La roue de l'écriture (et plus si affinités)
Je suis le seul survivant de mon village. La peste l’a ravagé. Les uns sont morts, les autres ont fui, moi je n’ai pu m’y résoudre.
Je devrais être en train d’aiguiser les faux en prévision des moissons, à la place j’utilise le fer qu’il me reste pour forger des croix. L’hécatombe ne m’a pas permis de suivre le rythme des inhumations, je rattrape mon retard.
- Excusez-moi ?
Je me retourne, étonné d’entendre une voix, étonné que la clochette de l’atelier n’ait pas retenti, mais il est bien là, cet inconnu étrangement familier, grand, ordinaire, vêtu d’une cape noire comme celle des médecins becs.
- Pourriez-vous l’affûter, maître ?
Il me présente son outil. Je suis ému : une faux.
Je m’en saisis, fébrile. Dans l’éclat de sa lame chauffée à blanc, je vois l’abondance des boisseaux remplis de céréales, les flots de vin, les rires autour des feux de joie… Je vois la vie.
Une larme reconnaissante au coin de l’œil, je rends ma dernière œuvre.
- Merci.
- Merci à vous.
Et la mort me fauche, enfin.