Le Secret des Hayworth

Chapitre 9 : SOIRÉE AU THÉÂTRE

8375 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/02/2023 08:46

SOIRÉE AU THÉÂTRE


J'avais commencé à m'habituer à mes nouvelles attributions, passant un peu plus d'une heure à chaque fois en compagnie de Lady Charlotte pour l'aider le matin et à peu de choses près le même temps au moment du coucher. J'avais surtout réussi à appréhender la nudité de ma jeune maîtresse, la préparation du coucher et accessoirement de son bain m'y obligeant. À côté de cela, je poursuivais mes tâches quotidiennes avec assiduité. Mais avec une certaine honnêteté, j'étais habitée d'une certaine impatience à l'idée d'avoir l'occasion d'admirer une représentation d'une pièce de ce grand auteur qu'était William Shakespeare. Et je reçus également une très agréable surprise de ma jeune maîtresse. En effet, en prévision de cette fameuse soirée au théâtre et alors que j'allais me préparer, j'eus l'agréable surprise de découvrir une robe de soirée apprêtée par ma maîtresse. Je restai à cet instant complètement éberluée de la splendeur de cette robe, l'observant dans mes jupons et un corset pas trop serré.

- Tu comptes la mettre un jour? me demanda soudainement Agnes qui me fit sortir de ma contemplation.

- Elle est si belle..., dis-je encore une fois.

- Lady Charlotte t'a fait monter cette toilette assez resplendissante, dit alors Agnes en s'en approchant. Je n'ose même pas la toucher.

- Et dire que je dois la porter, j'ai tellement peur d'y faire un quelconque accroc, dis-je alors inquiète.

- Tu pourrais la recoudre, ma rappela avec amusement ma collègue et amie.

- Sans doute..., dis-je en regardant la robe.

- En tout cas c'est très gentil de sa part, me précisa Agnes.

- Et compréhensible, je pense qu'elle ne voulait pas que je lui fasse honte auprès de Mademoiselle Nora Farley et de Monsieur Victor son frère, dis-je calmement.

- Tu veux de l'aide pour l'enfiler ? demanda alors Agnes.

- Oui... Mais fais preuve de délicatesse, je t'en prie, dis-je alors.

Je levai alors les bras tandis que mon amie m'aidait à passer non seulement ma tête mais également mes bras qui allaient être nus dans cette robe d'un rose poudré du plus bel effet.

- Hooo... Qu'elle est légère, m'exclamai-je alors.

- Je trouve aussi, fit Agnes en riant.

- je vais pouvoir inaugurer mes gants que je me suis confectionnés, dis-je toute heureuse.

J'enfilai ceux-ci avec délicatesse, pour ne pas nuire à mon travail de petite fourmi qui m'avait pris bien plus d'une soirée et je vérifiai le bustier de ma robe. Il mettait plutôt bien ma poitrine en avant, la relevant fièrement tandis que mon souvenir d'enfance autour de mon cou tombait simplement entre mes seins.

- On dirait une noble, me précisa Agnes. Votre robe vous sied Lady Rivers? demanda alors Agnes en me faisant une révérence.

- Elle me sied parfaitement ma chère, dis-je en souriant.

- Tes cheveux ? Tu les laisses attachés ? me demanda alors Agnes.

- Ce chignon ne fait pas trop domestique? demandai-je en me regardant dans le miroir.

- Si... On devrait te les détacher, précisa Agnes.

Et effectivement, nous nous permîmes de faire cela tranquillement, me laissant ainsi avec mes cheveux ondulants sur mes épaules. Nul regard extérieur n'aurait pu à cet instant deviner que je n'étais qu'une simple domestique. J'en étais fière car je ne ferai pas honte à ma jeune maîtresse qui m'avait conviée au théâtre. J'entendis quelques coups à la porte.

- Entrez, dis-je alors à la personne derrière la porte.

Cette porte s'ouvrit, laissant apparaître la silhouette de Miss Robbins. Cette dernière s'était apprêtée à parler avant de s'arrêter pour m'observer.

- Vous êtes absolument parfaite Annabelle, dit-elle en me souriant.

- Merci beaucoup Miss Robbins, dis-je en souriant. Puis-je vous aider ?

- Oui, Lady Mary souhaite vous voir dans sa chambre avant que vous ne rejoigniez Lady Charlotte dans le vestibule, me précisa Miss Robbins.

- Ho je vais m'y rendre de ce pas, dis-je alors inquiète.

- Je vais descendre votre manteau, dit-elle en s'en approchant.

Je l'avais en effet préparé depuis le matin même, pour être sûre que cet élément de ma garde robe, peut-être le plus luxueux, soit parfaitement aéré. Je le tendis délicatement à Miss Robbins qui le prit d'ailleurs avec autant de délicatesse que moi-même.

- Je te raconterai Agnes, dis-je en souriant à mon amie.

- La pièce c'est pas obligé, fit-elle en riant. Le reste par contre... On aura peut-être des ragots.

- Tu es vraiment folle de ragots, dis-je en riant avant de mettre de belles chaussures et de sortir.

Je traversai le couloir des femmes avant de descendre lentement l'escalier de service. Je croisai d'ailleurs Jack qui me complimenta avant de retourner vaquer à ses propres tâches. Il était toujours aussi gentil mais je n'avais guère le temps pour me consacrer à la moindre parlotte. Je descendis donc les deux étages pour arriver à celui des maîtres, traversant ce dernier avec discrétion et frappant à la porte de Lady Mary.

- Entrez Annabelle, dit-elle m'attendant visiblement.

Je poussai alors délicatement la porte de la chambre de ma maîtresse. Sa chambre était la plus belle de toutes, décorée d'oeuvres d'art qu'elles aient été réalisées par ses enfants ou achetées auprès de jeunes artistes. Je pouvais également voir le violon de la Comtesse posé négligemment sur son bureau où elle aimait s'y adonner en regardant par la fenêtre. Lady Mary était déjà en robe de chambre, alors qu'il était assez tôt pourtant. Peut-être comptait elle passer sa soirée dans sa chambre.

- Madame la Comtesse, dis-je poliment en penchant la tête.

- Asseyez vous donc, dit-elle en tapant doucement sur son lit.

Je la regardai immédiatement avec une certaine gêne, celle-ci me répondant avec un sourire avant de taper à nouveau sur le lit délicatement avec le plat de sa main.

