Le Secret des Hayworth

Chapitre 2 : COMTE ET COMTESSE

6919 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/01/2023 08:34

COMTE ET COMTESSE


Dès l'instant même où ma chaussure passa le pas de la porte de l'entrée réservée au petit personnel, je fus saisie par l'effervescence régnant dans la maisonnée. Je découvrai en réalité ce que signifiait travailler pour une vraie maison de riches propriétaires terriens. Les éclats de voix étaient nombreux et à cet instant là, je ne me trouvais encore que dans un petit couloir. Je pouvais discerner que les trois portes, une à gauche et deux à droite, étaient toutes grandes ouvertes. Jaillissant soudainement de la première porte à droite, je vis apparaître un homme d'une vingtaine d'années aux cheveux et à la barbe rousse vêtue de la même livrée que son collègue qui me suivait en me portant ma malle. Me semblant pressé, je l'avais rapidement laissé passer en m'écartant.

- Il y a plein de caisses à décharger Gideon, lui fit alors le jeune valets de pieds derrière moi.

- D'accord, Jack, fit le dénommé Gideon. Mademoiselle.

- Monsieur, dis-je poliment et ce, dans un hochement de tête.

J'avais rapidement compris que les deux portes de droite devaient être les portes du cellier, sans doute très grand et bien fourni pour une telle demeure. De la porte à ma gauche, j'entendis rapidement les bruits caractéristiques d'une cuisine. Le charmant jeune homme si aimable et qui portait ma valise me l'indiqua du mieux qu'il put et je m'y suis engouffrée. Mes narines furent saisies de si bonnes odeurs que je m'étais mise à rêver d'un bon repas. La différence entre cette maison et ma précédente me sauta aux yeux. Les domestiques des Hayworth étaient nombreux. Pour commencer, il y avait les responsables de ces douces odeurs. Au nombre de trois, les cuisinières de la demeure étaient à l'œuvre, coupant des légumes pour une femme d'une trentaine d'années aux cheveux blonds, mélangeant dans une casserole pour une petite brune qui était si jeune qu'elle devait sans doute commencer à peine son travail dans la demeure et enfin, sans doute la supérieur de l'effectif, une femme très grande et plus âgées aux cheveux grisonnants.

- Winnie ne rate pas cette sauce, conseilla la cuisinière en chef.

- Oui Madame Smith, répondit la toute jeune fille.

Mon regard se posa assez rapidement sur l'immense table de ce tout aussi énorme office. Il y avait quelques domestiques à l'œuvre. Deux hommes et trois femmes, ces dernières courant partout. Les deux valets de pieds ne devaient guère être beaucoup plus âgé que le dénommé Jack, un brun et un blond même si le blond semblait avoir un grain de beauté caractéristique sur sa joue droite ; ils s'occupaient en nettoyant l'argenterie. Les bonnes quant à elle, toutes vêtues de longues robes grises surmontées d'un tablier blanc étaient aussi très jeunes. Naturellement, pour celles-ci je n'en étais nullement surprise en réalité, c'était bien souvent le cas. En effet, une femme devant obéissance à son mari, elle quittait généralement assez tôt le métier de bonne pour se mettre à gérer leurs petites maisons et familles, sauf dans le cas où les deux membres du couple marié étaient des domestiques. Chez les bonnes que je pouvais voir, leurs âges ne devaient pas être très éloignés du mien. Celle qui faisait la plus jeune, autant que moi, était rousse et avait ses cheveux soigneusement attachés dévoilant encore plus facilement un visage qui gardait encore quelques traits assez poupons. À peine plus âgée que la première au premier regard, la seconde avait déjà un physique beaucoup plus adulte comme l'attestaient les formes que son tablier dissimulait à peine. Avec sa blondeur et son sourire assez étincelant, celle-ci aurait tout à fait eu sa place sur une scène de théâtre londonienne. Enfin, la troisième qui était à mes yeux la plus âgée, était brune et avait déjà visiblement servi plus longuement que les autres, ses mouvements pour plier le linge de maison me semblant bien répétés et consciencieux, presque comme un automatisme. Son regard sur ses collègues m'indiqua qu'elle était bien plus expérimentée que ces dernières, ses yeux semblant inspecter le moindre défaut.

- Tu peux t'installer ici, me fit alors Jack me sortant de mon admiration et posant ma malle dans un coin. Je vais avertir Monsieur Caldwell.

- Bien, merci, dis-je poliment en prenant une chaise posée dans un coin de la pièce et la plaçant de manière à ne nullement en gêner l'effervescence.

L'ambiance me semblait bonne, les valets de pieds plaisantant aisément avec leurs collègues féminines. D'ailleurs, chez ces dernières, je remarquai immédiatement et aisément leur circonspection à mon égard, se demandant sans doute qui j'étais. Ce fut d'ailleurs à cause de l'attention qu'elle me portait que l'une d'entre elle, la jeune blonde au physique avantageux, s'emmêla les pieds dans un pied de table alors qu'elle tenait un plateau avec des ustensiles métalliques. Mûe par des réflexes apportés par des années de service, j'avais bondi de ma chaise, saisissant au vol un pichet métallique qui aurait pû finir au sol.

- Merci, me fit la jeune fille.

