Contes et Légendes d'Autrefois

Chapitre 1 : La Légende de l'Invincible, ou Sahrugon et la Guerre

Chapitre final

2251 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 11 mois


La Légende de l’Invincible

ou

Sahrugon et la Guerre



Histoire originellement écrite en dans le cadre de Danse Avec les Plumes 2023, avec l’assistance de @Anh.




Approchez chevaliers , approchez guerriers

Qui vers mille conquêtes vous dirigez si fiers


Et rayonnant du feu de vos armures dorées.

Sur votre vaine gloire se lève le soleil,


L'œil baissé sur vos peines et vos ailes brûlées

Au service d’un prince et de sa bannière.


Hier vous égorgiez, pour demain trépasser.

Mais seulement aujourd'hui dressez donc l’oreille :


***


Vous vivez pour la mort d’un odieux adversaire

Lors d’incertains périls qui ravissent l'honneur.


Heureux est le vainqueur quand le soleil se couche.

Il se dresse victorieux, couvert d’or et gloire.


Loup armé carnassier, tout maculé de sang.

La fortune l'attend et au perdant : malheur.


Heurterais-je vos consciences ? La vérité vous blesse.

Arrêtez, restez coi. Ecoutez mon histoire :


***


Écoutez donc la fable d'un ancien spadassin,

Sans doute le plus grand qui bataillait comme vous,


Voué à faire la guerre aux confins de la terre,

À amasser conquêtes et à occire autrui.


Ruiné, baigné de sang, mon histoire finit mal.

Ce héro, ce guerrier, il mourra je l'avoue.


Vous suivrez dans mon conte son zénith et sa chute :

Il embrassa la guerre et s’effondra, détruit.


***


Imaginez le temps, bien avant le Déluge,

Reculé et païen, où se dressait Sodome.


Au matin de ce monde, fées, génies et satyres

Dansaient dans les prairies, avant que dans l’étable


A Bethléem, un jour, naisse au creux de la paille

D'une modeste mangeoire, un dieu qui se fit homme,


Ô merveilleux agneau pour les péchés d’Adam,

Sacrifice immolé d’amour incomparable.


***


Invaincu, invincible, notre héro se nomme

Sahrugon le guerrier, de tous le plus vaillant.


L’Enfer engloutissait quiconque l’affrontait.

Et l’épée dans sa main, légère comme la plume,


Humiliait de grand maîtres sitôt qu’il escrimait.

Elle volait, tournoyait, en d'assassins élans,


Langue mordante et vive, la mère de bien des veuves,

Une grise tempête d’évanescente brume.


***


Les ennemis l’encerclaient sans aucune pitié.

Mais leurs épées manquaient chaque fois qu'ils le frappaient.


Périr ? Pas aujourd'hui, Sahrugon survivrait.

Les flèches même en plein vol courbaient leur trajectoire


Ou arrêtaient leur course pour tomber à ses pied,

Épargnant ce titan pour toujours rescapé,


Peinant à se trouver un défi acharné Pour qu'une seule cicatrice n’illustra ses victoires.


***


Il courait à la guerre, d’escarmouches en duels,

De conflits ancestraux en immenses combats,


Bataillant sans répit : des murailles effondrées

De la Ninive en flamme aux forêts cimmériennes,


Il n’y trouvait donc là nul homme à sa mesure.

Armées après armées, toutes furent jetées à bas.


Babylone, Ûr et Tyr, nul ne lui résista, Pour qu’en quelques années, toutes les couronnes furent siennes.


***


Sahrugon-roi siégait assit haut sur son trône,

Souverain absolu, seul maître et sans partage.


A genoux devant lui le monde s'inclinait.

Il régnait sur ses peuples humiliés et soumis.


Mille années d’harmonie Sahrugon promettait.

Ainsi son règne offrait pour l’Homme un nouvel âge.


Agissant dans les ombres ses ennemis attendaient.

La terreur, il savait, n’apportait nul ami.


***


Un jour après sa mort se lèveront pleine de morgue,

Amères et revanchardes, des tombes d’ennemis passés


Ces armées qui demain sonneraient le tocsin

D’une grande révolte pour briser son empire


Irrémédiablement, en morceaux qui jadis

Se dressaient hauts et fiers. Sahrugon ressassait


Ses possibilités. Mais dépourvu d’enfants

Ou de tout héritier, il fallait bien agir.


***


Il chercha un moyen, la meilleure solution

Pour que son héritage à jamais ne perdure.


Dure et longue entreprise à laquelle s'atteler.

Il posa sa couronne, prit son heaume à cimier,


Mit épée à sa taille, enfourcha son cheval.

Et tandis qu’il laçait le cuir de son armure,


Murmura sa prière à la muse guerrière

Qui comblait son destin de haut-faits coutumiers.


***


S’ouvrirent pour lui les portes du jardin de la Dame,

Princesse de la Guerre et Reine des Batailles.


