Divalis : l'éveil

Chapitre 38 : Changement

5334 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 28/05/2024 13:07

Aziel et Aéon harnachent Fafnir pour les balades du matin, la dorée soulève le brancard pour le lier à la sellette. Elle glisse l’attache dans l’anneau et sursaute alors que Silva vient à lui donner un coup de museau dans le dos.

La dorée se tourne sur la créature et la caresse, surprise qu’elle vienne demander de l’attention. Silva recule et se place entre les brancards d’une charrette mise à disposition, puis regarde Aéon, sa queue se balançant doucement derrière elle.

Aziel, sur l’autre flanc de Fafnir, se penche sur son poitrail pour voir ce qu’il se passe et remarque alors ce que fait la drakinne. Il contourne le mâle vert pour se diriger vers l’ancienne monture de sa mère, encore plus surpris qu’Aéon.

 

— Tu veux tirer une charrette, Silva ? demande le bicolore.

— Avec elle, répond la créature en se tournant sur Aéon.

 

Aziel dévisage Aéon qui lui sourit, il demande aux autres meneurs s’ils n’ont pas un harnais libre pour une femelle.

 

— Prends celui de Valkyrie, Adrian ne fait pas les balades pour l’instant, annonce Valérie.

 

Aziel le prend et le passe à Aéon puisque Silva refuse que ce soit lui qui s’occupe d’elle. Aéon passe la sellette sur le dos du reptile, ce qui est plus facile puisqu’elle fait un mètre de moins que Fafnir. Elle l’attelle et se place derrière Aziel et les autres meneurs, surprise de la voir reprendre du service après six ans d’inactivité.

 

— Dire que je la pensais devenue sauvage, dit Hector à voix haute.

— Visiblement non, répond Aziel.

 

Le garçon l’observe, il a tout de même peur qu’elle ne change soudain d’avis et retourne la voiture. C’est tout autant risqué pour Aéon que pour ses passagers. Les touristes s’approchent d’eux, Aziel devenant blanc alors qu’il aperçoit Linette et ses amies. En s’approchant, la jeune femme constate à son tour que Silva est menée par Aéon, ce qui la fait sourire.

 

— Ça pour une surprise ! Elle recommence ? Je monte avec toi, Aéon ! s’exclame Linette.

— Heu, Linette, on vient tout juste de la remettre en route, il vaudrait mieux tester un tour à vide avant de tenter avec des passagères, réplique Aziel.

 

Celui-ci se sent rassuré de voir une famille lui demander l’autorisation d’embarquer.

Aéon regarde Silva qui laisse un grognement mêlé à un ronflement passer, la dorée sourit alors.

 

— Elle ne fera pas d’idioties, montez les filles.

— Certaine ? Je n’ai pas envie de manger la neige, plaisante la blonde.

 

Aéon acquiesce et Aziel regarde les filles monter avec la divalis d’un air suspicieux. Les voitures se mettent en route. Linette, comme elle l’avait fait avec Aziel, vient se placer derrière Aéon.

 

— Navrée pour hier, je t’ai visiblement mise mal à l’aise, dit la blonde.

— Ce n’est rien, répond Aéon à voix basse.

— Ça va, il n’y a pas eu de malaise avec Aziel après ? Je t’avoue que je ne le croyais pas, discute la jeune.

— Nous ne sommes pas en couple, nous sommes juste proches, clarifie la divalis.

— Tu es sérieuse ? déclare la blonde, curieuse.

— J’aime bien Aziel, mais je ne suis pas intéressée par une relation de couple, explique la dorée.

— Tu dis ça maintenant, mais tu vas sans doute changer d’avis, surtout si Aziel te montre ses prouesses au lit, ricane blonde.

— Je peux me passer de ce genre de détail, rétorque Aéon.

— Je vais quand le même le dire, parce qu’il m’entend et que ça le fait rougir, s’amuse la jeune.

 

Il tourne la tête vers l’arrière pour la gratifier d’un regard las qui fait rire Linette.

 

— Aziel m’a dit que tu es de son espèce, ce n’est pas instinctif de vouloir d’un partenaire ?

— Cela dépend de l’espèce et de notre éducation. Je ne veux pas me reproduire, donc je ne suis pas poussée par l’envie de me trouver un partenaire.

