Vampire Classroom

Chapitre 4 : CHAPITRE QUATRE

4707 mots, Catégorie: M

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CHAPITRE QUATRE



Se rendre en cours, c'est tellement normal même ici au vu des contextes particuliers entre les deux dortoirs. Je laisse Mitsuko divaguer sur la propreté des lieux. C'est neuf, heureusement que c'est propre! Étrangement, je suis la fille de la Red Class qui sera dans mon cours de littérature et je l'observe attentivement. Sa démarche est extrêmement droite comme si elle marchait avec ces longues robes de crinoline que l'on voit dans les films. Elle a vraiment quelque chose de distingué dans cette démarche comme si les soirées mondaines faisaient partie de son lot quotidien avant d'intégrer cet institut, je reste d'ailleurs convaincu qu'elle doit être fille d'ambassadeur. C'est pareil avec sa queue de cheval nouée très élégamment dans son dos. Tout en elle respire la richesse et la noblesse. Nous ne sommes pas du même monde c'est certain ! Elle avance sans hésitation à travers l'étage et cherche la classe dix-sept forcément. Tout à coup, elle s'arrête et frappe à la porte avant d'ouvrir et de regarder à l'intérieur. Je la vois s'y glisser rapidement.

- Elle l'a trouvée, me dit Mitsuko.

- J'espère que le professeur sera sympa.

- Je me demande à quoi vont ressembler les cours ici, ajoute Mitsuko.

- Je pense qu'ils vont être peut-être plus poussés vu que l'on est assez peu.

Mitsuko, qui ne lâche pas vraiment mon bras, et moi-même arrivons alors devant la porte de notre salle de cours et je peux voir que Josie est déjà installée à une table seule. Il n'y a pas beaucoup de sièges dans une classe qui semblent pourtant faire près de trente mètres carrés. Il y en a à peine six, c'est assez surprenant mais c'est vrai qu'en même temps, cet institut a sélectionné ses élèves, nous sommes donc assez peu. Les sièges semblent modernes et ergonomiques, les assises semblant également rembourrées. Il y a une petite tablette attachée à chaque siège et cela nous permettra d'écrire, un petit côté siège d'amphithéâtre universitaire. Je regarde plus attentivement la classe et il n'y a pas beaucoup de décoration à part peut-être quelques portraits, photographies ou peintures, d'auteurs célèbres. Je vois bien Victor Hugo, Charles Dickens, Mark Twain et William Shakespeare. Je suis assez étonné, il n'y a aucun portait féminin, pourtant elles sont d'aussi grands auteurs que les hommes. Je regarde alors le bureau du professeur qui n'est pas encore là. Son bureau semble ancien, dans un style Louis XVI je crois mais je ne m'y connais pas énormément en décoration d'intérieur et encore moins en ébénisterie ancienne. En tout cas, ce bureau est magnifiquement ouvragé. J'aimerai bien avoir le même un jour! Et son siège est un fauteuil assez luxueux, le directeur n'a pas badinné sur le budget ameublement Je remarque soudainement le tableau derrière le siège professoral et je découvre le parfait opposé. Il s'agit d'un tableau numérique high-tech et sans aucun doute tactile. On se croirait en plein film de science-fiction, il ne manque plus que les aliens.

- C'est dingue, on dirait une tablette pour géant, lâche Mitsuko sans doute aussi surprise que moi.

- Ça dénote avec le fauteuil, dis-je en réponse.

Je remarque que la fille de la Red Class organise déjà son bureau avec du matériel disposé dans une sorte de tiroir coulissant sous celui-ci. C'est vrai que nous n'avons pas besoin de fournitures, on devra sans doute les garder.

- Je vais essayer de sympathiser avec elle, me fait Mitsuko.

