Le Secret des Hayworth

Chapitre 14 : VIE LONDONIENNE

7442 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/03/2023 09:02

VIE LONDONIENNE


Plusieurs jours étaient passés depuis notre arrivée dans la demeure londonienne des Hayworth. Les premiers jours n'avaient consisté, comme souvent dans ce genre de cas, qu'en la remise en état de la demeure. Nettoyage, rangement et épousseter les meubles ainsi que les décorations avaient ainsi été mes fonctions et celles des autres domestiques. Cependant et toute à ma tâche, je m'étais quand même rendue compte que Monsieur le Comte recevait beaucoup de gens, sans doute pour ses affaires. Malgré la toute petite expérience que j'avais en cette demeure, j'ignorais encore beaucoup en quoi consistaient ces fameuses affaires d'ailleurs, sans doute des propriétés terriennes et de l'exploitation agricole. J'avais un peu honte d'ignorer tous ces tenants et aboutissants au sujet des Hayworth mais, grâce à Lord Henry, je savais déjà que c'était également pour leurs fonctions secrètes que les membres de la famille étaient rémunérés par la couronne et que c'était d'ailleurs d'une manière qui les mettait suffisamment à l'abri pour bien des générations. Lady Mary, souvent en compagnie de sa fille aînée, recevait quant à elle plusieures dames de la haute société. J'avais d'ailleurs pû, alors que je servais celles-ci en thé et petits gâteaux, rencontrer Lady Wendicott. Celle-ci n'était autre que la mère du fameux prétendant de Lady Charlotte et qui n'éveillait d'ailleurs aucun intérêt auprès de ma jeune maîtresse. Malgré tout, cette dernière semblait très convenables et elle était même très polie à mon encontre, me remerciant quand je la servais. C'était un peu idiot comme méthode pour estimer les qualités des visiteurs mais il fallait bien avouer que certains voyaient vraiment les domestiques comme des choses acquises. En effet, de la part de certains invités, une simple salutation ou encore même un simple remerciement n'étaient jamais à l'ordre du jour. Après tout, le domestique devait déjà être reconnaissant de travailler pour certains et cela se ressentait. Ce fut ainsi, quatre jours après notre arrivée et après que la dernière invitée en date soit partie, que je me mis à ranger les tasses.

- J'en ai plus qu'assez, grommela Lady Charlotte en s'asseyant d'une manière loin d'être distinguée sur son siège.

- Charlotte... Cela fait partie des fonctions de Lord et de Lady, la réprimanda Madame la Comtesse.

- Mais qu'est ce que l'on peut s'en moquer des dernières modes alimentaires d'Asie, marmonna Lady Charlotte.

Je souris alors à ce propos assez irrévérencieux de Lady Charlotte. J'avais également trouvé cette conversation assez surréaliste. En effet, notre invitée n'avait cessé de critiquer la nourriture à base de poissons crus à laquelle elle avait longuement dû s'adapter, rappelant que les gens du peuple n'en avaient pas autant, tout en critiquant cela sans cesse. Les nobles n'avaient vraiment aucune notion de respect et de contrôle, du moins pour certains.

- Qu'en avez vous pensez Annabelle ? demanda soudainement Lady Mary en me tendant un plateau.

J'allais le prendre, surprise quand Lady Mary résista.

- Posez vous un peu ma chère, me dit-elle rapidement.

- Pardon Madame la Comtesse ? demandai-je alors avec étonnement.

- Lady Murray est restée près de deux heures et vous êtes restée debout tout ce temps, me précisa Lady Mary. Prenez un peu de thé.

Je fus alors plus ou moins forcée d'accepter et ce fut même Lady Charlotte qui me servit.

- Quand nous sommes à Londres, nous aimons beaucoup plus nous détendre avec nos domestiques, précisa Lady Mary. Cela permet de discuter un peu.

- Je vous remercie, dis-je en prenant le thé et découvrant une saveur incroyable, loin de ceux qui nous étaient accessibles.

- Alors... Qu'avez vous pensé de ses récits ? demanda Lady Mary en prenant un petit gâteau me poussant à croire que c'était sans doute habituel.

- Puis-je être honnête ? demandai-je en profitant de mon thé.

- Bien sûr sinon ce serait d'un ennui, marmonna Lady Charlotte.

- Charlotte... N'oublie tout de même pas ton statut veux-tu ? lui demanda Madame sa mère.

- Alors? me demanda Lady Charlotte en ignorant littéralement sa mère.

- Je l'ai trouvée assez méprisante en parlant de ces autochtones d'Asie, précisai-je. Visiblement, ils désiraient lui faire découvrir leurs spécialités locales.

- Et pour quelqu'un critiquant particulièrement leurs arts ancestraux, elle semble avoir apprécié dépenser son argent, fit Lady Mary en riant. Cependant il s'agit surtout d'un moyen supplémentaires d'étaler ses richesses.

- Oui... Sans doute, hésitai-je pour ne pas être trop impolie. Cependant j'aurais beaucoup apprécié avoir la chance de découvrir ces... Euh... Souchis? proposai-je en essayant de me rappeler le mot employé par Lady Murray.

- Oncle Sebastian en a déjà mangé, m'avoua Lady Charlotte. Il a même essayé d'en réaliser... Madame Smith était assez en colère.

- Ha bon? demandai-je surprise. Et était-ce bon?

- Alors là..., fit Lady Charlotte en regardant sa mère.

- Je trouvais cela particulier, avoua Lady Mary. Charlotte était encore petite à l'époque.

- Est-ce lors de ce voyage que Lord Sebastian a pû acquérir certaines des armes de sa collection ? demandai-je avec un vif intérêt.

