L'oeuxteurminateur.

Chapitre 2 : Dodo oeuf-reux (ou pas).

3098 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/09/2021 14:48

 Tel un caïd voulant imposer son autorité et sa main mise sur ce qu'il considérait comme son territoire, Jacky circulait avec son planeur sur le trottoir bordant des dizaines de restaurants. Slalomant comme il pouvait entre les passants tel un skieur professionnel et ayant reconnu l'enseigne de sa trouvaille, l'américain sauta de son appareil volant qui percuta un groupe composé d'une dizaine de personnes en glissant le long du bitume. Un score composé de trois x s'afficha sur le carreau gauche des lunettes, ce qui procura à son porteur une satisfaction particulière. Par ailleurs en voulant se diriger vers ce lieu parallélépipède dépourvu de fenêtres aux murs ternes et incolores, le vigile robotique du ''Dodo de Saumure'' d'une taille imposante au costume gris rayé et au visage maquillé d'une simple bande parcourue par une lumière jaune n'approuvait pas cette action de la part de son futur client. Le connaissant personnellement, l'automate fit un geste de barrière avec la main pour empêcher le mercenaire de passer.


« Sérieux Jac', t'es con ma parole ! Ça fait la troisième fois déjà ! Tu comptes t'arrêter quand ? Lança la machine avec une voix suraiguë synthétisée.


-Au bout de sept tentatives promis j'arrête. Bon ok neuf en fait, vu que je veux faire péter le high score ! Répliqua Jacky qui constatait l'arrivée dans son dos des personnes qu'il venait de renverser. Faisant volte-face pour avoir ses futurs adversaires dans son champ de vision, en mettant sa main gauche sur son menton pour le faire craquer, Mitchell remarquait que le groupe n'était composé que de jeunes hommes barbus habillés d'une chemise blanche à carreaux dont le physique frêle donnait le sentiment qu'ils flottaient dans leurs vêtements.


Monsieur. Vous nous devez des excuses sur le champ. Exigea avec une voix de snob l'un des membres du groupe dont le tremblement vocal peinait à cacher sa nervosité. Sinon, on ira manifester contre vous pendant des semaines durant pour vous obliger à le faire.


-Si t'as que ça en magasin pour me faire convaincre, va falloir revoir le bordereau de livraison la prochaine fois mon garçon.


Alors euh... On vous dénoncera à la néo-police. Dit avec hésitation un autre membre du groupe.


-Je taffe avec eux, dumbass. Y'a aucun risque que je finisse en cabane. Rétorqua Jacky en croisant ses bras tout en affichant un sourire confiant.


Vous ne nous laissez pas le choix. Nous allons devoir rendre le coup que vous nous avez donné. Avoua l'un des jeunes hommes en dépassant tous ses camarades pour se tenir devant Jacky en se retroussant les manches.


-Bah vas-y. Qu'est-ce que tu attends, Rocky Balboa ? Cogne moi. » Provoqua Mitchell en tournant sa tête vers la gauche pour exposer sa joue droite, exhortant son adversaire à le frapper véritablement.


Alarmé par cette situation tendue, le vigile commença à passer sur la gauche de son futur client pour arrêter la future rixe qui allait se dérouler. Cependant, l'être robotique se fit bloquer par la jambe de Jacky, dont la posture faisait une piètre imitation des danseuses du ''Moulin Rouge'' exécutant leur performance sur une musique entraînante. L'automate ne semblant pas insister, le jeune homme gringalet profita de l'aubaine et asséna un coup de poing sur le visage exposé de Jacky. Malheureusement, ce dernier était trop costaud pour son opposant, et le poing de celui-ci se brisa au contact de la peau renforcée de l'américain. Criant de douleur suite à cette riposte surprise et se cachant derrière tous ses amis, ces derniers reconnaissaient que leur adversaire leur était supérieur et prirent la fuite en courant les bras levés, dont la mollesse pouvait faire penser à des anguilles voguant dans les eaux pures et froides des rivières. En reprenant une posture normale, Jacky décida finalement d'entrer à l'intérieur du bâtiment en tournant la poignée ronde en acier de la porte munie d'une rambarde de couleur dorée, le vigile poussant un soupir d'exaspération.