Je regarde cette dernière étonné de son annonce et je la vois partir pour s'installer dans le siège le plus proche d'elle. Ceux-ci sont installés en quinconce par lignes de trois. Josie Beaulieu avait choisi celui à l'extrême gauche, quand on se trouve dans le sens du regard vers le tableau, au premier rang et Mitsuko prend celui du milieu. Je l'entends lui parler, sans doute pour briser la glace. Moi je prends celui de droite sur la deuxième ligne, je ne veux pas que Mitsuko croie que je veuille la surveiller alors je laisse de l'espace. Petit à petit deux autres élèves nous rejoignent, il s'agit d'une fille d'origine latine vu son teint caractéristique, sans doute cubaine ou mexicaine, et d'un garçon blond assez discret. Ils ne nous adressent pas réellement la parole, ils sont sans doute perdus comme nous. Étonnement, la fille s'installe sur le siège derrière les deux autres et le garçon devant moi. Cela fait sectaire sur les bords mais bon.

Je sors enfin tout le petit matériel, rien de bien extraordinaire, des stylos bille et des bloc-notes ainsi qu'un cahier de texte intégralement noir. Je me demande si c'est pour prendre des notes. Je tourne discrètement la tête pour voir ce qui se passe à ma gauche et je comprends que Mitsuko monopolise presque la parole mais que la fille de la Red Class écoute cependant avec intérêt. Ou alors elle le feint, ce qui n'est en soit pas trop inenvisageable. Tout à coup, la porte s'ouvre.

- Bonjour à tous, dit alors l'homme brun en entrant. Veuillez m'excuser, Monsieur le Directeur a désiré nous parler avant le début du cours. Je suis navré de vous avoir faits attendre.

J'observe alors mon nouveau professeur attentivement. Étonnement, je miserai plus sur un acteur de cinéma que sur un professeur. Il présente extrêmement bien et je serai du genre à parier que plus d'une mère célibataire, ou non, rêverait d'assister à une réunion parents profs avec lui. Il est assez grand et ses cheveux mi-longs bruns lui donnent un petit air de désinvolture mesurée et atténuée par ce complet veston gris qu'il porte très bien d'ailleurs. Je n'arrive pas vraiment à lui donner un âge cependant mais il ne doit pas avoir plus de trente-cinq ou quarante ans. C'est toujours plus difficile de donner un âge à un homme.

Soudain, je remarque du mouvement à ma gauche et je tourne ma tête. Je découvre alors avec étonnement la seule élève de la Red Class debout à côté de son siège pour accueillir le professeur. Je remarque sa surprise quand elle nous regarde tous et, comme montée sur ressorts, Mitsuko l'imite pour qu'elle ne soit pas la seule debout.

- Asseyez-vous Mesdemoiselles, fait alors le professeur. Merci de l'accueil.

Les deux filles s'asseyent et le professeur dépose sa malette sur le beau bureau avant de sortir un ordinateur, sans doute pour le connecter à l'écran. D'un coup il enlève sa veste et se retourne pour nous observer en s'appuyant sur le bureau.

- Je vais commencer par me présenter et vous ferez de même ensuite. Je m'appelle Colin Kane et je serai votre professeur principal mais également celui de littérature. Je serai à votre disposition pour tout renseignement quel qu'il soit sur votre scolarité. Alors, je viens d'Irelande, le pays d'Europe pas la ville québécoise, Dublin plus exactement. J'aime les romans policiers et fantastiques, mon auteur préféré est Howard Phillips Lovecraft¹.

Goûts intéressants ! J'aime bien aussi même si le style reste assez ancien mais cela a donné pas mal de code à la culture générale, surtout le mythe de Cthulhu extrêmement complet. J'en possède plusieurs œuvres sur mon smartphone. C'est alors à nous de nous présenter et je découvre les noms et prénoms des deux autres élèves, Lucinda Morales d'Austin au Texas et Kyle Dougherty de San Francisco en Californie. Je reçois la confirmation que Mitsuko est originaire de Tokyo et j'apprends envie les origines de Josie Beaulieu, elle vient de l'Orne un département normand de la France. Je serai totalement incapable de situer cela sur une carte mais je sais où se trouve la Normandie grâce aux documentaires sur le D-day, le jour du débarquement allié lors de la seconde guerre mondiale. Voilà pourquoi elle parle français mais cela ne m'explique toujours pas pourquoi elle parle Russe. Je relève cependant qu'à l'inverse de Mitsuko qui a précisé où vivaient ses parents aux États-Unis, Josie ne l'a pas fait. Peut-être que ses parents vivent toujours en France après tout.