- Si je peux rendre service, dis-je alors.

- Bon sang Agnes, fais attention à ce que tu fais, lui intima la brune au regard expérimenté.

- Désolée Permelia, fit donc Agnes. Heureusement que t'étais là...

- Annabelle, et de rien, dis-je en souriant avant de m'asseoir de nouveau.

J'essayais clairement de ne point les gêner, observant le travail en cours. La fameuse Winnie semblait quelque peu paniquée et je la voyais tirer nerveusement sur son tablier posé sur une robe plus colorée que celles des bonnes avec un bleu aussi léger que le ciel d'été. Je me souvins alors que dans mes premières semaines de service, je n'étais nullement dans un meilleur état, sans doute même encore plus stressée que cette jeune fille. Elle tirait si nerveusement sur la bretelle de son tablier que si qui risquait d'arriver se produisit : la couture de la bretelle se déchira au niveau de la poitrine.

- Non... Non... Non, marmonna la jeune Winnie.

- Qu'est ce que tu as encore fait? s'offusqua la fameuse Madame Smith. Tu dois juste éviter que le fond ne brûle !

Cette cuisinière ne semblait guère facile, sans doute était-elle désireuse de ne point offusquer ses employeurs avec des mets moins qualitatifs qu'à l'accoutumée.

- Je... Je..., bafouilla alors la jeune fille si paniquée que j'avais presque envie de la serrer dans mes bras.

- Winnie? l'interrogea la troisième cuisinière.

- Lorena... J'ai déchiré mon tablier, marmonna Winnie presque à deux doigts de laisser s'écouler des larmes.

- Quoi? ajouta la cuisinière en chef assez choquée. Si Miss Robbins te voit aussi négligée, tu risques d'avoir une retenue sur tes gages.

- J'en ai besoin, fit alors très vite celle-ci.

- Si nous n'étions pas aussi débordée, j'aurais pu recoudre cela immédiatement, annonça la fameuse Permelia.

La détresse de la jeune fille si inquiète me poussa alors me lever de ma chaise et à prendre la parole.

- Je suis assez habile avec une aiguille et si je peux me rendre utile, autant que je serve, dis-je alors poliment.

- Et vous êtes ? demanda Madame Smith.

- Annabelle Rivers, je viens pour un poste de bonne, dis-je rapidement. Mon aide vous convient-elle?

- Elle doit rester devant la casserole, précisa Madame Smith.

- Je récupère le tablier, dis-je en m'approchant.

Doucement et en essayant de ne pas empêcher la jeune fille si stressée de travailler, j'avais très lentement dénoué son tablier avant de le récupérer. Une des bonnes, la jeune rousse me donna alors une chaise tandis que la brune expérimentée et au prénom si particulier se contorsionna pour récupérer un kit de couture dans un tiroir et me le poser sur la table. Avec aisance et dextérité, j'avais saisi la bobine de fil et une aiguille et sans même avoir besoin de l'humidifier pour plus de facilité, je l'avais passé immédiatement dans le chas. Avec vitesse, je commençai à recoudre sans vraiment avoir besoin de fixer mon travail.

- Tu es couturière à la base ? me demanda la jeune rousse.

- Non, j'ai appris très jeune quand j'étais au service de ma précédente maîtresse, précisai-je immédiatement en continuant de travailler.

- Je suis totalement incapable de faire pareil, m'assura la rouquine. Au fait moi c'est Judith.

- Enchantée, dis-je alors en souriant. Annabelle.

- Tu vois Judith, elle a appris soigneusement son travail et cela se voit, précisa Permelia. Myrtle voudra absolument discuter couture.

- Une bonne particulière pour la couture ? demandai-je en imaginant cette possibilité.

- Non, mais elle aime cela, assura Permelia. Si cela t'intéresse, elle a beaucoup de patrons dans sa chambre.

- Merci de l'information, dis-je en terminant le travail. Et voilà.

Je m'étais relevée avec vitesse en vérifiant toutefois de ne gêner personne d'autre. Quelques instants plus tard, une jeune demoiselle de cuisine portait de nouveau un tablier.

- Évite de tirer dessus, lui dis-je quand même en pressant ses épaules. C'est en s'inquiétant autant que tu feras des erreurs.

- Merci, fit-elle avec beaucoup de reconnaissance.

Je me retournai alors et je me figeai tout aussi rapidement. À l'autre bout de la pièce, Jack le valet de pied était revenu avec un homme assez impressionnant. Celui que je supposais déjà être Monsieur Caldwell était un véritable géant qui devait effleurer les deux mètres, sa musculature n'avait rien à envier à un homme plus jeune malgré sa cinquantaine bien tassée. Ses cheveux déjà bien grisonnants étaient soigneusement plaqués en arrière et je pouvais le voir me fixer avec un énorme douceur dans le regard.

- Mademoiselle Rivers? m'appela alors l'homme.

- C'est bien cela Monsieur, dis-je poliment.

- Je suis Walter Caldwell, le majordome de la maison Hayworth, fit-il avec sérieux et calme. Veuillez me suivre s'il-vous-plaît, vous pouvez laisser vos bagages, je m'en porte garant.

- Bien Monsieur, dis-je en avançant vers lui.