Comme depuis son premier passage, Mitchell ne pouvait être qu'émerveillé par la beauté de ce lieu coincé dans des temps révolus. D'une architecture stationnée dans les années quatre-vingt, le restaurant était composé d'un socle rond central nourri par une piste de danse aux éclats multicolores surplombée par un œuf de couleur bleu-azur. Contrairement à l'extérieur, des travaux avaient été faits pour réaménager la pièce pour la rendre la plus arrondie possible. Au fond de ce lieu à droite se trouvait une porte menant aux cuisines et les tables en bois brut étaient disposées tout autour de l’îlot central pour imiter un ballet avec la venue des clients et le mouvement constant des serveurs. Se faisant accueillir par un robot muni d'une roue caoutchoutée en guise de moyen de locomotion dont les jambes avaient été soudées à cette dernière et d'un corps mince, l'être synthétique se présenta sous l’appellation de D0d0-mobile et guida son client à sa table habituelle. S'étant assis sur sa chaise à l'extrémité de la piste, pour avoir une vue sublime sur la porte d'entrée, Jacky se sentait anormalement seul ce soir là. En effet, pas une seule tablée n'avait été servi depuis son arrivée semblait-il. Faisant fi de cela en mettant ses jambes sur le support fait d'écorce tout en les croisant, Jacky appela l'acolyte du réceptionniste D0d0-matique pour passer sa commande quotidienne appelée ''Oeuf Horrisant'', à savoir une escalope de cormoran avec un œuf de dodo cuit sur le dessus de la viande. Filant de cette roue annoncer la préparation à faire pour son client, l'automate passa sur la piste pour faire quelques petites roulettes de danse avant de foncer vers l'ouverture menant à la cuisine. Se laissant baigner par cette ambiance chaleureuse et nostalgique d'une époque qu'il n'avait pourtant jamais connu, Jacky mit ses mains derrière la tête et se laissa emporter par la musique.


L'attente ne l'ayant été d'aucun défaut, Mitchell entendit le vrombissement du robot et sentit un fumet d'un parfum exquis. Sans qu'il ne s'en rende compte, l'être synthétique avait déposé délicatement le plat exigé par son client. Malgré la rapidité du geste et se remettant dans une posture adéquate pour pouvoir déguster, le mercenaire vit du coin de l'œil une grosse ornière se créer dans le sol dallé laiteux de la pièce. L'américain constatait ainsi l'explication du bruit anormalement élevé du moteur de l'automate. Faisant un geste en éventail de la main pour nier cette anomalie minime, Jacky mit ses membres sur les couverts pour commencer à dévorer son festin tant attendu et souhaité avec son vin à la camomille servi dans un gobelet.


Cependant, l'américain ouït non pas l'arrivée d'un futur consommateur mais d'une légère ouverture de porte suivi d'un bâton de dynamite coiffé d'une couronne en forme de crâne humain dont le sourire mesquin ne cachait en rien la dangerosité de l'explosif. L'arme glissa doucement au centre de la piste de danse sans que cela n'alarme Jacky. « Vous dansez très chère ? Je vous sens d'humeur explosive ! » Siffla ce dernier en gardant dans sa main droite la fourchette dont les piques empalaient fermement un lourd morceau de l'escalope enveloppé dans l'œuf de dodo. Ainsi, une légère explosion se fit, créant un léger trou au centre de la piste. Malheureusement et contre toute attente, le bâtiment entier s'écroula et Mitchell se retrouva enseveli sous les décombres du restaurant. Tout semblait flou autour de lui. Tel un nourrisson recroquevillé dans le ventre de sa mère, l'américain tentait de comprendre ce qui se passait dans les alentours. N'entendant qu'à grande peine des cris d'oiseau, d'armes crachant leurs projectiles énergétiques et des voix dont l'une d'entre elles avait un accent fort comique, Jacky mit ses Ray-Ban en vision nocturne et essayât de retrouver son plat ainsi que sa boisson. Dégageant une partie des gravats du mieux qu'il pouvait, Mitchell retrouva enfin son bien mais couvert de poussière et de dalles multicolores. Ne voulant pas gâcher cette nouvelle saveur, Jacky mit la viande en sandwich avec l'une des pierres des débris et des restes de la piste de danse puis croqua dans le morceau improvisé. Quelle ne fut pas sa surprise de voir que ce nouveau mélange ne seyait à son palet. À la fois déçu et fâché par ce gâchis, Jacky utilisa sa force herculéenne pour se dégager du tas de pierres et de tables qui le maintenait dans cette position pénible d'accroupissement tout en remettant ses lunettes en une vision nette et précise.


