L'ânesse, le trait et le renard.

Chapitre 2 : La palefrenière

2772 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/03/2024 13:19

La route l’a visiblement cassé, il est resté tard au lit pour une fois. Après avoir englouti son repas, il saisit son matériel de photographie et monte dans sa voiture pour rejoindre l’écurie.

Il y a un tableau avec les horaires de cours, Sarah le lui a montré hier, il sait donc que quelques cavaliers s’entrainent aujourd’hui. Ils sont à l’extérieur, Erica et Elisa qu’il reconnaît et une personne dans la piste à côté. Il remarque aussi Matthew assis sur une chaise tandis qu’il s’approche de la piste.

 

— Cela vous dérange si je vous prends en photo ? demande-t-il.

— Oh non, absolument pas, réplique Erica.

— Tu es photographe ? demande Elisa.

— Ça tombe bien, tu as les meilleurs modèles du monde, intervient Matthew, son téléphone en main, à prendre sa copine en photo.

— Tu as un réseau pour les voir ? demande Lucas, un cavalier que Daniel n’avait pas encore vu et qui arrive vers eux.

— J’ai une page facebook.

 

Lucas est un cavalier de vingt-trois, chevelure brune cachée par sa bombe, de taille moyenne, athlétique et monté sur Guapo, un Hanovrien de robe baie. Elisa possède une jument de selle française à la robe grise, répondant au nom de Miss, Erica est sur Jupiter, un hongre alezan KWPN et la personne dans l’autre piste est sur un andalou bai en pleine séance de dressage.

Il se dirige en premier vers la personne lui montrant l’appareille photo, celui-ci lui souriant en acquiesçant d’un mouvement de tête. La cavalière se lance alors dans différente figure, ce qui fait sourire l’homme. L’échauffement est fait de l’autre côté, il entend les premiers sauts qu’effectuent les chevaux. Il délaisse la cavalière de dressage pour se placer face à l’obstacle que Lucas va aborder et mitraille.

Il sent un regard sur lui et tourne légèrement la tête alors qu’il remarque que Matthew est venu se poser près de lui :

 

— Tu demandes combien pour les photos ?

— Je le fais pour moi-même ici, vous pouviez enregistrer celle que vous aimez.

— Celle d’Erica, ne les affiche pas sur ton mur, je te les achète, réplique le brun.

 

Daniel se tourne sur lui tout en levant un sourcil :

 

— Tu veux que je fasse un shooting ?

— Ouais, mais tu ne gardes aucune photo d’elle pour ton profit personnel. Donne-moi ton prix, je lui offrirais.

 

Daniel sort une carte de sa poche et la lui tend, sa page ainsi que ses prix et son téléphone y sont affichés.

 

— Tu peux en faire cent, elle sera ravie, répond Matthew tout en lui faisant une tape sur le dos.

 

Daniel le regard puis reprend là où il en était… Monsieur serait-il un poil possessif ? Enfin, il continue de mitrailler tout en changeant de place en fonction des obstacles abordés par les cavaliers.

Guapo enchaine son parcours, Miss le suit avec la même aisance, mais voilà que Jupiter se dérobe pour la troisième fois devant l’obstacle. Erica s’énerve, elle donne un coup dans le mors, ainsi qu’un bon coup d’éperons dans ses flancs. Le place devant la barre et au dernier moment frappe de toutes ses forces, avec sa cravache sur la croupe du cheval qui saute en catastrophe. Elle le récupère et le fait foncer sur l’autre obstacle et réitère son action, néanmoins le hongre pile devant l’oxer, manquant d’envoyer sa cavalière au sol.

Folle de rage, Erica se redresse, attrape les rênes au plus court, tourne la tête de l’alezan d’un côté qu’elle maintient bloquée et le roue alors de coup de cravache sur la tête.