— D’accord…

 

Elle se rassoit près de ses amies qui la grondent gentiment, alors qu’elles essaient depuis le début de canaliser la jeune femme, sans franc succès. Le tour vient de finir, elles sont parties, le temps d’attendre les prochains promeneurs, Aziel vient rejoindre Aéon dans la voiture d’attelage.

 

— Silva me surprend, discute-t-il.

— Elle se sent peut-être mieux avec l’animation qu’il y a chez toi, dit Aéon.

— Je suppose, j’ai un peu peur qu’elle ne déprime à nouveau vu ce qu’elle t’avait dit.

— Elle semble fortement attachée à Abysse.

— C’est à voir, elle ne s’est pas liée à elle.

— Aziel, même si nous étions ensemble, je ne pourrais pas te donner de descendance. Réfléchis-y un peu, regarde comment s’est comporté Dagan avec moi, regarde comment Iaur considère que je devrais agir. On ne sait pas comment seront les autres divalis, et s’ils pensaient pareils ? Si nous venions à avoir une fille, es-tu sûr et certain de pouvoir la protéger si les mentalités ne changent pas ? As-tu vraiment envie qu’elle grandisse en entendant toute sa vie comment elle devrait se comporter ?

— Elle le serait, puisque je chasserais ceux qui refuseraient le changement, rétorque Aziel.

— Je suis donc la première à chasser…

— Je parle de ceux qui ont une mentalité toxique.

— Si je devais considérer tes paroles, n’est-ce pas là un comportement toxique que vous avez tous à vouloir me faire changer d’avis sur mes convictions ?

 

Aziel souffle du nez et attrape la divalis pour la serrer contre lui.

 

— On en reparlera plus tard si tu le veux, je t’ai dit il y a quelques jours que notre relation me suffisait, tout ce que je te demande, c’est de ne plus t’enfuir. Je t’écoute et je te comprends, je ne cherche pas à te mettre la pression. Je te l’ai dit, j’ai juste envie de te prouver que…

— J’ai tort, dit-elle, ironique.

— Ma certitude, répond Aziel.

 

Les touristes sont là, le bicolore quitte l’attelage pour retrouver le sien sous le regard pensif d’Aéon. Elle y pensera plus tard, mieux vaut se concentrer sur Silva.

La semaine s’est écoulée, ils sont en novembre. Ils travaillent seulement du matin, Aéon continue avec Silva et Aziel est retourné en clinique. L’après-midi, ils vont en montagne pour apprendre à Aziel à réellement se glisser dans sa peau d’un divalis. Il n’aime pas cela, mais aujourd’hui le voici à pister et à traquer du lapin avec Vlase, Buntar, Aéon et Dagan. Le bicolore passe plus son temps à garder un œil sur le rouge qu’à sentir les pistes.

Dagan, quant à lui, est centré sur Aéon. Lui avoir rapporté des proies n’a pas suffi pour qu’elle le regarde, la seule fois où elle est vraiment venue lui parler, c’était pour lui demander de se joindre aux humains… Dagan ne comprend pas pourquoi ils s’entendent avec eux, n’est-ce pas ces trois-là qui ont presque tué Aziel ? Quelle est sa logique ? Pourquoi le bicolore accepte-t-il de les côtoyer comme si de rien n’était ? Non, le rouge ne les comprend décidément pas. Ils n’ont pas la même façon de penser, et ce, pour beaucoup de choses. Il regarde Aziel avec une certaine satisfaction de le voir échouer quand il tente d’attraper une proie, puis il se tourne vers Aéon avec cette même expression.

La jeune comprend le message. Dans leurs mœurs, les femelles se tournent vers des mâles forts et douer à la chasse puisqu’elles doivent entièrement se remettre à eux quand elles sont gestantes. Que ce soit Aziel, Dagan ou Aéon, c’est Vlase qui les éduque à la survie.

Ils se redressent tous les cinq, les oreilles pointées vers le ciel. Des loups hurlent un peu plus loin, Vlase réplique, ainsi que Buntar. Ils établissent ainsi leur position pour éviter la confrontation et le respect des limites des territoires de chacun.