- Vous avez donc eu l'occasion de nettoyer sa chambre, s'étonna Lady Mary. Sebastian s'intéresse beaucoup aux cultures étrangères... Dans beaucoup trop de domaines à mon goût.

Je me mis à rougir, sachant clairement de quoi parlait Lady Mary, cet objet que les femmes utilisaient pour se donner du plaisir en l'absence de partenaire étant encore une bonne source de traumatisme. Lady Charlotte me regarda attentivement ainsi que sa mère.

- Il ne ramène pas que des armes? demanda-t-elle avec empressement.

- Non, répondit simplement sa mère en sachant clairement de quoi nous parlions.

- Puis-je poser une question ? demandai-je soudainement pour éluder le sujet.

Je vis la surprise sur le visage de Lady Mary, évoquant clairement l'angoisse d'une mère qui ne désirait pas pervertir l'esprit de sa fille. Je lui souris simplement en bougeant de manière presque imperceptible ma tête pour lui assurer que ce n'était point une question sur fond graveleux.

- Allez-y Annabelle, précisa Lady Mary.

- J'ai pû comprendre que les... Vicissiens créent ce qu'ils veulent, dis-je tout bas.

- Effectivement, me fit Lady Charlotte.

- Mais pourquoi donc collectionner cela? demandai-je enfin. Il n'a clairement pas besoin de celles-ci.

- Effectivement, mais Sebastian a pris l'habitude de reproduire les armes que nous les humains utilisons pour être toujours prêt à toute éventualité, précisa Lady Mary.

- Et puis il lui arrive d'utiliser les souvenirs qu'il ramène, ajouta Lady Charlotte.

La mine déconfite de Madame la Comtesse signifiait qu'effectivement, Lord Sebastian se servait de ce qu'il ramenait, dont des produits trop gênants pour être énoncés.

- Ai-je dit une bêtise ? demanda Lady Charlotte.

- Nullement... Tu ne devais pas te préparer ? demanda sa mère.

- Ho si! fit Lady Charlotte en réalisant l'heure. Tu peux rester Annabelle.

- Bien Mademoiselle, dis-je en la regardant partir.

J'ignorais les raisons d'une éventuelle préparation et je regardai la porte prise par Lady Charlotte avec stupéfaction.

- Vous avez fait des découvertes dans la chambre de Sebastian n'est-ce pas? demanda Lady Mary attirant mon attention.

- Oui..., marmonnai-je honteuse.

- Je sais le genre d'objets qu'il peut avoir en sa possession, m'avoua Lady Mary.

- Cela est parfois tellement inapproprié..., marmonnai-je.

- Malheureusement..., fit Lady Mary avec bien des consternations.

- Mais de bien jolies choses également, dis-je sans réfléchir avant de me sentir honteuse.

- Vous me surprenez Annabelle, fit Lady Mary en riant.

- Je... Je ne parle pas d'objets destinés à certains usages, m'empressai-je de dire. Mais il y avait un magnifique loup noir... Mais sans espace pour les yeux, je n'ai pas compris pourquoi.

- Vous êtes si innocente, me fit Lady Mary. C'est parce que les sens sont plus éveillés quand la vue est bloquée.

Je regardai alors Lady Mary avec surprise et celle-ci était très amusée de ma réaction.

- J'ai eu quatre enfants, vous pensez bien que mon époux y est pour quelque chose, dit-elle en riant.

- Je me doute Madame mais...

- Cependant il n'a guère les loisirs de son frère, ajouta-t-elle en riant. Bien que certains semblent amusants...

- Madame..., dis-je gênée.

- Vous verrez que quand votre cœur brûlera pour un jeune homme, vous serez tentée de bien des manières, dit-elle alors.

- Madame... Je m'excuse de ma question mais..., hésitai-je alors. J'ai saisi quelques bribes de votre conversation avec Lord Sebastian lors de notre arrivée et...

- Allez-y..., murmura Lady Mary.

- Lord Sebastian... Il cache quelque chose ? demandai-je alors.

Lady Mary me regarda fixement et visiblement, j'avais raison. Il se passait quelque chose que j'ignorais et cela m'inquiétait déjà énormément.

- Oui... Beaucoup de choses en général, avoua Lady Mary.

- Il a rencontré une dame qui pourrait l'aider à lever la malédiction n'est-ce-pas ? insistai-je.

- Je vois que vous brillez par votre perspicacité, m'avoua Lady Mary.

- Pourquoi refuse-t-il alors ? demandai-je.

- Votre question me surprends énormément Annabelle, me fit Lady Mary.

- Pardon Madame, cela ne me regarde pas, dis-je alors en posant ma tasse.

- Ce n'est pas ce que je voulais dire, fit-elle en posant la même.

- Ho...

- Oui, confirma Lady Mary. Vous me surprenez par vos inquiétudes envers Sebastian.

- Je crains de ne pas comprendre en quoi cela vous surprend autant Madame, précisai-je complètement perdue par les propos de la comtesse.

- Lord Sebastian s'est très mal comporté avec vous et pourtant vous semblez vouloir l'ignorer, dit-elle soudainement.

- Je n'ai pas oublié, précisai-je avec tristesse. J'ai d'ailleurs encore assez honte de cette soirée où il... Où il m'a touchée à des endroits inappropriés... Cependant, je l'ai également vu affaibli par l'approche de la période fatidique mais aussi très protecteur envers Mademoiselle Charlotte, Monsieur Henry ou même les jeunes maîtres. Il a aussi pris des risques pour ne pas attirer notre attention lors de la représentation d'Hamlet...