L'endroit entier était totalement dévasté, le restaurant donnait désormais sur la rue avec un ciel ouvert. Ne prêtant pas attention au décès du vigile ni des autres robots présents aux alentours des gravats, Jacky se dirigea vers l'entrée de la cuisine qui elle, avait été épargné par l'attaque. En ouvrant la porte en bois avec un coup d'épaule, Mitchell commença à demander d'avoir un nouveau plat avant de voir que les trois cuistots avaient été décapités, leurs corps restant immobiles et debout tels des statues en face de leur établi central. Leur sang coulant toujours à flots par le cou, Jacky passa vers la gauche de la pièce pour ouvrir un lourd tiroir métallique afin de s'emparer d'un gobelet et le mettre dans la trajectoire de l'écoulement du liquide vermeil. Le mercenaire mit alors l'objet en plastique à la frontière de son nez pour sentir la liqueur avant de faire une mine de dégoût et la verser dans la nuque d'une des pauvres victimes. Entendant comme un gémissement de douleur se situant droit devant, Jacky traversa la pièce en faisant renverser l'un des corps au passage en s'excusant, et trouva un homme au sol dont l'état livide ne laissait aucun doute quant à la survie de cette personne. Ayant reconnu le visage boudiné au crâne dégarni habillé d'une chemise blanche tâchée de sang du blessé, l'américain s'accroupit et voulut écouter les dernières volontés de cet homme qui était le propriétaire du restaurant.


« Aaaaaaah, Jackyyyyy tu es lààààààà ! Chuchota avec peine le gérant en joignant ses mains vers l'hémorragie abdominale qui se créait.


-Courage Monsieur Bean. Vous allez vous en sortir. Je vais appeler les secours, ils vous prendront en main vite fait bien fait ! Tenta de rassurer l'intéressé en mettant sa main sur l'épaule de son allié.


Nooooooon. C'est trop taaaaaaaaard. Je me sens en train de partiiiiiiir.


-Qui a fait ça ? Qu'est-ce qui s'est passé ?


La bande des Gladiateuuuuuuuurs. Ils m'ont voléééééééé le dodoooooooo. Avoua Monsieur Bean en pointant de sa main tremblante le piédestal ou était entreposé l'oiseau, dont la lumière blanche intense continuait de briller sur le dessus du socle.


-Sinon vous pouvez arrêter de parler comme ça ? Ça devient relou à force ! Dit le mercenaire en fronçant les sourcils.


Oui vous avez raison c'est débile. Non bah, ils ont volé le dodo parce qu'ils en avaient besoin d'après ce que j'ai entendu. Ils en avaient besoin pour... Siffla Monsieur Bean en ayant une coupure de respiration soudaine, ses yeux arrondis décrivant son état de décès imminent.


-Pour quoi ? Dites le moi ! Je veux absolument le savoir !


Ils en avaient besoin pour... Aaaaaaaaah... Dit Monsieur Bean dans un dernier râle morbide, la dernière once de vie ayant quitté son corps.


-Oh my God. Ils vont utiliser l'oiseau pour faire ''Aaaaaaaaah...''. Je ne peux pas les laisser faire ! C'est un crime odieux ! » Conclut Jacky en laissant le cadavre de son ancien allié avant de se lever et quitter les lieux.


Par ailleurs, Mitchell revint à la hauteur du buste inanimé du gérant avec un mouchoir pour effacer les traces de ses doigts sur l'épaule de ce dernier. En effet, si l'américain devait avoir la néo-police aux trousses à cause de cet imprévu, ils n'accompliraient jamais sa vengeance. Se retrouvant dans la rue après avoir enjambé la carcasse encore fumante du vigile et constatant du coin de l'œil la destruction de son planeur, le mercenaire se jura de faire payer le groupe de criminels et en particulier leur chef Irène Chiabien. Pour affirmer ses dires, Jacky partit à toute allure sur sa gauche pour aller retrouver un potentiel groupe de Gladiateurs avant de faire demi-tour pour aller à l'armurerie afin de récupérer des munitions et des armes de plus gros calibre.



Evry. 2048. 22h58.



Beaucoup plus loin, dans le quartier des Pyramides, un cortège de plusieurs dizaines de voitures traditionnelles, de camionnettes et de choppers freinèrent pour s'arrêter devant un des bâtiments massifs à la couleur rosâtre dont l'architecture d'inspiration égyptienne maquillée de néons de couleur violette parvenait à animer cet endroit qui semblait avoir été laissé à l'abandon depuis des décennies. Bordant la place centrale composé de jeux pour enfants délabrés, cet endroit avait été désormais érigé comme étant un des bastions principaux des Gladiateurs. Ne se trouvant qu'entre membres du gang, aucun des individus ne se sentait vraiment en danger une fois qu'ils arrivaient à cette destination protégée. Descendant nonchalamment de sa moto en gardant son casque en forme de crête, ses lunettes de soudeur et son blouson en cuir vert, Alvaro Couteau un des plus hauts dignitaires du clan, ordonna l'ouverture d'une des camionnettes afin d'y sortir le dodo capturé. Voyant les traces de griffure et de coupures profondes sur sept des huit membres présents à l'arrière du véhicule, le chef des Gladiateurs fit un roulement des yeux preuve de son mépris et ordonna à ce que l'on amène l'animal devant Irène Chiabien.


