L'ânesse, le trait et le renard.

Chapitre 4 : Toxique

3213 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/03/2024 19:42

Daniel a donc suivi la jeune femme jusque chez elle. Ils ont pour cela franchit le jardin et bien entendu sous le regard de Matthew. Elle ouvre la porte de derrière qui donne immédiatement dans le salon, l’invite à s’asseoir et se presse dans la cuisine, en angle avec le salon, pour aller chercher une poche de glaçons dans le congélateur. C'est des sacs qu’il faut remplir d’eau, qu’elle enroule dans un essuie, qu’elle vient donner à Daniel qui l’applique délicatement sur son œil. Celui-ci a un beau coquart à l’œil droit, ainsi que l’oreille et le nez qui saigne avec une joue gonflée.

 

— Tu veux un antidouleur ?

— Cela ira, j’ai des vertiges, dit Daniel.

 

Sarah lui sert à un verre d’eau et le lui pose sur la petite table devant lui.

 

— Essaie de ne pas t’endormir, j'appelle l’ambulance, dit la rousse.

— Ne t’en fais pas, j’irai demain si ça ne va pas mieux.

— Je suis désolé, j’aurais dû te le dire qu’il cherche par tous les moyens de me faire quitter l’écurie.

— Il est rancunier à ce point ?

— Ce qu’il veut, c’est surtout s’assurer que personne ne puisse le remplacer. Le fait que tu me parles sans prendre en compte les rumeurs a dû l’agacer, explique Sarah.

— Il n’est plus avec toi, qu’est-ce que ça peut bien lui faire ?

 

Sarah grimace et détourne les yeux, éludant la question.

 

— Et ton copain, il en pense quoi de cette situation ?

— Nous ne sommes plus ensemble.

— Matthew a foutu la merde ?

— Non…

 

Daniel la dévisage tandis qu'elle évite son regard. Elle reste debout à danser sur ses jambes.

 

— Ça va ?

— Je me suis entêtée à tondre les deux parcours, je sens le contrecoup, dit-elle en souriant.

 

À nouveau, le silence se fait, Daniel ressent un certain malaise. Elle se tient le bras, se gratte, replace ses cheveux, regarde partout, mais ne soutient jamais son regard. Elle ne l'a pas fait les jours précédents, peut-être est-ce à cause de ce qui vient de se passer ?

— C'est récent, la tromperie ?

 

Sarah le regarde fixement, son expression douloureuse troublant Daniel.

 

— C’est… compliqué. Nous n’étions plus ensemble, mais il est revenu quand il a su que je parlais avec un autre mec.

— Vous vous êtes remis ensemble ?

— Non, enfin, c’est compliqué, grimace Sarah.

— Si tu l’as trompée, tu l’as trompé, point, dit simplement Daniel.

— Je ne sais pas si je l’ai trompé. Il a accepté la rupture au début, puis quand il a appris que je parlais avec quelqu’un d’autre, il est revenu. J’ai accepté de me remettre en couple avec lui, mais ça n’allait vraiment plus entre nous. J’ai donc voulu arrêter, mais lui ne le voulait pas et comme je ne me suis pas détachée de l’autre personne comme il le voulait, il a considéré que je l’avais trompé.

— Ouais, je vois…

— Ça fait longtemps ta rupture avec Matthew ?

— Ça va bientôt faire un an. Avec l’autre personne, ça n’a tenu que trois mois.

— Pas compatible finalement, dit-il.

— Ouais, on va dire ça ainsi.

 

Daniel la dévisage d’un œil, hésitant à lui en demander davantage. Elle reste évasive dans ses réponses. Il aurait pu penser qu’elle s’en veut de l’avoir trompée et qu’elle n’ose pas l’avouer, du moins, s’il n’avait pas vu le côté manipulateur de Matthew.

 

— Tu es certain de ne rien vouloir pour ta tête ? demande Sarah.

— Ça va, c’est supportable.

— Tu ne veux pas appeler quelqu’un pour venir te chercher ?

— Je vis seul et je n’ai pas envie d’appeler mes parents, ils vont s’inquiéter.

— Le divan est un clic-clac, tu peux passer la nuit ici et demain si cela ne va pas mieux, je t’emmène aux urgences, déclare Sarah.

— Je ne dirais pas non, mais les autres vont forcément le remarquer.

— Je m’en moque, sauf si cela te dérange, toi. Matthew a toujours joué de ses charmes. Pour eux, c'est un mec formidable qui se plie en quatre pour sa copine…

 

Sarah se crispe, remarquant qu'elle se vend, elle s'en va d'un pas précipité vers l'armoire au fond, contre le mur qui lui sert de pharmacie. Daniel l'observe, puis continue :

— Quand pensait ton ex ?