Aéon et Buntar s’allongent dans la neige et avancent ventre à terre dans la poudreuse qui humidifie leur pelage. Lentement, ils encerclent les lapins… Au dernier moment, ils se précipitent sur eux, avant qu’ils ne se terrent dans leur galerie. Gagné, voilà déjà deux prises.

Changeant de secteurs, les lagomorphes ne sortiront pas leur museau de sitôt. Ils repèrent un nouveau groupe un peu plus loin sur le plateau, coup de chance, ce sont des lièvres, ils ne vivent pas dans des terriers comme leurs cousins, mais il va falloir courir et surtout être agile ! Vlase jette un regard à Aziel qui s’affaisse de désespoir, mais le renard ne lâche pas l’affaire, les trois mâles s’aplatissent pour se rapprocher des lièvres. Un bref regard vers les divalis et les voici à courser les boules de poils qui détalent dans tous les sens. Ils bifurquent bien trop vite pour Aziel qui peine à se décider de planter ses crocs dans l’animal. Il tente d’attraper celui qu’il vient de courser et se jette sur lui au moment où il tourne, le happant à la patte en glissant dans la neige. Il tient toujours l’animal, qui couine et se débat… et finit par le lâcher de pitié.

Il se redresse et le trio rejoint Aéon et Buntar qui les attendent pour retourner chez le bicolore. Alors qu’ils marchent dans la poudreuse, une ombre dans le ciel les recouvre. C’est Chillak qui, visiblement, aime leur rendre visite, mais pas tout à fait, elle aussi a faim. Elle pique dans la neige où les lapins se cachent, tête la première, comme le font les renards.

La croupe en l’air, elle se libère avec une prise. Elle se tourne vers la petite meute et s’approche un peu.

 

— Comment fais-tu pour savoir où plonger ? demande Aéon.

— J’ai une très bonne ouïe et un bon odorat, plaisante Chillak.

— Comment tu t’y prends pour savoir à quelle profondeur aller sans risquer de t’écraser la tête ? demande Aziel.

— Pour être franche, je ne le sais pas. La plupart des proies fouisseuses, lorsqu’il y a assez de neige, reste en surface de la terre, je compte plutôt là-dessus, je les entends bouger et je plonge.

— Comme nous, mais elle ne peut pas confirmer leur présence avec la vue, dit Vlase.

— C’est ça, confirme la chimère avant de se tourner sur Aéon. Alors, la fugueuse, tu vas mieux ?

— Comment le sais-tu ? répond la dorée, étonnée.

— C’est elle qui t’a repérée, bien pour une aveugle, ricane le renard.

— Pourquoi avoir aidé avec une pareille tempête ? demande Aziel.

— Pourquoi ne pas le faire ? réplique la créature. Cela serait dommage que vous perdiez l’un des vôtres pour une simple dispute, non ?

 

Aéon baisse les oreilles et sa tête, peu fière de son comportement. Aziel, qui l’observe, regarde cette fois la chimère, même si elle ne peut pas le remarquer.

 

— Tu vis seule ? demande le divalis.

— Pour l’instant, répond la chimère.

— Tu vis ici depuis longtemps ? continue Aziel.

— Depuis l’été passé.

— Cela m’étonne, je ne t’ai jamais croisée, réalise le divalis.

— Tu l’as fait, mais je venais d’arriver, j’étais plus prudente, ricane la créature.

— Tu ne t’ennuies pas seule ? demande Buntar.

— Un peu, c’est pour cela que je profite de votre compagnie quand je vous croise, sourit la chimère.

 

Aziel grimace, elle est plus grande que lui, elle va prendre de la place dans la maison, mais…

 

— Si tu veux rester un peu avec nous, manifeste-toi et l’on te rejoindra, propose Aziel.

— C’est déjà ce que l’on fait avec papa, répond Buntar.

— Oui, on pourrait rester un peu avec toi l’après-midi, avant que le ciel ne devienne noir, continue Aéon.

— C’est gentil de me le proposer, répond la chimère.

 

Aéon regarde alors Aziel, qui comprend immédiatement sa pensée.

 

— Je sais à quoi tu penses, mais cela commence à faire beaucoup à la maison, dit Aziel.

