Le Secret des Hayworth

Chapitre 3 : DOMESTICITÉ

8222 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/01/2023 09:01

DOMESTICITÉ


Je venais de passer ma première nuit dans le Manoir Hayworth et même si ma nuit avait été assez courte, principalement par le fait que ma chère voisine aimait parler, elle avait été excellente. La literie l'était également mais j'avais surtout accumulé fatigue et stress, heureusement d'ailleurs que la bougie que nous utilisions toutes deux la veille au soir diminuait rapidement. Ma voisine de chambre m'avait rassurée, elle était assez calme dans son sommeil et comme je partageais une chambre pour la première fois depuis ma petite enfance, si j'omettais évidemment les nuits avec Lady Fullton, j'en avais été ravie. Je n'avais pas besoin de beaucoup de sommeil, comme la plupart des autres domestiques selon mon estimation ; ce qui me permettait de me réveiller lentement et peu à peu. Naturellement, le soleil se levait encore assez tôt en ce mois d'août et j'avais l'occasion de continuer de lire un livre d'une romancière que je découvrais du nom de Jane Austen. Elle avait la capacité de décrire la condition féminine bien mieux que d'autres et, même si certaines choses me semblaient un petit peu exagérées, elle savait décrire le monde. Je tournais doucement les pages de peur de réveiller ma voisine quand je finis par la discerner en plein redressement. Elle écarta doucement les bras en bâillant quelque peu bruyamment cependant, mais nous n'étions que toutes les deux ce qui empêchait tout jugement de ma part.

- Ho tu es déjà réveillée? me demanda doucement Agnes avec un sourire.

- Oui, mais j'ai très bien dormi, assurai-je quand même au cas où ma collègue se poserait la question.

- La literie est excellente, m'avoua Agnes. Tu... Tu as déjà allumé le petit poêle pour chauffer l'eau?

- Je pensais que cela te conviendrait, j'avais quelques craintes sur la possibilité de te réveiller mais visiblement tu dormais à poings fermés, assurai-je en refermant mon livre et le déposant délicatement.

- Tu es vraiment la voisine parfaite, m'assura Agnes en riant. Parfaite pour épouser également !

Je la regardai alors en riant un peu, cachant ma bouche de ma droite comme il convenait de le faire, une femme de bonne éducation ne montrant pas ses dents et ne riant nullement ne manière exubérante. Elle se leva et me fixa, une question sur les lèvres selon mes impressions.

- Il y a un quelconque soucis Agnes? demandai-je avec une légère méfiance.

- Je... Je pense que je vais placer le paravent, je suppose que tu n'es peut-être pas habituée à te trouver nue devant une autre personne, me fit soudainement Agnes.

- Effectivement, je suppose que tu y es habituée par le fait d'avoir des sœurs ? demandai-je par acquis de conscience.

- C'est vrai, mais je serai discrète, dit-elle alors.

Je la vis placer le paravent et agripper le pichet métallique déjà chauffé pour remplir une bassine. Je n'avais pas vu où se trouvait l'évacuation de l'eau dans la chambre mais peut-être était-ce dans les commodités. À cause des rayons de soleil qui perçaient par la fenêtre et qui se réverbéraient sur le paravent, ce furent les ombres de la silhouette d'Agnes qui s'offrirent à moi par le paravent. Je ne pouvais qu'en être jalouse, ses formes devaient attirer plus d'un regard envieux ou ampli de désir. Elle était réellement très belle et je supposais qu'une sortie en ville en sa compagnie ne devait guère être de tout repos. Celle-ci fit rapidement sa toilette avant d'enfiler une longue chemise propre pour sa journée de travail. Rapidement je la vis reposer le pichet sur le petit poêle avant d'attraper sa bassine. Elle se dirigea vers un recoin de la pièce et j'eus le loisir de la voir soulever une petite plaque dévoilant ainsi un orifice d'évacuation. Une telle demeure était donc très bien équipée. Je me levai à l'instant même où elle passa le paravent en attachant ses cheveux.

- La place est libre Annabelle, me confirma Agnes.

- Je me dépêche, avouai-je en me plaçant derrière ce dernier.

Je versai immédiatement l'eau dans la bassine, même si elle n'était pas aussi chaude que pour Agnes, je comptais bien m'en accomoder. Ouvrant le meuble, je me mis à genoux pour chercher une serviette. Dans un coin du meuble, je vis quelque chose d'utile et je me rendis compte que je n'en avais pas emmené, voyageant tellement peu que je n'y avais pas pensé. Et pourtant, ces culottes extrêmement serrées au niveau des cuisses et portant une poche dans laquelle on glissait un tissus humidifié et parfois agrémenté d'un léger parfum avait une utilité vitale.

- Agnes? appelai-je alors.

- Un soucis Annabelle ? s'inquiéta celle-ci en passant la tête.

- Sais-tu où je peux acheter ce linge menstruel? demandai-je alors. Une lingère en vend à proximité où il faut les coudre soi-même ?

- C'est fourni par Lady Mary, m'assura Agnes. Au cas où certaines n'auraient pas été très informée.

- D'accord, merci de m'avoir renseignée, dis-je soulagée en sachant que je pourrais m'en servir.

- Ce sera assez chaud? demanda alors Agnes en me regardant défaire le nœud de ma chemise de nuit.

- N'aie crainte, je suis résistante au froid, dis-je en la regardant et en espérant qu'elle cesse de regarder.

- Cela tombe bien, nous pourrons nous rendre ensemble à la rivière pour les grands travaux, m'assura Agnes en riant.

Je souris également avant d'enlever ma chemise de nuit et de la plier soigneusement, me rendant compte avec amusement que ce que j'avais entendu de la part de certaines domestiques que j'avais eu l'occasion de rencontrer, à savoir que les hommes et les femmes prenaient des bains séparément dans les rivières à la campagne pour se laver complètement, était donc totalement vrai. Cela ne me ferait pas de mal sachant que laver mes longs cheveux était compliqué dans une bassine. Mon corps offert au soleil, je pris le temps de me rafraîchir le visage avant d'attraper doucement un linge à la texture spongieuse pour m'occuper de mon corps. Je le passai rapidement sur mes bras et mon cou avant de le descendre vers ma poitrine loin d'être généreuse ou opulante mais pointant bien fièrement vers le ciel. Je descendis ensuite sur mon ventre avant de me diriger vers mon intimité et son si fin duvet pour conclure ces ablutions par mes jambes.