— Il disait de Matthew qu'il était fou, répond Sarah.

 

Elle se penche pour prendre une plaquette d’antidouleur, referme le tiroir et revient vers Daniel. Elle la lui pose devant lui, s’excusant d’aller faire un détour par les toilettes… 

Il la regarde partir vers le fond du salon… C'est lui, ou elle était sur le point de pleurer ? Sa tête lui tourne, il se décide à prendre un cachet. Il ne se sent pas très bien et visiblement Sarah non plus, puisque qu’il l’entend vomir.

Daniel s’écroule au fond du clic-clac, d’un air songeur, alors que son regard se porte sur le reste de la demeure. Fait-il bien de se mêler de son histoire ? Après tout, cela ne le regarde pas. Bien qu’en publiant les photos qui dénoncent sa copine, Matthew le met dans le même sac que Sarah. Sa curiosité de journaliste lui donne tout de même envie d’en savoir plus. Cela va plus loin qu’une simple mésentente après une rupture : ce mec exerce une pression constante sur Sarah. Son attitude est toxique…

 Daniel regarde la porte de la salle de bain, perplexe. Elle en met du temps ? La conversation l’a peut-être mise mal à l’aise. Des histoires de tromperie et de vengeance, il en a déjà entendu plusieurs et même si le coupable pouvait avoir des remords, Sarah agit plutôt comme si elle craignait Matthew. 

Daniel se redresse lentement du divan tout en se tenant la tête :

 

— Sarah, ça va ? demande-t-il assez forte pour qu’elle l’entende, sa propre voix lui cognant dans le crâne.

 

Il voit comme des étoiles part moment, ils visaient son nez et ses yeux, sans doute cherchaient-ils à ce qu’il porte les traces de leurs coups. Ils sont idiots, avec la vidéo de Lucas, la capture qu’il a prise et les témoignages d’Henry, Sarah et Lucas, ils pourraient vraiment les mettre lui et Erica dans la mouise.

Est-ce que Sarah accepterait de lui en dire plus ? À force d’y songer, Daniel se demande même si Matthew n’aurait pas dragué une fille de l’écurie pour pouvoir surveiller Sarah ? Daniel remonte les yeux vers la porte, elle n’a pas répondu… A-t-elle entendu ? Est-ce qu’il se permet d’y aller frapper ? 

Malgré son mal de tête évident et ses vertiges, Daniel se relève et marche jusqu’au fond de la pièce et une fois assez proche que pour entendre les sanglots de la jeune femme. Il se penche contre le bois et frappe doucement en appelant une nouvelle fois la rousse :

 

— Sarah, Lucas l’a filmé, je doute qu’il ose revenir en sachant que je pourrais publier la vidéo sur ma page. S’il veut protéger sa copine, il doit se calmer.

 

Il attend quelques instants alors qu’il l’entend se redresser et marcher jusqu’à la porte. Elle l’ouvre, mais reste derrière, comme prête à la refermer à tout instant. Il l’a entendue, même si elle l’a fait délicatement, tourner la clé dans la serrure. Elle se méfie de lui ? Daniel recule et retourne s’asseoir, accompagné de Sarah qui se place à l’autre extrémité du divan.

 

— Ça n’a pas l’air d’aller mieux, tu es gonflé, je vais te faire une autre pochette de glace !

 

Sarah se relève aussi vite, elle se sent nauséeuse et nerveuse en sa présence, mais c'est elle qui lui a dit de venir et de toute manière. Il ne peut pas repartir dans son état et s'il est seul, le reconduire chez lui, n'est peut-être pas une bonne idée, sans savoir si quelqu'un viendra voir après lui dans la journée. Elle prépare la serviette et revient s'asseoir près du brun, qui la place sur son œil.

 

— Je pense que c’est le choc, ça va passer, ils me feront attendre des heures aux urgences, dit Daniel.

— Je peux appeler mon médecin s’il faut ?

— Ne t’en fais pas. Sarah, ça te dérange de me dire pourquoi tu as rompu avec Matthew ?

 

Elle écarquille les yeux, son teint devenant blanc, puis elle détourne les yeux en prenant quelques couleurs.

 

— C’est un peu gênant… On s’entendait bien, mais il y avait certaines choses qui ne me faisaient pas plaisir. Il jouait beaucoup sur console et je devais éviter de lui parler pour ne pas le déconcentrer.

— Tu faisais quoi toi quand il jouait ?

— Je m’occupais du chien ou de Puce, je m’occupais.

— Il passait du temps avec toi ?

