Contes et Légendes d'Autrefois

Chapitre 2 : Le Nain Bigleux

2034 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 9 mois


C’était au temps où les cités devenaient des royaumes, les chefs des princes et que les hommes ne parlaient qu’une seule langue. A l’est, les cavaliers formaient un peuple épars et désunis, plus soucieux d’élever leurs chevaux que de porter la guerre. A l’ouest, on pouvait joindre à pied la brumeuse Avalon qui ne s'était encore détachée des terres. Au sud, la reine noire de Saba bâtissait des palais d’ivoire tandis qu’au nord, ceux jadis resplendissants de la lointaine Hyperborée sombraient lentement dans la ruine et la décrépitude. 


Sanmuin, le fæ déchu, avait quitté les forêts et le chant de son peuple s’assourdissait lentement dans des oreilles, remplacé par cri de vengeance que réclamait l’injustice. Il marchait, maussade et sans but, sur les rivages tempétueux d’un traître océan. Sa chair, imperceptiblement, flétrissait.Il contemplait approcher l’ombre de sa fin, hanté comme un mortel par la fuite inexorable de ses jours restants. Les fæ ne vivent pas avec un corbeau de Morrighan perché sur leur épaule mais fæ, Sanmuin ne l’était plus. 


Alors qu’il longeait la plage et contemplait le ressac, il entendit un cri et releva la tête : non loin de là, sur un îlot de sable, se tenait un nain paniqué par les vagues qui léchaient ses pieds. 


C’était le nain bigleux. Harassé par une dure journée de labeur sous les feux de sa forge, il était sorti sur la plage profiter du vent frais et s'était assoupi sur le sable humide. Hélas, le nain bigleux ne voyait guère plus loin que soixante-dix pas devant lui et ce faisant, n’avait remarqué que trop tard la marée montante venue l’encercler. 


Son îlot se dressait, éphémère forteresse face aux coups de béliers des vagues qui implacablement, rognaient peu à peu le sable qui la constituaient.  


Sanmuin n’écouta que son courage et plongea dans les flots déchaînés. Emporté par le courant, balloté par le ressac, il lutta et nagea tant bien que mal jusqu’à atteindre le pauvre nain bigleux, à présent noyé jusqu’à la taille. Il le prit sur son dos et repartit en sens inverse, toussant et crachant l’eau qui pénétrait ses narines.


Quand ils atteignirent la berge, tous deux s’effondrèrent en reprenant leur souffle. Ils s’en sortaient, heureusement, avec plus de peur que mal. 



— Merci, voyageur, dit le nain bigleux reconnaissant. Tu m’as sauvé la vie et je te suis redevable. Retournons ensemble à ma caverne où pour te récompenser, tu seras libre de choisir l’objet de ton choix parmi les trésors que je possède. 


L’antre secrète du nain bigleux abritait en effet des richesses indénombrables qu’il dévoila fièrement à son invité : de l’or et des joyaux, des bijoux et des lingots, des armes et des armures. Sanmuin, indécis, soupesa une lance, admira un bouclier. 


— Constitue la panoplie de ton choix, si cela te sied. Toute ces babioles sont tiennes, mais je t'en pris, laisse l’épée que voilà. De tous les biens que je possède, c’est elle la plus terrible et la plus précieuse. 


Le nain bigleux désigna un glaive ancien, dépourvu de fourreau. 


Sanmuin l’observa un instant et l’image des milles autres merveilles s’effaça de son esprit. Car il reconnu Décadence, le glaive qui défait les empires. 


C’était la mythique lame de l’empereur-roi, l’invincible Sharuhgon. Jamais il n’avait connu la défaite et au faît de sa puissance, alors que la terre entière s’inclinait à ses pied, il défia elle-même en combat singulier en quête d’un défi à sa hauteur. Mais Sharuhgon était invincible et dans son orgueil, il ne réalisa qu’au beau milieu de son combat qu’il aimait la guerre, vivait pour verser le sang et ne pouvait se passer du frisson de la bataille. Sa victoire apporterait paix éternelle sur la terre. Mais à jamais regrets dans son cœur. Prisonnier d’un combat qu’il ne pouvait perdre mais ne voulait gagner, l’Invincible délia sa cuirasse et plongea son glaive au creux de sa poitrine. Ainsi Décadence, d’un seul coup de sa lame, réduisit au néant le premier et le plus vaste empire terrestre. 


— Voilà l’arme que je veux, dit Sanmuin en s’emparant du glaive, les yeux plein d’avidité. Voilà la lame qui assouvira ma vengeance. Voilà la rétribution que je réclame, en redevance pour ta vie. 


Le nain bigleux se courrouça : 


—Le don de cette épée ne peut rembourser ma dette, car elle a plus de valeur que ma vie. Cela, je ne peux te l’accorder. Redonne-la moi !  


La fureur s’empara de Sanmuin lorsque le nain bigleux tendit la main pour reprendre Décadence. Il lui rétorqua, plein de hargne : : 


— Puisque tu la veux, la voici ! 


Et d’un geste brusque, il l’abattit de toutes ses forces sur la tête du nain bigleux et lui fendit le crâne jusqu’au nez. 


Sanmuin s’apprêtait à retirer l’épée du corps effondré de sa victime mais celui-ci se redressa et s’échappa en riant.


— Merci de me l’avoir rendu ! Tout le reste est à toi, au revoir ! 


Sur-ce, il s’enfuit si vivement que Sanmuin ébahi n’eut pas le temps de faire le moindre geste pour le rattraper, Décadence encore plantée travers de son crâne, la poignée fichée entre ses deux yeux, au milieu de son nez. 


