Hérésie

Chapitre 3 : Ethan

2954 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/01/2022 19:32

          Ethan se tenait droit, les mains enfoncées dans les poches de son long manteau en cachemire. L'homme et sa Mercedes Classe C aux vitres fumées ne semblaient pas à leur place sur ce parking où camions et ouvriers se croisaient. Certains des hommes et femmes, dans leurs bleus de travail, avaient les traits tirés par un mélange de méfiance et de réprobation. Ceux-là – que Némésis, si elle avait été ici, aurait identifié comme étant des loups-garous – savaient qui il était et que sa présence au sein des entrepôts de la Compagnie Menley n'annonçait rien de bon.

 

          De la berline, dont le moteur bourdonnait toujours, sortit un homme qui vint ensuite se positionner aux côtés du sang-pur. De par leurs manières aristocrates du siècle passé, leurs vêtements coûteux et leurs cheveux plaqués en arrière, les deux hommes se ressemblaient énormément. Les ouvriers ne pouvaient qu'en conclure qu'il s'agissait alors du cadet Van Verraad : Octave.

 

          Á la vue de ce nouvel arrivant, qui affichait à son tour un dédain décomplexé pour ces petites gens, les lycanthropes se regroupèrent puis virent se planter devant eux. Un quarantenaire à la barbe négligée poivre et sel fit un pas de plus, pour se tenir au-devant du petit groupe aux iris scintillantes jaune fauve. Un faible grognement animal lui échappa avant qu'il ne dise : « Ce territoire est interdit aux membres de l'Occultatum. Partez ! Avant que l'on ne plante nos crocs dans votre chair putréfiée de suceur de sang.

― Ça suffit. » intervint une voix grave et imposante dans leurs dos.

 

          Les créatures s'écartèrent pour laisser leur alpha s'avancer jusqu'aux deux hommes qui avaient osé souiller ses terres de leurs odeurs. Les vampires dominaient Roann de seulement quelques centimètres et cela leur suffisait pour en jouer en le toisant de leur hauteur. Cette bassesse, signe que les frères Van Verraad étaient conscients de ne pas véritablement dominer la situation, arracha un rictus au loup-garou qui était loin d'être impressionné. Il avait toutes les cartes en mains.

 

          « Messieurs, commença-t-il d'un ton étrangement accueillant, et si l'on allait discuter dans mon bureau ? ». Il n'attendit pas leur réponse et s'en alla en direction de l'entrepôt le plus proche.

 

          Le bureau du PDG de la Compagnie Menley était suspendu au-dessus d'un immense hangar qui abritait des véhicules de toutes sortes : camions frigorifiques, camions-citernes, fourgons, etc. Leurs carrosseries étaient blanches et sur les côtés ils arboraient fièrement le logo de l'entreprise. L'unique pièce de ce bâtiment, celle qui accueillait Roann tous les jours, était peu meublée. Un simple bureau en teck trônait au centre, entouré d'une chaise de bureau en cuir noir et de deux fauteuils club gris clair. Des meubles à clapets en métal se trouvaient de part et d'autre de la pièce.

 

          L'alpha s'assit derrière son bureau en invitant, d'un geste de la main vers les fauteuils qui se trouvaient en face de lui, les deux frères à en faire de même. « Je suppose que Némésis vous a informé de ma proposition, dit-il un fois qu'ils étaient installés.

― Vous faites sans doute référence à ce chantage ridicule. J'ai du mal à croire qu'un homme comme vous ait échafaudé un tel plan. Votre égo a dû être sévèrement blessé pour en arriver là, se moqua Ethan.

― Némésis est un vampire-chasseur, et c'est un fait indéniable.