— Ce n’est pas agréable de vivre seule, dit Aéon, compatissante.

— Je ne dis pas le contraire, mais la maison n’est pas si grande. C’est difficile de l’entretenir juste à deux, réplique Aziel.

— Par ailleurs, pourquoi tu t’acharnes à retirer la terre et les poils, on salit tout à chaque sortie, rétorque Dagan.

— Cela s’appelle la propreté, concept sans doute difficile à comprendre pour un sauvage, rétorque Aziel au rouge, puis il se tourne sur Vlase et Buntar, tique et s’excuse.

— Aziel a raison, nous vivons tout de même chez lui, nous parlions d’adaptation, cela doit aller dans les deux sens. Ce n’est pas juste à lui de se faire à notre style de vie, ce serait plus facile que nous prenions tous notre apparence humaine dans sa maison, avance Vlase.

— Pourquoi devrait-on tous se faire passer pour ces imbéciles ? râle Dagan.

— Aéon et Abysse se sont adaptées et pliées à nos mœurs de lisiis quand elles ont intégré ma meute. Buntar et moi avons adapté nos habitudes quand nous avons décidé de rester avec elles. Alors, il est logique qu’en intégrant Aziel au clan, nous changions quelques détails, clarifie le renard.

— On n’est pas humains, nous ! Pourquoi on devrait faire semblant ? rétorque le divalis rouge.

— C’est simple, Sans-Poils, si tu refuses de prendre ta forme humaine, alors trouve-toi une tanière quand Aziel et Aéon rentrent, réplique Vlase.

— Tu vas le faire ? dit le rouge, perplexe.

— Oui.

 

Buntar regarde son père, surpris, lui qui ne porte pas les humains dans son cœur est d’accord pour changer d’apparence ? Le jeune renard regarde un peu tout le monde, le silence s’est réinstallé.

 

— Moi, je ne suis pas contre, mais je ne sais pas comment faire, intervient le jeune.

— C’est une question de volonté, si tu me vois le faire, tu y arriveras, répond le renard à son fils.

— On a vraiment essayé avec Abysse.

— Si au fond de toi, tu craignais ma réaction, c’est normal que tu n’y parviennes pas, explique Vlase.

 

Ce n’est pas faux, Buntar avait peur de décevoir son père en voulant suivre l’exemple d’Aéon ou de se laisser influencer par Abysse. Pour l’instant, il n’y a que Dagan qui ne soit pas d’humeur à changer d’apparence.

 

— Il y a aussi une technique pour réussir à se transformer en humain plus facilement, dit Chillak.

— Ah bon ? dit Aéon en se tournant sur elle.

— Consommer sa chair ou son sang, dit la créature.

— Il n’y a pas un autre moyen ? répond Aéon, perplexe.

— S’il y en a, je ne les connais pas, dit la chimère.

— Si c’est vraiment ce que vous voulez, je peux vous y aider.

 

Ils sursautent tous sur place, puis regardent autour d’eux, confus. Dagan et Aéon se regardent, puisqu’ils connaissent cette voix qui ne devrait pourtant pas être aussi distinctement entendue.

 

— Kochtcheï ? demande Aéon, ses yeux essayant de me percevoir.

— C’est bien moi, répondis-je.

 

Aziel regarde la dorée en fronçant les sourcils ; depuis l’attaque des rapaces, celui-ci se doute qu’elle m’a laissé placer ma mort en elle.

 

— Tu l’as laissé placer sa mort en toi ? réfute le bicolore.

— C’est grâce à lui que j’ai pu te calmer la dernière fois, témoigne Aéon.

— Décidément, c’est vraiment avec moi que tu as un problème, rétorque Dagan contre la dorée.

— Avec ce comportement que tu continues d’avoir, c’est certain, réplique Aéon sur le même ton.

— Mais, bordel, que je dois faire pour que tu arrêtes de me faire la gueule ? crie Dagan.

 

Aziel s’avance en lui montrant les crocs, Dagan ne comptant pas s’écraser, en fait de même. D’un geste commun, Aéon et Vlase se placent entre eux pour les calmer.

 

— Il me semble que je te parle normalement, dit Aéon au rouge.