- Tu es souple ! lança alors Agnes.

Tournant ma tête vers le paravent, je m'étais rappelée la vue que j'avais eu sur sa silhouette et je rougis en pensant qu'elle avait la même sur la mienne. Effectivement, j'étais souple car ma jambe, je l'avais levée jusque sur le meuble pour m'occuper des interstices entre mes orteils.

- Merci, dis-je en rougissant plus que de raison.

Une fois tout cela bien fait et soigneusement d'ailleurs, je pris une serviette sèche pour m'essuyer et enfiler juste après une chemise propre. Je sortis de derrière le paravent en essayant de nouer mes cheveux en chignon comme devait le faire une bonne. Je m'étais approchée de ma table de nuit pour récupérer un des pics pour mes cheveux, l'enfonçant dans le chignon et bloquant le tout.

- On dirait que tu fais cela depuis longtemps, m'assura Agnes en enfilant sa robe grise par les jambes.

- Je suis... Enfin, j'étais au service de Lady Fullton depuis ma petite enfance, assurai-je en faisant de même.

Ma livrée sentait bon le neuf et j'inspirai cette odeur que j'adorais faisant sourire Agnes. J'attrapais mes bas de laine pour les enfiler rapidement et j'entendis Agnes soupirer.

- Et encore une paire filée, marmonna cette dernière.

- Pose les sur mon lit, je vais les recoudre ce soir, lui assurai-je avec gentillesse.

- Tu ne vas pas faire cela quand même, ce serait t'ennuyer, dit-elle gênée.

- Je peux coudre en discutant, dis-je en enfilant mes chaussures.

- Mais je trouverai un moyen de te remercier, assura Agnes en se levant pour enfiler son tablier.

Moi, je nouais le mien avant d'attraper ma charlotte pour la poser sur mon chignon. Je vis soudainement Agnes s'approcher de moi et frotter doucement ma livrée pour aplanir les plis disgracieux. Je fis de même en retirant également les fils qui dépassaient un peu.

- Parfaitement parfaite, fit alors Agnes en riant.

- Étonnante expression, assurai-je alors d'un ton perplexe.

- Ce n'en est pas une, c'est Lady Mary qui aime dire cela, m'avoua Agnes.

- Bon, je pense que nous sommes fin prêtes, dis-je en prenant un petit carnet et un crayon à mine de charbon.

- Tu prends des notes? s'étonna Agnes en s'approchant de la porte.

- Je pense noter la disposition des pièces pour la mémoriser et également si des demandes très spécifiques me sont faites par les maîtres, lui dis-je pour expliquer ma démarche.

- Nos maîtres ne sont guère exigeants, nous sommes chanceux au Manoir Hayworth, dit-elle en riant.

Elle ouvrit la porte et je vis quelqu'un de l'autre côté. Agnes, voyant ma surprise, regarda alors vers le couloir et découvrit la toute jeune Winnie déjà en tenue.

- Un problème Winnie? demanda Agnes.

- Je voulais savoir si Annabelle voulait quelque chose de particulier, fit la petite cuisinière.

- Non, ne t'inquiètes pas..., dis-je avant qu'elle ne file sans demander son reste.

J'avais dû arborer une mine assez amusante comme le certifia le rire de ma voisine de chambre. Je souris également, sachant qu'elle avait dû se dépêcher non seulement de venir jusqu'ici car une cuisinière devait déjà être à la tâche mais également pour rejoindre son poste.

- Et elle s'étonne de s'épuiser, me fit Agnes.

Côte à côte, nous descendîmes jusque l'office où tout le personnel était déjà là. Rapidement, Miss Robbins m'avait donné mon contrat et j'avais pu me concentrer sur le principe de faire connaissance. En plus de celles que je connaissais déjà, je pus rencontrer la fameuse Myrtle, bonne également et en réalité la plus âgée des bonnes à proprement parler. En effet, la blonde qui était donc celle qui aimait coudre avait déjà trente ans révolu. Elle m'avait accueilli avec gentillesse en me parlant de couture. La dernière des bonnes s'appelait Edna et était une brune de vingt ans. Cela faisait donc six bonnes avec moi. J'avais également eu le loisir de rencontrer Miss Constance Grint, une brune de trente-cinq ans, la dame de chambre de Lady Mary, qui ne m'était guère sympathique avec son regard dur et son air des plus hautains, sans doute à cause de son statut. J'avais également pu rencontrer les membres masculins du personnel et surtout découvrir les prénoms de ceux qui nettoyaient l'argenterie la veille. Le blond qui s'y était attelé s'appelait en réalité Ezra et avait vingt ans. Quant au brun, c'était un jeune homme de vingt ans nommé Isaac. Tous les deux avaient été accueillant comme le dernier des simples valets de pieds, un jeune homme brun de dix-huit ans appelé Levi et ne travaillant là que depuis quatre mois. Ensuite il restait les valets de chambre. Celui de Monsieur le Comte se nommait Luther Andrews, un homme de quarante-trois ans déjà chauve et surtout très maigre mais plus sympathique que sa consœur pour Lady Mary. C'était avec le valet de chambre de Monsieur Henry que je discutais le plus pour l'instant, un homme d'une trentaine d'années très gentils et serviable, désireux de me mettre à l'aise et répondant au nom de Carl Matthews.

- Vous voyez Annabelle, beaucoup de postes sont pourvus et cela vous laissera le temps de vous habituer, me fit Carl Andrews.

- C'est vrai qu'il y aura toujours quelqu'un pour me rassurer, et me guider surtout, avais-je précisé.

- Encore un peu de thé ? me fit alors Carl.

- Ho volontier, dis-je en tendant ma tasse.