- Oui... Où voulez-vous en venir? demanda Lady Mary.

- Je ne comprends pas pourquoi cet homme peut être aussi différents selon les circonstances... Et puis il était si distingué lors du bal des domestiques, dis-je en rougissant.

- Vous avez apprécié danser avec lui alors? demanda Lady Mary amusée.

- Oui... Je pense que cette dame devrait être assez heureuse de son intérêt, si tout du moins il peut agir avec distinction, demandai-je. À moins que cela ne soit Madame la Marquise ?

- La Marquise n'était qu'un amusement..., m'avoua Lady Mary. Ne répétez pas ce que je vais dire mais surtout à Sebastian lui-même.

- Bien Madame, dis-je avec un vif intérêt.

- Ne jugez pas Sebastian pour un seul acte, il diffère beaucoup de l'image qu'il donne, avoua Lady Mary.

- J'avais cru comprendre, dis-je alors.

- Il peut être chevaleresque aussi, m'assura Lady Mary.

- Comme Lord Henry lorsqu'il m'a sauvée ? demandai-je sans réellement réfléchir.

Je vis l'étonnement de Lady Mary quand je dis cela et je me sentis plus bas que terre. Je venais de signifier ce que je pensais de son fils alors que mon statut m'obligeait pourtant à me taire. J'allais préciser ma pensée quand la porte de la pièce s'ouvrit.

- Ho pardonnez-moi Mère, fit la voix de Lord Henry.

- Ce n'est rien Henry, nous ne faisions que discuter, dit alors Madame sa mère.

- Lord Henry, dis-je en me levant par politesse.

- Ta sœur est partie se préparer, dit alors Lady Mary.

- Ha bien je vais patienter, répondit Lord Henry.

Lady Charlotte allait donc sortir avec son frère, sans doute pour visiter Londres. Je pourrais vérifier chacune des tenues de ma maîtresse pour m'assurer du bon état de celles-ci.

- Peut-être désirez vous nous accompagner Annabelle ? demanda soudainement Lord Henry.

Je relevai la tête vers le jeune maître avec un certain étonnement. Naturellement, une telle invitation aurait pû être quelque chose de génant et d'assez inconvenant mais comme la présence de Lady Charlotte en enlevait ces variables, cela ne l'était plus.

- Si Annabelle n'a rien de bien précis à réaliser, je n'y vois aucune objection, dit alors Lady Mary.

- Je vais devoir refuser, je n'aurais jamais le temps de me rendre présentable, précisai-je alors.

- Cela n'est pas nécessaire, un simple manteau suffira, nous allons juste regarder les devantures des divers commerces londoniens, me précisa Lord Henry.

- Ho... Avec plaisir alors, dis-je poliment.

- Et puis ma sœur en sera bien heureuse, ajouta Lord Henry.

- Je vais débarrasser et...

- Laissez Annabelle, allez vous vêtir de votre manteau, me précisa Lady Mary.

Je reculai donc lentement vers la porte, ne donnant en aucun cas une impression d'impatience. Cependant, dès l'instant même où je refermai celle-ci, je filai en courant dans l'escalier pour monter les étages. Avec empressement, j'arrivai dans ma chambre et je fondis sur mon armoire pour y récupérer chapeau, manteau et chaussures de villes. La porte communicante entre ma chambre et celle de Lady Charlotte s'ouvrit soudainement, laissant apparaître celle-ci dans un manteau marron et portant un chapeau de la même couleur.

- Henry t'a proposé de venir avec nous? demanda-t-elle avec un grand sourire.

- Oui, si cela ne vous dérange pas Mademoiselle, dis-je quand même.

- Ho... Je ne sais pas trop, fit-elle faussement pensive. Bien sûr que non! Et comme cela je serai avec une amie.

Alors que j'enfilai mon manteau, je m'arrêtai dans mon mouvement pour regarder Lady Charlotte avec une certaine stupéfaction.

- Que je dise amie te choque tant que cela? dit-elle alors assez étonnée.

- Je ne savais guère que vous me considériez comme telle, dis-je alors en fermant le manteau.

- Annabelle... Te rends tu seulement compte que tu es peut-être la seule personne de mon âge à être au courant de ce que nous sommes? me demanda Lady Charlotte.

- Oui bien sûr, dis-je alors. Mais je pensais n'être tout de même qu'une domestique...

- Allons... Mes amis se comptent sur les doigts de ma main, sans os supplémentaires, ajouta Lady Charlotte en riant. Et il y a même encore de la place. Et puis Henry sera content également.

- Vous pensez? dis-je gênée.

- N'est-ce pas lui qui t'a invitée ? insista Lady Charlotte.

- Si, dis-je toute à ma joie. Je suis prête.

- Descendons alors, m'assura Lady Charlotte.

J'avais un peu honte tout de même d'être aussi bien traitée par mes maîtres. Et j'eus encore plus honte quand Lady Mary me demanda si j'avais besoin d'une avance que j'avais d'ailleurs refusée avant de me souhaiter une bonne sortie. Nous n'étions guère loin des rues commerçantes alors, ce fut à pieds que nous nous y rendîmes. À mon plus grand étonnement, ma jeune maîtresse qui me considérait comme une amie agissait d'ailleurs comme telle. En effet, sans hésitation aucune, Lady Charlotte avait saisi mon bras pour s'y accrocher tandis que nous marchions. Nous discutions encore de bien des sujets, principalement de mes souvenirs de Londres pour y avoir vêtu tant d'années.

- Si je puis vous conseiller une pâtisserie, cela serait bien celle-ci, dis-je en la montrant. Et leur thé est excellent.

