La ville éternelle

Chapitre 4 : Odyssée d’excuses

762 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/10/2023 18:22

Odyssée d’excuses

こめんねオデッセイ

 

.

 

Depuis tout petit déjà, il n’avait cessé de se confondre en excuses. « Désolé d’avoir cassé le vase. » « Désolé d’avoir abîmé le jouet que mamie m’a offert. » « Désolé d’avoir fait mal à Nyanko. » Le mot « désolé » sortait aussi naturellement qu’il respirait, car il avait compris depuis toujours qu’il devait s’excuser pour tout, et pour rien. Qu’il fût innocent comme coupable.

En grandissant, lorsqu’il commença à fréquenter son école primaire, puis le secondaire, il avait poursuivi ce chemin en suivant ce même adage. « Pardon. » « Désolé. » « Excuse-moi. » Tant de façons différentes de se mettre en retrait, de se rejeter la faute, de se faire marcher dessus. Même s’il n’avait commis aucune erreur, il avait été contraint de le dire – par ses parents, par ses enseignants, par lui-même. Alors il avait commencé à s’excuser d’avoir perdu ses chaussons – retrouvés dans la benne à ordures combustibles de l’école –, puis d’avoir sali son bureau – recouvert d’inscriptions au marqueur noir –, ou encore d’avoir oublié de faire ses devoirs – car on lui avait volé son cahier lorsqu’il s’était rendu aux toilettes durant l’intercours.

« Pardon, monsieur. » « Désolé, madame. » « Papa, maman, excusez-moi. »

Nul ne s’était interrogé sur ce changement de comportement et d’attitude, peut-être parce que nul ne l’avait remarqué. Qui pouvait faire attention à lui, ce garçon lambda qui n’était ni trop intelligent, ni trop bête, ni trop populaire, ni trop esseulé ? Quoique, il avait fini par devenir tout ça… Les ragots dans les couloirs, les murmures en classe. « Haha, tu es assis à côté de Tarō, bon courage ! » « Il paraît qu’il mange des insectes au petit-déjeuner ! » « Tu sais ce qu’il a fait, l’autre jour ? Il a écrit une lettre de déclaration à Minato ! Tu te rends compte de l’audace du type ? Un bouseux comme lui ! » « Pour qui il se prend ? Il a même pas 25 en japonais. Quel looser ! »

Il allait à l’école le ventre noué, les nausées lui retournant l’estomac et l’entièreté du système digestif. Ses pieds foulaient maladroitement le sol dans l’espoir de trébucher et, parfois, de se blesser gravement, comme si cela suffirait à l’éloigner de ce lieu de malheur, loin de ses bourreaux et des témoins silencieux, à retarder l’inévitable le temps d’une demi-journée ou deux…

Lorsqu’il rentrait le soir, ses vêtements salis d’avoir été jetés dans le sol meuble du club de jardinage pendant le cours de pratique physique, il inventait des excuses. « Je suis passé par le parc et je suis tombé dans l’herbe. » Sa mère y croyait, semblait-il. Son père, absent, n’avait aucune réponse à donner – il était bien trop pris par son travail pour lui prêter attention.

Quand les choses avaient-elles pris cette tournure ? Il ne parvenait à s’en souvenir. Le changement avait été lent, pernicieux, mais avait porté ses fruits, aussi pourris fussent-ils. Année après année, les excuses lui avaient collé à la peau sans jamais lui permettre de respirer. Il avait fallu redoubler d’inventivité pour justifier le refus de sa candidature pour le lycée auquel il avait postulé, et expliquer que, au final, ça ne le dérangeait pas plus que cela de se rendre dans cet établissement un peu plus loin, un peu moins bien coté. Après tout, ce qui comptait le plus pour l’avenir, c’était l’université, non ? Là encore, il trouverait des excuses pour expliquer les raisons qui le pousseraient à ne pas demander une place dans les plus prestigieux établissements. Il devrait se contenter de ce qui resterait. Car il était bête, seul, et très certainement la plus hideuse des créatures arpentant les rues de cette ville. Sinon, pourquoi être tant rejeté ?

Ce soir encore, il devrait inventer des raisons. Si on venait à le sauver de ce qu’il s’apprêtait à faire, qu’aurait-il à dire pour se justifier d’un tel acte ? Seuls quelques mots lui venaient à l’esprit.

« Pardon, papa. » « Désolé, maman. » « Excusez-moi… »

Laisser un commentaire ?