Il me servit et je souris pendant qu'il servait d'autres domestiques proches de nous. Je remarquai soudainement que la toute jeune Winnie, dont le prénom complet était en réalité Winnifred, se tenait près de la table et nous observait attentivement.

- Tout va bien Winnie? demandai-je alors.

- Moui..., marmonna celle-ci.

Elle semblait encore plus stressée qu'avant et je vis Carl la fixer avec un sourire doux et chaleureux. Il semblait assez protecteur comme domestique et cela se voulait très rassurant. Je regardai attentivement Winnie qui ne semblait pas désireuse de s'exprimer.

- Winnie a fait ces petits gâteaux pour te remercier de ton aide hier avec son tablier, dit alors Carl.

- Ho c'est gentil, ils sont excellents, dis-je alors pour la détendre mais ce n'était que la vérité.

- C'est vrai? demanda Winnie toute contente.

- Je te l'avais dit, soupira Madame Smith la cuisinière et encore à la tâche.

- Je voulais tous vous remercier de votre accueil, dis-je alors en me penchant au dessus de la table.

- On ne sait pas combien de temps tu resteras mais autant que tu te sentes chez toi, m'assura Isaac en souriant.

- Moi, j'espère qu'elle restera longtemps, lança Agnes. Elle a des livres !

Plusieurs domestique me regardèrent étonné mais ne relevèrent pas plus que cela l'information. Je ne devais bien sûr pas être la seule, déjà pour les responsabilités des chambres des maîtres. Je souris tout de même un peu gênée.

- Au moins tu sais comment profiter de tes soirées, me fit Carl avec son regard toujours aussi doux.

Reprenant un des petits gâteaux si excellents de Winnifred, j'entendis du bruit sur ma gauche. J'avais immédiatement cherché la provenance de ce qui était des bruits de pas quand je vis apparaître une femme assez jolie d'une trentaine d'années qui semblait assez essoufflée.

- Veuillez m'excuser du retard Miss Robbins, Monsieur Caldwell, dit-elle en penchant la tête. Les jeunes maîtres ont eu du mal à trouver le sommeil et j'ai dû rester une bonne partie de la nuit en leur compagnie, je me suis assoupie...

Elle avait donc dû se dépêcher de retourner se changer à son réveil. C'était aussi un métier extrêmement difficile et rude que d'être gourvernante, j'avais toujours eu une certaine admiration pour les femmes occupant cette fonction.

- Vous êtes toute excusée Sophronia, fit Miss Robbins. Prenez des forces.

Je vis alors immédiatement Carl se lever en indiquant à Sophronia, étrange prénom d'ailleurs, de prendre son siège. Je la vis alors lui sourire et accepter ce siège avant de serrer doucement l'épaule de la femme et ensuite d'aller lui chercher de quoi se restaurer. S'asseyant et soupirant d'aise, elle leva doucement les yeux vers moi avant de se figer.

- Ho mon dieu, nous devions t'accueillir, je tiens à m'excuser de mon absence, dit-elle gênée.

- Ho ne le sois pas, tu n'as pas une tâche aisée. Je me nomme Annabelle Rivers, dis-je alors en souriant.

- Sophronia Andrews, la gouvernante et instructrice des jeunes maîtres Sophie et Charles, me précisa Sophronia avec un petit sourire.

Andrews... Je venais de comprendre la gentillesse de Carl à son égard et surtout ce petit geste d'affection. Vu sa façon de parler, je compris même rapidement qu'elle devait être aussi gentille que lui.

- Ton époux est très gentil, dis-je pour être polie. Il m'a mise très à l'aise.

Sophronia se figea avec le gâteau à quelques centimètres de sa bouche. Elle regarda à côté d'elle et observa Gideon puis Judith près de moi, réalisant que je lui parlais.

- Mon époux ? s'étonna Sophronia. Quel époux ?

- Mais je..., dis-je surprise en regardant Carl qui donnait à Sophronia de quoi manger.

- Carl ? Ho oui, nous avons le même nom de famille parce que je suis sa sœur, me dit-elle en riant doucement.

- Ho excuse moi de cette erreur, je suis si confuse, dis-je alors mal à l'aise de m'être quelque peu fourvoyée dans ma compréhension.

- C'est grâce à lui que j'ai eu ce poste, je le tenais à York à l'époque, me fit Sophronia. L'erreur est compréhensible.

- Peut-être mais je ne devrais pas tirer de conclusions si hâtives, dis-je quand même.

- Ce n'est rien, il n'est pas marié, me dit-elle tout bas avant de subir un coup de cuillère sur la tête. Non mais!

- Soph, arrête ce genre de propos, lui fit son frère.

- Mais je ne disais cela que comme ça, dit-elle offusquée. Ne prends pas cela comme un message.

- Aucun soucis pour moi, dis-je alors en souriant poliment.

- Elle est bien trop jeune, assura Carl.

Je regardai attentivement Sophronia qui m'avait précisé pour son frère mais nullement pour elle. Elle me regarda en souriant tout en buvant avant de se pencher vers moi.

- Je suis veuve, dit-elle doucement. C'est pour cela que j'ai pû avoir un tel poste.

- Je te présente mes condoléances, dis-je un peu surprise qu'elle soit veuve à un si jeune âge et surtout qu'elle devait l'être depuis un moment comme elle ne portait plus le deuil.

- Merci, dit-elle simplement en regardant son frère. Je n'ai rien raté?

- Non, pas de nouvelles importantes, précisa Carl.

- D'accord... Je suis épuisée, dit-elle en soupirant.

C'était normal à mes yeux qu'elle le soit, s'occuper de jumeaux de cinq ans à temps plein devait avoir le mérite de vous pousser dans vos retranchements. Toute à ma contemplation de mes collègues, je me rendis néanmoins compte qu'un silence s'installait et immédiatement, ma tête pivota vers l'autre bout de la table. Je découvris alors le Majordome de la demeure, ainsi que l'Intendante, debouts devant nous.

- Bien, fit alors Monsieur Caldwell. Je pense que nous avons bien accueilli Mademoiselle Rivers.