― Vous n'avez pas la moindre preuve de ce que vous avancez. »

 

          Roann fouilla dans l'un des tiroirs de son bureau et en sorti une vieille photo jaunie par le temps qu'il posa ensuite devant l'ainé Van Verraad. « L'Occultatum est-il au courant de la relation que vous avez entretenu avec Koré Karós ? »

 

          Toute arrogance avait quitté Ethan qui fixait la photo sépia sur laquelle on le voyait aux côtés d'une femme. Son amour pour elle, qui n'avais jamais disparu malgré les siècles passés, tirailla instantanément tout son être. Était-ce de la culpabilité pour les promesses non-tenues ou seulement son chagrin qui refaisait surface ?

 

          « C'est incroyable ce que Némésis lui ressemble. » commenta Menley, le tirant de ses songes. Le vampire releva ses prunelles emplies de colère vers son adversaire. Le lycanthrope se redressa dans son siège, posa ses avant-bras sur le bureau, joignit ses mains et fit part ce qu'il savait – grâce à Némésis.

 

          Koré Karós était l'unique survivante du massacre des vampires-chasseurs. Pendant plusieurs siècles, elle avait continué à chasser sous le nom de Rose Caron et en se faisant passer pour une humaine. Elle eut fini par abandonner cette vie pour l'amour d'un autre chasseur, un humain : Henry Venandi.

 

          Grâce à sa position au sein de l'Occultatum, Ethan avait joué de ses relations et permis à la chasseuse d'entrer en contact avec la Sibylle. Cette dernière lui permis de renoncer à ses pouvoirs et de devenir humaine.

 

          Avec Henry, ils eurent des enfants, qui eux-mêmes en eurent... Tous les descendants étaient nés humains. Mais ce n'était pas pour autant qu'ils ne possédaient pas le gène des vampires-chasseurs. Il était tout simplement en sommeil.

 

          Un jour, l'un des descendants tomba amoureux d'une sorcière héritière et ensemble ils eurent une petite fille. Pendant les neuf mois de grossesse la mère transmis ses pouvoirs au bébé, réveillant ainsi le gène endormi depuis plusieurs générations. Mais une créature ne pouvant naître en étant de deux espèces, la Nature préféra priver Némésis des pouvoirs léguer par sa mère afin de faire renaître la lignée des vampires-chasseurs.

 

          « C'est une théorie intéressante, conclu Ethan en s'enfonçant dans le fauteuil. Mais vous oubliez une chose essentielle : Némésis est la cadette de sa fratrie. Donc, si ses parents étaient réellement ce que vous dites, c'est sa sœur qui serait un vampire-chasseur. Mais, aux dernières nouvelles, celle-ci est bel et bien humaine.

― Il est pourtant inscrit dans le livret de famille que les aînés de votre petite protégée sont nés du premier mariage de son père, faisant ainsi d'eux son demi-frère et sa demi-sœur. » Sur ces mots, Roann fouilla à nouveau dans son tiroir et sortit cette fois-ci plusieurs documents. Il les tendit vers Ethan en disant : « J'ai toutes les preuves nécessaires pour prouver mes dires sur Némésis et sa famille. Alors, si vous tenez un tant soit peu à eux, acceptez ma proposition !

― Et si je vous tuais maintenant ? »

 

          Un rire franc échappa à l'alpha. Il lui fit croire qu'il s'était assuré d'avertir certaines personnes de ses découvertes et que, s'il lui arrivait quoi que ce soit, elles iraient avertir l'Occultatum de ses nombreux secrets. « Tu es piégé. » soupira Octave en prenant les documents tendus par le loup. Il se mit à les feuilleter et constat qu'il s'agissait de contrats. Selon Roann c'était purement symbolique. Il y en avait un pour le chef de l'Occultatum et un autre pour sa future épouse.

 

          Le vampire se leva d'un bond et éjecta d'une seule main le bureau qui le séparait de son ennemi. Le meuble explosa contre le mur, déversant tout ce qu'il contenait sur le sol. En un battement de cil, Ethan plaqua son adversaire sur le sol. Ce dernier, malgré la main puissante du sang-pur qui compressait sa gorge, souriait. « Tuez-moi ! articula-t-il difficilement. Et Némésis ... vous en voudra toute sa vie ... d'avoir condamné ... sa famille. 