- À la fin du cours, reprend le professeur après nos présentations, je vous distribuerai le programme de l'année. Je vais vous l'expliquer rapidement mais nous allons voir de nombreux auteurs, de tous styles et de toutes époques et vous aurez même des devoirs d'écriture. J'espère que vous avez de l'imagination.

Ça ira, je pourrai me débrouiller. Je ne manque pas d'imagination avec tout ce que je lis. J'espère être à la hauteur surtout.

- Bon, nous allons commencer simplement. J'aimerais que vous écriviez quelques lignes sur une de vos œuvres préférées, je ne jugerai aucun choix, chacun ses goûts. Je vous laisse un petit quart d'heure pour rédiger rapidement une petite fiche. Allez-y.

Le professeur nous regarde avec un grand sourire et je commence à écrire. Je gratte, je gratte, comme un acharné, j'ai tellement de livres préférés dont j'aime parler que je n'ai pas hésité. Pendant que j'écris, j'entends un bruit bizarre, comme celui d'un bouchon de gel douche. Je relève la tête surpris et je cherche l'origine du bruit. Ce n'est pas dur de la trouver, elle est tout à gauche. Josie a en effet ouvert un tube de crème dont elle a déposé quelques noisettes sur sa peau avant de se masser les mains et le visage. Non mais elle est sérieuse ? Elle se croit en vacances ?

- Tout va bien Joséphine ? demande le professeur.

- Josie, Professeur Kane, je préfère Josie ici. Et c'est supportable même si il fait chaud.

Sur ce coup là, elle a pas tort cependant, cette veste est assez épaisse et moi aussi j'ai chaud.

- N'hésitez pas à enlever les vestes, je ne suis pas regardant.

Merci! Ni une ni deux je l'enlève, ça soulage un peu. Je peux remonter mes manches et je ne suis clairement pas le seul. Josie a alors étalé de la crème sur ses avants bras. Décidément... Et le professeur fait quelque chose avec un flacon, peut-être un gel antibactérien après tout mais il se masse rapidement les mains avant de se diriger vers la fenêtre et descendre un store.

- C'est mieux? demande-t-il.

Vu nos sourires, il en est convaincu. C'est vrai qu'il fait encore chaud en ce mois de septembre, j'attends l'automne du Wisconsin avec impatience. Là il fait plus chaud que la normale mais en décembre et janvier, on va largement passer la barre des zéro degrés celsius. On verra bien.

- Vous avez fini ? finit par demander le professeur.

Moi ça peut aller, je pense que j'ai bien défini l'œuvre que j'aime.

- Bon alors... Benjamin, viens nous présenter ton livre, me fait le professeur.

- Pardon? dis-je bêtement.

- Ici, on est peu alors mettons un peu de vie dans ce cours. J'aime beaucoup le film le Cercle des Poètes Disparus. Allez... On ne jugera pas.

On ne jugera pas, elle est bonne! Bon je me lève quand même et je m'avance avant de m'appuyer sur le bureau du professeur et déglutir tellement je suis nerveux. Je jette un petit coup d'œil à Mitsuko qui m'encourage d'un sourire. À côté d'elle, Josie a un regard totalement inquisiteur qui me met extrêmement mal à l'aise. J'ai l'impression de subir l'Inquisition Espagnole.

- Nous t'écoutons, me fait le professeur Kane.