- C'est bien pratique que tu aies vécu à Londres, assura Lady Charlotte en riant.

- Charlotte calme toi, tu attires les regards, la réprimanda Lord Henry.

- Je m'en moque Henry, s'offusqua celle-ci. Je suis bien en cet instant alors ne gâche pas la sortie d'Annabelle.

- Ce n'est pas le cas Lord Henry, dis-je en lui souriant.

Soudain, Lady Charlotte lâcha mon bras pour aller admirer une vitrine emplie de poupées de chiffons que je ne pouvais qu'admirer moi-même, même d'aussi loin. Je sentis Lord Henry s'approcher de moi tout doucement.

- Je crois que j'aurais dû vous proposer une sortie seul à seule, dit-il tout bas.

- Lord Henry? dis-je étonnée.

- J'apprécie grandement votre honnêteté et votre sensibilité, dit-il ensuite. Si vous me permettez.

- Je permets, dis je extrêmement touchée. Mais cela aurait été inconvenant d'être sans chaperon.

- Vous pensez que nous en aurions eu besoin ? demanda Lord Henry me surprenant d'une telle audace.

- Qu'essayez vous de me dire Lord Henry? demandai-je alors tant j'étais surprise.

- Je vous prie de m'excuser... Je ne sais pas vraiment m'exprimer, dit-il gêné.

Je me sentis également gênée et je fus d'ailleurs très soulagée du retour de Lady Charlotte près de nous. J'avais eu l'étrange impression que Lord Henry tentait de me faire la cour. Je n'étais pourtant pas de son rang et même si cela ne me déplaisait nullement, cela ne devait pas se faire. Certes je connaissais leur histoire et leur particularité mais même si je l'acceptais totalement, Lord Henry était l'héritier du nom des Hayworth et il devait donc épouser une personne de noble naissance. J'en étais presque au point de trouver cela dommage d'ailleurs, je n'étais pas habituée à cette situation mais elle n'était pas si déplaisante. Durant ces pérégrinations plutôt futiles, plus d'une fois je fus surprise du comportement des employés de ces différents commerces. En effet, plus de l'un d'entre eux agissait avec moi de la même manière qu'avec mes partenaires de pérégrinations. J'étais bien mieux traitée que par le passé, le manteau et le chapeau devant leur confirmer que j'étais également d'un certain milieu. Être traité avec tant de respect était assez intriguant et amusant et forcément, ma jeune maîtresse se régalait plutôt bien de ces comportements.

- Tu as remarqué ? Le dernier t'a même appelé Lady, me dit-elle tout à coup.

- Si il savait que je n'étais rien de plus qu'une domestique, il en ferait sans doute un malaise, dis-je en riant.

- Et il commençait à vous faire l'étalage de ses plus belles pièces, précisa Lord Henry visiblement aussi amusé que nous.

- Pourtant c'était Lady Charlotte qui avait posé des questions sur les accessoires, dis-je surprise.

- Peut-être ces employés récupère plus de primes selon ses ventes, proposa Lady Charlotte. Il a dû être déçu.

- Je vous trouve bien mesquine, dis-je en souriant. Si je peux...

- L'essentiel est de t'amuser, me fit Lady Charlotte qui ne s'en offusqua nullement.

J'en étais rassurée, continuant à admirer les devantures magnifiquement décorées typique des commerces du centre ville de Londres. Et puis, tout à coup, je m'arrêtai devant une vitrine. Il y avait quelque chose d'important que je voulais faire mais je ne voulais pas gêner mes jeunes maîtres.

- Désirez-vous des fleurs pour égayer votre chambre ? me demanda Lord Henry en observant la vitrine du fleuriste.

- Non... Je suis navrée d'éventuellement gâcher ce moment assez plaisant mais... J'aimerais acheter un bouquet avant d'aller me recueillir sur la tombe de Lady Fullton, avouai-je soudainement.

Je vis alors la compréhension s'afficher sur le visage des jeunes maîtres et ils décidèrent d'un accord commun mais silencieux de me laisser le faire. J'entrai alors dans le commerce pour y acheter un bouquet de lys, fleurs préférées de Lady Fullton. Ce bouquet dans les bras, mes jeunes maîtres m'accompagnèrent devant l'entrée du cimetière qui était devenu la dernière demeure de ma chère maîtresse.

- Désirez vous que nous vous accompagnions? demanda alors Lord Henry.

- N'y voyez nullement un manque de respect de ma part mais je préfère y aller seule..., dis-je alors poliment.

- Tu es sûre ? insista Lady Charlotte.

- Je vous avouerai Mademoiselle que je ne suis pas du tout sûre d'être capable de réprimer mes émotions devant la tombe de Lady Fullton, précisai-je alors. Je ne voudrai nullement vous mettre mal à l'aise par mon état.

- D'accord, fit alors Lord Henry. Savez-vous où nous pouvons patienter?

- Euh oui, dis-je après une petite réflexion. Là bas, vous pourrez trouver un ébéniste qui travaille devant la clientèle, je pense que cela pourrait être une démonstration intéressante.

- Ho... Je n'ai jamais eu l'occasion de voir quelqu'un travailler le bois, précisa Lady Charlotte. Je pense que cela deviendra enrichissant. Allons-y Henry.

- Prenez tout votre temps Annabelle, me conseilla Henry. Nous ne sommes nullement pressés par le temps.

- Merci Lord Henry, dis-je poliment en les voyant s'éloigner.