- Cette robe vous va à ravir, dit-elle soudainement.

- Merci Madame, je pense qu'il s'agit d'un présent de Mademoiselle Charlotte pour la soirée, dis-je quand même.

- Je le suppose également, fit-elle souriante. Je voulais vous parler avant la soirée.

- Je suppose qu'il s'agit de ma fonction de chaperon? proposai-je avec lucidité.

- C'est bien cela, fit alors Lady Mary.

- Je peux vous assurer que je prendrai cette tâche à cœur, dis-je poliment. Je veillerai à ce que Lady Charlotte respecte son rang et que son comportement ne puisse jeter aucune opprobre à la Maison Hayworth.

- Mais je n'en doute pas, m'assura Lady Mary quelque peu gênée.

Elle semblait en effet mal à l'aise de la situation, peut-être s'inquiétait elle simplement pour sa fille mais sa gêne était réellement palpable. Lady Charlotte n'en était pas à sa première sortie, que ce soit pour une exposition ou une représentation artistique mais général, un de ses parents était présent quand ce n'était pas Lord Henry. Il s'agissait d'ailleurs là d'une de ses premières sorties sans aucun autre membre de la famille.

- Puis-je savoir ce qui semble vous tarauder Madame ? demandai-je avec inquiétude.

- Je ne remets pas en doute vos compétences et l'importance que vous donnerez à cette tâche, sachez le, dit-elle soudainement. Cependant mon époux n'était pas de cet avis.

- Ho... Je comprends parfaitement, je vais de ce pas rendre cette robe à Lady Charlotte et l'informer, précisai-je tout de même avec un soupçon de déception.

- Mon époux ne souhaite pas vous empêcher de vous rendre à cette représentation, comme l'a demandé notre fille, me précisa immédiatement Lady Mary. Malheureusement il pense que le fait d'être une domestique pourrait vous empêcher de réellement empêcher notre fille de commettre un impair à l'étiquette.

- D'accord..., dis-je encore légèrement intriguée.

- Il a donc décidé de convier un second chaperon, précisa Lady Mary. Pour s'assurer également que Charlotte ne se serve pas de son ascendance sur vous pour s'amuser plus que de raison.

- Et qui a-t-il convié ? demandai-je inquiète et méfiante.

- Il a demandé à Sebastian de vous accompagner, dit-elle soudainement.

Je dus alors montrer mon inquiétude, de manière inconsciente bien sûr. Je n'étais pas très à l'aise avec cette idée mais il s'agissait d'une décision de Monsieur le Comte.

- Si Monsieur le Comte estime cela nécessaire, dis-je alors.

- Je n'avais pas informé mon époux de la scène désastreuse de la bibliothèque, me précisa alors Lady Mary me stupéfiant ainsi quelque peu. Leur relation étant déjà très conflictuelle, j'ai résolu ce soucis moi-même en réprimandant lourdement Sebastian.

- Je comprends Madame, d'ailleurs je vous en suis reconnaissante, il n'a en effet plus eu de gestes déplacés envers moi, désirai-je préciser à Lady Mary.

- Je le sais, fit-elle. En tout cas, j'espérais que vous oseriez me prévenir si ce n'était pas le cas. Sachez cependant que vous serez en public, il agira avec correction.

- Bien Madame, dis-je simplement.

- Serez vous capable de profiter de cette soirée malgré la présence de Sebastian ? demanda Madame la Comtesse.

- Je pense Madame, dis-je alors après un petit instant de réflexion. Il s'agit de ma première visite au théâtre... Tout du moins pour une œuvre aussi classique.

- Merci de votre franchise Annabelle, dit alors Lady Mary.

Je regardai ensuite ma maîtresse avec une certaine crainte. Je voulais savoir quelque chose et cela pourrait l'incommoder.

- Madame... Puis-je vous poser une question ? demandai-je alors.

- Bien évidemment, me fit Lady Mary.

- Puis-je savoir pourquoi le vicomte fait preuve de tant de désinvolture ? demandai-je intriguée.

- Par défi envers mon époux je pense, m'avoua Lady Mary. Sebastian étant encore jeune à la naissance d'Henry, il sut rapidement qu'il n'aurait qu'une fonction d'apparat et, n'aimant nullement toutes ces simagrées et ces mises en scène, il décida d'en profiter. Son comportement avec vous fut cependant honteux.

- Je pense qu'il a pu croire que je serai intéressée Madame, dis-je quand même.

- Pourquoi le défendre ? me demanda Lady Mary.

- Je ne le défends nullement, son acte était incommodant et inconvenant... Nul ne m'avait..., dis-je en déglutissant.

- Inutile d'entrer dans les détails Annabelle, dit-elle simplement.

- Mais il a également pris ma défense pour mon erreur impardonnable lors du dîner en l'honneur de son retour, précisai-je.

- Et je suppose que ses actes... Digestifs dirons nous n'étaient guère mieux, avoua Lady Mary.

- Vous étiez au courant ? dis-je surprise.

- Annabelle... Une marquise semble avoir disparue ainsi que mon cher beau-frère, il n'y a que peu de doutes sur l'évidence d'actes libertins de ceux-ci, dit alors Annabelle.

- Effectivement Madame, nous les avons interrompus lors de leurs... Ébats, dis-je gênée. Je pense que Monsieur le Vicomte a pu croire...

- Je le connais suffisamment pour savoir qu'il a dû imaginer vous avoir émoustillée, m'interrompit elle rapidement. Mais cela n'empêche pas qu'il aurait dû agir autrement.

- Évidemment Madame...

- Soyez honnête Annabelle... Auriez vous signalé que Sebastian s'en était pris à votre vertu ? demanda Lady Mary.

- Non Madame, dis-je en sachant pertinemment que cela aurait jeté la honte sur ma petite personne.

- Sachez cependant qu'il n'en possède nullement le droit et il le sait, dit-elle ensuite. D'ailleurs... Il n'essaye pas avec toutes...

Je la regardai alors quelque peu surprise, m'attendant sans doute au contraire à vrai dire. Je repensai immédiatement aux propos quelques peu gênants de Lady Charlotte et je me mis à rougir. Peut-être en était-ce la raison...

- Sebastian est cependant protecteur envers sa nièce alors il se concentrera sur les apparences, il n'agira nullement de manière inconvenante. Dois-je le lui rappeler ? demanda Lady Mary.