- Ça se passera bien, me fit alors Agnes tandis que je passais près d'elle.

Je lui sourit avant de prendre un visage sérieux. Le majordome me fit alors passer la porte par laquelle il était arrivé et nous passâmes un long couloir avec quelques portes. Certaines étant ouvertes, je sus ainsi que sur ma droite il y avait une pièce pour les produits boulangers et une autre à ma gauche pour les produits nécessaires à tout l'entretien de la demeure. Nous entrâmes dans une pièce que je pensais destinée à l'entreposage de bien des articles et desservant une porte sur ma gauche, sur celle-ci figurant le nom de Caldwell, j'en conclus que c'était son bureau. J'avais également réalisé que je n'avais pas entendu les clochettes du mur de la cuisine et j'avais été saisie d'un doute sur la présence des maîtres. Soudain, je réalisai que mon arrivée n'avait guère été annoncée et j'en profitai pour m'excuser.

- J'espère que vous pourrez me pardonner d'arriver sans m'être soigneusement annoncée, précisai-je.

- Ne vous en faites pas Miss Rivers, Monsieur le Comte avait bien reçu une missive de votre précédente maîtresse et semblait attendre la personne mise en évidence dans cette même missive, me précisa Monsieur Caldwell.

- J'espère également ne point déranger Monsieur le Comte dans ses affaires, dis-je en le suivant.

- Monsieur le Comte et Madame la Comtesse ont prévu de vous recevoir rapidement au vu de la longueur de votre trajet pour venir ici. Miss Robbins, notre intendante, participera à l'entretien. Attention à la marche.

J'avais juste eu le temps de l'éviter avant d'arriver dans un tout petit espace. J'avais remarqué immédiatement que ce tout petit couloir arborait des miroirs sur presque toutes les parois. L'évidence même de l'utilité de ces miroirs me sauta aux yeux: vérifier l'état de la tenue avant de se présenter devant les maîtres et leurs éventuels invités. J'en profitais d'ailleurs allègrement pour vérifier ma propre tenue et je vis d'ailleurs Monsieur Caldwell se retourner.

- Vous avez cerné immédiatement l'utilité de l'endroit, cela fait plaisir, dit-il avec fierté.

- Dois-je conclure qu'il s'agit de votre initiative ? demandai-je impressionnée de l'intérêt.

- Une idée de l'homme qui m'avait formé, sans doute de ses prédécesseurs, j'ai appris le métier au château de Windsor, fit-il.

- Vous avez servi pour Sa Majesté ? demandai-je impressionnée encore plus qu'avant.

- J'ai eu cet honneur durant quelques années, me fit Monsieur Caldwell. Désirez vous plus de temps ?

- Non, c'est très gentil à vous d'avoir patienté, dis-je en souriant.

- J'aimerais vous demander de ne point juger l'état de la demeure, nous finissons de changer les tapis et les rideaux, précisa Monsieur Caldwell.

- Je comprends parfaitement, dis-je alors.

Et la porte menant à la demeure proprement dites s'ouvrit sur le hall de demeure avec ses escaliers majestueux sur ma droite. J'essayais déjà de mémoriser la disposition des pièces, avisant le grand et évident vestibule à ma gauche. Monsieur Caldwell me fit passer une autre porte menant à une pièce peu meublée, d'à peine quelques fauteuils. Je supposai que cette pièce était réservée à l'accueil de visiteurs qui n'avaient que peu d'importance. Monsieur Caldwell ne faisant nullement fi de mes observations continua d'avancer comme une locomotive sur ses rails. Il passa une nouvelle porte et l'usage de cette pièce me fut bien plus évidente : une salle de jeux munie de plusieurs tables pour les parties de cartes et d'échecs. Cette pièce avait plusieurs portes mais nous passâmes celle en face de nous, arrivant dans un couloir. Cette maison était tellement plus grande que celle de ma maîtresse que j'en perdais plutôt mon sens de l'orientation. J'essayais quand même de mémoriser cela quand Monsieur Caldwell se retourna simplement.

- Je vous trouve quelque peu perdue, me dit-il avec gentillesse.

- Cette demeure est si grande, dis-je alors.

- Vous n'avez donc servi que dans une demeure londonienne ? me demanda t'il rapidement.

- Oui, Lady Fullton partait peu en villégiature, elle n'avait d'ailleurs aucune demeure secondaire, avouai-je immédiatement.

- Si vous obtenez le poste, vous verrez que vous vous habituerez rapidement, concéda Monsieur Caldwell. Ce couloir dessert une salle de billard, une salle de trophées et une salle d'armes pour la chasse. Il y a naturellement un petit salon aussi et le bureau de Monsieur le Comte. C'est d'ailleurs dans celui-ci que nous nous rendons.

- C'est noté, dis-je calmement avant de me figer en entendant un bruit derrière moi.

Je m'étais immédiatement retournée et j'avais juste eu le temps de remarquer un bout de tissus rouge foncé qu'une porte se refermait déjà dessus.

- Je ne vous dérange pas en présence d'invités rassurez moi ? lui demandai-je immédiatement.