— C’était justement là le problème… Si je lui demandais un peu d’attention, c’était pour m’allonger sur le lit, explique-t-elle, la tête basse.

— Rien d’autre ? Aller au cinéma, regarder un film ou une série ensemble ? Il venait aussi s’occuper de Puce ?

— Cinéma et films, oui. Les animaux, ils aiment bien de loin, ça l’agace plus qu’autre chose.

— Je l’ai vu prendre Erica en photo.

— Il le faisait aussi avec moi, mais il préférait éviter de venir, enfin, je ne lui demandais pas, mais il venait voir quand quelqu’un était là.

— Il est du genre possessif ?

— Il est assez jaloux, même envers les animaux, dit-elle doucement.

— De Puce et de ton chien ?

 

Sarah déglutit et détourne la tête en hochant lentement, elle se sent mal de parler de lui ainsi.

 

— Pourtant, tu n’as pas loin à aller. Il avait besoin de te surveiller, c’était ça le problème ? dit Daniel.

— Sans doute… La première année, cela allait, mais après, il a trouvé un travail. Quand il avait fini ou qu'il ne travaillait pas, il… Enfin, on ne s’entendait plus, on se disputait souvent et j’ai eu du mal à lui faire comprendre que ce n’était plus possible.

 

Daniel fronce les sourcils, elle allait dire autre chose. Il la dévisage, mais elle ne le regarde pas dans les yeux, elle se chipote les doigts, elle tremble comme tout à l’heure et surtout, elle se retient clairement de pleurer.

 

— Et avec ton ex, pourquoi ça a cassé ?

— Heu… J’ai… On n’était pas compatible.

— Pas les mêmes loisirs ?

— Non, c’est… Je… Je n’ai jamais aimé le faire, que ce soit avec Matthew ou Frédéric.

— Tu es asexuel ? demande Daniel, qui se rapproche d'elle dans un bref mouvement, puisqu'elle est plaquée contre l'accoudoir.

— Je ne le sais pas. Nos disputes venaient toujours de ça. Au début, il disait que ce n’était pas important…

— Vous en avez parlé ?

— Oui…

— Et ?

— Le jour même, il s’excusait et lendemain, il me reprochait de ne jamais avoir envie.

— Tu ne venais pas vers lui ?

— Non… Et je n'osais plus être câline avec lui, sinon, il ne se tenait plus.

 

Daniel a les yeux sur Sarah, si elle joue la comédie, elle est vraiment très forte !

 

— Que te reprochait-il ?

— C'est peu délicat d'en parler. Je n'ai jamais trouvé cela plaisant, dit-elle honteuse.

— Je vois… répond-il, son sang ne faisant qu'un tour.

 

Sarah tressaille, son cœur se serrant :

 

— Je l'ai quand même trahi, je l'ai quitté en espérant que cela irait mieux avec quelqu'un d'autre et finalement, ça n'a rien changé. C'est encore pire, dit-elle sur un coup de rage.

— Tu n'as juste pas eu de chance, ne crois pas que tous les hommes soient comme ça. C'était à eux de te comprendre si tu avais un problème.

 

Sarah s’écrase et Daniel racle sa gorge, reculant un peu pour qu’elle se détende.

 

— On ne fait pas toujours comme on le veut. On doit parfois supporter des choses désagréables parce que c’est nécessaire, comme pour le boulot.

— Quand tu as un boulot pesant ou tu ne t’épanouis pas, tu n’es pas heureuse, non plus.

— Pourquoi parler de compromis alors ?

— Un compromis, c'est trouver une solution qui va aux deux, pas juste à un.

 

Sarah baisse la tête et essuie les larmes qui glissent le long de ses joues.

 

— Je vais aller rentrer les cheveux, il ne doit plus y avoir personne.

— Tu veux que je vienne avec toi ?

— Ça va aller, je vais nous commander un truc en rentrant, dit Sarah.

 

Daniel acquiesce, bien qu’il sorte son téléphone pour ce dernier point… Elle l’invite chez elle, il ne manquerait plus que cela, que ce soit elle qui commande.

Sarah a rentré les chevaux, elle croise Henry sur le pas de la porte arrière, le prévenant que Daniel passe la nuit chez elle au cas où il ne se sentirait pas mieux le lendemain. Elle rentre, regarde avec le brun ce qu’il y a dans le coin qui livre et opte pour du chinois et attend que le livreur arrive : c'est-à-dire dans trente minutes.

 

— Daniel, je suppose que tu as fait de la pêche aux infos pour te retourner contre Matthew. Si tu peux éviter de mentionner ce que je t’ai dit, ça m’arrangerait.