L’animal, bien sûr, se défend, prit de panique, il part de côté et rentre dans un chandelier qui tombe dans le sable et l'animal s’emmêle dans les barres aux sols et trébuche.

Cette fois, sa propriétaire chute dans le sable, le cheval se relève et part en coup de cul, tandis que Matthew arrive en courant vers Erica.

 

— Lui foutre des coups dans la gueule ne vont pas l’aider à mieux sauter, crache Lucas.

— Il me fait chier ! J’ai payé le prix fort pour putain de cheval de CSO et il n’est même pas capable de franchir un obstacle d’un mètre !

— Revends-le, tu vois bien qu’il n’est bon à rien, dit Matthew tout en la calmant.

— Comme les trois précédentes, rétorque Lucas.

— Ah, la ferme-toi ! Tu as bien fait euthanasier ton ancien cheval, réplique Erica.

 

Daniel se redresse et soupire tandis qu’ils se disputent… Voilà l’aspect qu’il apprécie le moins dans le monde du cheval. Il accroche son appareil photo à son cou et s’en va chercher sa propre monture, puisqu’il est remonté à l’entrée de la pâture.

Il ouvre les fils, Jack passe et il referme derrière lui et le conduit jusqu’à son box, remarquant seulement qu’il ne l’a même pas attaché, habitude qu’il a toujours eue avec le trait.

Celui-ci s’arrête devant la porte de son box en répondant à l’ânesse qui l’appelle depuis la prairie. Il part chercher son matériel et se met à brosser l’animal.

 

— Yo, le photographe, tu vas en balade ?

 

Daniel se tourne sur Lucas, son cheval allongeant le cou pour venir renifler la croupe de Jack, qui en tourne de ce fait la tête vers le hongre bai.

 

— Oui, tu y vas ?

— Ouais, je vais t’attendre. Ton cheval, il est balèze, Guapo c’est une croquette à côté, plaisante, le brun.

— Il fait souvent, c'est effet là.

— Il a l’air cool, il n’est même pas tenu, remarque Lucas.

 

Daniel lui sourit, se dépêchant à finir son brossage et à seller Jack pour ne pas faire attendre Lucas et Guapo. Il attrape son escabelle et grimpe sur sa monture.

 

— Tu ne lui mets pas de mors ?

— Non, répond simplement Daniel.

— Tu n’as pas peur qu’il fasse le con, il doit en avoir de la force ?

— Il n’est pas du genre à embarquer.

— Ça lui arrive de faire des conneries ?

— Il adore l’eau, donc si en balade, on passe une rivière, si tu me vois sauter, n’en sois pas étonné, dit-il, avec un petit sourire.

— Ah, ça, y es-tu, sourit ! Tu le sais que tu n’as pas l’air commode ? Il faut te détendre, lâche des vannes, j’en fais tout le temps, ils sont habitués, plaisante Lucas.

 

Ils se mettent en route, quitte le domaine, pour rejoindre un chemin de terre à quelques mètres qui donne dans les champs, puis dans la forêt. Dans le chemin, ils s’écartent pour laisser Sarah en tracteur retourner à l’écurie. Lucas se redresse et crie :

 

— Eh, Sarah, des petits trous, des petits trous !

 

La rousse se met à rire et ralentit en ouvrant la porte :

 

— Tu ne l’as pas oubliée celle-là, rigole-t-elle : Bonjour Daniel, prépare les aspirines avec Lucas.

 

Elle referme la porte et continue son chemin, tandis que les deux autres la saluent. Lucas se tourne sur Daniel, leurs chevaux se tenant côte à côte.

 

— L’année passée, elle était dans les champs avec Henry, il y avait plein de trous dans le chemin. Comme elle est petite, les amortisseurs du siège l’éjectent quand elle s’en prend un, c’était à mourir de rire.

— J’ai cru que c’était un enfant qui conduisait avant de la reconnaître, plaisante Daniel.