- Nullement, il doit s'agir de Lady Charlotte, me précisa Monsieur Caldwell. Il s'agit de la plus âgée des filles de Monsieur le Comte et Madame la Comtesse. Je pense qu'elle espère secrètement que vous soyez là pour devenir sa dame de chambre.

- J'ai cru comprendre que Lady Charlotte n'avait pas encore été introduite dans le grand monde, dis-je en souriant.

- Non... Et ce n'est pas faute d'essayer, me dit-il amusé.

J'avais eu un tout petit rire gêné. Par ma maitresse et ses fréquentations, j'avais déjà eu l'occasion de voir à quel point les jeunes de filles de hautes naissances pouvaient en être impatientes et il était évident que celle de la famille était du même moule. Les jeunes filles voulaient juste avoir l'occasion de découvrir les magnifiques bals que pouvait donner le milieu mondain mais elle oubliait également que cela les mettait également sur le marché des épousailles. C'était d'ailleurs au sein de ces bals que la plupart des prétendants commençaient à se mettre en avant. Nous arrivâmes enfin devant une porte et Monsieur Caldwell frappa de quatre coups, faisant une pause entre chaque paire, un signal sans doute.

- Entrez Caldwell, fit alors une voix masculine.

Monsieur Caldwell ouvrit alors la porte et s'inclina légèrement avant de me laisser entrer.

- Mademoiselle Annabelle Rivers, dit-il calmement.

Alors que j'entrais dans la pièce, je fus incroyablement et agréablement surprise. En effet, même si il était évident qu'il s'agissait principalement d'un grand bureau, les murs étaient remplis de nombreuses bibliothèques extrêmement fournies. Il faudrait sans doute plusieurs années pour avoir l'occasion de tout lire. J'eus également l'occasion de découvrir les maîtres de maison. Monsieur le Comte était très grand et arborait une coupe de cheveux extrêmement soignée mettant en valeur la lueur châtain de ceux-ci. Il semblait déjà avoir passé la quarantaine même si il semblait assez en forme, ne montrant nuls signes d'embonpoint malgré un costume coupé près du corps d'un joli gris. Il se tenait debout à côté du bureau alors que son épouse et celle que j'imaginais être Miss Robbins se tenaient plus proches de ce dernier. Naturellement Miss Robbins, une femme à la chevelure rousse qui avait dû être flamboyante des années auparavant, se tenait près de sa maîtresse. Son port de tête semblait également distingué et sans doute avait-elle servi dans de grandes maisons comme Monsieur Caldwell. Mais la personne qui rayonnait dans cette pièce était bien Madame la Comtesse. Elle était belle et le mot était plutôt faible. Plus jeune que son mari d'au moins dix ans, ce qui n'était guère choquant dans ce milieu, ses cheveux étaient à la fois d'un magnifique noir de jais mais surtout d'une longueur qui me faisait plaindre sa dame de chambre. Et ses yeux, d'un vert émeraude transcendant, se posèrent sur moi non pas d'une manière inquisitrice mais plutôt du genre à m'apporter un sentiment de bienveillance.

- Monsieur le Comte, Madame la Comtesse, dis-je poliment en les saluant d'un léger mouvement de tête. Merci de prendre sur votre précieux temps pour me recevoir.

- Il est normal de vous recevoir au vu du chemin effectué pour venir jusqu'à nous, me fit alors la Comtesse avec un sourire. Mais ne restez pas debout mon enfant, prenez donc place.

Elle m'indiqua alors la chaise devant le bureau et j'avais été quelque peu surprise. Ce serait à Madame la Comtesse que j'allais dans doute le plus parler, chose assez étonnante dans un tel milieu. Je me suis lentement dirigée vers la chaise avant de m'y installer avec une légère pointe d'anxiété.

- Auriez vous une lettre de recommandation ? me demanda la comtesse avec un sourire.

- Oui Madame La Comtesse, dis-je alors en ouvrant mon sac.

- Mildred, pourriez-vous s'il-vous-plaît ? demanda-t-elle pour que son intendante fasse le tour.

- Voici, dis-je poliment.

Après un remerciement d'un mouvement de tête, Miss Robbins apporta la lettre de recommandation à Madame la Comtesse. Celle-ci l'ouvrit en me souriant et la lut avant de la replier sans même la donner à son époux.

- Je vais être extrêmement honnête avec vous Mademoiselle Rivers, fit-elle en me stressant un peu plus. Nous avions déjà reçu une lettre de Lady Fullton.

- Je l'ignorais, dis-je gênée.

- Elle nous avait déjà spécifié que sa santé était malheureusement déclinante, m'avoua avec douceur la comtesse. Mais également que son lien avec vous était quelque peu différent que celui entre une maîtresse et sa domestique. Alors sachez que nous partageons votre douleur Mademoiselle.

- Je vous remercie, dis-je alors en forçant un peu mon sourire.

- Nous connaissions Lady Fullton depuis longtemps, fit soudainement Monsieur le Comte. Et nous savions pour la jeune enfant recueillie.

- Je lui en serai éternellement reconnaissante, dis-je alors en me mordillant un peu pour ne pas craquer.

- Ne soyez pas gênée Annabelle, puis-je vous appeler Annabelle ? demanda la comtesse se rendant compte de son acte.

- Il n'y aucun problème à cela, dis-je poliment.