Pourquoi ce coup redoutable n’avait-il pas tué le nain bigleux, me demanderiez-vous ? Sachez que le nains sont très têtus et qu’il avait seulement décidé, à ce moment-là, qu’il ne voulait point mourir. 


Mais revenons à Sanmuin ; il s'élança à la poursuite du nain bigleux, déterminé à récupérer son dû.  


Lorsqu’il le retrouva, il se reposait à l’ombre d’un rocher, Décadence toujours plantée en travers de son crâne comme la hache d’un bûcheron au travers d’une souche. Le nain bigleux était bigleux et ne voyait pas loin. Sanmuin découpa une branche de noisetier pour s’en faire un bâton et ainsi armé, il pu approcher de sa cible sans se faire remarquer. Mais ne pas voir loin ne signifie point ne pas voir du tout : dès que Sanmuin trouva à moins de soixante-dix pas, le nain bigleux cligna des yeux, l’aperçu et s’enfuit en courant. 


Le nain bigleux était bigleux, mais rapide. Très rapide. 


Sanmuin n’abandonna pas sa poursuite :à quatre reprises, il l’approcha : dans la montagne, il profita et du relief accidenté pour se jeter sur lui par surprise. Il y était presque, mais le nain bigleux se débattit et lui décocha un violent coup de poing qui projeta son adversaire au bas de la vallée, avant de s’enfuir en courant.


Le nain bigleux était bigleux, mais rapide, et fort. Très fort. 


Dans les marais, Sanmuin pensait que sa cible ne pourrait courir sans risquer de s’embourber. Mais il se trompait car dès qu’il approcha d’elle à moins de soixante-dix pas, elle le vit et s’enfuit en sautant comme une grenouille de nénuphare en nénuphare. 


Le nain bigleux était bigleux, mais rapide, et fort, et agile. Très agile. 


Dans la plaine, Sanmuin cotoya les peuples cavaliers et apprit de leurs sages le secret de l’équitation. A présent doté d’une monture vive et endurante, le nain bigleux ne pouvait plus espérer lui échapper. Aussi vite qu’il courrait, le cheval était plus rapide et bientôt, Sanmuin le rattrapa. Il était sur ses talons, leva son bâton pour l'assommer mais vivement, le nain bigleux fit volte et se glissa sous le ventre du cheval, entre ses pattes, pour s’enfuir en sens inverse à travers une taupinière. 


Le nain bigleux était bigleux, mais rapide, et fort, et agile, et petit. Très petit. 


Lorsqu’il retrouva de nouveau sa piste pour une ultime tentative, Sanmuin tailla de petites javelines pour l’abattre de loin. Il veilla à rester hors de son champ de vision, au-delà de la fatidique limite de soixante-dix pas qu’imposait à sa vue ses yeux malades, ainsi que Sanmuin l’avait apprit à ses dépens. Le nain bigleux se reposait à l’ombre d’un arbre et à cette distance, il ne le voyait pas. Sanmuin projeta de toutes ses forces sa javeline de , qui atterrit à quelques pas devant sa cible. Trop court.


Sanmuin s’approcha un peu plus pour le tir suivant. Un peu plus, et un peu trop. Le nain bigleux cligna des yeux, le vit et s’enfuit en courant. Une fois de plus. 


Le fæ déchu, désespéré, se laissa tomber sur le sol. De belles années de son éphémère existence s'étaient envolée dans cette vaine chimère. Il jouait une course contre le temps lui-même et ne pouvait gagner : les puissances invincibles de la vie et de la mort se dressaient sur le chemin de sa rédemption. Il lui fallait la lame qui avait vaincu l’Invincible.



Sanmuin, contempla, pensif, ce que le destin lui avait offert à la place : son cheval qui broutait non loin, un vulgaire bâton de noisetier, ses javelines inutiles, et la petite cordelette dont il se servait comme propulseur pour donner plus de force à son jet. 


De rage et de frustration, il tordit son bâton de noisetier. Mais au lieu de se briser, il l’observa se redresser lorsqu’il le lâcha.


 Pris d’une inspiration soudain, Sanmuin recommença. Cette fois-ci, il joignit chacune des deux extrémités par la corde de son propulseur, maintenue en tension par la traction de la branche en arc de cercle.


La corde un son mélodieux lorsqu’il la pinça entre ses doigts. Quand il tirait dessus, emporté par la souplesse du bâton, elle reprenait sa forme initiale avec force, à grande vitesse. Le moment était venu d’essayer son idée : 


Sanmuin cala sur la corde l’une de ses javeline, dans l’axe du noisetier ployé en arc de cercle, Il tira dessus en arrière et laissa la branche emmagasiner toute la force de son bras. lorsqu’il la relâcha, la corde se tendit d’un seul coup et le projectile vola à travers les cieux. Loin, et vite.


Émerveillé, Sanmuin passa les jours suivants à s'entraîner. Il découvrit que ses traits volaient aussi bien que des oiseaux lorsque, eux aussi, on les dotait de plumes et les raccourcit pour les rendre plus légers. Bientôt, le fæ déchu fut capable d’atteindre à soixante-quinze pas une cible de la taille d’une bûche. 


Le nain bigleux ne vit pas Sanmuin lorsqu’il tira sa flèche, éloigné de cent pas. Il n’eut pas le temps de cligner des yeux que celle-ci que celle-ci lui perça le cœur. Ni même le temps de songer à refuser la mort. Il s’effondra. 


Sanmuin s’approcha de son cadavre et retira Décadence du crâne d’où elle dépassait, au milieu du visage. Il admira la lame un instant et caressa le pommeau. Puis jeta à terre sans plus y prêter attention la lame qui défaisait les empires. Quelle importance ? Avec la nouvelle arme qu’il venait d’inventer, il tenait à présent là de quoi s’en bâtir un.


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