Regards Croisés
Ce qu'elle a reconnu en premier, c'est la façon dont ses épaules s'arrondissent quand il est assis, les mains dans les poches de son jean.
Il est assis sur l'une des barres qui empêchent les voitures de pénétrer dans le parc. Ses longues jambes sont croisées devant lui.
Un souffle de vent soulève les boucles sombres qui lui tombent sur le front.
Il porte la barbe, maintenant.
Elle s'appuie contre le platane, s'efforce de rester un peu cachée, comme si c'était elle qui était ici sans en avoir le droit.
Entre eux deux, au milieu de la place, court un petit garçon de sept ans, aux éclatants yeux bleus. Il joue, crie, grimpe au tobbogan, s'aggripe à la cage de l'écureuil, se faufile sous le tourniquet sans se soucier de se salir. On entend son rire qui cascade joyeusement.
Shigeharu le regarde depuis l'ombre où il se tient à l'écart. Il ne dit pas un mot. Il n'essaie pas de s'approcher de l'enfant, comme il l'a promis.
Mais il le contemple en souriant. De loin.
Elle a mal au ventre, comme lorsqu'on se souvient de quelque chose qu'on a désespérément essayé d'oublier.
Chaque jour est si difficile sans lui, sans sa façon d'affronter le monde et de le vaincre, sans son amour, sans sa voix, sans son corps.
Chaque jour elle voudrait pouvoir expliquer à Tybalt où est parti son père, qui il était, pourquoi elle l'aimait.
Chaque jour elle ment à son fils.
Chaque jour elle regrette ce qu'elle a dit, à travers ses sanglots, ce matin-là.
Chaque jour elle le hait de n'avoir pas été là, cette terrible après-midi où elle est entrée dans la chambre et a trouvée le bébé mort dans son berceau.
Chaque jour elle voudrait pouvoir lui pardonner, recommencer, revenir en arrière et oublier.
Etre de nouveau ensemble.
Etre de nouveau heureux.
Mais ce n'est pas possible. Pas maintenant. Pas encore. Pas déjà.
Alors elle attend.
Il attend aussi, toujours effacé, invisible, de loin.
Et l'enfant continue de sourire, de courir, de grandir, sans savoir quel est le secret de ses parents.
Jusqu'au moment où Shigeharu reviendra.