Je me tournai alors vers les grilles du cimetière et déjà, une boule d'émotions commença à se former dans ma gorge. Je savais déjà à cet instant que j'avais bien fait de refuser leur proposition, j'étais convaincue de fondre en larmes devant la sépulture. Je fermai alors les yeux avant d'inspirer profondément. Je les rouvris alors avant de passer cette même grille. Mes pieds heurtaient le sol lourdement, si lentement que je pourrais avoir l'impression de porter des boulets à cet instant. J'avançai lentement à travers les allées de ce cimetière dans lequel je n'avais plus mis les pieds depuis le matin de mon départ. Je dus même resserrer ma prise sur le bouquet que je portais, pour ne pas le lâcher et surtout tenter de réduire mes tremblements. J'approchai de l'allée où reposait ma maîtresse pour l'éternité et je dus tourner pour éviter la foule présente pour une mise en terre. Je pouvais les voir plongés dans leur tristesse, la même tristesse qui ne disparaîtrait sans doute pas avant un très long moment. Je pris alors la décision de faire un détour, arrivant vers l'allée où se trouvait ma destination par l'arrière. Au moment où j'entrais dans cette allée, je fus surprise et je m'arrêtai immédiatement. Un homme se trouvait devant la tombe et le plus étonnant là dedans, était que je le connaissais. Il s'agissait tout simplement de Lord Sebastian dans un long manteau et avec un parapluie accroché à son bras. Je me souvins alors qu'elle avait été une mécène pour ses voyages et le désir de se recueillir sur la tombe d'une personne lui ayant permis de voyager ne me sembla pas si incongru. J'avançai alors lentement vers la tombe et il fut évident que le bruit de mes pas attira son attention. Je le vis tourner la tête surpris et moi, je pus me rendre compte qu'il avait également fleuri la tombe avec un petit bouquet de lys. Peut-être avait-il remarqué que ces fleurs ornaient plusieurs vases dans la demeure de Lady Fullton. Je le vis alors s'approcher lentement de moi.

- Bonjour Annabelle, me salua Lord Sebastian que je n'avais pas vu de la journée.

- Bonjour Lord Sebastian, dis-je poliment. Je vous pensais au Club de Gentlemen.

- J'en reviens... J'ai eu l'envie de me recueillir mais j'ignorais qu'il s'agissait d'un de vos projets, dit-il doucement. Je vais vous laisser tranquille.

Je le vis commencer à avancer et passer près de moi, prêt à me laisser à ma tristesse. Sans même y réfléchir, je m'exprimai.

- Lord Sebastian ? dis-je alors.

- Oui Annabelle ? me répondit le lord.

- Restez... Vous la connaissiez, dis-je alors en me retournant.

- Si vous le désirez, dit-il simplement.

J'avançai vers la tombe avant de m'agenouiller pour y déposer le bouquet. Elle était parfaitement entretenue, sans doute par mes anciens collègues car ma maîtresse n'avait pas de descendance. Je m'en voulais un peu de ne me recueillir uniquement pour ma maîtresse mais je n'avais pas eu la chance de rencontrer Lord Fullton. J'arrangeai soigneusement le bouquet, retirant les pétales déjà tombants.

- Lady Fullton..., dis-je en soupirant de tristesse.

Juste dire ces mots ramena à ma mémoire notre rencontre à la ferme des Brown, sa gentillesse et sa décision de m'emmener. Je me souvins également de mon regard plutôt éberlué et admiratif quand mes pieds passèrent pour la première fois le palier de la demeure des Fullton. Je la revis me montrer ma première tenue de bonne qui soulignait ma jeunesse, l'explication qu'elle m'avait apportée en compagnie d'Herbert sur les arts de la table et du service. Je me remémorai surtout le premier soir où je la vis pénétrer dans ma chambre avec un livre facile d'accès pour une enfant. Elle avait voulu voir si j'étais intéressée par les livres et si je voulais apprendre à lire par moi-même. Je revécus alors les doux moments où elle m'enseigna la lecture, l'écriture, où elle l'initia également à plusieurs formes d'art. Je pus également revoir ces moments où, alors que je grandissai, elle avait estimé nécessaire de m'initier aux règles d'étiquettes, du comportement en société et avec les hommes. Puis, les larmes se mirent à couler sur mes joues tandis que je caressais avec tendresse la pierre tombale, alors que les derniers moments me revinrent.

- Vous me manquez Lady Fullton, dis-je alors en essuyant les yeux.

Je vis alors apparaître devant moi un mouchoir en tissus et je tournai la tête vers Lord Sebastian. Il s'était approché pour le tendre.

- Merci, dis-je en le prenant.

Je l'entendis reculer un peu pour me laisser de l'espace. Je pus à nouveau m'enfermer dans cette bulle d'émotions envers ma maîtresse.

- Il n'y a nul jour où je ne pense à vous Madame, dis-je alors. Sachez que je suis très heureuse dans le poste pour lequel vous m'avez recommandée. Les Hayworth sont de bons maîtres. Immédiatement Lady Mary m'a accueillie avec respect et gentillesse. Lord Jonathan est également un maître respectueux.

Je commençai à raconter, de manière étonnante au vu de la situation, ma nouvelle vie à ma maîtresse comme si je désirais la rassurer sur mon bien être.

- Et puis désormais, j'exerce la fonction réelle d Ladyroom auprès de ma jeune maîtresse, dis-je alors. Je pense que je fais bien mon métier et...

