Le domaine de Leandr

Haletante, Aiyanna était allongée sur le dos, fixant l'arme d'entraînement qui pointait sur son cou. À son manche, tout aussi pantelante, Eyota affichait néanmoins un sourire triomphal. "Ça fait maintenant trente-neuf victoires à trente-sept ! Je prends de l'avance Aiyanna," dit-elle en tendant la main vers son amie pour l'aider à se relever.

Aiyanna saisit la main offerte, un léger sourire aux lèvres malgré sa défaite. "Profite-en tant que ça dure," répliqua-t-elle en se remettant sur ses pieds. "La prochaine fois, c'est moi qui aurait le dessus."

Alors qu'elles quittaient l'aire d'entraînement, Nayati les rejoignit, son expression trahissant une inquiétude qu'il peinait à dissimuler. "Les filles, vous avez entendu la nouvelle ?" murmura-t-il, jetant des regards furtifs autour d'eux pour s'assurer que personne ne les écoutait.

Eyota et Aiyanna échangèrent un regard intrigué. "Quelle nouvelle ?" demanda Eyota, sa voix teintée de curiosité.

Nayati les attira dans un coin isolé de la cour, à l'abri des oreilles indiscrètes. "Le roi Aldric... Il va faire une annonce importante ce soir. Tous les soldats et les recrues sont convoqués dans la grande salle du trône."

Aiyanna sentit son médaillon chauffer contre sa peau, comme s'il réagissait à ces paroles. Elle porta instinctivement la main à sa poitrine, un geste qui n'échappa pas à ses amis.

"Ton médaillon," murmura Eyota, "il réagit encore, n'est-ce pas ?"

Aiyanna hocha la tête, son esprit tournant à toute vitesse. "Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai un mauvais pressentiment. Vous vous souvenez de ce que j'ai entendu au palais ? À propos de Leandr et d'une possible guerre ?"

Nayati acquiesça gravement. "J'ai fait quelques recherches discrètes. Leandr est un ancien domaine magique, censé renfermer des pouvoirs inimaginables. Mais ce n'est qu'une légende... du moins, c'est ce que tout le monde croyait jusqu'à présent."

"Tu penses que le roi pourrait vraiment partir en guerre pour un mythe ?" demanda Eyota, l'incrédulité perçant dans sa voix.

Avant qu'Aiyanna ne puisse répondre, une voix forte résonna dans la cour. "Rassemblement ! Tous les soldats et recrues, en rang devant la grande salle !"

Les trois amis échangèrent un regard lourd de sens avant de se joindre au flot de soldats qui convergeaient vers le palais. L'atmosphère était électrique, chargée d'anticipation et d'une tension palpable.

Alors qu'ils pénétraient dans la grande salle du trône, Aiyanna ne put s'empêcher de remarquer les changements subtils depuis sa dernière visite. Les tentures aux couleurs vives avaient été remplacées par des étoffes plus sombres, dominées par le pourpre royal et l'or. Des cartes étaient étalées sur des tables latérales, parsemées de figurines représentant des armées en mouvement.

Le roi Aldric fit son entrée, et le silence tomba instantanément sur l'assemblée. Aiyanna fut frappée par son apparence : le monarque semblait avoir vieilli de plusieurs années en l'espace de quelques semaines. Ses yeux, cependant, brillaient d'une intensité presque fiévreuse.

Soldats de Troëna," commença-t-il, sa voix résonnant dans la salle, "l'heure est venue pour notre royaume de se dresser et de réclamer sa place légitime parmi les grandes puissances de ce monde. Trop longtemps, nous avons vécu dans l'ombre de nos voisins, subissant leurs menaces et leurs provocations."

Un murmure parcourut l'assemblée, mélange de choc et d'excitation. Aiyanna sentit son médaillon brûler contre sa peau, comme s'il cherchait à la mettre en garde.

"C'est pourquoi," tonna Aldric, "j'annonce officiellement que Troëna entre en guerre contre les royaumes d'Azuria et de Veldoria ! Nous ne nous arrêterons pas tant que le continent tout entier ne sera pas sous notre contrôle, que notre sécurité et notre prospérité ne seront pas assurées !"

La salle explosa en acclamations. Des soldats brandissaient leurs armes, scandant le nom du roi et celui de Troëna. Mais au milieu de cette frénésie, Aiyanna, Eyota et Nayati restèrent figés, échangeant des regards emplis d'horreur.

"C'est de la folie," murmura Nayati, ses yeux verts assombris par l'inquiétude.

Eyota, habituellement si confiante, semblait avoir perdu toute sa superbe. "Une guerre..." ajouta-t-elle simplement.

Aiyanna, elle, ne pouvait détacher son regard du roi. Dans ses yeux, elle ne voyait plus le monarque sage et bienveillant dont on lui avait tant parlé, mais un homme consumé par une obsession dévastatrice.

Le capitaine Darius s'avança, sa voix coupant à travers le tumulte. "Par ordre du roi, la promotion vingt-six sera déployée au niveau de la frontière de Veldoria. Préparez-vous au départ, il s’effectura dans trois jours."

Cette annonce fut accueillie par de nouvelles acclamations, mais pour Aiyanna, c'était comme si le monde s'écroulait autour d'elle. En l'espace d'une soirée, sa vie venait de basculer. Elle qui rêvait de découvrir ses origines et de trouver sa place dans le monde se retrouvait soudain projetée dans une guerre dont elle ne comprenait ni les tenants ni les aboutissants.

