sa mémoire.
Elle trouva refuge près d'un petit ruisseau, à l'écart du camp. Assise sur un rocher, elle fixait l'eau qui courait, cherchant un sens à tout ce qu'elle avait vécu. Son médaillon pulsait doucement contre sa peau, comme pour la réconforter.
"Aiyanna ?" La voix douce de Nayati la fit sursauter. Il s'approcha lentement, comme s'il craignait de l'effrayer. "Je... je peux m'asseoir ?"
Elle hocha la tête, reconnaissante de ne pas être seule avec ses pensées. Ils restèrent silencieux un moment, écoutant le murmure de l'eau et les bruits lointains du camp.
"Comment... comment fais-tu pour supporter tout ça ?" demanda finalement Aiyanna, sa voix à peine plus forte qu'un murmure.
Nayati soupira profondément. "Je ne sais pas si je le supporte vraiment," admit-il. "Chaque fois que je ferme les yeux, je revois leurs visages. Ceux que nous avons perdus, ceux que j'ai... que j'ai tués." Sa voix se brisa sur le dernier mot.
Aiyanna sentit les larmes lui monter aux yeux. "Ce n'est pas ce que j'imaginais quand je rêvais de devenir soldate. Je voulais protéger les gens, pas... pas ça."
Nayati se tourna vers elle, ses yeux verts brillant dans la pénombre. "Aiyanna, je... il y a quelque chose que je dois te dire." Il prit une profonde inspiration, comme pour rassembler tout son courage. "Je ne sais pas si nous aurons une autre chance, si demain..."
"Nayati…" l'interrompit doucement Aiyanna, devinant ce qui allait suivre.
Mais il secoua la tête, déterminé à finir. "Je t'aime, Aiyanna. Je t'ai aimée depuis le premier jour où je t'ai vue. Tu es la personne la plus extraordinaire que j'ai jamais rencontrée. Je sais que le moment est mal choisi, mais je ne pouvais pas... je ne pouvais pas risquer de mourir sans te l'avoir dit."
Le silence qui suivit semblait s'étirer à l'infini. Aiyanna sentait son cœur se serrer, partagée entre l'affection qu'elle éprouvait pour Nayati et le tourbillon d'émotions et de doutes qui l'habitait.
"Nayati," dit-elle finalement, sa voix empreinte de tristesse. "Tu es mon meilleur ami. Tu es... tu es tellement important pour moi. Mais je ne peux pas... je ne peux pas te donner ce que tu demandes. Pas maintenant. Pas avec tout ce qui se passe."
Elle vit la douleur traverser le visage de Nayati, rapidement masquée par un sourire triste. "Je comprends," dit-il doucement. "Je ne m'attendais pas... C'était égoïste de ma part de te mettre ce poids sur les épaules en plus de tout le reste."
"Non," protesta Aiyanna, saisissant sa main. "Ce n'était pas égoïste. C'était brave. Je suis désolée de ne pas pouvoir..."
Nayati serra sa main en retour. "Ne t'excuse pas. Ton amitié est plus que suffisante. Je serai toujours là pour toi, Aiyanna. Quoi qu'il arrive."
Ils restèrent ainsi un long moment, main dans la main, trouvant un peu de réconfort dans la présence de l'autre face à l'horreur qui les entourait.
Le lendemain matin, l'armée se remit en marche. Les visages étaient plus sombres, les rires plus rares. La réalité de la guerre avait laissé son empreinte sur chacun d'entre eux.
Alors qu'ils progressaient à travers les terres de Veldoria, Aiyanna ne pouvait s'empêcher de repenser aux paroles du roi Aldric. Tout ceci était il réellement orchestré pour la sécurité de Troëna ? Cette guerre n’a-t-elle pas été déclenché uniquement pour ce Leandr sont elle a entendu parler dans le palais ?
Une semaine passa, ponctuée de nouveaux affrontements, chacun laissant une nouvelle cicatrice sur l'âme d'Aiyanna et de ses compagnons. Mais au milieu de cette tourmente, quelque chose d'étrange se produisit.
Lors d'une escarmouche particulièrement violente, Aiyanna se retrouva acculée, séparée d'Eyota et Nayati. Alors que trois soldats de Veldoria l'encerclaient, elle sentit son médaillon chauffer intensément contre sa peau. Soudain, une vague d'énergie pure jaillit d'elle, repoussant ses assaillants avec une force inouïe.
Aiyanna fixa ses mains, incrédule. Ce n'était pas du Prana, c'était autre chose. Quelque chose de plus ancien, de plus puissant.
"Aiyanna !" Eyota se précipita vers elle, ses yeux écarquillés de surprise. "Comment as-tu fait ça ? C'était... c'était comme de la magie !"
Avant qu'Aiyanna ne puisse répondre, un cri d'alarme retentit. Une nouvelle vague d'ennemis approchait, plus nombreuse que jamais.
"On en reparlera plus tard," lança Nayati, les rejoignant en courant. "Pour l'instant, on doit survivre !"
Alors qu'ils se préparaient à affronter cette nouvelle menace, Aiyanna sentit une détermination nouvelle l'envahir. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, mais elle savait une chose : elle devait rester en vie pour percer ce mystère. Et pour cela, elle devait protéger ses amis, coûte que coûte.
Le rugissement de la bataille s'éleva à nouveau, mais cette fois, Aiyanna était prête. Quoi que lui réserve l'avenir, elle l'affronterait la tête haute, avec Eyota et Nayati à ses côtés. Car au milieu de l'horreur de la guerre, elle avait trouvé quelque chose de précieux : une famille.
Alors que le soleil se couchait sur un nouveau champ de bataille, teintant le ciel du même rouge sang qui avait marqué le début de leur odyssée, Aiyanna sentit que ce n'était que le commencement. Les mystères de son passé, les secrets de son médaillon, et le destin qui l'attendait étaient encore à découvrir. Mais pour la première fois depuis le début de cette guerre insensée, elle sentait qu'elle avait un but, une raison de se battre au-delà des ordres du roi Aldric.
Dans les ténèbres grandissantes, son médaillon brillait d'une lueur douce, promesse d'un pouvoir ancien qui ne demandait qu'à être éveillé. Et tandis qu'Eyota et Nayati se tenaient à ses côtés, leurs visages marqués par la fatigue mais leurs yeux brillant de détermination, Aiyanna sut qu'ensemble, ils pourraient affronter n'importe quel défi.
La guerre continuait, impitoyable et dévastatrice. Mais au cœur de ce chaos, une lueur d'espoir était née. Et cette lueur, aussi fragile soit-elle, pourrait bien être la clé pour changer le destin de tout un royaume.