- Elle pensait que nous pourrions faire de vous la dame de chambre de notre fille, m'avoua la comtesse. Cependant, nous n'avons pas encore estimé ce besoin nécessaire. Par contre cette éventualité est tout à fait envisageable si vous désirez rester. Bien évidemment, j'aimerais savoir vos compétences.

- Évidemment, dis-je alors. Je suis assez bonne couturière, plutôt à l'aise au service. Je ne rechigne pas devant les tâches de nettoyage ou d'entretien. Je n'ai malheureusement aucune notion de cuisine... Et je sais lire et écrire.

- Intéressant, fit alors Madame la Comtesse. Nous savons déjà que vous n'avez servi que pour Lady Fullton mais pensez vous être capable de travailler au milieu d'un tel effectif?

- J'ai eu l'occasion de remarquer la bonne entente entre les membres du personnel et je pense tout à fait être capable d'y trouver ma place, avouai-je alors.

- Miss Robbins ? demanda Monsieur le Comte. Que pensez vous de l'éventualité de prendre une bonne de plus?

- Je n'y vois aucune objection, nous avons toujours besoin de plus de bras, avoua l'intendante. Et même si je me permets de prendre en compte un lien plus particulier entre Lady Fullton et Mademoiselle Rivers, je ne pense pas qu'une Lady puisse mentir sur les aptitudes d'une de ses domestiques.

- Si je puis me permettre, fit soudainement Monsieur Caldwell.

- Faites donc Walter, concéda le comte.

- J'ai eu l'occasion de voir la dextérité avec une aiguille de Mademoiselle Rivers et je peux confirmer son propos sur ses compétences en couture, fit le Majordome en me ravissant quelque peu.

- Et une domestique ayant une éducation est toujours un plus, fit la comtesse. Il faut cependant que vous sachiez que la Maison des Hayworth reçoit des invités peu courants ailleurs. Savez-vous faire la révérence ?

- Veuillez m'excuser mais je ne comprends pas la question, dis-je un peu perplexe.

- Les Hayworth reçoivent parfois Sa Majesté Royale la Reine Victoria, fit alors le comte. Il est nécessaire d'avoir un comportement exemplaire.

- Ho... Cela serait un honneur, dis-je alors. Je m'exercerai à la révérence.

- J'ai eu l'occasion de voir votre âge dans une missive de Lady Fullton, précisa alors la comtesse. Est-il possible de voir arriver de manière intempestive un éventuel soupirant venant de Londres?

- Non Madame La Comtesse, dis-je avec honnêteté. Je n'ai jamais eu de soupirant. Il n'y a point de risques sur ce détail.

- Quel dommage, fit soudainement la comtesse. J'aime l'animation, ajouta-t-elle dans un rire.

J'avais observé la comtesse et sourit à ce propos et surtout à son excitation.

- Mary, soyez sérieuse, fit alors Monsieur le Comte en riant un peu.

- Ne mentez mon mon cher époux et avouez donc qu'il nous arrive de nous ennuyer plutôt singulièrement par moment, fit-elle avec un sourire assez mesquin à Monsieur le Comte.

- Je le concède mais la vie sentimentale de nos employés n'est pas faite pour vous divertir, la réprimanda un peu son époux.

- Pff!!! Balivernes ! fit la comtesse d'un mouvement de la main. Rien de plus intéressant que les ragots des domestiques.

J'avais souris à ce propos, me disant que la comtesse avait une personnalité plutôt étonnante pour quelqu'un de son rang mais j'aimais cette pointe d'espièglerie. Lady Fullton avait un peu la même mais elle prétendait que les femmes d'un grand âge n'avait que cela comme loisirs. Je vis soudainement l'Intendante se pencher à l'oreille de sa maîtresse.

- Feue Lady Fullton nous avait précisé que vous aviez été éduquée par ses soins avec les codes et l'étiquette d'un milieu supérieur, précisa soudainement la comtesse.

- Effectivement Madame, dis-je alors. Elle a pris soin de m'apprendre beaucoup de règles d'étiquettes car elle aimait que je l'accompagne... Nullement en soirée je tiens à préciser mais en dehors de la maison, dis-je inquiète.

- Ne paniquez pas chère enfant, me fit la comtesse. Je ne suis guère de Scotland Yard. Il est assez rare qu'une domestique possède une éducation complète. Je me rappelle tellement les consignes de ma préceptrice... Ne recevez jamais un homme célibataire chez vous lorsque vous êtes seule. Un membre de votre famille ou de votre entourage doit se trouver dans la même pièce. Si vous voyagez avec un homme en tant qu’amis, insistez pour payer vos dépenses vous-même. L’intelligence n’est pas spécialement encouragée, pas plus que l’intérêt pour la politique... Je hais ce dernier point...

- Lady Fullton m'a bien enseigné ce genre de choses, confirmai-je.

- Et elle était très largement d'accord avec mon épouse, dit alors le comte.

- Mais bon, je demandais cela dans l'éventualité que je puisse avoir besoin de l'aide d'une bonne auprès de mes... Quel mot utiliser ? Hmmm... Mes très dissipées apprenties ladies, marmonna la comtesse.

- Je serai disposée à le faire si mon expérience si réduite peut être utile, dis-je alors.