Ayez conscience, chevaliers, ô mon cher auditoire

De l’ébahissement de notre Sahrugon,


Qu’on croyait insensible mais qui parcourut,

Non un grand cimetière de sang et de tripailles,


Peuplé de manticores, envahi de démons,

Infesté des relents de farouches dragons ;


***


Mais les ombrages fleuris de bosquets de pommiers,

De pins majestueux, de cèdres parfumés,


Mêlés de peupliers, de nobles cerisiers

Qui coloraient les berges d’un paisible ruisseau.


Saumons, truites et carpes barbotaient dans les flots, Étincelants poissons aux écailles enflammées.


Mélodieusement gazouillaient les oiseaux

Cachés dans le feuillage d’opulents arbrisseaux.


***


Sorti de rêveries cet endroit paraissait,

Aux reflets de multiples couleurs flamboyantes.


Hanté par un millier de subtiles fragrances

De roses délicates et de jasmin aussi.


Sidéré, le guerrier arpentait ces allées,

Respirait à plein nez ces douceurs apaisante,


Sentait une brise faible bercer timidement

La chair frissonnante de ses joues endurcies.


***


La Dame de Guerre seule ici l'attendait.

Elle se tenait debout au milieu des lavandes.


Enveloppée de soie drapée sur ses épaules

Elle contemplait de loin venir son invité.


Téméraire et hardi, Sahrugon s’avança,

Tout droit vers cette femme aux doux yeux d’amandes.


Endormie, sa méfiance maintenant s’effaçait

Alors qu'il contemplait la Reine des Épées.


***


Paix : C'était là le mot qui la définissait.

Une sérénité auréolait son être,


Et troublait Sahrugon seulement accoutumé

À invoquer sa rage, fureur et violence,


En ces jours de bataille qui au long de sa vie

Firent de lui sur la Terre un invincible maître.


Mettre un terme à la guerre ? Il pouvait. Il vaincrait.

Mais pourquoi donc sa Dame lui laissait-elle cette chance ?


***


“ Ave, Dame de Guerre, ô puissante déesse,

Maîtresse des Batailles, ô reine des Armes, Larmes, “


Arts Militaires et Meurtres Sanguinaires,

Toi qui nous enseigna l’escrime et le pillage.


A genoux je m’incline devant tant de puissance,

Un humble admirateur éblouie par tes charmes.


Armé de mon courage, j’affronte ton regard.

Dame de Guerre, je t’offre mes hommages.


***


J’admire ton royaume de fleurs et de verdure,

Un havre d’harmonie et de sérénité.


Tes jardins enchantés invite à la quiétude

De douces flâneries à l’ombre des lilas.


La mort et le chaos dont tu es l’avatar

Ne me paraissent pas ici se refléter.


Terrifiant, je me le figurais : De rouge, de noir

Et quelques suppliciés, pendus ici et là. “


***


“ L’art mystique de la guerre, “ lui avoua la Dame,

Préserve pour le vainqueur tout ce qui lui est cher :


Cherche le sang, les cendres, ou bien les suppliciés :

C’est chez mes ennemis que tu les trouveras.


Rappelle-toi, mon héro, de chérir ton foyer.

Et si l’on peut raser un royaume adversaire,


C’est bien réaliser plus magnifique chose

Que d’épargner au sien la rage des scélérats. “


***


Ravalant son sourire, Sarughon se dressa

Et dégaina son glaive d’un geste de défi :


“ Finissons aujourd’hui ton règne tyrannique.

Mon empire plus jamais ne verra tes horreurs.



Heureux les hommes vivront, loin des champs de bataille.

En garde, finissons-en. Tu es à ma merci !


Si invincible pour la guerre je suis né,

Alors chez toi, Guerre, j’apporte le malheur.”


***


Auréolée de lames que mouvaient son esprit,

Le rire s'effaça chez la Dame de Guerre,


Éraillé par l’audace de son fol adversaire.

Sahrugon l’effronté osait, elle, l’affronter.


Terreur échevelée et aux bras innombrables,

De fureur s’allumèrent ses pupilles incendiaires.


Hier, elle massacrait, à cheval elle tuait.

Aujourd’hui elle brava l’homme que ses dons gâtaient.


***


Les épées se choquaient sans que ne s’eût tarit

La sueur des combattants quand l’astre prit repos.


Possédés, ils luttaient. L’esprit gorgé de sang,

Imprégnés par la rage que leur nature dictait.


Terrible ainsi frappait, sanglante Dame de Guerre,

De mille et une épées, de mille et un fléaux.


Obsédé par l'idée d'un empire éternel,

Non moins résolument Sahrugon combattait.


***



Ô mes preux chevaliers peignez vous ce duel :

Lors de ce corps-à-corps sans nul précédent,


Dansait le fer tranchant et chantait l’acier gris

Quand sur les boucliers se fracassaient les lances.


En ce jour fatidique, les Heures même curieuses,

Anxieuses et attentives guettaient un dénouement.


Menant chacun son tour l’autre tour après tour,

Sahrugon et la Guerre redoublaient d’insistance.


***


D’anciens mots de défi jaillissaient de leurs gorges

Quand le fracas des lames résonnait dans la nuit,


Nuisible mélodie envahissant de cris,

L'Eden emplit de chants d’oiseaux auparavant.