— Sarah est super sympas, si ton cheval doit prendre un traitement ou quoi, il suffit de lui dire, elle fait toujours attention à tout.

 

Daniel tourne les yeux vers Lucas qui comprend immédiatement son regard.

 

— Tu as déjà eu vent des rumeurs sur elle ? Je n'y crois absolument pas, cela fait cinq ans que je suis là, je n’ai jamais aimé ce mec. Trop parfait pour être parfait, si tu vois ce que je veux dire ?

— Ouais, sourit Daniel : Possessif aussi, il est venu me faire une remarque quand je vous ai pris en photo.

— J’en étais sûr que c’était pour ça ! Enfin, tu te feras ta propre idée de lui, conclu Lucas.

 

Daniel acquiesce, il entre dans le bois et Lucas se met à chanter ce qui lui passe sous la tête, même avec le regard des promeneurs qu’ils croisent.

 

— Gloria une des filles de l’écurie, elle a un cheval pie noir, quand elle va en balade, il y a toujours une personne qui croit que son cheval est une vache.

— Ça m’est déjà arrivé avec sa taille et sa couleur, répond Daniel.

— C’est quoi, un percheron ?

— Un clydesdale, c’est américain.

— Ah, ceux de la pub avec la bière, là !

— C’est ça, ricane Daniel.

— Il est pie ?

— Oui, sabino pour être exacte.

— Ça fait penser à un nom de biscuit : avec votre expresso, prenez un sabino !

 

Daniel part en avant en pouffant.

 

— Ton cheval, il trotte et il galope ?

— Bah oui, comme les autres chevaux, rigole Daniel.

— Lui, s’il te fait un démarrage au galop, il laboure en même temps, plaisante le brun.

— Oui, c’est à peu près ça !

 

Ils partent au trot, Lucas observe le trait en riant, celui-ci a l’impression de voir Sarah dans son tracteur quand elle passe les trous. Ils arrivent dans la jachère pour revenir vers le domaine dans lequel il laisse Guapo partir au galop, Jack un peu largué par la vitesse de l'hanovrien. C’est en fin de champ qu’ils se rejoignent pour retourner à l’écurie. Le box de Guapo est juste derrière celui de Jack.

 

— Ils y avaient des Shetlands avec Puce, mais les proprios sont partis, je pensais mettre Guapo avec Puce, tu penses que cela irais à trois ?

— Jack est calme, peu importe avec qui il est, explique Daniel.

 

Les deux emportent leurs chevaux jusqu’à la parcelle, Sarah passe justement la herse dans les pistes à côté.

 

— Sarah, on les met tous les trois ensembles ? dit Lucas.

 

Elle coupe le moteur et descend du véhicule pour les rejoindre dans les paddocks.

 

— Vous êtes certains que ça ne vous dérange pas ?

— Bah, on va malheureusement inclure Daniel dans le groupe des pestiférés, plaisante le brun.

 

Sarah ouvre la clôture et les deux sont lâchés avec Puce, qui tout d'abord surprise de voir débarquer deux mastodontes, se met à courir derrière eux comme s’ils avaient toujours été ensemble. Le bruit émis par l’appareil de Daniel, fait faire un bon à Sarah qui se retourne sur lui.

 

— Ça, c'est de l’appareil photo ! Tu es photographe ?

— À mes heures perdues, répond Daniel en leur donnant sa carte : les photos seront sur ma page.

— Merci, c’est sympa, répond Sarah: je termine la piste.

 

Elle s’en va dans la hâte, non sans regarder Puce et ses nouveaux copains de prairie avec satisfaction. Les cavaliers attendent sans patience que celle-ci finisse de ratisser le sable de la carrière pour aller travailler leurs cheveux.

Daniel et Lucas retournent dans le parking, il salue le jeune qui repart avec une personne venue le chercher, puis se glisse sur le siège de sa voiture, repérant Matthew qui arrive vers lui avec une drôle d’expression.

