La ville éternelle

Chapitre 3 : Antinomie

673 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 14/10/2023 16:55

Antinomie

アンチノミー

 

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Le réveille-matin sonna bruyamment, l’arrachant à ses doux songes. Une journée de plus commençait. Encore une journée de faux-semblants, de paraître, dont Haru connaissait à l’avance la fatigue éreintante qui viendrait achever son corps en fin de journée.

L’uniforme du lycée, sommaire mais reconnaissable entre tous, l’attendait sur la penderie, bien repassé et tout propre. La simple vision de la jupe mi-longue qu’il faudrait revêtir ce jour-ci lui inspira un sentiment de dégoût. Aujourd’hui n’était pas un jour à mettre des jupes, mais Haru n’avait guère le choix. Après tout, elle était une fille, non ? Et l’uniforme demandait à ce que les filles portassent des jupes, c’était aussi simple que ça.

Des pantalons et chemises pour les lycéens, des jupes plissées et des blouses pour les filles. C’était bien binaire, comme conception, contrairement à Haru. Assis.e sur le rebord de son lit, iel perdit son regard dans l’immensité de sa chambre, bien trop petite pour contenir tous ses rêves, et finit par le poser sur le ruban rouge qui viendrait entourer son col lorsqu’iel aurait revêtu sa tenue du jour.

Son identité était contradictoire, une véritable antinomie, opposition et contradiction de deux principes universels inculqués dès leur plus jeune âge aux enfants. Le monde était divisé en deux catégories, hommes et femmes, et il ne pouvait y avoir d’entre-deux. Alors comment expliquer ce qu’iel ressentait ? Pas complètement homme, ni complètement femme, un intermédiaire qui n’était pas reconnu, dont Haru ne pouvait parler à quiconque autour de iel, et que personne ne saurait comprendre.

Car dans son entourage, que ce fût la famille ou les amis, ainsi que les camarades de classe et les professeurs, tous rentraient dans ces éternelles deux cases ; des hommes et des femmes, à leur place, qui ne dérangeaient personne par leur singularité, qui rentraient dans le moule imposé par la société. Haru ne saurait suivre leurs traces, cela ne l’intéressait pas. Pourquoi devoir tuer une partie de soi-même pour se conformer aux attentes des autres ? Des personnes qui n’en avaient que faire de son existence dans cette petite ville se permettaient de déblatérer dans les journaux, à la radio ou à la télévision que les individus de son espèce ne devaient exister, qu’iels étaient une menace pour l’équilibre de la société. Mais qu’avaient-ils concrètement à leur reprocher ? Iels ne faisaient rien de mal, ne demandaient qu’à vivre comme tous les autres autours d’elleux. Pensaient-ils réellement qu’iels avaient eu le choix ?

Haru serra le poing, sentant ses ongles rentrer dans les chairs de sa paume. Si iel avait eu le choix, si iel avait pu décider, pensait-on qu’iel aurait suivi ce chemin semé d’embûches ? Bien sûr que tout aurait été plus facile à vivre si iel avait été comme les autres – un vrai garçon, une vraie fille, un individu cisgenre qui jamais ne poserait problème à personne car sa simple identité de genre était anormale pour le commun des mortels. Même ses parents ne sauraient comprendre ! Que diraient-ils le jour où leur enfant, leur si jolie fille si conforme aux attentes de la société et à leurs propres attentes de géniteurs, leur révélaient qu’iel n’était en rien cette lycéenne qu’ils projetaient sur iel ?

Un soupir franchit ses lèvres, et Haru se leva. Machinalement, iel se dirigea vers la salle de bain. De l’eau froide sur son visage, un rapide passage de la brosse sur ses cheveux coupés courts, au carré. Aujourd’hui encore, Haru serait une belle jeune fille. Car personne ne pouvait accepter la contradiction entre son corps et son esprit, malgré toute sa fierté d’être cellui qu’iel était.

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