- Non Madame, dis-je poliment. Je pense que Lord Sebastian connait son rang et l'étiquette. Son comportement sera sans doute exemplaire.

- Bien alors laissez moi vous souhaiter une bonne initiation à l'œuvre de Shakespeare, me dit-elle avec son sourire si rassurant.

- Merci Madame... Êtes vous souffrante? demandai-je inquiète avant de me ressaisir. Pardonnez moi mon impolitesse...

- C'est gentil à vous de vous inquiéter Annabelle, me fit Lady Mary. Nullement, je compte juste profiter de ma soirée avec tranquilité auprès de mes jumeaux.

- Alors je vous souhaite également de passer une excellente soirée Madame et encore merci de me permettre de me rendre au théâtre avec Mademoiselle votre fille, dis-je alors.

- Elle semble très heureuse de vos nouvelles attributions, m'avoua Lady Mary dans un petit rire.

- Moi également, assurai-je alors. D'ailleurs puis-je me permettre de vous signifier un détail ?

- Bien sûr, confirma Lady Mary.

- Je voudrai vous signifier que l'intérêt de Lord Bertram Wendicott semble l'incommoder, dis-je. Je sais parfaitement que l'avis d'une domestique n'a guère de valeur dans ce genre de situation mais je voulais vous signaler que si vous songiez à une union, Mademoiselle Charlotte serait plutôt malheureuse à l'idée.

- Merci de votre honnêteté Annabelle, mais rassurez-vous, ce n'est point à l'ordre du jour pour l'instant, me signifia Lady Mary.

- Merci et pardonnez-moi encore, dis-je poliment en baissant la tête.

- Je vous remercie encore... Une bonne soirée à vous, dit-elle pour me faire comprendre que je pouvais déjà prendre congé.

Et je pris d'ailleurs congé de Madame la Comtesse, me dirigeant d'un pas rapide vers l'escalier. Je pris la décision de descendre l'escalier principal pour arriver plus rapidement dans le vestibule. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir Lady Charlotte dans une tenue semblable à la mienne mais d'un vert clair cependant. Je pus immédiatement repérer Lord Sebastian, dans un costume à queue de pie du plus bel effet.

- Annabelle, te voilà, me fit Lady Charlotte.

- Veuillez me pardonner Mademoiselle, Madame votre mère souhaitait me parler, dis-je en descendant tout en me tenant.

- Ha je vois, marmonna alors Lady Charlotte perplexe.

Je regardai ma jeune maîtresse en descendant les marches, elle semblait tout de même avoir oublié que j'étais tout de même censée être son chaperon. Cependant, quand je ne fus plus qu'à deux marches du marbre du vestibule, je vis une main apparaître devant moi. Lord Sebastian me tendant en effet sa main avec politesse, comme cela se faisait avec une dame, pour m'aider à descendre. Je le regardai un instant, comprenant également qu'il tenait mon manteau et je pris donc sa main avec délicatesse.

- Merci, dis-je poliment en descendant les marches. Et merci à vous Lady Charlotte pour la robe.

- Mais de rien, j'avais quelques inquiétudes vis à vis de ta gêne si tu n'avais pas de robe, m'assura Lady Charlotte.

- J'en avais bien une mais nullement de cette qualité, dis-je en souriant.

Je vis Lord Sebastian préparer mon manteau et il se mit en position pour que je l'enfile. J'acceptai en souriant son acte, me glissant à l'intérieur.

- Si je puis me permettre un compliment, commença Lord Sebastian à voix basse. Nul nous pourra deviner que vous n'êtes pas de notre rang.

- Je vous remercie, dis-je mal à l'aise.

- Ces gants te viennent de Lady Fullton ? me demanda alors Lady Charlotte.

- Je les ai confectionnés moi-même,. dis-je gênée.

- Voilà ce qui arrive quand on apprend à coudre Charlotte, dit alors Lord Sebastian.

- Merci de me le rappeler cher oncle, dit-elle vexée. Ho!!!

Je sursautai à ce petit cri avant de voir Lady Charlotte se ruer à l'extérieur, me choquant totalement. Comment pouvait-elle agir comme cela? Elle aurait dû avoir bien plus de retenue à mes yeux. J'entendis alors le petit rire de Lord Sebastian et je me retournai soudainement vers ce dernier, tombant sur ses yeux hétérochromes.

- J'en viens à douter du rang de ma chère nièce, dit-il alors me choquant.

- Au moins son comportement est convenable, dis-je avant de me figer horrifiée de mon propos.

Lord Sebastian haussa un sourcil de stupéfaction avant de sourire avec un amusement visible.

- Un point pour vous Annabelle, dit-il simplement. Venez, allons rencontrer les personnes qui vont nous accompagner au royaume du Danemark.

Je souris, sachant quand même qu'il parlait d'Hamlet évidemment. Je sortis alors pour rencontrer ces fameux accompagnateurs et je découvris deux beaux jeunes gens en tenue distinguées. Lady Nora Farley semblait le parfait reflet de Lady Charlotte, leurs robes étant de la même couleur et leur comportement plutôt surexcité me faisait sourire. Lord Victor Farley avait également un très beau costume et parachevait le tout avec un haut-de-forme du plus bel effet.

- Nora, Victor, je vous présente Annabelle, dit alors Lady Charlotte.

- Enchantée Lord et Lady Farley, dis-je poliment avant de voir cette dernière s'approcher de moi.

- Chary m'a parlé de toi, dit alors Lady Farley me faisant découvrir le surnom de Lady Charlotte. Et cela sera Nora, ajouta-t-elle avant une accolade.

Je fus choquée, et ce n'était pas peu dire. Si Lady Charlotte agissait avec beaucoup de familiarités avec moi, je pouvais le comprendre étant donné ma fonction en cette demeure. Cette Lady Farley semblait totalement s'en moquer cependant. Je vis ensuite s'approcher Lord Farley qui me fit un baise main poli.

- Mademoiselle Rivers, dit-il durant son baise main. Excusez ma sœur je vous prie.

- Je n'y vois aucun soucis Lord Farley, dis-je alors.

- La magnificence de la jeunesse, fit alors Lord Sebastian en tendant la main. Victor, vous avez bien grandi. Je me rappelle que vous aviez peur d'approcher un cheval.

- Depuis je suis un grand champion de polo, capitaine dans mon école à Eaton, dit-il poliment.

- Je préfère le croquet, mais ce n'est que personnel, dit alors Lord Sebastian.