- D'accord... Hum... Bon...

C'est clair, j'en mène pas bien large. Je déteste être le centre de l'attention et me mettre en avant encore moins devant une classe. Ma petite chance dans mon malheur ? C'est une petite classe.

- J'ai choisi un roman de Jane Austen, dis-je alors.

Je vois les regards surpris et je me décompose immédiatement.

- Un roman particulier ? me demande le professeur Kane.

- Oui, j'ai une préférence pour le roman Emma.

- Développe n'hésite pas, me fait-il ensuite.

Je regarde la classe et j'inspire profondément.

- Pour moi Jane Austen² est une auteure de talent qui sait très bien représenter la vision de la femme de son époque. C'est un peu le cas de ces auteures de l'époque. Que ce soit Louisa May Alcott et ses œuvres Little Women ou Laura Ingalls Wilder avec La petite maison dans la prairie, les femmes savent bien mieux décrire leur environnement contemporain. Surtout le traitement mysogine de la femme et l'image de simple moyen de perpétuer son nom.

Je tourne alors ma tête vers le professeur qui m'écoute attentivement. Tout à coup, il tourne la tête vers le reste de la classe avant de parler.

- N'hésitez pas à intervenir mais levez la main s'il-vous-plait, dit-il à la classe.

On ne m'a pas prévenu que ce serait un débat ! Quelle poisse ! J'ai déjà peur des questions.Tout à coup, Josie lève sa main gauche aux doigts si fin. Je la regarde angoissé et je remarque un détail à sa main gauche, sur l'annulaire. Elle porte en effet une bague de virginité³, j'ai compris ce que c'était car Meghan porte le même genre d'anneau avec sa fameuse gravure "My beloved will wait for the wedding", mon amour attendra le mariage, encore une... J'ai toujours trouvé cette tradition stupide, rien ne prouve qu'elle l'a respectée et les dérives peuvent rapidement dégénérer. Par contre, elle a remarqué que je l'avais vue parce qu'elle a levé les yeux vers la bague avant de les reposer sur moi et maintenant, elle me regarde bizarrement. Par chance, le professeur prend la parole.

- Nous t'écoutons Josie.

- Merci, j'ai également choisi Jane Austen pour Orgueil et Préjugés, j'aimerai savoir pourquoi tu as choisi Emma? fait-elle soudainement.

Je la regarde étonné d'un choix identique et je réfléchis un instant avant de répondre ce qui me passe par la tête.

- Pour moi, il s'agit de sa meilleure œuvre car son personnage principal est comme qui dirait perché.

- Perché ? fait-elle étonnée. En quoi?

- Euh... Emma s'estime une entremetteuse de génie tout en étant incapable de se rendre compte qu'elle éprouve elle-même une attirance pour Monsieur Knightley.

- Tu trouves donc amusant qu'elle soit incapable de comprendre ses propres sentiments ? demande-t-elle alors.

Décidément, c'est vraiment un débat et je ne suis pas à l'aise, mais heureusement je connais bien le livre.

- Non, au départ je trouve intéressant que ce personnage n'a techniquement pas besoin de faire un mariage pour faire partie de la haute société.

- Elle est assez fortunée en effet, répond le professeur.

- Mais surtout elle fait partie d'une gamme de personnages que j'adore, comme Elisabeth Bennett dans Orgueil et préjugés ou Jo March chez Alcott. Pour elle, le mariage n'est pas une destination nécessaire. Ce sont les prémices de l'émancipation féminine en passant outre les convenances.

- Tu sais que c'est un personnage manipulateur ? demande Josie

- Oui, dis-je, mais surtout égocentrique et qui regarde les autres de manières supérieures. Mais le personnage évolue.

- J'aime cette implication, fait le professeur, Josie?

- Et tu penses quoi de la relation avec Harriet ? demande alors Josie.

Harriet, c'est le personnage qu'Emma prend sous son aile, pour la modeler comme elle le désire.