Après une escapade de plusieurs minutes où l'oiseau ne cessait de crier, de picorer et de tenter de broyer les bras de ses geôliers avec la force de ses serres et de son bec puissant, la dizaine de personnes épaulées par d'autres membres du clan équipés d'armes de faible intensité avaient fini par traverser le petit couloir délabré et vieillissant du bâtiment. Ayant pu pénétrer à l'intérieur de l'ascenseur situé juste devant eux, Alvaro appuya sur le bouton pour le mener au neuvième étage. Après une élévation de plusieurs secondes qui semblaient avoir duré une éternité à cause de la résistance farouche de l'oiseau, les Gladiateurs sortirent enfin et se trouvèrent dans une pièce large de plusieurs dizaines de mètres avec au fond de cette dernière la chef du gang qui se tenait devant une fenêtre de cuisine de taille moindre. En effet, les murs porteurs qui avaient été utilisés à la base pour créer diverses pièces et habitations avaient été démolis pour faciliter les mouvements des criminels dans leurs passages incessants. Décorée de plusieurs machines disposées à la va-vite et éclairée par de simples ampoules tenant péniblement par un câble apparent, cette salle permettait de ranger des armes lourdes et de créer d'autres outils de guerre pour le futur. Emboîtant le pas de ses laquais, Alvaro se dirigea vers sa supérieure pour faire le compte-rendu de la capture effectuée et accomplie avec succès.


« Jefe ! Ça y est ! Nous l'avons ou cé piaf dé malheul ! S'exprima avec fierté le second de Irène en élevant la voix.


-Je vois que tes gars ont eu des soucis. Z'êtes tombés sur qui pour avoir toutes ses marques ? Lança cette dernière en regardant le reflet des membres dans la vitre de la fenêtre, dont le paysage illuminé dessinait une longue chevelure blonde rasée sur le côté gauche, une cape noire et le fourreau d'une épée bâtarde.


Il y a ou plousse dé vigiles qué plévu. Et sulalmés. On a galélé poul obténil lé dodo. Madré dios ! Qu'ils étaient bien entlainés cé lobots ! S'étonna Alvaro en secouant la main gauche.


-Et Jacky Mitchell ? Vous l'avez bien crevé, c'est bon ?


Si si ! Lé bâtiment s'est effondlé soul sa tête. On a pas tlouvé lé cadavle mais il n'a pas pou soulvivle à ça.


-Très bien. Si vous n'avez pas trouvé son corps, ça veut dire qu'il est devenu un fantôme. Donc qu'il est bel et bien mort. Parfait... Siffla Irène en gardant ses bras croisés devant la fenêtre tout en laissant échapper un léger rire satisfait. Cet enfoiré qui m'a envoyé en taule a fini par le payer de son sang. Nous allons pouvoir commencer à mettre en place notre plan. Alvaro !


Si, jefe ?


-Prépare le dodo. Nous allons pouvoir achever notre nouvelle arme dans le plus grand des calmes et ainsi mettre à genoux la France entière. Mouhahahaha ! S'esclaffa Irène en mettant l'index de sa main droite devant sa bouche.


C'était nécessaile cé lile démoniaque ? Demanda le motard hispanique avant de voir sa supérieure s'interrompre et tourner légèrement la tête vers sa droite, laissant apparaître un œil pourpre froncé dont la membrane obscure lui donnait une allure satanique. Bon d'accold d'accold on sé dépêche ! »


Malgré les couinements du columbiforme et des cris de douleur des Gladiateurs, Irène gardait son regard sur les halos lumineux des quartiers principaux de la ville de Paris. Bientôt, tout ceci lui appartiendrait et pourrait voir la naissance d'un nouvel État plus sécurisé et plus sûr que jamais. Comme pour mimer son emprise future sur la capitale, Irène ouvrit la fenêtre et tendit sa main vers l’île flamboyante pour l'empoigner fermement dans sa main sombre et hâlée. Situé sur sa droite avec ses sous-fifres, Alvaro regarda d'un air bizarre sa chef et voulut l'imiter pour se moquer. Bien entendu, ce dernier ne fit pas le moindre geste et continuait à escorter les Gladiateurs au bout de la pièce pour placer l'oiseau à son emplacement.

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