Je regardai Lord Sebastian avec étonnement avant de remarquer que Lord Farley s'approchait de sa sœur plutôt débordante d'énergie de retrouver sa meilleure amie, ne cessant de la secouer en tout sens et ne lâchant son bras. Lord Sebastian me regarda attentivement.

- Êtes vous étonnée de découvrir qu'une jeune fille de quinze ans de bonne famille puisse être aussi écervelée en présence de sa meilleure amie que n'importe quelle autre jeune fille de son âge ? me questionna avec amusement Lord Sebastian.

- Je suis plutôt étonnée de vos préférences en matière de sports, dis-je alors poliment.

- Cela vient en troisième position dans mes loisirs préférés, dit-il simplement.

- Et quels sont les deux autres ? demandai-je alors avec un soupçon de méfiance.

- En seconde place la chasse, au gibier j'entends, précisa-t-il mesquinement. Et en première place la lecture.

- Loisirs intéressants, dis-je alors quand je fus saisie par le bras.

- Venez Annabelle, me fit Nora. Allons dans la voiture.

Cette impatience me surpris mais j'obéis immédiatement, par habitude d'abord mais aussi par amusement. Lord Sebastian m'aida également à monter après en avoir fait autant avec sa nièce. Je me retrouvais ainsi près de la portière, à côté de Lady Charlotte qui serait donc entre moi et Lady Farley. Lord Farley s'assit en face de sa sœur et ce fut moi qui me retrouvai en face de Lord Sebastian. Je fis très expressément attention à mes pieds pour ne point le heurter.

- Avez-vous assez de place Annabelle ? me demanda Lord Sebastian.

- Oui, merci..., dis-je gênée.

J'avais effectivement remarqué que mon pied touchait le bas de sa jambe mais cela ne fut guère bien long, ce dernier la bougeant pour me laisser place. Alors que Lady Farley abreuvait Lady Charlotte de détails concernant ses dernières acquisitions vestimentaires en tout genre, je portai mon attention vers la petite fenêtre, regardant le domaine défiler. Il faisait déjà sombre et il n'y avait guère de monde. Je pus enfin remarquer quelqu'un, un fermier sans doute, en train de marcher dans le champ. Je me figeai alors en découvrant l'ombre de cet homme que je pouvais discerner dans l'obscurité. Je devais me tromper ou alors cet homme était difforme. En effet, malgré l'obscurité, je ne pus que voir ses très longs bras. Je devais être stressée, il était totalement impossible qu'un homme ait des bras si longs que ses mains lui arrivaient sous les genoux voir plus bas encore. Je me redressai un peu pour vérifier que je n'avais pas d'hallucinations mais malheureusement, la voiture tourna, cachant cette homme à ma vue. Je me frottai alors les yeux.

- Tu m'écoutes Chary? demanda soudainement Lady Nora Farley.

Je tournai la tête vers ma jeune maîtresse et celle-ci semblait concentrée sur son oncle. Je tournai la tête vers lui d'ailleurs, lui découvrant ainsi un sérieux plutôt surprenant. Je le vis alors se gratter le cou doucement.

- Je viens de penser que je n'avais pas pensé au cadeau de Sebastian, fit Lady Charlotte en ouvrant sa petite pochette.

Elle en sortit un petit flacon qui, au vu de l'utilisation qu'elle en fit, était un parfum. Celle-ci s'en mit un peu quand son amie s'adressa à elle.

- Je peux? demanda Lady Nora Farley.

- Je suis navré Lady Farley mais ce parfum ne pourra nullement vous seoir, il a été créé spécifiquement par un parfumeur de Grasse pour ma nièce, dit alors Lord Sebastian.

- Et cela empêche...

- Nora, la réprimanda son frère. Tu en as plus que de raison.

- Oui mais...

- Promis je demanderai à mon oncle de te donner les coordonnés du bureau londonien de ce parfumeur, la rassura Lady Charlotte.

- Bon tant pis... Tu es au courant pour Lady Carmichael ? demanda alors Lady Farley en se plaçant dans un débat de ragots.

Étais-je la seule à réaliser qu'il venait de se passer quelque chose d'étrange ? Je le supposais car Lord Farley ne faisait qu'écouter d'une oreille distraite les élucubrations de sa sœur. Moi, je fixais attentivement Lord Sebastian pour étudier son comportement. J'étais peut-être folle mais j'aurais pu jurer, si ce n'était péché évidemment, que son comportement avait changé immédiatement après que nous ayons passé cet étrange paysan. À cet instant là précisément, même Lady Charlotte avait modifié son comportement ignorant son amie pour fixer son oncle. Lord Sebastian me fixa un long moment durant ce trajet et je finis par tourner la tête. Je venais en effet de me rendre compte que nos regards s'étaient croisés très longuement parce que je scrutais chacune de ses réactions. Alors que Lady Farley avait décidé de m'inclure dans la conversation depuis un bon moment déjà, me parlant de Lord et Ladies dont j'ignorais totalement l'existence, notre voiture se mit à ralentir pour lentement s'arrêter.

- Nous voilà arrivés Mesdemoiselles, fit alors Lord Sebastian en descendant de la voiture.

Je le vis immédiatement me tendre une main secourable pour m'aider à effectuer une descente de voiture distinguée. Je fis de mon mieux et attendit tranquillement que les autres occupants fassent de même. Les deux jeunes ladies se mirent à avancer rapidement vers le théâtre sans nous attendre malgré le pas rapide qu'effectuait Lord Farley pour les rattraper.

- Quel manque de distinction..., marmonna Lord Sebastian près de moi.

- Elle semble s'amuser, dis-je nullement vexée avant de me figer.

Lord Sebastian venait de me tendre poliment son bras pour que je puisse avancer. Naturellement, il s'agissait d'un geste respectant purement l'étiquette la plus basique des sorties en société. Je le pris donc poliment, remerciant Lord Sebastian d'un mouvement de tête. Je progressai ainsi lentement vers l'intérieur de ce théâtre d'Havenport découvrant ainsi son magnifique intérieur. Je me laissai guider par Lord Sebastian qui suivait en réalité sa nièce et ses amis. Je me rendis soudainement compte que non seulement nous nous dirigions vers le vestiaire mais surtout que je n'avais nullement pensé à ce détail, oubliant ainsi de prendre un petit sac ou du moins de l'argent. Mais le pire dans tout cela était le montant affiché, assez indécent d'ailleurs à mes yeux. Lord Sebastian avançait toujours tandis que les jeunes ladies fouillaient dans leurs sacs. La honte s'apprêtait déjà à s'abattre sur moi quand Lord Sebastian s'adressa au chargé du vestiaire.