― Ethan, intervint calmement son frère en posant une main sur son épaule. Lâche-le !

― Elle ne vous appartiendra jamais. » cracha-t-il en se relevant. Il quitta les lieux, son cadet sur les talons.

 

          Roann resta allongé sur la moquette de son bureau. Ses yeux se perdaient sur le blanc immaculé du plafond et ses songes tournoyaient autour de cette dernière phrase prononcée par Ethan. A en croire que l'homme gardait Némésis cachée du monde, non pas pour sa sécurité, mais pour lui-même. Comme s'il devait être le seul à connaître ses secrets. Le seul à la voir telle qu'elle était réellement.

 

          Ou, peut-être, la voyait-il comme un trophée que nul autre n'avait le droit de posséder. Elle était la seule de son espèce, dotée de capacités qu'aucune autre créature ne possédait et se montrait être une arme redoutable lorsque son instinct de chasseuse prenait le dessus. Tout homme de pouvoir ne pouvait que rêver de l'avoir sous son contrôle.

 

          Ces mêmes pensées occupaient l'esprit d'Octave. L'homme dévisageait son aîné qui observait le paysage défiler, la colère habitant toujours son visage. « Pourquoi ne m'as-tu jamais parlé d'elle auparavant ?

― Cela ne t'a jamais concerné.

― Sauf maintenant que tu es dans une sacrée merde. Là, ça me concerne. C'est ça ?

― Parce que maintenant ça concerne l'Occultatum.

― Très bien. Mais, dis-moi ! Depuis quand te compliques-tu autant la vie ? Demande à un berserker de se débarrasser d'elle et le problème sera réglé. » Face au silence de son aîné, un rire moqueur lui échappa. « Ô mon frère, tes émotions te perdrons. Tu ferais mieux de te ressaisir avant que le conseil ne commence à douter de tes capacités à diriger. »

 

*****

 

          La salle du Conseil de l'Occultatum était une grande pièce au sein de laquelle trônait une table dont la surface était un immense morceau de tronc de chêne. Une dizaine de chaises médaillon Louis XVI au velours rouge et au bois noir étaient disposées de chaque côté. Á l'une des extrémités, près de la cheminée dont le feu crépitait ardemment, se trouvait un trône lion fait des mêmes matériaux que les autres fauteuils. Les murs noirs étaient décorés de moulures dorées. Un incroyable lustre chandelier en cristal surplombait la pièce.

 

          Ethan se tenait près de son trône, une main serrant fortement l'une des pointes qui décoraient le dossier. Près de lui étaient installés son frère, venu représenter les vampires, Bricius Duhamel, le chef des loups-garous, et Anna Göldin, la Sybille qui unifiait les clans de sorciers et sorcières. D'autres conseillés, aux rôles moins importants, étaient également présents. « Vous ne pouvez accepter ! s'indigna la Sybille.

― Menley est avare de pouvoir, enchérit Duhamel. Une fois qu'il obtiendra ce qu'il veut, qu'est-ce qui vous fait penser qu'il n'essayera pas d'en tirer plus ?

― Il détient de trop nombreuses informations compromettantes, souffla le supérieur de l'Occultatum en s'asseyant enfin.

― Et qui est cette Venandi, par ailleurs ? s'enquit la wendigo à côté d'Anna Göldin.

― Elle fait partit des candidats retenus pour devenir apprenti, mentit-il.

― Et une très bonne amie ? supposa le chef des lycanthropes en arquant un sourcil.

― C'est moi qui l'ai transformé et qui lui ai appris tout ce qu'elle sait sur le monde surnaturel, s'enfonça-t-il dans son mensonge.

― Donc une de vos protégés. » conclu-t-il en soupirant de désespoir.

 

          Le silence se fit. Les nombreux esprits présents dans la pièce analysaient silencieusement la situation. De ce que le sang-pur leur avait dit, Menley avait découvert certains sombres secrets de leur organisation. Mais était-ce si compromettant que cela ? Et est-ce qu'il avait plié face à ce chantage pour véritablement protéger l'Occultatum ou était-il tout simplement devenu fou ? Bricius Duhamel rompit finalement le silence, résigné : « Puisqu'il semblerait que nous n'ayons pas d'autre option, peut-être devrions-nous ajouter certaines clauses au contrat de Menley. Afin de reprendre un tant soit peu de contrôle.