- Désirez vous toujours travailler pour les Hayworth ? me demanda la Comtesse.

- Si ma candidature convient à Monsieur et à Madame, cela serait avec un immense honneur, dis-je alors avec honnêteté.

- Miss Robbins... Pourriez vous me rappeler le montant des gages? demanda soudainement la comtesse.

- Bien évidemment Madame, fit-elle poliment. Pour six jours de travail par semaine à raison de dix heures par jour, le montant du gage d'une bonne s'élève à dix-huit livres par an.

- Pardon? dis-je totalement choquée.

J'étais assez surprise d'un tel montant et je m'en voulus immédiatement d'avoir réagi aussi vite. Madame la Comtesse Mary me regardait plutôt suspicieusement et soudain, j'entendis Monsieur le Comte s'adresser à moi.

- Lady Fullton vous offrait peut-être une rémunération supérieure ? me demanda Monsieur le Comte.

- Non, Monsieur, j'étais rémunéré à un montant inférieur, douze livres par an... J'étais quelque peu surprise d'un tel montant, avouai-je immédiatement.

- Nous versons de bons gages, me fit Madame la Comtesse avec un sourire. Peut-être parce que nous aimons conserver notre personnel mais ceux qui restent en semblent satisfaits. Évidemment il y a un certain brassage chez les bonnes mais cela est évident.

- Par l'entrée dans la vie maritale je suppose, dis-je poliment.

- Effectivement, me fit Madame la Comtesse. Je suppose donc que le montant vous sied ?

- Bien entendu, répondis-je encore un peu surprise.

- Vous serez logée dans une chambre au dernier étage, la partageant avec une autre bonne, m'expliqua Miss Robbins. Vos repas sont aux frais de la demeure évidemment et nous ne vous demandons pas d'intervenir dans vos dépenses de logements. Cependant si vous désirez faire vos repas ou acheter des meubles, cela sera bien à vos frais.

- Naturellement, je comprends parfaitement, dis-je alors.

- Auriez-vous une demande particulière ? demanda Monsieur le Comte.

- J'ai peur d'être inconvenante en la faisant, dis-je après avoir légèrement réfléchi.

- Dites toujours, me fit Madame la Comtesse.

- J'aime passer mes jours de relâche plongée dans la lecture et je n'ai pû qu'admirer votre magnifique collection dans cette pièce..., murmurai-je gênée. J'espèrais peut-être pouvoir...

- Vous ne pourrez pas emprunter ceux de cette pièce, me fit alors Monsieur le comte me décevant un peu. Cependant, il y a une autre bibliothèque au premier étage et vous pourrez lire ceux présents dans celle-là.

- Je vous remercie de cette gentillesse, dis-je alors.

- Venez Mademoiselle Rivers, me fit Miss Robbins. Nous allons vous installer et nous signerons votre contrat demain. J'en profiterai également pour vous présenter toute la domesticité.

- Bien Miss Robbins, dis-je en me levant. Merci de votre confiance.

J'allais prendre congé de mes désormais nouveaux maîtres et je suivis Miss Robbins vers la porte lorsque Madame la Comtesse m'interrompit.

- Une dernière question, fit-elle rapidement m'obligeant à me retourner.

- Oui Madame? demandai-je alors.

- Comment vous débrouillez vous avec des enfants ? demanda-t-elle.

- Je n'ai pas beaucoup d'expérience... Pourquoi ? demandai-je alors.

- Disons que nos jumeaux sont... diaboliquement farceurs, m'avoua ma nouvelle maîtresse en riant.

Ce propos guère rassurant se solda simplement par mon départ du bureau, suivant Miss Robbins sans hésitation.

- Lady Mary ne ment pas, avoua Miss Robbins en se retournant calmement.

- C'est à dire ? demandai-je inquiète.

- Vérifiez souvent vos poches sinon les jeunes maîtres risquent d'y glisser bien des objets, dit-elle en souriant. Ce n'est jamais méchant mais parfois quelque peu contrariant. Et évitez les lorsque c'est jour de gelée en dessert.

- Ho mais c'est encore mignon, dis-je alors tandis que Miss Robbins se retournait.

- Lady Charlotte, fit poliment l'intendante.

Je m'étais alors penché sur le côté pour observer son interlocutrice. Il s'agissait évidemment de la grande fille de la famille, arborant une coupe de cheveux auburn extrêmement travaillée et un regard non seulement assez malicieux mais surtout porteur d'un très vif intérêt.

- Une nouvelle employée ? demanda-t-elle immédiatement en se penchant pour m'observer.

- Bonjour Lady Charlotte, dis-je alors en penchant doucement ma tête.

- Il s'agit de notre nouvelle bonne, Annabelle Rivers, précisa Miss Robbins.

- Mildred... Quand vous dîtes bonne..., demanda-t-elle intriguée.

- J'entends pour la maison, précisa donc Miss Robbins avec le calme olympien qui semblait la caractériser.

- C'est injuste! s'énerva Lady Charlotte.

- Lady Charlotte, n'allez guère plus vite que nécessaire, précisa Miss Robbins.

- Mais je veux faire mon entrée dans le monde moi, s'offusqua la jeune fille.