- Mon brave, je paye pour ces jeunes gens, fit Lord Sebastian.

- Bien Monsieur, fit poliment l'employé en prenant tous nos manteaux.

- Gardez la monnaie, fit Lord Sebastian laissant un bien gros pourboire.

Il continua ensuite à me guider vers un escalier menant aux loges des nobles. J'étais tout compte fait assez chanceuse car j'aurais l'occasion de voir cette représentation depuis une place de choix. En haut de ce bel escalier, j'eus tout le loisir de découvrir que les nobles patientaient dans une sorte de petit bar à la propreté évidente. Les futurs spectateurs profitaient de cette occasion pour discuter et nouer de nouveaux liens. Moi, je patientais près de ma jeune maîtresse, m'assurant que nul jeune homme ne vienne l'incommoder de manière intempestive. J'avais cependant réalisé que son lien avec le jeune Lord Farley était uniquement amical et surtout qu'elle ne se souciait en réalité que de Lady Farley. J'étais également agréablement surprise, Lady Charlotte me présentait aux autres nobles venant leur parler, me présentant comme une amie. N'étant cependant nullement une noble, je ne les intéressais nullement. Je remarquai soudainement que Lord Sebastian restait au bar et surveillait sa nièce au loin. Souriant à ce détail, je saisis l'occasion pour m'approcher de lui.

- Ennuyée de votre tâche de chaperon ? me demanda Lord Sebastian.

- Non, dis-je poliment. Je voulais vous dire merci pour le vestiaire.

- Vous n'avez nullement à me remercier, dit il en me souriant.

- Et..., hésitai-je un instant.

- Qu'y a-t-il ? demanda-t-il amusé et intrigué.

- Je repensai à ce soir-là dans la bibliothèque, dis-je alors avant de me figer en le voyant sourire. Pas cette malencontreuse partie.

- Ha, c'est bien dommage, dit-il amusé en s'appuyant sur le bar.

- Je préfère l'oublier d'ailleurs, dis-je ensuite.

- Je vous trouvais plutôt sublime avec ce rouge aux joues, découvrant le pouvoir des doigts, dit-il me choquant.

Je regardai immédiatement autour de moi, inquiète que quelqu'un n'entende de tels propos. Il eut alors un petit rire en me regardant.

- Mais Mary m'a suffisamment réprimandé, dit-il ensuite.

- Je suis navrée de l'affront subis malgré tout, désirai-je préciser.

- Mais pour la première fois, je le fus même par mon cher neveu, dit-il ensuite.

- Lord Henry vous a..., commençai-je surpris.

- Je crois que notre cher Henry semble ressentir un léger attrait à votre encontre, enchaîna Lord Sebastian.

- Vous devez vous tromper, dis-je en rougissant.

- Quel dommage qu'il n'ait put vous voir dans cette robe, dit-il ensuite.

- Elle est assez belle en effet, dis-je gênée. Mais Lord Henry ne doit avoir d'yeux que pour Lady Swan.

- Que vous êtes crédule ma chère, dit-il avec amusement.

- Vous vous trompez, si je puis me permettre. Je suis simplement plaisante à regarder parce que Lady Charlotte a sélectionné une belle toilette pour moi. Je suis une simple domestique, insistai-je.

- C'est ce que je disais, pensez vous réellement qu'une robe ait put vous être aussi parfaitement destinée sans un avis extérieur ? demanda-t-il amusé.

- C'est vous qui...

- J'ai eu tout le loisir d'admirer votre silhouette ce soir là, mon neveu a bien du gout, dit-il ensuite.

- Je..., dis-je choquée.

- Elle vous plaît ? demanda-t-il ensuite.

- Oui... Merci, dis-je gênée de savoir pourquoi cette robe m'allait si bien. À propos... J'ai appris par Lady Charlotte que le livre que j'ai pris était votre préféré.

- Et vous en avez pensé quelque chose de bien? demanda Lord Sebastian.

- Je ne l'ai point commencé, j'attendais votre autorisation, dis-je avec honnêteté.

- Vous avez toutes les autorisations que vous désirez, m'assura Lord Sebastian.

- Je vous remercie, dis-je mal à l'aise.

- Garçon, fit-il au barman. Deux verres de Merlot s'il-vous-plaît.

Je regardai Lors Sebastian quelque peu étonnée et encore plus lorsque le serveur lui donna les deux verres. En effet, l'un de ces deux verres m'était en réalité destiné.

- Je... Je n'ai jamais bu de vin, dis-je franchement.

- Je ne cherche nullement à vous fourvoyer jeune fille mais je n'aime pas boire seul... Et puis rassurez vous, ce n'est nullement dans l'espoir que l'ivresse vous monte à la tête et ne vous convainque de céder à des avances, dit-il ensuite.

- Puis-je demander à quel point ce propos est sincère ? demandai-je intriguée.

- Totalement, dit-il amusé en me tendant le verre. Je préfère que la dame soit en pleine possible de ses moyens lorsqu'elle me laisse la découvrir dans la plus magnifique volupté.

- Je croyais que Lady Mary vous avait réprimandé, dis-je en prenant le verre.

- Tout à fait... Elle m'a dit et je la cite totalement et pleinement, ainsi que fidèlement, "ne vous en prenez plus à cette jeune fille de cette manière, elle pourrait vous céder par obligation", m'avoua Lord Sebastian.

- Et donc? demanda-t-il surprise.

- Si je me retrouve à vous céder, je serai donc respectueux de cette promesse, me fit Lord Sebastian.

Je le regardai surprise et consternée, blessée un peu également qu'il puisse envisager que ce soit moi qui initie un rapprochement après ce qu'il s'était passé. Comment pouvait-il donc être si différent de son neveu ? Lord Henry était si respectueux et si il avait réellement ne serait-ce qu'une once d'attirance envers moi, il agissait avec discrétion et surtout, avec distinction.

- Cessez donc de me regarder comme cela et buvez, dit-il en buvant du vin.

Je regardai alors mon verre et j'en pris une petite gorgée, laissant ce nectar de si bonne qualité s'engouffrer dans ma gorge.