― Parce que vous pensez réellement qu'il acceptera quelconque condition que l'on cherchera à lui imposer ? se moqua Octave en s'enfonçant dans son siège, les bras croisés.

― S'il souhaite tant que ça rejoindre l'Occultatum, il doit savoir qu'il y a des règles.

― Il n'en a que faire des règles.

― Cela pourrait nous faire gagner du temps, intervint son ainé.

― Et comment ? » demanda la Sybille.

 

          Il ne répondit pas et s'en alla en laissant le Conseil dans l'incompréhension la plus totale.

 

          Au fur et à mesure que ses pas s'enchainaient dans le couloir, son plan prenait forme. Il contacterait Roann pour lui demander de respecter les traditions de l'Occultatum. Ainsi Némésis entamerait son apprentissage, ferait ensuite ses preuves pour devenir officiellement membre de l'organisation et enfin serait choisie comme héritière. Tout cela prendrait du temps, environs un an, permettant de repousser l'échéance du mariage et de gagner du temps pour contrer les ambitions de son ennemi.

 

          Étonnement, lorsqu'il mit son plan à exécution, son adversaire accepta sans sourciller. Il ne chercha même pas à être celui qui aurait le dernier mot. Et cela donna un goût amer à cette victoire qu'Ethan avait tant souhaité. Car, si Roann Menley ne se battait pas, cela voulait dire qu'il s'était préparé à cette éventualité. Il gardait le contrôle et c'était insupportable pour le vampire qui, après avoir raccroché, enfonça son poing dans l'une des colonnes de la salle de bal où il s'était réfugié.

 

          Ses yeux se perdirent sur la fissure qu'il avait créée dans le marbre noir. Il ne sentit pas ses os, brisés par le coup porté, se remettre doucement à leur place. L'homme était bien trop obsédé par sa rage pour être distrait par une si faible douleur.

Il ne retourna dans la salle du Conseil que lorsqu'il était l'heure de signer ces ridicules contrats symboliques auxquels Menley tenait tant. Némésis se tenait aux côtés de celui à qui elle était promises, droite et les mains dans le dos. Sa veste en cuir, ses bottines abimées et son jean noir troué, juraient avec le costume gris de grand couturier que portait Roann.

 

          Ethan déposa les trois documents qu'il avait en main sur la grande table dans un long soupire qui trahissait sa résignation. Il sortit un stylo à plume de la poche intérieur de sa veste pour le tendre au futur époux de sa protégée. Ce dernier s'en saisit et le fit tournoyer entre ses doigts, un air penseur accroché à son visage. « Je ne signerai qu'à une seule condition, commença-t-il en relevant ses prunelles glacées vers le chef de l'Occultatum, que le mariage ait lieu le mois prochain. »

 

          Les regards interloqués du Conseil se tournèrent vers lui. Á ces yeux écarquillés qui le dévisageaient, on aurait pu penser qu'il venait de commettre le plus horrible des blasphèmes. « Voyez-vous, en acceptant de respecter vos traditions, mes ambitions se voient être retardées. Ce mariage est donc l'unique preuve de votre engagement que je peux espérer pour le moment.

― Pour nous excuser de ce retardement, rétorqua Ethan, nous avons ajouté une clause qui stipule que vous êtes de nouveau l'unique logisticien auquel fera appel l'Occultatum. Payé double tarif.

― Et ça ne me suffit pas.

― Aucune règle n'interdit le mariage avant l'intégration et j'aimerai me débarrasser de cette formalité au plus vite. Va pour janvier. » trancha Némésis avant que la conversation ne s'envenime. Elle prit le stylo des mains de Roann pour ajouter cette nouvelle condition au contrat et apposer sa signature.


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