- Je vous remercie encore, dis-je alors pour tout le monde.

- Et encore bienvenue à vous, en espérant que vos fonctions puissent vous satisfaire, me dit-il doucement. Messieurs, voici vos tâches du jour. Jack et Levi, vous vous occuperez de préparer la salle de repas pour celui des maîtres à midi. Gideon, j'aimerais que vous fassiez l'inventaire des produits ménagers après ce changement de linge. Ezra et Isaac, vous commencerez à préparer les chambres d'invités et rangerez la salle d'armes. Luther et Carl, si Monsieur le Comte et Monsieur Henry ne vous donne pas de tâches, n'hésitez pas à vous joindre à vos condisciples.

Tous les hommes hochèrent la tête et Monsieur Caldwell sourit de cette motivation. Ce fut ensuite Miss Robbins qui prit la parole.

- Mesdemoiselles, fit-elle calmement. Annabelle, je vais vous mettre avec Myrtle pour votre premier jour, vous vous occuperez d'allumer les feux, cet après-midi vous serez au cirage des meubles. Judith et Edna, vous ferez les literies des maîtres. Agnes et Permelia, vous vous occuperez aujourd'hui des sols du second étage.

Bon, pour mon premier jour, je n'avais rien d'extrêmement complexe à réaliser. J'étais rassurée.

- Ho oui, Annabelle ? demanda Miss Robbins.

- Oui Miss Robbins ? demandai-je étonnée.

- Les maîtres ont demandé que vous participiez au service de ce midi pour vous présenter aux membres de la famille qui ne vous ont pas rencontrée, précisa Miss Robbins.

- Bien, dis-je simplement.

- Comme d'habitude, je ne dois voir aucune de vous bâiller aux corneilles, si vous ignorez quoi faire pour vous rendre utiles, allez voir vos consœurs ou venez me voir. Je vous souhaite une bonne journée, dit-elle ensuite.

Je me levai immédiatement, prête à participer au rangement de la pièce quant je vis Sophronia me faire un signe de main.

- J'ai l'habitude de m'en occuper pendant que vous vaquez à vos tâches, dit-elle rapidement.

- Tu es sûre ? demandai-je quand même.

- Oui, dit-elle en souriant. Et puis tu as assez de travail.

Je me tournai alors vers Myrtle qui s'était approchée de moi et je souris à la blonde de trente ans. Elle me toucha le bras et murmura.

- Je ne pense pas que ce soit trop complexe, allez, commençons par les salles du bas, fit alors Myrtle.

- Je te suis, dis-je rapidement.

Je préférais clairement laisser l'expérience promouvoir la demeure. Je connaissais cette tâche, je l'effectuai chaque jour depuis des anneaux mais je ne connaissais pas vraiment la disposition des pièces. Nous commençâmes donc par le vestibule, pièce dont le chauffage est techniquement inutile mais qui semble toujours faire son petit effet, et puis n'étant jamais à l'abri d'une averse tombant par surprise, il valait mieux se tenir prêts. Myrtle, dégageant l'âtre de cette cheminée bien plus petite que les autres, s'arrêta en me regardant.

- Je suppose que je ne dois pas te faire l'affront de t'expliquer comment on entretient le feu, m'avoua Myrtle.

- Je fais ce métier depuis des années déjà, dis-je en souriant poliment.

- C'est ce que j'ai compris de Permelia et Lorena, m'avoua Myrtle. Et oui ma grande, je crois que tu n'étais pas officiellement embauchée que tout le monde savait ce que tu as fait pour Winnie.

- Je voulais juste l'aider, me justifiai-je.

- Ho mais cela n'était pas une critique, dit-elle en installant les petites buches.

- Je suis arrivée un peu à l'improviste, dis-je en tendant les allumettes.

- Tu vivais à Londres je crois? me demanda t'elle en allumant le feu.

- C'est exact, on ne chauffait pas vraiment l'été, dis-je en regardant la pièce.

- Les demeures londoniennes sont souvent plus neuves ou tout du moins plus restaurées, ici... Et bien crois que l'hiver il arrive aux bonnes de rassembler les lits pour se tenir chaud, avoua Myrtle en riant.

- Ha..., dis-je simplement quelque peu étonnée.

- Un soucis? me demanda Myrtle en regardant le feu prendre.

- Vu le confort et... L'intérêt de Lady Mary à notre encontre, je pensais que nous étions pourvues en duvet.

- Nous le sommes, me répondit Myrtle. Mais quand il fait froid ils ne suffisent pas, mais avec la gentillesse de Lady Mary, nous nous en accomodons. Elle serait capable de faire dormir les domestiques à l'étage des invités.

- Histoire de ne pas abuser de sa gentillesse envers nous, je comprends, assurai-je à ma collègue du jour.

- Bon, vu que tu n'es pas née de la dernière pluie, nous allons nous séparer pour les autres pièces, inutile de trainer à deux... Ho... Le bureau du Comte, nous n'y entrons jamais. Il y a d'autres endroits comme ça dans la propriété mais tu l'apprendras vite, me signifia Myrtle.

- Ne pas rentrer dans le bureau du Comte, répétai-je alors. Est-ce pareil pour la chambre ? Et d'ailleurs...

- Tu te demandes si Madame la Comtesse a sa propre chambre n'est-ce pas? s'amusa Myrtle. Elle en a une mais il est assez rare de ne pas les voir se réveiller ensemble, cela complique énormément la tâche de Luther et Constance, me lança-t-elle en riant.

- C'est assez rare, dis-je ensuite.

- Tu te sens capable de poursuivre seule? me demanda Myrtle. Je pense que tu es largement qualifiée, Miss Robbins pouvait te le dire.

- Merci de ta gentillesse, dis-je alors.

- Mais ce n'est pas de la gentillesse mais plutôt de la sincérité, dit-elle rapidement. Je ne serai même pas surprise que nous travaillions depuis le même nombre d'années... Enfin presque, je pense rester ton aînée.

- Je pense aussi, dis-je en riant.