- C'est très bon, merci de me faire découvrir cela, dis-je alors.

- Dommage que je ne vous fasse découvrir que cela, dit-il.

- Lord Sebastian, quelqu'un pourrait vous entendre, dis-je outrée.

- Que croyez-vous donc Annabelle ? dit-il en souriant de manière assez énigmatique. Pas un noble en ces murs ne méritent toute l'obéissance que vous souhaitez nous prêter et encore moins le respect que vous nous accordez.

- Je vous demande pardon? dis-je surprise.

- Regardez cet homme, fit-il en montrant un homme.

Je le regardai attentivement et cet homme était d'une distinction incroyable, chacun de ses gestes reflétant son respect de l'étiquette et du milieu.

- Il semble distingué, dis-je en buvant une gorgée de vin.

- Il le semble bien moins dans un Club de Gentlemen, lorsqu'il fourre son chibre au plus loin du séant d'une demoiselle qui a empoché quelques piécettes pour cela, dit-il en souriant.

Je faillis m'étouffer en entendant cela, autant à l'image qu'au propos pourtant audible.

- Et cette magnifique dame si distinguée, semblant parler de vertu à tout va, fit-il en me montrant une jeune femme d'une vingtaine d'années semblant vertueuse. Elle est bien moins stricte quand elle lèche le doux bonbon de sa dame de compagnie tandis que je m'affaire à la faire atteindre une forme de petite mort très plaisante.

Je regardai Lord Sebastian choquée, remarquant que le garçon de service nous fixait.

- N'ayez craintes, je suppose que ce jeune homme a vu plus de choses en ces murs que la politesse l'empêche de rapporter que moi-même, dit-il en souriant. Les loges privées...

- Je...

- Annabelle... Nous sommes aussi des animaux et comme eux nous cédons à nos pulsions, dit-il enfin. Il n'y a pas de honte.

- Lord Sebastian, c'est inconvenant, dis-je choquée en posant mon verre.

- Peut-être mais c'est la réalité, dit-il en regardant le garçon de service s'éloigner. Et vous?

- Quoi? demandai-je choquée.

- Ne vous touchez vous pas? demanda-t-il amusé.

- Dieu du ciel non ! dis-je choquée.

- N'avez vous jamais regardé un homme avec insistance, sentant monter une douce chaleur au plus profond de vos entrailles ? demanda-t-il avec plaisir.

- Je..., hésitai-je alors.

- Mon cher neveu peut-être ? insista Lord Sebastian. Ne répondez pas, le rouge si plaisant sur vos joues a répondu à votre place.

- Non nullement, mentis je alors.

Lord Sebastian se pencha doucement à mon oreille et murmura un étrange propos.

- Je ne sais lequel de vous deux a le plus de chance, dit-il tout bas avant de se redresser. Êtes vous prête à plonger dans l'univers tortueux de ce cher William Shakespeare ?

- Euh... Oui, dis-je encore perdue du propos.

De nouveau, Lord Sebastian me tendit son bras que j'acceptai avant de rejoindre les autres participants de notre soirée. Alors que nous nous dirigeâmes vers notre loge, je ne pus que me mettre à observer les nobles autour de moi, ne cessant d'entendre les propos de Lord Sebastian à leur encontre. Je connaissais Lady Fullton qui était quelqu'un d'exemplaire mais qu'en était-il réellement des autres familles ? Les Hayworth semblaient convenables mais les évènements qui étaient survenus avec Lord Sebastian indiquaient bien qu'il était capable d'être autre chose que parfaitement éduqué, même si ses conquêtes n'en semblaient nullement déçues. Lady Swan ne s'intéressait qu'à son statut et les autres étaient parfois identiques. Peut-être Lord Sebastian avait-il raison après tout, je le mettais sans doute sur un piédestal au vu de mon éducation. Nous arrivâmes rapidement dans notre loge et, sachant mon statut, je m'étais dirigée immédiatement vers les sièges du second rang, laissant les quatre à l'avant aux Hayworth et aux Farley. Je m'assis immédiatement récupérant ainsi le petit livret du théâtre que j'allais commencer à lire quand je vis Lord Sebastian me fixer. Il ne s'assit nullement à l'avant et vint me rejoindre.

- Pensez-vous que ma présence près de vous serait incommodante? demanda-t-il tout bas.

- Je ne suis qu'invitée, dis-je alors sachant que je ne pouvais nullement me permettre de refuser.

Lord Sebastian s'assit donc près de moi et prit également son livret avant de s'adresser de manière presque inaudible à mon encontre.

- Je suis certain de mieux profiter de la représentation à vos côtés, dit-il doucement. Au moins je suppose que vous serez attentive, d'autres risquent de tout commenter en gloussant.

Je regardai vers Lady Charlotte qui discutait avec son amie et effectivement, les gloussements allaient bon train. Je souris alors, me disant qu'effectivement, Lord Sebastian serait peut-être plus calme. Cela serait en effet dommage que ma première sortie au théâtre ne me permette nullement d'en profiter. Mais quelques craintes subsistaient, Lord Sebastian serait-il correct ou en profiterait il pour agir de manière inconvenante. Je remontais prestement les manches de mes gants longs en dentelle, préférant réduire au maximum la peau nue que j'arborais. Lord Sebastian lisait tranquillement son livret, comme moi d'ailleurs, quand un soupir de sa part me fit l'observer. Il fixait attentivement les deux ladies en pleine moquerie des toilettes parfois surréalistes de certaines nobles.

- Peut-être s'endormiront-elles..., marmonna Lord Sebastian.

Inconsciemment, sa phrase me fit rire doucement et discrètement. Il m'avait cependant entendue et me regarda, m'obligeant à porter mon attention à mon livret devenu soudainement encore plus intéressant.

- Vous avez un très joli rire, me dit Lord Sebastian tout bas ne me mettant guère plus à l'aise.

- M... Merci... Et excusez-moi, dis-je alors en pensant à ce que j'avais fait.

- Ne vous excusez pas, dit-il en souriant.

Je continuai lentement la lecture du livret sur l'œuvre de William Shakespeare que je parcourais avant de le poser sur mes genoux.

- Mais où Monsieur Shakespeare pouvait-il aller chercher tout cela, dis-je pour moi-même.

- Je peux peut-être vous éclairer, me fit Lord Sebastian.

- Comment cela? demandai-je intriguée.