- Tu me demandes si je pense comme certains que c'est une attirance saphique?

- Cela te choque ? demande-t-elle.

- Personnellement, je n'ai aucun problème avec cette attirance là mais...

- Vous digressez quelque peu, fait le professeur Kane.

- Non, fit Josie. C'est un point de vue souvent évoqué et peut-être une piste sur le fait que Jane Austen pourrait avoir eu elle-même des attirances pour les femmes.

- Personnellement je ne pense pas, dis-je en prenant le professeur de vitesse. Je pense que si elle modèle Harriet à sa guise, malgré le côté dérangeant de son obéissance vu qu'Harriet est certes naïve, pleine d'admiration pour Emma et clairement en demande de son amitié mais je ne pense pas qu'il y ait une figure sous-jacente du lesbianisme.

- Tu penses que c'est quoi alors? demande Josie.

Je commence à me rendre compte que tout le monde écoute attentivement notre duel d'opinions et franchement j'adore, c'est grisant de savoir ce que quelqu'un pense et vu qu'elle aime Jane Austen, c'est pratique.

- Je pense qu'Emma veut juste recréer sa relation avec Miss Taylor, c'était sa gouvernante si quelqu'un n'a pas lu le livre. Certes il y a un côté création moderne du mythe de pygmalion mais je ne pense pas que ce soit de l'attirance. C'est juste une description de la vie dans un mode sociétal en évolution, la noblesse perd sa suprématie pour les classes montantes qui doivent apprendre à se comporter en respectant l'étiquette.

- C'est vrai, fait alors Josie. Jane Austen n'imaginait aucune relation entre les deux, juste une petite créature à modeler.

Je la regarde étonné, elle a dit cela comme si elle avait été une contemporaine, je suis assez dubitatif.

- Calmons le jeu, fait alors le professeur. J'aimerais que tu me donnes ton avis sur l'univers du livre.

Je regarde alors Josie qui semble pensive, comme si elle avait dit une bêtise mais je ne la comprends pas si elle en a dit une. Cependant, il faut que je réponde.

- J'aime assez l'idée d'un village dit "normal", il ne s'y passe rien d'extraordinaire et pourtant on accroche à chaque scène... Enfin moi, j'aime ce côté où elle montre juste la vie telle qu'elle est. Mais toujours en critiquant ce côté où l'existence de la femme passe par le mariage car une femme célibataire à l'époque était reléguée aux statuts subalternes mais c'est surtout un personnage indépendant, elle n'a pas de frère et est donc héritière, c'est une chose rare pour l'époque.

- Tu estimes que les femmes ne sont pas liées uniquement aux mariages ? Amusant, fait alors Josie.

- Euh... Je ne vois pas où tu veux en venir mais si tu penses qu'une femme n'est qu'une monnaie d'échange pour asseoir une position sociale, ce n'est pas le cas pour moi. Ma mère m'a élevé presque seule, avec ma sœur, en travaillant bien sûr mais toujours dans l'optique qu'une femme est égale de l'homme. Peut-être même supérieure.

Là je viens de marquer un point, je vois des regards surpris sur moi et je décide d'en rajouter mais elle me répond avant.

- C'est drôle, ce n'est pas toujours le cas... Surtout avant.

- Oui, à d'autres époques on mariait les femmes jeunes à des hommes plus âgés en asseyant sa position ou son territoire mais aujourd'hui la femme mêle quasiment deux vies, son travail souvent et sa vie de mère, un homme éduque en général moins les enfants, alors qu'une femme entame une deuxième journée après sa journée de travail.

- Le mariage arrangé a parfois eu ses avantages.

Mais elle sort d'où elle ? Elle est promise à quelqu'un ou quoi?

- Benjamin ? m'interpelle alors le professeur.

- Oui?

- Tu peux retourner à ta place, joli discours féministe.