Je m'étais interrompue en remarquant que la pluie commençait à humidifier la pierre tombale. J'en fus alors particulièrement chagrinée, devant déjà mettre un terme à mon recueillement car mon manteau ne me protégerait sans doute pas d'une véritable averse. Je soupirai alors, prête à me relever, quand j'entendis soudainement le claquement caractéristique d'un parapluie que l'on ouvre et, à peine un instant plus tard, plus une goutte ne me mouilla. Je tournai la tête vers Lord Sebastian qui tenait son parapluie au-dessus de moi, ne se protégeant nullement.

- Vous allez être complètement trempé, dis-je alors.

- Je ne peux tomber malade, dit-il en évoquant ainsi sa nature. Restez.

Tombant sur ses yeux hétérochromes, je n'y vis que de la bonté et j'acceptai cet acte de gentillesse avec bonne grâce.

- Merci..., dis-je avant de me retourner. Comme vous le voyez Lady Fullton, les Hayworth sont de bons maîtres. Concernant mes tâches de Ladyroom, j'espère toujours les rendre parfaites. Ma jeune maîtresse, Lady Charlotte, s'apprête en effet à faire son entrée dans le monde et je me dois de rendre chaque élément de ses tenues absolument parfait. Vous m'avez bien formée, chaque fois que je dois reprendre un quelconque accroc dans ses tenues, je repense toujours à ces instants où vous m'avez fait passer mon premier fil dans un chas d'aiguille. Depuis j'ai progressé et je ne me pique plus...

Évoquer cette première piqûre dans mon doigt lors de mon premier essai et surtout mes cris en voyant mon sang fit couler plus de larmes que jamais.

- Je... Je suis tout de même heureuse même loin de vous..., repris-je tristement. Je... Je ne pensais pas qu'un jour j'aurais la chance d'avoir une meilleure vie que celle à la ferme et pourtant vous me l'avez apportée cette vie... Je ne peux que vous dire merci encore et encore... Je vous aime Lady Fullton... Plus que tout être au monde... Nulle autre personne ne m'a rendue aussi heureuse que vous et je peux vous promettre que jamais je ne ferai honte à votre enseignement. Je reste une jeune fille éduquée et respectueuse des mœurs... Même si je vais à cet instant faire quelque chose que nous avons faite qu'en privé.

Je portai doucement mes doigts à mes lèvres pour y déposer un baiser et je les ai ensuite posés avec douceur sur la pierre de ma maîtresse en fixant le nom de Helen Fullton.

- Je vais tenter de revenir vous voir tant que les Hayworth seront à Londres. J'espère que là où vous êtes, vous êtes heureuse d'avoir retrouvé cet époux dont vous me parliez tant et que je n'eus nullement la chance de connaître... Je vous aime Mère, dis-je alors tout bas en repensant à ces derniers instants si lourds.

Je poussais alors sur mes jambes pour me relever, sèche à part des yeux, et regarder Lord Sebastian. Je vis dans son regard beaucoup de douceur à mon égard, j'aurais pu presque y voir de l'émotion. Je le vis lever sa main gantée et l'approcher de ma joue pour essuyer une larme.

- Cela n'est-il pas trop dur? demanda-t-il poliment.

- Si..., avouai-je alors.

- J'ai remarqué comment vous l'avez appelée, me fit Lord Sebastian.

- N'en parlez à personne, dis-je gênée. Ce détail serai assez gênant pour sa mémoire.

- Nul amour n'est gênant quand il est sincère Annabelle, me fit Lord Sebastian. Et croyez moi pour avoir eu la chance de lire ses sentiments envers vous dans des missives à l'époque, c'était plus que réciproque et depuis toujours.

Je regardai alors Lord Sebastian et je sentis soudainement l'afflux d'émotions encore plus intenses que jamais. Lady Fullton avait évoqué ses sentiments envers moi à quelqu'un, ce même quelqu'un devant être sincère aux yeux de Lady Fullton. Je déglutis alors avant de dire quelque chose.

- Lord Sebastian ? l'interpellai-je.

- Oui? s'étonna le Lord.

- Je vais faire quelque chose d'inconvenant alors je vous prie de me pardonner, dis-je avant de faire ce geste inconvenant.

- Mais que...

Et là, Lord Sebastian dut être si choqué qu'il ne put s'exprimer. Sa réaction était compréhensible car désormais, une jeune domestique s'était réfugiée contre lui pour se réconforter. Il était sans doute la seule personne au monde à savoir le lien qui m'attachait à Lady Fullton. Je sentis d'abord sa crispation évidente et puis soudain, il répondit à mon besoin par une main dans mon dos.

- Je ne peux vous en vouloir, murmura Lord Sebastian.

- Je vous demande encore pardon mais là, je ne puis faire autrement, dis-je enlacée par cet homme.

Étonnamment, toutes les craintes que j'avais envers lui auparavant semblaient s'être envolées et je me sentais parfaitement bien. Je ne sus combien de temps nous passâmes ainsi mais je finis par me redresser et par l'observer en frottant mes yeux grâce à son mouchoir. Je pus alors réellement le regarder et je réalisai que ses cheveux avaient réellement étaient trempés par la pluie. Je m'en voulais énormément de l'avoir laissé ainsi en proie aux éléments mais je me figeai malgré tout. J'étais simplement étonnée par moi-même. En effet, avec ses cheveux dans cet état pour s'assurer que justement je ne finisse pas comme ça et le regard emplie de douceur qu'il posait sur moi, je ne pus que le trouver très beau. C'était un homme qui pouvait se montrer des plus charmants quand il le voulait. Pourtant, ses défauts étaient bien nombreux. Ses insinuations possédant plusieurs degrés de lecture, ses accès de colère et son manque de sensibilité... Et le pire c'était peut-être ce qu'il faisait avec une femme mariée comme la marquise. Je n'aurais pas dû penser à cela à cet instant car, pour mon plus grand malheur et ma plus grande gêne à cet instant là, je m'étais dite que cette fameuse marquise avait eu de la chance. J'écarquillai les yeux de stupeur à cette horrible pensée, honteuse, gênante et par bien des aspects très inconvenante.