— Vlase vient de nous faire un joli discours sur l’adaptation des mœurs et de devoir se rendre utiles les uns aux autres. En quoi as-tu une seule fois agi comme une divalis ? En quoi t’es-tu un peu pliée à mes exigences alors que nous le faisons tous pour toi ? rétorque le rouge.

— Je n’ai jamais rien imposé, Dagan, répond Aéon.

— Non ? Tu as imposé une meute multi-espèces parce que tu ne pouvais pas te passer de Vlase. Tu lui as imposé la présence d’un autre mâle, ce qui est contraire à son style de vie, parce qu’il t’en faut bien un. Tu m’as rejeté par ce que je n’allais pas dans ton sens et tu nous as imposé de voyager pour trouver Aziel, à qui tu imposes encore ton bon vouloir en lui permettant de s’attacher à toi, mais de se faire à l’idée que tu ne lui donneras rien, réplique sèchement Dagan.

 

Aéon se laisse tomber sur son arrière-train, prenant les dires du divalis rouge comme une claque dans le visage. Elle ne voyait pas les choses ainsi et, en y réfléchissant, elle se dit que Dagan n’a pas tort. Toutefois, Aziel s’en mêle une nouvelle fois.

 

— Ne confonds pas les rôles, elle n’a jamais rien imposé ! Et de quoi tu parles ? Te plier à tes exigences ? Ne te méprends pas sur l’entraide et l’obéissance, Dagan. Il y a une différence entre adapter les codes de la meute pour tous et exiger des autres de se plier aux règles d’un seul, gronde Aziel.

— C’est pourtant ce qu’elle fait, tout le monde se plie à ses envies sans écouter celles des autres, rétorque Dagan d’un air dédaigneux.

— Je ne demande à personne de se plier à ce que je demande, tout le monde a le droit de donner son avis et on s’arrange tous sur un commun accord, dit Aéon, plus sûre d’elle.

— Mais on doit devenir humains, sinon quoi ? On est chassés de chez Aziel, dit Dagan perspicace.

— Rien n’est imposé, on a juste fait remarquer que cela serait plus simple pour moi, rétorque Aziel.

— Je considère que les propos d’Aéon et Aziel sont normaux. Nous vivons, à présent, sous deux conditions : celle d’Aziel chez lui et la nôtre au-dehors, insiste Vlase.

— Je n’ai pas envie de me transformer, riposte le rouge.

— Alors, reste divalis, reste dans ton coin, mais j’estime que tu n’as rien à faire dans la tanière d’un humain si tu refuses de faire un effort. Je comprends de quoi parle Aziel. Ce n’est pas sale parce qu’ils se nettoient quand ils reviennent de l’extérieur. Nous salissons avec notre pelage, si je peux le comprendre, tu le devrais aussi, sauf si tu es plus idiot que je ne le pense, réplique Vlase.

— Je n’ai aucune envie de devenir comme ceux qui ont tué ma famille, réplique Dagan, boudeur.

— Tous les humains ne sont pas mauvais, c’est comme nous, certains peuvent faire preuve de compréhension tandis que d’autres se permettent de blesser les autres, continue Vlase en le fixant.

— Un petit détail sur cette histoire, Dagan. Les divalis étaient déjà aux portes de l’extinction. Aérin eut pour dernier recours cette idée de bloquer la transformation chez les enfants à naître pour les disséminer parmi les humains. Elle a fait cela en espérant que ses enfants s’hybrident avec des humains et pour renouveler votre code génétique. Tu es né en avance, cela n’a pas fonctionné avec toi. Ta mère ainsi que les autres femelles sont mortes en donnant naissance. Il y avait bien des humains présents, mais ils étaient là pour maintenir en vie les femelles, expliqué-je.

— Je me rappelle parfaitement que mon père est allé les attaquer et qu’Aérin a fui avec moi, rétorque Dagan.

— En effet, Aérin était gestante, elle n’avait plus la force de calmer l’instinct des mâles ni leur raison. Aérin a fui avec toi pour que ton propre père ne te tue pas.

— C’est une histoire que tu viens d’inventer ? dit Dagan, en colère.

— Non.

— Alors, pourquoi l’avoir tue aussi longtemps ? rage le rouge.