Vents du nord et du sud s'égaillèrent au lointain,

Effrayés pour leur vie par ce malheur inouï,


Inhumain cataclysme de haine et de violence,

Assourdissant concert d’airain s’entrechoquant.


***


“ Prend le temps, Sahrugon, d’apprécier le sang

Bouillonnant et furieux qui t’embrume l’esprit.


Rien, rien ne peut égaler l'euphorie d’une bataille, “

Dit la Dame de Guerre à son fier adversaire.


“ Et regarde par-là: mon royaume ravagé,

Mes lauriers froissés et mes roses flétries


Tristement dévastées par ta seule volonté,

Flamme hardie incarnée au fil ta rapière.


***


Sent la sueur sur ton front ; Sent l’acier dans ta main.

Contemple et que la guerre se fige dans ton regard :


Garde-les en mémoire, ces douces sensations.

Si je meurs jamais plus tu ne les connaîtras.


Trahirais-tu le don que je t’ai octroyé ?

Souhaites-tu mon amour ? Viens, il n’est point trop tard.


T’arrêter de combattre n’est point dans ta nature.

Lâches prise, guerrier-né. Prends-moi dans tes bras.


***


La Paix ? Qu’est-ce là donc ? Regarde ma beauté.

Tu vois, tu me connais : je suis meilleure amante.


M’entends tu, dans ton cœur, saluer tes prouesses,

Chanter pour tes victoires, maudire tes ennemis ?


Miroir de ton âme, ainsi pour toi je suis.”

Sahrugon regarda la dame belle et puissante,


Hanté par son visage couronné de fer noir.

Imperceptiblement, l'Invincible frémit.


***


Il frémit à la vue de ses bras innombrables

Qu’ensanglantaient les morts des anciennes batailles,


Taillés d’os et de crânes de héros oubliés

Carillonnait la foudre de ses bracelets.


Les contours délicats de ses courbes divines

Révélaient sous la soie l’ombre de son poitrail,


Rayé des runes saintes de sacrements guerriers ;

Aussi dur que le marbre mais blanc comme le lait.


***


C’était bien là la Guerre, comment donc l’oublier ?

Il la reconnaissait. Et bien sûr qu’il l’aimait,


Même maintenant qu’il venait l’affronter.


Tel était Sahrugon, complètement charmé,


Méprisant de la paix qu’il avait tant souhaité.


***


Il approcha ses lèvres des siennes boursouflés

De chair et d’asticots pour embrasser l’horreur.


Heureux de respirer les râles de milles damnés,

Sahrugon savoura cet écoeurant festin.


Intestins, lèpre et bile se mêlaient sur sa langue.

Il ferma ses paupières, quel putrescent bonheur.


Dans cette bouche de sang aux relents de conquêtes,

Il goûta à l’amour, embrassa son destin.


***


Teintées de noir, de rouge la Guerre montra ses dents,

Crocs pourris promettant une douce volupté,


Tête à tête entêtant suspendu dans le temps ,

Mais si vite envolé : Le duel demeurait,


Réclamant une issue pour sceller sa fortune

Et un odieux dilemme qu’il lui fallait opter :


Terrasser l'ennemie et terminer les guerres.

Mais perdre à tout jamais sa Dame désirée.


***


Sahrugon l’invincible avait conquit le monde.

Son cœur lourd de passion ignorait la défaite.


Et trop gorgé d’amour pour sa Guerre chérie,

Comme il était maudit par elle d’être béni.


Ni vainqueur , ni défait, ne pouvant décider,

Condamné par sa vie de prouesses parfaites,


Éternelles victoires et inconnus revers

Qui le prenaient au piège, d’un seul coup démuni.


***


Sahrugon sanglota car il ne pouvait perdre

La seule de ses batailles qu’il ne voulait gagner.


Nier ses sentiments, étouffer cette angoisse ?

Lutter à tout jamais ? Périr ? Vaincre et souffrir ?


Rire de cette ironie ? Assassiner la Guerre ?

Au silence de la paix enfin se résigner ?


Niaises et vaines chimères, sa Dame existerait,

Tant que vivraient sur Terre des hommes pour la chérir.


***


Sahrugon délia lentement sa cuirasse.

Il ôta sa tunique, dénuda sa poitrine.


Inexorablement, d’un seul geste puissant

Il dressa haut son glaive et se frappa le cœur.


Heurtant le sol humide, l’épée lui échappa,

Juste au pied des chevilles de sa Dame divine.


Inerte et succombant, Sahrugon soupira.

Victorieux de lui-même, s’effaçait sa douleur.


***


Ainsi le voyez-vous, mes vaillants chevaliers,

Mes bien fidèles ouailles à l’oreilles attentives :


Vive est la peine de qui dans sa

folie s'égare

Dans la guerre méprisable et s’en fait une amie.


Mieux vaut de ce fléau à jamais se méfier,

Que cette triste fable à chacun le ravive :


Ivres de haut-faits, elle vous ronge l’esprit.

Votre cœur s’y consume et vous anéantit.


***


Jetez vos épées.


Celui qui gagne, perd :


Car qui veut la paix,


Ne fait point la guerre.


***

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