- Vous allez bien? demanda Lord Sebastian.

- Hmm hmm, dis-je honteuse en bougeant la tête.

- Vous semblez fiévreuse, fit-il en approchant sa main qu'il venait de déganter de mon front.

Le contact de sa main me gêna soudainement et je reculai, me souvenant honteusement de sa main parcourant mes jambes.

- Excusez-moi..., dit-il soudainement. Êtes vous venue seule? demanda-t-il ensuite.

- Non, dis-je gênée. Je suis venue avec Lord Henry et Lady Charlotte, ils m'attendent chez un artisan.

- Je vais donc vous laisser, fit-il en me regardant ainsi que le temps. Gardez le parapluie Annabelle.

- Venez avec nous! m'empressai-je bêtement de dire avant de me maudire intérieurement.

Lord Sebastian me regarda avec un certain étonnement. Je pouvais le comprendre, mon propre comportement me surprenait. En effet, je ne désirais en aucun cas le voir s'éloigner, pas après cet étrange instant hors du temps où je l'avais trouvé attirant. Cependant, je ne voulais pas avoir l'air de ces jeunes filles en fleur prêtes à tout pour attirer des faveurs d'un homme alors, il me fallait une excuse.

- Vous n'allez pas rentrer sous cet horrible crachin, proposai-je à défaut d'autres choses. Et puis nous allions sans doute nous trouver une quelconque table dans un salon de thé.

- Ma présence ne risque-t-elle pas d'incommoder la jeunesse? demanda-t-il amusé.

- Vous n'êtes pas si âgé, bien des filles de mon âge ou de celui de Lady Charlotte sont mariées à des hommes du votre, dis-je avant d'avoir une envie de me frapper moi-même.

Lord Sebastian rit un peu de mon propos, le prenant pour une éventuelle boutade de ma part, ce qui en soit n'était guère plus mal. Je le vis donc s'approcher pour attraper le parapluie que je lui laissais volontiers et ce, dans le but de nous protéger tout deux.

- Nous serions dans un endroit moins solennel que je me demanderai si vous me feriez une proposition, dit-il en me faisant rougir.

- Ce n'est pas le cas, m'empressai-je de dire. Et puis vous êtes un homme de bonne société.

Je le vis alors lever légèrement le bras et je compris que c'était pour me laisser saisir son bras afin de veiller à recevoir la protection du parapluie. Je le saisis donc avec un soupçon de gêne avant d'avancer à un rythme tout de même soutenu vers la sortie du cimetière. Nous passâmes ainsi assez rapidement les grilles de cet endroit de recueillement et je lui indiquai immédiatement la destination qu'avait dû prendre Lord Henry et Lady Charlotte.

- Décidément ce temps londonien est caractéristique, dit alors Lord Sebastian pour meubler.

- Effectivement, dis-je sans vraiment y mettre de la conviction. Je ne dénombre plus le nombre de fois où je fus mouillée de la tête aux pieds.

En avançant je me rendis compte du côté inapproprié de mon propos, discutant simplement de moi avec un homme de haute éducation. Nous passâmes alors à côté d'une paire de dames bien habillées qui nous dévisagèrent alors. Je me sentis gênée mais cela n'était rien à côté de ma stupéfaction de leur propos.

- Tu as vu? Quel beau couple, dit alors la première à sa voisine.

- Quel bel homme, cette jeune lady ignore sa chance, fit la seconde.

- Ils feront de bien beaux enfants, répondit la première.

Je déglutis, honteusement saisie de la situation dans laquelle je me trouvais. J'entendis alors Lord Sebastian ricaner tout bas.

- Je vous mets dans l'embarras, marmonnai-je alors.

- Nullement, je suis chanceux qu'elles imaginent qu'une telle jeune fille aurait accepté une demande en mariage, dit-il amusé.

- Quel inconvenance... Leur propos se tient bien sûr, nous n'avons nul chaperon, dis-je gênée de la situation.

- En aurions nous besoin ? demanda Lord Sebastian.

- Non... Évidemment que non, m'empressai-je alors de répondre.

Je n'osais guère le regarder mais je remarquai qu'il bougeait le parapluie, découvrant ainsi la fin de l'averse et me permettant enfin de me décaler quelque peu.

- Mais elles n'ont pas tort, me fit alors Lord Sebastian.

- À quel sujet ? demandai-je extrêmement surprise.

- Si vos enfants disposent du moindre soupçon de votre charme, ils seront gâtés, m'avoua Lord Sebastian en m'invitant à avancer.

- Je vous remercie... Et je me dois de vous dire que les vôtres également, précisai-je gênée.

- Vous avez déjà songé à en avoir? demanda-t-il en faisant fi des convenances.

- Euh... Oui, un jour peut-être et si j'ai la chance d'avoir une fille, j'espère même la nommer Helen en l'honneur de Lady Fullton, précisai-je.

- Elle a compté pour vous, cela se voit, dit-il simplement.

Avec honte, alors que j'imaginais cette fameuse fille, je dus réaliser la véracité des propos des deux ladies sur la beauté de nos éventuels enfants. Je ne savais plus où me mettre quand j'entendis la voix de Lady Charlotte.

- Nous sommes ici! fit-elle sous un auvent avant de remarquer la présence de son oncle.