- Tu prends l'aile avec les salles de jeux, je vais prendre l'autre côté et les salles de réceptions, dit-elle alors.

- Parfait, je sais où cela se trouve, dis-je en souriant.

- Par rapport à hier, je comprends, dit-elle en souriant. Nous irons plus vite comme ça et puis le cirage des meubles risque de prendre bien plus qu'une après midi.

- J'ai pû déjà remarquer la qualité des meubles et leur âge, effectivement cela sera prenant, dis-je en confirmant son propos.

Et en tant qu'employées habituées à ces tâches, nous nous séparâmes effectivement. Je savais déjà à quoi correspondaient les pièces et j'avais pris la décision de commencer par la salle de réception si petite qu'elle ne comptait pas grand-chose. J'ignorais peut-être si Monsieur le Comte avait des rendez-vous mais il était évident que les visiteurs pourraient y patienter ou même y être reçus. J'y filai d'ailleurs immédiatement, nettoyant les cendres de la veille près de l'âtre avant de m'atteler à l'allumage d'un nouveau feu. J'avais l'habitude de vérifier que tout était en place quand je travaillais pour Lady Fullton mais ici, je ne pouvais remarquer que ce qui ne devait pas s'y trouver. Il s'avéra alors que les domestiques étaient très efficaces ; en effet, si des visiteurs étaient passés la veille, il n'y en avait nulle preuve. Je pus ensuite poursuivre par la salle de jeux et ses jolies tables. Pendant l'allumage de la cheminée, je ne pus que remarquer la présence des jeux d'échecs magnifiquement ouvragés. Lady Fullton m'y avait initiée mais préférant plutôt la simplicité au faste et aux démonstrations de richesses, ses jeux étaient bien moins séduisants. Les Hayworth avaient clairement un niveau de richesse bien supérieur mais je n'en étais guère étonnée. En effet, entre le nombre de domestiques et la quantité de terres possédées, c'était assez évident que les Hayworth reposaient sur un certain amoncellement de pièces d'or, de façon imagée évidemment. Et puis, ayant l'immense honneur de recevoir Sa Majesté Royale la Reine Victoria, ils ne devaient vraiment pas être n'importe qui. Après la salle de jeux, ce fut autour de la salle de billard de me voir arriver pour faire de même. Cette pièce semblait bien plus souvent occupée, l'usure des chaises et surtout des fameuses tables de billard laissant peu de doutes. Je ressortis de la pièce une fois mes tâches effectuées avant d'avancer vers ma prochaine destination. Entendant du bruit dans la salle d'armes, j'en conclus que mes collègues masculins s'étaient peut-être répartis également les tâches et, préférant éviter un incident par une entrée assez impromptue, je poursuivis vers la salle des trophées, notant dans un recoin de ma tête que je devrais y revenir. Me retrouvant devant une grande double porte en bois, je l'ouvris délicatement avant de pénétrer dans une pièce incroyable. Cette salle des trophées était étonnante, le terme trophée ne prenant nullement en compte uniquement les trophées de chasse. Il semblait y avoir des trophées d'escrime appartenant aux Hayworth père et fils, comme l'attestaient les tableaux. Il y avait également des trophées de croquet, appartenant à la Comtesse et à sa fille, cette dernière semblant également tirer à l'arc et monter à cheval. Ce dernier détail était plus que surprenant à mes yeux, cette formation n'étant pourtant guère destinée à une jeune fille, de bonne famille de surcroît. Les trophées de chasse, qui étaient les seuls que je pensais trouver à l'origine, était tout de même les plus nombreux. Je n'étais guère très partisane des décorations à base de tête de cerfs, de sangliers, de chevreuils et toutes autres victimes des chasseurs mais les Hayworth semblaient être de bons chasseurs. Étonnement, il y a avait égal des animaux que je n'avais vus qu'au zoo ou dans des livres, comme un tigre et un lion voir même ces défenses d'éléphants. Les Hayworth avaient vraiment parcouru le monde. Me concentrant sur ma tâche, je repérai la cheminée avant de m'en approcher tout en regardant les tableaux. Je commençai à nettoyer avant de préparer le matériel pour faire du feu. Cependant, à mon grand étonnement, je ne trouvai pas le tisonnier. Je regardai immédiatement derrière le présentoir, celui-ci ayant tout simplement pû tomber derrière ce dernier mais il n'y en avait pas la moindre de trace.

- Vous cherchez le tisonnier ? demanda une voix derrière moi.

Me retournant en essayant d'identifier le collègue à qui appartenait cette voix, à laquelle je n'étais pas encore habituée, je m'étais retrouvée face à un jeune homme de dix-huit ans. De par sa tenue et son immense ressemblance avec Monsieur le Comte dont il n'était qu'une version rajeunie, je réalisai qui j'avais en face de moi. Immédiatement, je me levai en penchant la tête.

- Monsieur Henry, dis-je poliment. Lord Henry, me repris-je pensant que c'était mieux. Je vous prie de m'excuser du dérangement.

- Tout va bien, détendez vous, fit alors le jeune homme qui tenait le tisonnier. Vous êtes la nouvelle ?

- Oui Lord Henry, dis-je poliment. Annabelle Rivers Monsieur.

- Heureux de vous rencontrer, fit-il d'une voix douce. Le travail vous plaît il ?

Je relevai doucement la tête en réalisant à quel point la douceur de la voix du jeune maître pouvait égaler celle de Madame sa mère. Et en le voyant, je compris également le propos des autres bonnes. J'en avais vu bon nombre de ces nobles et fils de noble, à Londres principalement, et effectivement, Lord Henry figurait parmis les plus beaux. Ses cheveux bruns et ses yeux verts qui brillaient, sa carrure capable de rassurer n'importe quelle dame mais surtout la douceur de sa voix très calme pouvaient faire leur effet.

- Oui, merci, dis-je bêtement.

- Votre première nuit a-t-elle été assez reposante? me demanda Lord Henry.

- Oui, Monsieur, répondis-je en souriant.