— Tu t’es fait ta propre idée sur ce qui était arrivé, tu ne m’as jamais demandé la vérité.

— Et tu ne t’es jamais dit qu’il serait logique de nous raconter ça directement à tous ? réplique Aziel qui, comme les autres, cherche après un visuel de ma personne.

— Vous ne m’en avez pas posé la question.

— Alors, pourquoi finalement nous le dire si tu penses ainsi ? T’es complètement con comme entité, rétorque Aziel.

— Je l’ignore.

— Tu peux prendre forme, c’est bizarre de t’entendre sans te voir, dit Aéon.

 

Ça me demande de l’énergie de faire ça, mais soit, s’ils sollicitent un repère visuel… Ma silhouette se forme alors aux côtés d’Aéon, une fumée noire, rappelant un divalis où seuls mes yeux rouges se distinguent. Buntar s’éloigne vivement de moi, confus, il regarde son père qui recule de quelques pas, comme Chillak.

 

— Comment se fait-il que vous ayez un lien avec Kochtcheï ? dit la chimère, penaude.

— C’est une longue histoire, répond simplement Aéon à la chimère.

 

Ils discutent encore un peu, Chillak refusant gentiment de les accompagner. La chimère s’envole tandis que les divalis et les lisiis retournent au village.

 

— J’y pense, mais s’ils se transforment, ils vont avoir besoin de vêtements, eux aussi, dit Aéon.

— Les affaires de mon père ou de mon frère devraient leur aller, je suppose qu’ils ne seront pas aussi grands que moi, et Vlase et Dagan font presque la même taille animale, donc humains, cela devrait être pareil, répond Aziel.

— Je n’ai pas encore décidé de me transformer, rétorque Dagan.

— Fais comme tu veux, répond simplement Aziel.

— J’ignore si Abysse le pourrait vraiment, il me semble que les cryptides issus d’une espèce qui n’a jamais adopté d’apparence humaine ne parviennent plus à le faire, déclare Aéon.

— J’y pensais aussi, répond le bicolore.

— Les coïstes font partie des espèces qui ne peuvent plus se transformer d’eux-mêmes, mais je peux la provoquer, dis-je.

— On devra se rendre dans le village si on change d’apparence ? demande Dagan d’un ton râleur.

— Non, c’est comme vous le sentez, répond Aziel.

 

Une fois dans le salon, Aziel propose à Vlase, Buntar et Dagan de venir avec lui. Aéon, elle, va dans la salle de bains avec Abysse tout en lui expliquant la situation, puisqu’elle était restée au chaud.

 

— Tu n’y es pas obligée si tu n’en as pas envie, répète la dorée.

— Si ! Je le veux et si Kocj…tsi peut m’aider, alors je suis prête ! réplique joyeusement la jeune.

— La première fois est difficile, Abysse.

— Je n’ai pas peur, affirme la bleue qui n’a envie que d’une chose, ressembler à Aéon.

 

Je dirais que posséder une créature dont je n’ai pas de réel lien est plus compliqué, mais en vérité, non. Cela dépend de leur mental. Abysse me laisse totalement le contrôle, elle ne m’oppose aucune résistance. À un tel point que je peux l’endormir pour qu’elle ne ressente aucune douleur… Bien que cela me soit égal.

La transformation est rapide, son corps de reptile se déforme pour en perdre sa queue, ses oreilles, sa mâchoire et ses écailles. En contrepartie, elle gagne des bras, des jambes, des pieds et des mains. Elle se dessine sous des traits ronds et enfantins avec une longue chevelure aux reflets bleutés. Elle aborde les caractéristiques de ces humains qui vivent dans les steppes en Mongolie… Abysse, sous son apparence humaine, ressemble à une adolescente de douze ans. La jeune fille se redresse, tremblante, elle regarde ses mains tout en vacillant, quelque peu troublée par ce nouveau corps, cette nouvelle vision, ses nouvelles sensations et cet équilibre plus qu’étrange !

Aéon se porte immédiatement vers elle pour la rattraper. La fillette se retrouve à quatre pattes, elle hésite, reste-t-elle sur ses genoux qui semblent lui être une bonne option ou tente-t-elle de se mettre sur ses pattes arrière devenues trop longues à son goût ?