- Il y a encore quelques lacunes, murmura d'ailleurs Lord Sebastian en riant.

Effectivement, la discrétion que devait montrer son rang semblait littéralement échapper à Lady Charlotte. Nous les rejoignîmes donc et ma chère jeune maîtresse fut très heureuse qu'enfin une personne de plus nous rejoignait. Nous pûmes alors nous diriger vers un salon de thé, moi côte à côte avec Lady Charlotte tandis que son frère et son oncle marchait côte à côte également, quelques mètres devant nous. Je fixais attentivement le dos de Lord Sebastian et je réalisai qu'il m'avait littéralement protégée du mauvais temps, son manteau me semblant bien humide de ma position. Je pus même pleinement l'admirer quand il passa sa main dans ses cheveux trempés pour les replacer.

- Dis le si ma description du travail de l'ébéniste est incapable de t'intéresser, me fit alors Lady Charlotte en riant.

- Pardon, j'étais pensive, dis-je alors.

- À quel sujet ? demanda-t-elle soudainement.

- Par rapport à mon recueillement... Quel heureux hasard que j'aie croisé Monsieur votre Oncle, sans lui j'aurais été dans un état bien déplorable et capable de vous faire honte, précisai-je à ma maîtresse.

- Effectivement... J'ignorais qu'il avait prévu cela, dit-elle simplement.

- Je fus bien aise de pouvoir évoquer quelques souvenirs en sa présence, il m'a écoutée d'une oreille bienveillante, dis-je alors.

- Est-ce moi ou tu sembles apprécier bien plus sa présence ? demanda-t-elle alors.

- J'apprends à connaître sa personnalité et à savoir quand je ne dois pas lui tenir rigueur de ses propos parfois inconvenants, dis-je rapidement.

- Et tu l'observes aussi attentivement pour quelle raison ? demanda Lady Charlotte.

- Je m'en veux... Il m'a protégée de la pluie et désormais il semble plutôt détrempé, dis-je rapidement.

Je tournai la tête vers elle et je remarquai qu'elle souriait d'un air triomphal. Je me demandais ce qui pouvait bien lui passer dans la tête quand elle me fixa avec un regard malicieuse.

- Puis-je te poser une question quelque peu gênante ? me demanda alors Lady Charlotte.

- Oui Mademoiselle, marmonnai-je avec honte.

- Tu sembles plutôt perturbée depuis ton retour... Oncle Sebastian s'est-il mal comporté ?

- Au contraire, dis-je tout bas. Il s'est comporté en parfait gentleman avec moi.

- Ho... D'accord,. hésita Lady Charlotte.

- Je vous assure, il fut parfaitement charmant, dis-je.

Et Lady Charlotte eut pour seule réaction de pencher la tête vers moi avec étonnement. Je me rendis soudainement compte que je venais d'avouer l'avoir trouvé charmant alors que je voulais dire distingué. Elle l'avait cependant relevé et je me sentis toute petite.

- Es-tu en train de me dire que... Mon oncle te plaît ? dit-elle avec un grand sourire.

- S'il-vous-plaît..., murmurai-je gênée.

- Hmhm..., fit alors Lady Charlotte.

Je regardai encore vers Lord Sebastian, ne pouvant réellement détacher mon regard de cet homme. Je fus honteuse de me rendre compte qu'à cet instant précis, je n'avais plus réellement le moindre attrait envers Lord Henry, comme si j'avais juste apprécié cela pour ignorer Lord Sebastian et ses agissements.

- J'avais raison ce premier jour où tu es devenue ma Ladyroom, dit-elle alors trop heureuse à mon goût.

Oui, je le trouvais beau mais était-ce un signe autre qu'une simple réalité. Il était tout de même impossible de l'ignorer et pourtant, jusqu'à cet instant au cimetière, je n'avais pas vu Lord Sebastian comme un homme séduisant, simplement comme un maître. Et là je n'arrêtais plus de l'observer sous chaque angle, me souvenant que sous ces vêtements, un homme solidement bâti se cachait. J'étais totalement ailleurs, perdue et consternée de toutes ces pensées. Je ne devais pas agir comme cela et me recentrer sur mon travail. Seul mon travail comptait, les Hayworth allaient bientôt recevoir et je n'étais guère une jeune fille du genre à songer à des choses aussi impures. Alors que nous marchions encore, je réalisai que Lord Sebastian avait réellement des bras bien bâtis et je commençais alors à m'imaginer protégée par ceux-ci. Lui aussi n'aurait eu aucun mal à me porter lors de cette nuit où j'avais découvert la vérité sur les Hayworth. Je me souvins alors immédiatement de cet étrange sentiment quand j'avais demandé comment j'avais été sauvée. En effet, c'était Lord Sebastian qui m'avait alors répondu et ses propos avait surpris l'audience. Je fus alors saisie d'un étrange doute. Et si c'était Lord Sebastian qui m'avait sauvée ? Non... C'était impossible... Et pourtant, je l'aurais presque souhaité à cet instant là. Mes émotions dans le cimetière m'avait simplement bouleversée... Je devais me tromper et reprendre mon sérieux. Lord Sebastian se retourna alors légèrement pour m'observer et j'en étais désormais sûre, je le trouvais bel homme. Moi, j'étais une jeune fille par bien des aspects trop gênée, j'avais simplement honte de songer à ce que je songeais. Il ne me restait qu'à espérer que Lord Sebastian n'ait rien remarqué et qu'il reprenne son habitude de m'ignorer. Je ne pus donc que croiser les doigts en souhaitant me tromper. J'aurais dû refuser cette sortie, j'en étais convaincue...




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