- J'ignore totalement si William Shakespeare en a eu vent mais il existe une histoire semblable dans la Geste des Danois écrit par Saxo Grammaticus en douze cent de notre ère, me précisa Lord Sebastian.

Je le regardai étonnée de cet aveu, visiblement Lord Sebastian était plus que cultivé et comme j'étais assez curieuse, je l'interrogeai immédiatement.

- Et que raconte cette histoire ? demandai-je avec un vif intérêt.

- Que j'aime les demoiselles curieuses, me fit Lord Sebastian en riant. Le roi Horvendil est assassiné par son frère Fengo, qui épouse ensuite Gerutha, la veuve de sa victime. Le fils d’Horvendil, Amleth par une étrange coïncidence..., fit-il dans un rire.

- Effectivement, dis-je très amusée. Continuez donc.

- Ce Amleth feint alors la folie afin d’être épargné. Il évite le piège d’une jeune fille puis tue un espion dissimulé dans la chambre de sa mère. Il parvient ensuite à intercepter un courrier destiné au roi d'Angleterre et commanditant son assassinat ; ce sont les deux messagers qui sont tués à sa place.

- Ho..., dis-je complètement à la merci de cette histoire si prenante.

- Il épouse alors la fille du roi d’Angleterre, retourne au Danemark, assiste à ses propres funérailles et assassine Fengo... Ce qui correspond bien à la Marche funèbre de Berlioz pour une production parisienne qui n'eut jamais lieu, conclut Lord Sebastian.

Je regardai alors Lord Sebastian plutôt intriguée de tant de connaissances. Je ne savais plus quoi en penser.

- Vous ne me voyiez que comme un libertin ignorant tout sauf le plaisir de ses partenaires ? demanda-t-il ensuite en voyant mon désarroi.

- J'ignorais que vous étiez amateur de théâtre, dis-je tout simplement. Que vous soyez cultivé n'est pas réellement surprenant.

- Car nous avons le même loisir quand nous sommes en quête de sommeil ? dit-il en souriant.

- La bibliothèque semble un refuge, dis-je en répondant également par un sourire.

- Mais je préfère Roméo et Juliette, dit-il ensuite.

- Pour la tristesse de l'acte final? demandai-je en sachant que je devais me méfier de Lord Sebastian.

- Plus croustillant, la si jeune Juliette qui n'hésite nullement à s'offrir du haut de ses quatorze ans..., fit-il pensif.

- Romeo est devenu son époux quand elle s'offre à lui, la défendis-je bêtement. Cela est vertueux.

- Que si vous êtes vertueuse et belle, vous ne devez pas permettre de relation entre votre vertu et votre beauté.

Je regardai attentivement Lord Sebastian comprenant immédiatement qu'il venait de citer Hamlet, la réplique de ce dernier à Ophélie quand il décide de faire croire qu'il est fou. Je me pris alors au jeu.

- La beauté, monseigneur, peut-elle avoir une meilleure compagne que la vertu? répondis-je conformément à la pièce.

Je vis Lord Sebastian sourire et continuer.

- Oui, ma foi! car la beauté aura le pouvoir de faire de la vertu une maquerelle, avant que la vertu

ait la force de transformer la beauté à son image. Ce fut jadis un paradoxe ; mais le temps a prouvé que c'est une vérité. Je vous ai aimée jadis..., enchaîna Lord Sebastian.

Je souris devant sa mémoire et je fis mine de l'applaudir poliment. Il était évident qu'il connaissait cette œuvre par cœur et j'en étais totalement impressionnée.

- Actre trois, scène deux, me fit alors Lord Sebastian.

- J'avais reconnu, dis-je poliment. Vous m'impressionez... Ou alors avez-vous révisé expressément ?

- Vous me croyez donc si manipulateur? dit-il avec fierté. L'un de mes nombreux talents, un que vous semblez apprécier.

Il était dommage que Lord Sebastian revienne aussi vite à son comportement habituel. Je préférais clairement celui qui récitait de tête du Shakespeare que celui qui parlait d'actes indécents. Enfin la représentation commença et mon attention se porta sur ces si magnifiques décors parfaitement réalisé, me faisant découvrir les premiers personnages de la pièce, Francisco et Bernardo, les gardes de la plateforme qui devaient découvrir le spectre du père d'Hamlet. J'en oubliais totalement où j'étais, fixant les acteurs récitant leurs textes aussi parfaitement que l'avait fait Lord Sebastian. Les répliques s'enchaînaient avec un naturel incroyablement retranscrit. Je remarquai soudain, alors que finissait la troisième scène de l'acte premier, un léger mouvement à ma gauche. Je tournai la tête vers mon voisin et le découvrit comme en proie à un certain malaise. Je le fixai attentivement avant de réaliser que Lady Charlotte s'était retournée vers son oncle. Avait-elle aussi remarqué sa réaction surprenante ? Qu'importe, Lord Sebastian se pencha vers moi.

- Pouvez-vous accomplir la tâche de chaperon seule quelques minutes ? demanda-t-il tout bas.

- Tout va bien? demandai-je méfiante.

- Un soucis personnel, ne prenez nullement peur, je reviendrai vite, fit-il avant de se lever.

Je le regardai quitter la loge oubliant littéralement la pièce qui se déroulait près de moi. J'étais un peu surprise mais je ne pouvais qu'estimer dommage qu'il ne rate un tel spectacle. Tournant la tête lentement, je vis Lady Charlotte me regarder et surtout je vis de l'inquiétude en elle avant de faire comme si rien n'était et discuter de nouveau avec Lady Farley. Je n'étais pas aussi détendue moi-même, passant de plus en plus de temps à observer la porte de la loge. Il ne revenait pas et les scènes passaient les unes après les autres. Au bout d'un moment, je n'y tins plus et je me levai, subissant un regard surpris de Lady Charlotte.

- Je vais voir où se trouve votre oncle, profitez du spectacle, dis-je simplement avant de prendre congé.

Je sortis donc de la loge avant de chercheurs dans la couloir, puis de descendre. Je me disais que peut-être était-il allé boire un verre. Nulle trace de lui non plus à cet endroit. Cependant, il y avait un garçon de service et je m'adressai à lui.

- Auriez-vous vu l'homme qui vous a commandé deux verres de... Euh..., hésitai-je alors.

- Oui Mademoiselle, dit-il simplement. Il est descendu pour sans doute sortir.