Alors que la foule commençait à se disperser, Aiyanna sentit une main se poser sur son épaule. C'était le conseiller aux yeux vifs qu'elle avait rencontré lors de sa précédente visite au palais.

"Les temps sombres arrivent, jeune Aiyanna," murmura-t-il, son regard perçant semblant lire au plus profond de son âme. "Mais n'oubliez pas : dans l'obscurité la plus totale, la plus petite lueur devient un phare d'espoir."

Avant qu'elle ne puisse lui demander ce qu'il voulait dire, le conseiller avait disparu, se fondant dans la masse des courtisans et des soldats.

Les jours qui suivirent furent un tourbillon de préparatifs frénétiques. L'atmosphère dans la caserne était électrique, un mélange d'excitation et d'appréhension. Partout, on ne parlait que de la guerre à venir, des gloires à conquérir et des richesses promises.

Aiyanna, Eyota et Nayati, cependant, restaient en marge de cette effervescence. Ils passaient chaque moment libre ensemble, discutant à voix basse de ce qu'ils avaient vu et entendu, essayant de donner un sens à la folie qui semblait s'être emparée de leur royaume.

La veille du départ, alors que le soleil se couchait sur Agdachi, teintant le ciel de rouge sang, Aiyanna se tenait seule sur les remparts de la caserne, son regard perdu vers l'horizon. Son médaillon pulsait doucement contre sa peau, comme s'il partageait son inquiétude.

"Je savais que je te trouverais ici," dit une voix douce derrière elle. Aiyanna se retourna pour voir Nayati s'approcher, son habituel sourire réconfortant se dessinant sur ses lèvres.

"Comment fais-tu pour rester si calme ?" demanda Aiyanna, la voix tremblante d'émotions contenues.

Nayati vint se placer à côté d'elle, leurs épaules se frôlant. "Je ne le suis pas," admit-il. "J'ai peur, Aiyanna. Peur de ce qui nous attend, peur de ce que cette guerre va faire de nous... de notre royaume."

Aiyanna sentit les larmes lui monter aux yeux. "J'ai l'impression que tout ce en quoi je croyais s'effondre. Je voulais servir Troëna, protéger les innocents. Pas... pas ça."

Nayati prit la main d'Aiyanna dans la sienne, la serrant fort. "Nous sommes ensemble dans cette épreuve. Quoi qu'il arrive, nous nous protégerons mutuellement."

Aiyanna rendit l’étreinte du jeune homme. Il y avait dans les yeux de Nayati cette douceur qui le caractérisait mais aussi autre chose, une légère émotion dont elle ne saisissait pas le sens.

Ils restèrent ainsi un long moment, observant les dernières lueurs du jour s'évanouir. Puis, d'un commun accord, elles se dirigèrent vers les quartiers des recrues, où Eyota les attendait.

La nuit fut courte et agitée. Aiyanna ne cessa de se retourner dans son lit, son esprit assailli par des visions de batailles sanglantes et de cités en flammes. Son médaillon semblait partager son tourment, irradiant une chaleur fluctuante contre sa peau.

À l'aube, le son des trompettes retentit, signalant le rassemblement des troupes. Dans la cour principale, le roi Aldric, monté sur un imposant destrier brun, passait ses armées en revue. Ses yeux brillaient d'une lueur presque surnaturelle, reflétant une détermination qui frisait la folie.

"Soldats de Troëna !" s'exclama-t-il, sa voix portant jusqu'aux confins de la cité. "Aujourd'hui, nous marchons vers notre destin ! Vers la gloire et la prospérité de notre royaume !"

Les acclamations qui suivirent étaient assourdissantes, mais Aiyanna remarqua que certains soldats, plus âgés et expérimentés, gardaient un silence inquiet.

Alors que les portes de la cité s'ouvraient et que l'armée commençait à s'ébranler, Aiyanna jeta un dernier regard en arrière. Agdachi, la cité qui l'avait vue grandir, qui avait été son refuge et sa prison, s'éloignait peu à peu. Elle ne put s'empêcher de se demander si elle la reverrait un jour.

À ses côtés, Eyota et Nayati marchaient en silence, leurs visages reflétant la même détermination mêlée d'appréhension. Ils ne savaient pas ce que l'avenir leur réservait, mais ils étaient certains d'une chose : quoi qu'il arrive, ils l'affronteraient ensemble.

Alors que l'armée de Troëna s'enfonçait dans les terres sauvages qui les séparaient de Veldoria, Aiyanna sentit son médaillon pulser contre sa poitrine. C'était comme s'il cherchait à lui rappeler que, malgré les ténèbres qui semblaient s'abattre sur le monde, une lueur d'espoir subsistait toujours. Et peut-être, songea-t-elle en serrant la main d'Eyota d'un côté et celle de Nayati de l'autre, peut-être que cette lueur, c'était eux.

Le soleil se levait à l'horizon, baignant le paysage d'une lumière dorée. Mais pour Aiyanna et ses compagnons, c'était l'aube d'une ère incertaine, le début d'un voyage qui allait changer leur vie et le destin de tout un royaume. La guerre avait commencé, et avec elle, le véritable test de leur courage, de leur loyauté et de leur humanité.