- C'est l'essentiel, Mère m'avait prévenu que nous nous rencontrions au repas mais je préfère comme cela, me fit Lord Henry. Et honnêtement, oubliez le Lord et le Monsieur quand personne ne nous voit.

- Je vous prie de m'excuser..., dis-je ne comprenant pas le sens du propos.

- Ma sœur est comme moi, en privé nous préférons que les domestiques usent de nos prénoms, sans titres, dit-il calmement.

- Je l'ignorais mais cela n'est il pas un peu inconvenant ? dis-je choquée.

- N'appelons nous pas nos domestiques par leurs prénoms ? À part Miss Robbins mais c'est une autre histoire, dit-il en riant.

- J'y songerai Monsieur, dis-je en baissant la tête.

- C'est déjà un échec, me fit Lord Henry amusé.

- Oui, c'est vrai, dis-je en retenant un petit rire.

- Mais j'oubliais, nous avons une tradition au Manoir Hayworth, m'avertit Lord Henry.

- Une tradition ? demandai-je intriguée.

- Oui, confirma le jeune maître. Nous offrons en général un cadeau à un nouveau membre du personnel.

- Ho je n'ai guère besoin de cadeau, dis-je alors par politesse.

- C'est pour faciliter votre installation, insista Lord Henry. Dès que vous aurez un jour de relâche, faites moi signe. Je ferai préparer une voiture et nous nous rendrons en ville.

J'avais alors regardé Lord Henry avec un certain étonnement et ma réaction enclencha en lui la même réaction avant un instant nécessaire à sa compréhension.

- Naturellement, vous inviterez une collègue, je ne désire nullement vous mettre mal à l'aise en ne voyageant qu'avec vous. Cela serait...

- Inconvenant ? proposai-je. En effet, dis-je alors.

- Ainsi vous pourrez choisir un meuble, du matériel de couture, du tissus ou..., commença à proposer Lord Henry.

- Un livre, proposai-je immédiatement.

- Ha oui, Père me l'a précisé, dit-il avec un sourire.

- Je sais lire oui, dis-je alors. Et j'ai récemment découvert une auteure assez talentueuse, dis-je alors. Je ne sais nullement si il y a du choix dans la ville la plus proche mais j'aimerais en trouver d'autres.

- Nous verrons Mademoiselle Rivers, dit-il en souriant.

- Vous n'utilisez pas mon prénom ? demandai-je intriguée.

- Si j'en ai le droit, fit-il sur un ton charmeur même si il ne semblait pas l'avoir fait volontairement. Je vais vous laisser Annabelle. Nous nous verrons au repas.

Je souris alors au jeune maître qui me laissa ainsi terminer mon travail. Je fis également les autres pièces qui m'avaient été attribuées et je finis rapidement par retourner à l'office aidant à préparer le repas du midi. Techniquement parlant, je ne préparais que les plats en compagnie de Jack et Gideon qui feraient le service. C'était une habitude de ne servir qu'en effectif réduit lors des repas de la famille, cela ne nécessitant nullement un lourd cérémoniel.

- Allez répète, me fit soudainement Madame Smith la cuisinière.

- Salade composée de tomates et d'oeufs, avec une sauce aux herbes, commençai-je à répéter après l'avoir entendu trois fois. Roti de sanglier froid avec salade de pommes de terre.

- Bonne mémoire, me dit-elle.

- Madame Smith... Si je peux me permettre, dis-je alors rapidement.

- Qu'y a-t-il ? demanda la cuisinière avec méfiance.

- Je pensais que les maîtres pourraient apprécier les gâteaux de Winnie, dis-je faisant se retourner la petite employée de cuisine. Surtout les jeunes maitres.

- Theodosia, fit Monsieur Caldwell qui préparait le vin. Cette proposition est intéressante, faites donc cela.

- Depuis quand les gens proposent de remplacer mon menu? demanda celle-ci outrée.

- Ho je ne voulais pas vous vexer, dis-je rapidement à la cuisinière.

- Ce n'est pas à toi que je parle, fit-elle en me surprenant. Toi tu proposes, Monsieur Caldwell a ordonné.

- Theodosia, ce n'était pas un ordre, fit Monsieur Caldwell en soupirant.

- J'espère bien, douze ans que je cuisine pour Monsieur le Comte, marmonna cette dernière. Winnie!!!

- Ou... Oui, Madame Smith ? demanda la jeune fille intriguée.

- Va me chercher de ton gâteau, fit Theodosia.

Je regardai la cuisinière qui me sourit et je fis de même avant d'installer les plats sur un plateau. Je devrai servir la salade de pommes de terre, rien de complexe en somme.

- Tu as déjà servi? demanda Jack près de moi.

- Oui, souvent, dis-je. Mais c'est bien à Monsieur le Comte que je dois proposer d'abord ?

- Oui, puis à Lord Henry, dit-il rapidement. Ensuite Madame la Comtesse et Lady Charlotte. Il n'y a pas d'ordre pour les jeunes maîtres.

- D'accord...

- Ne t'inquiètes pas, me fit Gideon avec le roti et occupé à le découper. Cela n'a rien de plus complexe que le service pour ta maîtresse et tant que tu ne fais pas tomber de sauce sur la robe de Madame la Comtesse, ce n'est pas grave.

- Cela ne me rassure pas beaucoup, dis-je alors en grimaçant.

- Elle ne m'a pas sanctionnée, fit alors Judith qui préparait les petits pains.

- C'était toi? demandai-je surprise.

- Premier jour de service, marmonna Judith.

- Quelques remontrances de Miss Robbins ont suffi, précisa Monsieur Caldwell.

Judith me regarda et hocha la tête, les sanctions et retenues sur gages ne devaient pas être le modus operandi de l'endroit. Je finis d'installer le plat de salade sur mon plateau, l'ayant parfaitement soupesé pour mieux le porter. Je maîtrisais le service depuis longtemps mais j'avais toujours cette petite habitude certes inutile mais qui avait le mérite d'au moins me conforter dans mon assurance.