Je redescendis encore passant sans m'arrêter devant le vestiaire et je me retrouvai rapidement dans la rue. Je regardai à gauche, puis à droite. Et soudain, je le vis enfin et je fus horrifiée. Ses vêtements étaient pleins de poussières, ses cheveux défaits et surtout, il était extrêmement surpris de me voir.

- Lord Sebastian, que vous est-il arrivé ? demandai-je en avançant vers lui.

- Rentrons Annabelle, les rues ne sont jamais sûres, dit-il en me forçant à entrer.

- Mais Lord Sebastian vos vêtements..., dis-je alors en entrant dans le théâtre.

- Je devais voir un associé et j'ai bêtement trébuché en revenant, fit-il simplement.

Je le regardai simplement, complètement sceptique de son propos. Mademoiselle sa nièce ne devait cependant pas le voir dans un tel état et je me mis à épousseter ses vêtements.

- Annabelle arrêtez, grommela Lord Sebastian.

- Mademoiselle ne doit pas vous voir...

- Vous allez abîmer vos gants, dit-il sèchement en attrapant ma main et me faisant remonter les étages.

- Je m'en moque Monsieur, dis-je consternée en arrivant à l'étage du bar avant de me défaire de son emprise. Vous me faites mal!

- Navré, c'est inutile de s'inquiéter pour moi suis-je clair? dit-il alors.

Je ne répondis pas, l'observant simplement avec horreur. Je me précipitai alors immédiatement vers le garçon de service lui demandant une serviette en papier avant de revenir munie de celle-ci vers Lord Sebastian.

- Lord Sebastian, vous saignez, dis-je alors en pliant doucement la serviette pour la placer sous son nez d'où coulait du sang.

- Mais c'est..., grogna Lord Sebastian.

- Heureusement vous n'avez pas sali vos vêtements, dis-je en le regardant. Vous vous êtes bagarré n'est-ce pas?

- Ce n'est pas cela, marmonna Lord Sebastian.

- Vous êtes vous cogné le nez lors de votre chute alors? insistai-je ensuite.

- Cela m'arrive souvent, de plus en plus..., m'avoua Lord Sebastian.

Je regardai Lord Sebastian avec circonspection, appuyant doucement avec ma serviette. Il me fixait de ses yeux hétérochromes qui semblaient briller avec les reflets des lumières du théâtre.

- Pardonnez-moi de vous materner, dis-je alors.

- C'est à moi de vous demander pardon, vous ratez Hamlet, dit-il alors avec un étrange sérieux.

- Ce n'est rien, dis-je en souriant.

C'était surprenant, lui qui semblait habituellement tout maîtriser se retrouvait à se faire soigner par la petite domestique. Je souris à cette image et je voulus m'en amuser.

- Vous pourrez toujours déclament ce que j'ai raté, dis-je en souriant.

Le vicomte me regarda légèrement perplexe. Peut-être avais-je été trop familière en me permettant de tels propos. Il me fixait simplement, longuement, me poussant inconsciemment à ralentir les mouvements de tapotements sous son nez.

- Je ne saigne plus je pense, dit-il au bout d'un moment.

- Ho... Tant mieux, dis-je en le réalisant.

- Allons dans la loge, vous ne raterez pas le final, fit-il en me poussant à avancer vers l'escalier menant aux loges.

- Ce n'est pas nécessaire, dis-je en me retournant. Je peux m'assurer que vous alliez bien.

Étonnamment, Lord Sebastian se figea dans l'escalier en me regardant. Son regard était d'ailleurs plus pénétrant que jamais, comme si il pouvait tout savoir de moi. Peut-être pensait-il que je le prenais en pitié, malgré ce qu'il m'avait fait mais je m'inquiétais tout de même pour lui. Peut-être beaucoup plus d'un éventuel chagrin de Lady Charlotte que pour lui à proprement parler mais tout de même. J'étais surprise par contre que Lord Sebastian ne réponde pas et cela commençait d'ailleurs à m'inquiéter.

- Lord Sebastian ? Vous allez bien? dis-je très inquiète.

Je le vis alors inspirer profondément en fermant les yeux, détail surprenant, c'était comme si je l'exaspérais. Et puis il les ouvrit et ils étaient désormais beaucoup plus froids, comme à son habitude.

- Si vous vous inquiétez autant, peut-être pourriez vous passer la nuit à mon chevet, dit-il avec son sourire mesquin. Je suis un très bon patient et je peux vous assurer que je ne ronflerai pas du tout un seul instant.

Je lachai alors immédiatement sa main, outrée d'un nouveau propos aussi indécent. Je le regardai fixement et je savais que si il n'était pas un de mes maîtres, la paume de ma main serait venue réchauffer sa joue d'un mouvement sec. Et même si c'était tentant, je ne le pouvais nullement.

- Vous allez donc bien, dis-je froidement tant j'étais vexée. Votre nièce en sera rassurée.

Je me tournai en remontant l'escalier, complètement choquée de tant de désinvolture. Autant voir la fin de la pièce, surtout si c'était pour entendre encore et encore de tels insanités. Cet homme pouvait passer en un instant du noble prétentieux à l'homme distingué et presque fréquentable. Je me rassis alors sur chaise en voyant arriver Lord Sebastian. J'étais outrée mais pourtant, je ne pus que remarquer encore une fois un étrange échange de regards entre Lord Sebastian et Lady Charlotte. En y prétant une plus vive attention, je réalisai enfin qu'il bougeait de manière presque imperceptible les lèvres. Ils communiquaient ensemble de façon si discrète que je me demandais encore commence ils s'entendaient quand quelque chose attira mon regard sur la nuque de Lord Sebastian. Je fixai alors attentivement cela et j'eus l'impression de voir une difformité. C'était comme si un os du cou de Lord Sebastian essayait d'en sortir. Mais alors que je le fixais, l'os sembla de renfoncer dans le cou. C'était impossible, je devais avoir rêvé. Ou alors, ces deux là cachaient quelque chose. Une drôle d'idée germa dans ma tête mais j'en eu immédiatement honte. Les deux semblaient avoir des excroissances et je m'étais demandée si il n'avait pas fauté avec Lady Mary, avant de châtier mentalement pour de telles pensées. Ce n'était pas le genre de Lady Mary. J'aurais préféré en réalité ne pas me tromper car la réalité était quelque peu différente et surtout impossible...




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