 

— Eh, les photos que tu as faites tout à l’heure. Tu n’en as pas d’Erica quand elle s’est énervée sur son poney ?

— Pourquoi ?

— Il serait lâche de ta part de montrer ce genre de clichés. Elle doit faire des concours avec ce cheval, il faut la comprendre, ce bourrin doit bien comprendre à un moment qu’il doit sauter.

— Je ne vois pas ce qu’il y a de lâche de dénoncer de la maltraitance animale, rétorque Daniel.

— Oh, je t’en prie, entre nous, n’est-ce pas déjà de la maltraitance de les monter ? Sois réaliste, tu ne fais pas mieux qu’elle en forçant ton cheval à te porter sur son dos alors qu’il préfèrerait rester dans son pré à brouter. J’espère que tu es malin et que tu ne publieras rien.

 

Matthew s’en va et Daniel fronce les sourcils, il voulait rester sans jugement, mais cette personne, il ne l’aime aucunement.

Le soir venu, après avoir rentré les chevaux pour la nuit, Sarah se pose enfin sur son téléphone à se perdre sur les réseaux sociaux, elle vient à se rappeler que Daniel lui a donné sa carte de visite pour les photos. Elle recherche sa page et la trouve bien vite, Jack étant sa photo de profil.

Sarah regarde les photos, reconnaissant Guapo et Lucas, Miss et Elisa et les photos de Guapo, Jack et Puce dans la prairie, elle descend un peu dans le fils de conversation et là, elle devient blanche, face à l’article !

Il n’est pas que photographe, il est journaliste ! Il vient de dénoncer Erica ! Sarah panique, ça ne va pas, ça ne va absolument pas, il ne faut pas, pas avec elle, pas ici dans cette écurie ! Elle s'aperçoit que Daniel est connecté, elle lui écrit alors :

 

« Salut, c’est Sarah, ton article, supprime-le au plus vite, tu vas avoir de gros soucis ! »

 

Sarah le voit en train d’écrire, son cœur s’emballe comme jamais, la sueur lui coule le long de sa colonne et son cœur bat vite.

 

« Je n’ai aucune raison d’enlever cela. Je ne suis pas inquiet, ce n’est pas la première fois que je le fais. »

« Tu ne sais pas à qui tu as affaire, il ne va pas te lâcher si cela entraine des conséquences pour Erica. »

« Il ne me fait pas peur avec ses grands airs, ne t’en fais pas. »

« Il est loin d’être stupide, il va retourner l’article contre toi pour te faire passer pour le mauvais. »

« C’est ce qu’il a fait avec toi ? »

 

Il voit les points de suspension s’afficher, puis plus rien… Daniel grimace, elle vient de se déconnecter, son intuition se trompe rarement.

En parlant du loup, voici justement qu’il voit apparaître un certain Matthew Mertens dans les nouveaux abonnés. Il ne lui faut pas longtemps pour que celui-ci lui envoie un message :

 

« Je t’avais pourtant prévenu de ne pas t’en prendre à ma copine, mais ne t’en fais pas, j’ai tout compris et tout le monde à l’écurie sera informé de votre stratégie, à toi et à Sarah. Elle a été rapide pour réussir à te séduire où tu es un amateur de fille facile ? Tu ne saliras pas ma copine et il vaut mieux pour toi que tu changes au plus vite d’écurie si tu n’as pas envie que les retombées soient plus grandes. »

 

Daniel ne répond même pas et prend une capture de l’écran… Il a bien fait, il a dû attendre quelques minutes après avoir vu le logo qui prouve que le message a été lu pour supprimer celui-ci. Qu’est-ce que c’est que ce gars ? D’accord, il s’attaque à sa copine, mais de là à menacer Sarah, elle aussi ? À moins qu’il pense vraiment qu’il y a quelque chose entre eux ? L’homme soupire, comprenant qu’il s'est peut-être placé dans une situation délicate…

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