- Messieurs, Mesdemoiselles, fit alors Monsieur Caldwell. J'ouvre la marche. Gideon, vous présentez le roti en premier, Annabelle à sa suite, Jack ensuite et enfin Judith. Je conclurai en servant le vin de Monsieur le Comte.

- Oui Monsieur Caldwell, fut prononcé en chœur tandis que Winnifred apportait son plat de petits gâteaux.

- Je le mets où ? demanda la petite cuisinière.

- Et voilà, marmonna Madame Smith.

- Theodosia, que Winnifred nous suive, fit Monsieur Caldwell.

- Mais... Je ne suis pas présentable, dit-elle en se montrant.

J'avais tourné la tête et effectivement, elle possédait des taches sur les vêtements. Ce n'était nullement présentable en effet.

- Le geste suffira a passer outre votre tenue, précisa Monsieur Caldwell.

Nous commençâmes alors à avancer en file indienne, direction la salle de petit déjeuner, au sud-ouest de la demeure et au sud de la salle d'entrevue dans laquelle j'avais allumé le chauffage, à gauche donc du vestibule. Je commençai clairement à me repérer à cet étage, cela ne serait pas encore le cas dans les étages supérieurs. Nous pénétrâmes donc dans la salle de petit déjeuner des maîtres et je découvris la famille installée. Monsieur et Madame étaient chacun à un bout de la table, leurs enfants disposés entre eux, Lord Henry et Lady Sophie d'un côté, Lord Henry étant plus proche de son père. Face à eux, Lady Charlotte en face de Lord Henry et enfin Lord Charles. Je suivis donc Gideon qui servit le maître avant de faire de même après l'avoir salué d'un mouvements de tête. Je relevai tout de même que Monsieur le Comte remerciait poliment chaque employé, ce qui n'était pas toujours le cas chez les nobles, foi de bonne. Après avoir également servi Lord Henry, je m'approchai ensuite de Lady Mary remarquant au passage que la petite Winnifred s'était contentée de déposer ses gâteaux sur la table de service avant de fuir sans demander son reste.

- Annabelle, j'espère que votre service s'est bien passé ce matin, me dit-elle immédiatement.

- C'est le cas Madame, répondis-je poliment en la servant.

- Un peu plus, murmura Lady Mary.

- Bien Madame, dis-je poliment en servant.

Je m'approchai alors de Lady Charlotte qui me regardait comme si j'étais une offrande pour elle.

- Vous vous plaisez Annabelle ? La demeure est belle n'est-ce pas? demanda Lady Charlotte.

- Effectivement, et mes félicitations pour vos récompenses en équitation, précisai-je avec un sourire.

- Mère m'a précisé que vous aimiez lire, il faudra que nous discutions littérature, me dit-elle tandis que je la servais.

- Tu ne penses pas que cette demoiselle a du travail ? lui demanda son frère.

- Il faut que je fasse connaissance après tout, si elle devient ma dame de chambre, répondit très rapidement Lady Charlotte.

- Charlotte, ne recommence pas, lui fit son père.

- Vous m'avez dit oui, Père, fit sèchement la jeune fille.

- Et je me demande encore ce qu'il m'a pris, marmonna Monsieur le Comte.

- Nous serons amies, me fit Lady Charlotte.

- Je l'espère Mademoiselle, et cela serait un honn..., dis-je avant de me figer.

J'avais effectivement senti quelque chose tomber dans la poche de mon tablier et j'avais penché la tête, découvrant la toute petite main de Lord Charles au-dessus de celle-ci.

- Charles, marmonna sa mère.

- Puis-je la récupérer ? demanda Lady Charlotte.

- Ho... Si cela ne gêne pas Mademoiselle, dis-je en regardant vers les maîtres.

Lady Charlotte ne s'en fit nullement autant que moi et plongea la main dans mon tablier, effleurant le carnet de notes et saisissant ce qui y avait été déposé. Elle en sortit une fourchette et la reposa devant son frère que je pus servir. Les jumeaux étaient les portraits cachés de leur parents mais extrêmement silencieux. Je ne les entendais nullement parler et pourtant, c'est bien à cet âge que l'on désire s'exprimer. Je me demandais d'ailleurs si Sophronia n'était pas en train de préparer un quelconque cours au vu de son absence. Je me dirigeai ensuite vers la table de service, posant mon plateau avant de rejoindre Judith et joindre les jambes et les pieds, croisant les mains devant moi et patientant. Le maîtres discutaient de loisirs.

- Tu as vu, me fit Judith tout bas.

- Quoi donc ? demandai-je presque silencieusement.

- Lord Henry est très bel homme, dit-elle sans tergiversations.

- Effectivement, dus-je tout de même concéder.

- Ne mens pas, je sais que tu as discuté avec lui, dit-elle visiblement amusée.

- Il m'a précisé pour le cadeau, avouai-je alors.

- Ne prends pas cure de Judith, me précisa Jack de l'autre côté. Elle rêve qu'un noble s'intéresse à une bonne.

- Ce serait si beau, avoua Judith tout bas.

- Mais une union pareille est impossible, dis-je clairement lucide.

- On peut rêver... Je ne dirai pas non à Lord Henry, dit-elle tout bas.

Il était bel homme, c'était évident. Et sa façon de nous regarder de temps en temps en souriant, le personnel au complet j'entends, aidait sans doute à ce qu'il soit apprécié. Être considéré comme un être humain et pas seulement comme un meuble ou une possession n'était pas rare mais les maîtres étaient rarement si gentils. Lady Charlotte également me regardait souvent mais je l'imaginais rêver de m'avoir comme dame de chambre.

- Annabelle ? m'appela soudainement Lady Mary.

- Oui Madame? demandai-je. Vous désirez quelque chose ?

- Non, c'est gentil, dit-elle en souriant. Je ne vous avais point mise au courant pour une de nos traditions.

- Lord Henry m'a déjà précisé cette tradition Madame, dis-je poliment et en le regardant.

- Je l'ai quelque peu dérangée dans son travail, dit-il en me souriant. Mais elle ne me l'a pas fait remarquer.