- Désolé, je me suis laissé emporter. Mais c'est ce que je pense, nous avons tous une place dans la société, qu'importe les origines ou le sexe.

- Ce n'est rien, tu as la vision de la société moderne. Tu peux aller à ta place.

Je retourne m'asseoir assez surpris. Je ne comprends pas pourquoi il parle de vision moderne. Les femmes sont nos égales, il n'y a plus de doutes. Elles font les mêmes métiers, souvent mieux, et sont marquantes dans la société. Certes on n'a toujours pas élu une femme présidente mais les femmes font la différence. Je m'asseois surpris quand je regarde vers Mitsuko qui me fait signe, un pouce levé. Je vois alors le regard de Josie à côté d'elle, elle me fixe comme si j'avais dit une bêtise. J'ai l'impression que son éducation n'est réellement pas pareille que la notre. Elle avait vraiment l'air surprise que je critique les dominations patriarcales du passé. Si ça la choque, je la plains. Mais si elle pouvait arrêter de me fixer comme ça, cela me met mal à l'aise. Je n'ose même plus regarder dans sa direction. Je n'ai pas posé de questions quand elle a parlé de Orgueil et Préjugés, Inutile de recommencer notre duel verbal alors autant se taire. Par contre je participe au débat sur le livre de Mitsuko. Elle a choisi Battle Royale de Koushoun Takami, un roman d'anticipation assez particulier. Peu d'Américains le connaisse mais ils ont cependant connu quelque chose qui s'en approche : Hunger Games. À l'inverse de ce roman de science-fiction où notre monde est différent, Koushoun Takami s'inspire des dictatures récentes créant un pays fictif clairement inspiré du Japon et de la Chine où le gouvernement oblige des classes de collégiens à s'entretuer. Le débat s'est rapidement écarté du thème de l'œuvre qui est un jeu de massacre pour aborder le sujet du point de vue psychologique si développé par l'auteur lui-même. Je me rends compte au fil de la discussion qu'un personnage porte le même prénom qu'elle: Mitsuko Soma, celle qui use de ses charmes pour tuer après avoir été abusée sexuellement dans son passé. Pour moi, c'est le thème du livre en réalité, l'être humain est capable de tout pour sa survie même sacrifier ses proches. C'est une interrogation sur l'instinct de survie de l'être humain et sa capacité à faire le mal pour telle ou telle raison. J'ai moins apprécié les discussions suivantes basée sur les choix de Lucinda et Kyle. Lui a choisi Tolkien mais uniquement sur la base de la richesse de l'univers inventé ignorant la plupart des thèmes. Lucinda a choisit une œuvre extrêmement intéressante mais l'a mal développée. Elle a choisi le Conte de Noël de Charles Dickens. Elle a sensiblement ignoré le côté introspectif de l'œuvre qui vise à s'interroger sur les actes et l'image que nous laissons à notre mort pour s'orienter sur l'importance de conserver des souvenirs et de laisser une trace.

Au final, le premier cours s'est extrêmement bien passé et je sors de la classe rejoint par Mitsuko.

- T'étais à fond dans ta discussion avec Josie, me dit-elle.

- Désolé.

- Ne t'excuse pas c'était amusant. On aurait cru que vous alliez continuer tout le cours, moi j'ai apprécié.

- Au fait... Tu as fait connaissance ?

- Non, m'avoue Mitsuko. Elle a peu parlé d'elle mais elle m'a majoritairement écoutée, je ne sais pas plus de choses d'elle. Elle aime lire c'est sûr, elle a longuement hésité avant d'écrire.

- T'as remarqué comment elle a parlé d'Austen?

- Sa phrase bizarre ? m'interroge Mitsuko.

- Oui comme si elle savait sa façon de penser.

- Je crois qu'elle a dû avoir des cours privés par un universitaire, ils sont souvent du genre à parler comme si ils connaissaient les auteurs.

- Sans doute... Tu crois qu'elle est...