Aéon lui saisit les bras et l’aide à se tenir droite, la jeune lui souriant de satisfaction.

 

— Oh, c’est bizarre, je ne vois pas de la même façon ! Tu crois que Buntar a réussi ? demande la jeune fille à Aéon.

— Nous verrons ça après, tu vas déjà t’habiller dans un premier temps… Dire que tu es presque aussi grande que moi, ajoute Aéon en riant.

 

Abysse rigole à son tour, tandis qu’Aéon va lui chercher de quoi se vêtir. Elle lui explique comment enfiler les vêtements et, une fois cela fait, la divalis démêle sa chevelure qui lui arrive sur les épaules. Les voici prêtes à retourner dans le salon.

De leur côté, Aziel s’est simplement assis sur son lit en attendant que les garçons changent de forme pour leur donner des affaires. Vlase est le premier à s’y coller. Les lisiis ne font pas partie des espèces change-peau. On nomme ainsi les cryptides qui, comme Aziel, jonglent avec leur apparence.

Le renard se concentre, ce n’est pas tellement différent que de pousser les limites de son corps pour se déplacer à la vitesse du son. Ce n’est pas une transformation à proprement parler. En revanche, son corps s’adapte et subit quelques changements, comme sa peau qui durcit et produit une sorte de champ de force pour se protéger un minimum des frottements de l’air. Contrairement à Abysse que j’ai endormie, Vlase subit sa transformation. Il sent ses muscles, ses tendons et ses os se déformer et changer de position, son pelage se volatilise et laisse place à une peau nue et pâle. D’un renard, il vient de passer à un homme qui a physiquement la trentaine, un visage fin, mais qui, contrairement à Aziel, ne fait pas efféminé. Ses iris sont rouges et sa chevelure mi-longue lui arrivant dans la nuque aborde une teinte verte sur le haut et noire sur la pointe. Il porte sur ses bras et son dos des marques noires comme s’il avait un tatouage. Il respire vite et il est assis en tailleur. Buntar, à ses côtés, observe son père, dubitatif.

 

— Toi aussi, tu as une sale gueule sous cette apparence, réplique le jeune renard.

— Fais gaffe à ce que tu dis, tu me ressembles, tu auras la même tronche, ricane Vlase.

— Vous vous sentez prêt à en faire de même ? demande Aziel à Buntar et Dagan.

 

Buntar est le second à changer de peau. Il ne pensait pas que cela ferait aussi mal, le garçon se laisse tomber contre le lit, épuisé et souffrant. Heureusement, la sensation passe vite, il observe les mains et les jambes qui le façonnent. Bien sûr, hormis sa chevelure verte, il ressemble en tout point à son père en plus jeune, comme Abysse. Dagan n’est pas décidé, mais je viens de lui donner un coup de main en lui montrant comment activer le mécanisme.

Ce dernier fait à peu près la même taille que Vlase, qui le dépasse de quelques centimètres. Il paraît avoir la trentaine, comme ce dernier, il a un visage fin, la mâchoire carrée, les cheveux courts, bruns avec un reflet rougeâtre et les yeux rouge orangé. Il a une peau basanée avec des caractéristiques slaves. Leurs traits gardent un côté naturellement séducteur, en particulier chez les carnivores.

Aziel leur passe des vêtements qui ont appartenu à son frère et son père. 

Tandis que Dagan s’habille, celui-ci fait remarquer d’une voix choquée qu’il est perturbé par cette chose désinvolte qui pend entre ses jambes ! Cela fait rire les renards. Pour rappel, les organes génitaux des divalis mâles sont internes. 

Heureusement qu’il a gardé les vêtements de son frère, qui vont parfaitement à Buntar. Il est un peu plus grand qu’Aéon et avoisine le mètre cinquante ; quant à Vlase et Dagan, ils font le mètre quatre-vingts.

Maintenant que tout le monde est transformé et habillé, il est temps de se faire à leurs nouvelles jambes pour rejoindre le salon ! Une fois la meute regroupée, chacun observe avec une certaine hilarité les autres se déplacer avec autant de maladresse. Il ne reste plus qu’à voir si vivre comme un humain leur plaît ou va vite les faire changer d’avis et retourner à leur vie de sauvages…

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