- Parce que tu es Lord, chère frère, précisa sa sœur avec mesquinerie. Elle ne peut se permettre de te forcer à aller voir ailleurs.

- Charlotte... Tu manques cruellement de finesse, lui fit son frère.

- Ce n'est pas un sourire qui t'aidera avec moi, fit sa sœur.

Étonnement, les plus petits étaient les plus calmes. Certes je n'aurais jamais pu me permettre d'être stricte avec un maître mais il ne m'avait nullement empêchée de travailler. Il nous regarda encore pour sourire en s'empêchant de commenter. Effectivement, il avait un sourire très charmeur, même moi je le remarquai et pourtant ce n'était guère mon genre de relever de tels détails.

- Qu'il est beau, murmura Judith qui me fit sourire.

- Arrête un peu, sois sérieuse, murmurai-je en réponse.

Je vis le regard de Jack sur moi et je souris, cela me changeait énormément d'être avec bien d'autres domestiques, j'allais moins m'ennuyer durant les interminables repas. Tout à coup, la porte s'ouvrit sur Isaac qui approcha avec un petit plateau dans les mains. Mon regard se porta sur l'horloge au mur et j'en conclus que le facteur venait de délivrer le courrier. Isaac approcha du Comte et lui donna quelques lettres avant d'en donner une à Lord Henry qui soupira de lassitude.

- Qu'y a-t-il Henry? demanda Lady Charlotte.

- Lady Jane Swan, marmonna ce dernier.

- N'est-elle pas belle? demanda Lady Charlotte.

- Une femme ne devrait point se contenter d'être belle, la culture est essentiel comme le goût pour les arts, et pas juste apprendre bêtement des leçons, grommela Lord Henry.

Je souris en entendant cela. Je n'étais guère convaincue que le jeune maître ait réellement son mot à dire mais c'était plaisant d'entendre de tels propos de la part d'un homme, noble de surcroît. Le monde allait peut-être changer ses opinions sur les femmes. Je vis ensuite Isaac apporter le courrier de Lady Mary qui soupira.

- Des bals, des bals... Que de redondance, marmonna Lady Mary. Vous avez de la chance d'avoir du courrier d'affaire mon époux.

- Je vous ai prévenue que vous lancer dans le mécénat vous divertirait, Mon Aimée, précisa son époux.

Des marques d'affection en présence de domestiques, plutôt rare mais preuve de leur sincérité et cela me ravit. Tout à coup, je vis Isaac approcher de Lady Charlotte. J'en étais légèrement stupéfaite. Peut-être était-ce une amie de la jeune fille lui proposant de prendre le thé, j'imaginais en effet difficilement qu'elle puisse déjà avoir un prétendant, celle-ci n'ayant nullement fait son entrée dans le monde. Sa réaction surprit tout le monde dans la pièce, elle avait littéralement fait un bond sur son siège.

- Charlotte? s'étonna sa mère.

- Oncle Sebastian a pris le bateau pour rentrer! fit-elle en criant de joie et amusant les plus jeunes membres de la famille.

- Et ton oncle te prévient pour..., s'étonna Monsieur le Comte.

- Selon la missive, parce que cela allait te désappointer, fit Lady Charlotte.

- Cela signifie qu'il a terminé de...

- Henry, pas en présence de domestiques, marmonna Monsieur le Comte et interrompant immédiatement son fils.

- Pardonnez-moi Père, s'excusa Lord Henry.

Il était monnaie courante de ne jamais parler de ses affaires devant les domestiques, ces derniers pouvant toujours travailler un jour pour un concurrent ou autre. Je me demandais à quoi pouvait bien ressembler ce Sebastian quand Judith murmura.

- Il paraît qu'il est encore plus séduisant que Lord Henry, murmura Judith. Et il aime beaucoup les femmes.

- C'est inconvenant de commérer, murmurai-je en réponse et préférant écouter les maîtres.

- Avec qui rentre ton Oncle? demanda Lady Mary. Une chanteuse ? Une danseuse ? Ou pire...

- Oncle Sebastian rentre juste avec des cadeaux... Il s'est lassé des sœurs Emerald, les chanteuses, précisa alors Lady Charlotte en lisant la lettre. Par contre il ramène... Passminder... C'est quoi?

- Ce nom sonne Indien, fit Monsieur le Comte. Un ou une domestique sans doute.

- Ou une prostituée indienne, marmonna Jack à Gideon. Comme pour cette américaine dont tu parlais et avec laquelle il est venu il y a deux ans...

J'avais tourné la tête vers ce dernier et il pinça juste les lèvres. Visiblement, ce Vicomte Sebastian ne faisait nullement fi des convenances, s'amusant dans des actes immoraux avec bien des femmes, sans conséquences évidemment puisqu'il était un homme. J'en conclus même que les fameuses sœurs Emerald n'avaient peut-être pas uniquement chanté pour lui. J'en avais croisé des nobles tels que lui chez Lady Fullton. Ils estimaient que tout leur était dû et cela les rendait infréquentables. À entendre ces premières informations sur ce Vicomte, j'en étais plutôt dubitative. Il semblait très loin de Monsieur le Comte et sa famille. Seul l'avenir allait me le dire. Au moins mon premier jour de service se passait bien...


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Note de l'auteur : Il y a dans ce chapitre une petite liberté obligatoire de ma part. Le sujet des menstrues et la manière de prendre des mesures est une création. En effet, par le fait qu'une femme ne parlait pas de cela, guère surprenant, il n'existe aucune preuve physique ou même écrite réellement connue de la manière dont les femmes s'en accomodaient à cette époque. Pendant longtemps les hommes pensaient à l'époque qu'elles ne faisaient rien mais il est fortement et quasiment sûr qu'aucune femme ne se promènerait avec des écoulements menstruels sur les jambes, par hygiène, propreté et odeur bien évidemment mais surtout d'un point de vue pratique. Peut-être est-il inutile de le rappeler mais les machines à laver le linge n'existe pas alors imaginez l'enfer de nettoyer des jupons couverts de sang... J'ai donc imaginé cette méthode un peu étrange mais envisageable.


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