Cela me fit sourire. La jeune Lady semblait presser de découvrir le monde des adultes et, sachant à quoi pouvait ressembler un bal mondain, je trouvais cela assez normal.

- Vous savez déjà que c'est pour bientôt, n'allez pas trop vite, lui intima Miss Robbins.

- Oncle Sebastian dit pourtant que je suis en âge même dans ses lettres envoyées depuis les Indes, s'offusqua la jeune fille en cherchant un argument.

- Ce que Monsieur le Vicomte semble ignorer, c'est que vous n'êtes pas sa fille, il n'a pas son mot à dire, fit calmement Miss Robbins. Si vous l'étiez, il ne serait sûrement pas si pressé que cela.

- Il n'y a que lui qui comprenne ce que je veux, marmonna Lady Charlotte.

- Monsieur le Vicomte était suffisamment dissipé dans sa jeunesse pour avoir compris votre comportement, fit soudainement Miss Robbins. Je compte d'ailleurs bien lui rappeler qu'il vous rend quelque peu empressée.

- Vous lui direz quand il reviendra, c'est pour bientôt, fit fièrement la jeune Lady.

- Mais j'y compte bien, avoua Miss Robbins.

D'un mouvement de tête outré, Lady Charlotte s'approcha de nous et passa outre Miss Robbins pour s'arrêter en face de moi.

- Bienvenue au Manoir Hayworth, j'espère que vous monterez prochainement en grade, fit-elle en avançant vers la porte.

- Merci à vous Lady Charlotte, eus-je à peine le temps de dire avant qu'elle n'explose presque la porte du bureau.

Je me suis retournée vers Miss Robbins qui se contenta d'un soupir d'épuisement.

- Veuillez pardonner notre jeune maîtresse, elle n'est capricieuse qu'à ce sujet, avoua Miss Robbins. À part cela, c'est la gentillesse personnifiée.

- Je vous crois Miss Robbins, dis-je avec un sourire.

- Bien, allons à l'office récupérer vos possessions, précisa Miss Robbins.

Et je suivis donc cette dernière sur le chemin du retour vers l'office. Il y avait déjà bien moins de domestiques, certains ayant dû finir les tâches. Il ne restait que les deux domestiques qui avaient déchargé la voiture hippotractée de mon si gentil chauffeur. Voyant entrer l'intendante, ceux-ci se levèrent poliment.

- Avez vous vérifié l'intégralité de la commande Gideon ? demanda Miss Robbins.

- J'y étais affairé, avoua ce dernier.

- Parfait, concéda Miss Robbins. Annabelle rejoint notre effectif. Jack, pourriez vous aider à monter son bagage?

- Sans problème, précisa ce dernier immédiatement.

- Venez Annabelle, me fit Miss Robbins.

Elle avança alors vers le fond de l'office et je découvris un escalier dérobé. Elle ne patienta guère longtemps avant de commencer son ascension avec ma petite personne sur ses talons.

- Le premier étage est l'étage des maîtres avec leurs chambres respectives et également celle du Vicomte, m'expliqua Miss Robbins.

- Je suppose qu'il est donc plus jeune que Monsieur le Comte? demandai-je au cas où.

- Il est même plus jeune que Lady Mary, il n'avait que onze ans à la naissance de Monsieur Henry, me précisa Miss Robbins en avançant. Le précédent Comte est décédé bien jeune et son épouse en couche.

- Vous m'en voyez navrée, dis-je en vérifiant quand même que Jack suivait.

- Le second étage est réservé aux invités, précisa Miss Robbins. Nous l'entretenons bien évidemment mais il reste majoritairement inusité, sauf quand Lady Charlotte poursuit ses jeunes frères et sœurs, ajouta-t-elle en riant

- Ils semblent proches, dis-je en souriant.

- Ils le sont tous les quatre, mais Lady Charlotte est surtout proche de Monsieur le Vicomte, précisa Miss Robbins. Le premier étage de comble est réservé au personnel masculin. Aucune femme ne doit s'y trouver. Le second est pour nous les femmes. Exceptionnellement Jack peut entrer. Je ne déroge jamais à cette règle. Suis-je claire? fit-elle alors en se retournant.

- Oui Miss Robbins, dis-je alors.

- Et si vous vous inquiétez de la sécurité, sachez que les accès respectifs sont totalement verrouillé.

- D'accord...

- Je sais que chez Lady Fullton cela ne devait guère être le cas, précisa Miss Robbins. Cela l'est assez rarement dans une demeure avec si peu de domestiques.

- Nous avions chacun une chambre mais au même étage, précisai-je alors. Et il n'y a jamais eu d'incident.

- Je vous crois mais ici, les domestiques sont bien plus jeunes et comme vous le savez, les affres de la jeunesse poussent à certains comportements inappropriés, précisa Miss Robbins en arrivant à l'étage des femmes.

J'étais en réalité rassurée de ces informations, n'ayant jamais eu autant de collègues. Je la vis ensuite sortir une clef de sa poche et la déverrouiller.

- J'ai décidé de la mettre avec Agnes, précisa-t-elle au valet de pieds derrière moi.

- J'ignore quelle chambre c'est, précisa ce dernier surpris.