 

Daniel dévisage Sarah, il n’en a de toute manière pas le droit, sans son autorisation. Ce n’est pas la première fois qu’une victime de violence conjugale refuse de parler de ce qui lui est arrivé, enfin de manière publique.

 

— Si les autres apprennent la vérité, ils te laisseront tranquille. Les personnes comme Matthew jouent justement sur le fait qu’une victime préfère se taire.

— Cela n’arrangera rien, ce sera ma parole contre la sienne. Il y a beaucoup de monde qui le soutient, contrairement à moi.

— Tu n’as aucune preuve ? Tu es allée voir un gynécologue ?

 

Elle secoue la tête.

 

— Cela ne servirait à rien à part m’exposer aux moqueries des autres. Ils penseront juste que je l’attaque.

 

Daniel expire longuement, Sarah continue de bouger et de se triturer les mains :

 

— Si tu n’es pas à l’aise que je passe la nuit ici, je peux retourner chez moi, dit doucement, Daniel.

— Et si tu fais un malaise ou que tu ne te réveilles pas demain ?

— Je verrai après manger, je me sens déjà plus éveillé.

 

La sonnette retentit et la rousse se lève pour aller ouvrir au livreur et revient avec les plats. Elle prend tout de même des assiettes creuses et des couverts. Ils ont chacun prit un mets différent et d’un geste commun se proposent une portion à l’autre, ce qui les fait sourire. Ils dégustent leurs nouilles sautées, Sarah s’inquiétant tout de même pour Daniel :

 

— Ça va, ce n’est pas lourd pour ton estomac ?

— Non, ça va, les nouilles sautées passent très bien avec moi, plaisante Daniel.

— Je ne saurais pas tout manger, je vais me faire plaisir, demain à midi.

— Je le fais aussi, répond Daniel en avalant sa bouchée : journée chargée demain ?

— Je dois assurer les préparatifs pour la porte ouverte de ce week-end. Tu le savais ?

— Non, je ne l’avais pas vu, vous faites quoi ?

— Le samedi au matin, il y a une balade balisée de quinze kilomètres et l’après-midi, une initiation obstacle. Dimanche matin, initiation au mountain trail et après-midi, initiation au cross et durant les pauses, il y aura des démonstrations de dressage, mais ça, c'est juste nous.

— Il va y avoir des cavaliers externes alors ?

— Oui, certains arrivent le jour même en van. Demain, je vais chercher deux chevaux qui resteront ici jusqu’à lundi. Et j'irai chercher une mule vendredi qui repart aussi lundi, sourit Sarah.

— Il va y avoir une mule ? Excellent !

— C’est une poitevine en plus, répond la rousse.

— Tu fais tout toute seule ?

— Oui, ce n’est pas bien compliqué, sourit-elle.

— En fait, c’est presque comme si c’était ton écurie ?

— Henry m’a déjà proposé plusieurs fois de reprendre le flambeau, mais je sais que Matthew a toujours dit que je n'y arriverais pas.

— Qu’est-ce qu’il avait pour lui, ce mec ?

— Il était gentil…

 

Daniel souffle tout en grimaçant, il aide Sarah à débarrasser la table. Ses vertiges ne sont pas passés, ni son mal de tête.

 

— Ça ne va pas mieux ?

— Pas vraiment, répond-il.

— J'appelle un médecin de garde…

 

Daniel lui fait non de la tête, mais trop tard, elle a appelé le numéro, pour que l’homme lui dise de prendre des antidouleurs et d’aller aux urgences, le lendemain, s’il se sent toujours nauséeux. En soi, ils ne sont pas plus avancés.

 

— Je vais te chercher un oreiller et une couverture, réplique Sarah.

 

Elle disparaît dans une pièce, Daniel suppose sa chambre. Elle revient avec coussin et couverture, ouvre le clic-clac et l’installe pour la nuit, allant jusqu’à le recouvrir, ce qui fait rigoler le brun :

 

— La dernière fois que j’ai été dorloté de la sorte, c’était par ma mère, plaisante-t-il.

— Je me sens vieillir tout à coup ! Excuse-moi, je le fais sans réfléchir en plus, répond Sarah.

 

Elle rejoint la porte de sa chambre, souhaite une bonne nuit à Daniel, éteint et encore une fois, même si elle l’a fait en douceur, l’entend fermer à clé. Daniel n’y prête pas plus attention, cela n’a rien d’étonnant. Elle est même peut-être un peu trop gentille… Serviable ? Il n’a pas l’impression que ses gestes soient calculés et sa tête lui tourne de trop que pour y songer de toute façon.

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