- Qu'elle est quoi ? Célibataire ? T'es intéressé ? fait-elle surprise.

- Mais non... Qu'on ne lui laissera pas choisir sa vie.

Mitsuko s'arrête dans le couloir et me fixe surprise.

- Quoi?

- Oui, elle a eu l'air choquée que je dise qu'une femme a le droit au choix.

- Ce serait choquant... Je ne crois pas que les mariages arrangés existent encore en France, même si après tout ça existe encore au Japon.

- Pardon ? dis-je surpris. T'es sérieuse ?

- Enfin mariage non... Mais des rencontres quand tu es encore célibataire à vingt-cinq ans. Après ça marche ou pas mais les familles n'imposent rien.

- Ho d'accord, tu me rassures.

- Tu penses qu'elle a déjà un fiancé imposé alors?

- Peut-être pas mais qu'elle aura des obligations sans doute.

Tandis que nous nous dirigeons vers l'extérieur, comme nous avons un peu de temps avant le prochain cours et désirons retrouver nos amis, je m'interroge. Je trouverai cela dommage qu'une fille comme elle n'ait pas le choix. Elle est intelligente et cultivée, elle doit pouvoir faire les études qu'elle veut... Et puis elle a un physique assez attirant, elle pourrait avoir qui elle veut. Mais à quoi je pense moi ? Nous atteignons alors enfin l'extérieur et nous sommes assez accablés par cette chaleur de l'été. Nous cherchons alors nos amis et les repérons au loin, surtout Mitsuko. Nous marchons alors vers eux lentement. À cet instant là, je remarque un petit attroupement au coin d'un des bâtiments. En effet, à l'ombre de celui-ci, je discerne clairement les élèves de la Red Class. Ils doivent faire comme nous et débriefer leur première heure de cours. Je trouve aisément Josie du regard, ce n'est pas dur, son amie blonde, Nastya je crois, est accrochée comme une folle à son bras. En les observant, j'ai comme l'impression qu'ils rendent des comptes au grand blond, Al. Je me demande d'ailleurs si ce ne serait pas à lui que Josie serait promise vu que je les vois souvent ensemble. Étonnement, ils sont plusieurs à mettre de la crème sur leurs mains ou leurs visages. L'apparence doit être extrêmement importante pour eux. Soudain, je remarque le regard de Josie qui se porte sur nous et surtout la réaction surprise de son amie blonde qui se tourne sans discrétion vers nous. Je tente ma chance, je lui fais juste un signe de tête pour la saluer et j'observe sa réaction. Elle a l'air d'hésiter mais finit par répondre d'un hochement de tête avant de regarder le grand blond et de se mettre à rire. Il nous regarde et là, je ne me sens pas bien, j'ai l'impression d'être en danger de mort. Cette Red Class, elle ne m'inspire décidément pas confiance. Je crains le pire pour le reste de l'année...







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N.d.a.

¹ H.P. Lovecraft (1890-1937) a rénové la littérature de l’étrange et les structures de la peur, en créant le conte matérialiste d’épouvante et le fantastique cosmique. Œuvres majeures: Nécronomicon, Mythes de Cthulhu,...

² Jane Austen: Auteure britannique née le 16 décembre 1775 à Steventon dans le Hampshire et décédée le 18 juillet 1817. Auteur réputée pour son réalisme et son humour décalé mais également et surtout pour sa critique mordante de la société britannique de son époque. Auteure préférée de ma propre personne. Œuvres notables: Emma, Orgueil et Préjugés, Mansfield Park,...

³ La bague de pureté ou bague de virginité est portée comme signe de chasteté. Cette bague signifie pour la personne qui la porte qu'elle souhaite rester vierge jusqu'au mariage. Tradition Baptiste des années quatre-vingt-dix pour prouver la pureté de la jeune fille dans une main mise sur la sexualité des jeunes. Josie en porte une mais dans un concept très différent. Explication dans un chapitre futur.


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