- Bonne réponse, fit celle-ci avec un certain pragmatisme. Troisième porte à droite, la première est la mienne et je suis à votre disposition en cas de besoin, fit-elle cette fois à mon attention.

Cette intendante était d'une sacrée méfiance qui mériterait une médaille. Je vis donc Jack le valet de pied déposer ma malle devant la porte et prendre congé en me souhaitant la bienvenue. Je m'étais approchée de la malle et je vis Miss Robbins frapper à la porte.

- Entrez, fit la voix d'Agnes la bonne à l'intérieur.

Miss Robbins l'ouvrit et me permit ainsi de découvrir une chambrée de taille correcte mais extrêmement sommaire. Il y avait en effet à l'intérieur deux lits simples mais également d'une assez bonne taille, sachant que j'étais tout de même assez menue. Chacun des lits possédait, adjacent à lui, une petite table de nuit en bois solide mais également, à quelques pas du lit, une armoire ancienne me permettant d'y placer des affaires. Il y avait également au-dessus de chacun des lits une toute petite étagère. Il restait quelques meubles à l'intérieur. Tout d'abord une bureau assez sommaire que je supposais devoir partager avec Agnes. Ensuite, il y avait un petit poêle en fonte avec quelques morceaux de bois pour l'entretenir mais également un meuble un peu plus long et sur lequel était posé un pichet et un petit bassinet pour la toilette. Je devinais donc aisément que les commodités devaient quant à elle se trouver dans le couloir. Agnes, qui avait pris le lit le plus proche de la petite fenêtre, se leva immédiatement et arbora un grand sourire à travers sa chevelure qu'elle avait relâché après avoir sans doute fini sa journée.

- Tu as été engagée, me fit-elle en souriant.

- Oui, dis-je en souriant.

- Je vais vous laisser vous installer, me fit Miss Robbins. La porte du fond du couloir est pour le besoins naturels. La journée de travail commence à cinq heures. Descendez immédiatement à l'office et je vous donnerai vos tâches journalières. Bonne soirée et bonne installation.

Miss Robbins prit donc congé et referma la porte. Je n'avais pas eu le temps de me retourner qu'Agnes me serrait dans ses bras.

- Pardon, fit-elle en se reculant. Mais je suis tellement contente d'avoir quelqu'un avec moi... J'ai grandi dans une famille nombreuse et on était quatre filles dans une seule chambre. Mes parents travaillent pour les maîtres dans une exploitation. On fait de bonnes carottes !

- D'accord, dis-je en riant. Et ce n'est pas un soucis, précisai-je en posant ma malle sur le lit.

- Elle a l'air lourde... Tu veux un peu d'aide ? demanda Agnes.

- Avec plaisir, dis-je alors touchée de l'attention de ma voisine de chambre.

- Tu as quelques livrées dans l'armoire, si elle est salle, il faut la mettre dans la pièce juste à côté des commodités. La personne en charge du linge le prendra. Il te faudra juste coudre ton nom, me précisa Agnes.

- D'accord, dis-je juste en ouvrant l'armoire et prévoyant de faire cela ce soir.

Tandis que j'enlevais manteau et chapeau, je vis Agnes ouvrir ma malle et se figer de surprise.

- Tu sais lire ? me demanda Agnes.

- Oui, j'ai appris, dis-je étonnée.

- Quelle chance... Tu me liras des livres? Enfin si tu veux évidemment, dit-elle ensuite.

- Sans soucis, dis-je alors en prenant mes chemises de nuit en lin pour les ranger.

- Si tu veux de l'intimité, il y a un paravent sous chaque lit. Pratique pour la toilette, dit-elle en riant.

- Je te le concède, dis-je en riant de bon cœur.

- Tu as un entretien avec Monsieur Caldwell et les maîtres ? demanda Agnes.

- Oui, Madame la Comtesse semble savoir s'imposer, dis-je en la regardant.

- C'est rare n'est-ce pas? demanda Agnes.

- Ho et j'ai eu l'occasion de rencontrer Lady Charlotte, précisai-je.

- Demain tu verras le jeune Lord, me fit Agnes en riant.

- Dois-je conclure que le jeune maître est bel homme ? demandai-je amusée.

- Beau serait peu dire, selon les domestiques plus anciennes, il n'y a que le vicomte qui est encore plus beau, avoua Agnes très amusée. Et puis il y a Gideon...

- Je vois que tu as le choix, dis-je en rangeant mes chaussures. Ho... Est-ce que l'on nous fournit des affaires de toilettes ?

- Oui, dans le meuble, précisa Agnes.

- D'accord merci...

- Tu es gênée de mon propos sur les hommes ? Ne le sois pas, tu verras aussi qu'ils sont beaux, dit-elle en riant.

Ma nouvelle vie allait ainsi commencer dans les rires et surtout les anecdotes bien croustillantes qui ravissaient sans doute autant Agnes que notre chère maîtresse Lady Mary. Je pensais déjà me sentir chez moi au Manoir Hayworth même si Lady Fullton me manquait plus que de raison. Je lui devais tellement et en plus, je lui en devais encore. Elle avait réellement été très bonne avec moi et je me fis une promesse : faire honneur à l'éducation qu'elle m'avait donnée mais surtout à Lady Fullton elle-même.


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