Quand on ne regarde que les étoiles
Combien de temps avions-nous passé chez Virgil ? Aucune idée. Combien de temps avions-nous marché dans la Mer ? Aucune idée.
Mais désormais, il était vingt-deux heures trente-cinq.
Pourquoi lire l'heure sur un Pip-Boy était si compliqué ? Allumer l'écran grâce au bouton sur la droite. Ensuite, naviguer jusqu'au module de carte. Plisser les yeux, car c'était écrit en tout petit, puis enfin, lire l'heure.
Comment RobCo ne s'était pas dit qu'il pouvait être utile de savoir l'heure en un seul coup d'œil ?
Non, vraiment ?
J'avais toujours pensé qu'il était rassurant de savoir l'heure. Rassurant, et très humain, puisque tout le reste du règne vivant n'en a bien que faire, de savoir l'heure.
Tout était régi par l'heure. Il y avait l'heure de se lever. L'heure de déjeuner. L'heure de s'amuser. L'heure de travailler. L'heure de terminer sa journée.
Mais tout ça n'existait plus, maintenant. Il n'y avait pas d'heure pour aller chercher son fils à l'Institut. Il n'y avait pas non plus d'heure dédiée à la recherche d'un combattant sur-entraîné, d'une machine au sens propre, aux réflexes inhumains.
Il était vingt-deux heures trente-cinq et cela ne voulait rien dire du tout.
— Tu m'écoutes, Lily ? Vous l'avez trouvé, votre Brigil ?
— Euh, oui, fis-je en décrochant mes yeux du Pip-Boy. On a discuté.
— Et alors, c'est bon ? On peut aller le chercher, ton fils ?
Ce n'est pas l'heure.
— Non. Pas encore.
— Qu'est-ce qu'on attend, alors ? lança Duke.
— Je ne veux pas de votre aide, fis-je en me retournant vivement. C'est dangereux.
— Dangereux, ricana Zeke. C'était quoi, jusqu'à maintenant ? Des vacances ?
Je soupirai bruyamment en regrettant le temps où le vent couvrait le son de ma voix et me permettait de ne pas parler. J'avançais en regardant le sol. Il n'y avait pas besoin de discuter davantage.
Ma seule certitude, c'était qu'il était l'heure de rentrer à la maison.
— Allez, là, Lily ! insista Duke. On s'amuse bien ! On va pas te laisser te démerder après...
Je m'arrêtai si brusquement que je le coupai dans son élan.
— Et Rowdy ? Et votre vie ? Je vous ai dit que c'était dangereux, m'étranglai-je. On parle de tuer un chasseur de l'Institut.
Mes mains tremblaient.
— Et alors ? dit Duke en s'approchant de moi. C'est pas parce que c'est l'Institut qui les fait que ça nous fait flipper, hein. On n'est pas des nazes.
— Et alors, répétai-je entre mes dents. Je ne veux pas de votre aide. Je ne veux de l'aide de personne. C'est tout.
— Moriarty, dit alors Nick en m'attrapant fermement par le bras et en me tirant loin de Zeke et Duke. Arrêtez de jouer les héros, reprit-il à voix basse. Vous voulez mourir ? C'est bien, continuez comme ça.
— Mais.
— Vous allez avoir besoin de toute l'aide que vous pourrez avoir. La mienne, celle des Cats, et si vous pouvez trouver d'autres personnes suffisamment folles pour risquer leur peau pour vous, tant mieux.
— Mais ils ne se rendent pas c...
— Vous pensez qu'ils sont stupides, c'est ça ? lança Nick, un peu plus fort cette fois.
Il passa la main sur son visage et soupira. Je me mordis la lèvre. J'étais juste en train de me faire engueuler.
— Ne soyez pas stupide, Lily, dit-il avec de la peine dans la voix. Si vous vous faites tuer, tout ce que vous aurez fait jusqu'ici n'aura servi à rien.
*
Piper, ouvre cette porte, je t'en supplie.
J'imaginais déjà le pire. Elle était peut-être partie. Elle s'était peut-être faite tuer. Elle vivait peut-être cachée, quelque part, loin de la ville qui la détestait tant.
Depuis qu'un homme avait tué son propre frère parce qu'il pensait qu'il avait été remplacé par un synthétique, il y avait moins de gens dans les rues. Il y avait moins de clients au stand de Takahashi. Il y avait, par contre, bien plus de gardes qui patrouillaient la place principale de Diamond City.
Ça n'avait pas dérangé les Atom Cats : ils étaient bien trop heureux de pouvoir manger ces bonnes vieilles nouilles et de pouvoir boire je ne sais quel tord-boyaux qu'ils servaient, à l'auberge de l'Abri.
— Piper, bon sang, c'est pas trop t... Oh. Nat. Tu, tout va bien ?
Elle n'avait qu'entrouvert la porte. J'entendais contre le mur le battement régulier qui indiquait que Canigou était juste derrière, lui aussi.
— Ben oui, répondit-elle en levant les yeux au ciel. Tu veux rentrer ?
— Je, oui.
Je suivis la gosse à l'intérieur pendant que le chien tournait autour de moi. De toute évidence, Piper n'était pas là. Nat s'étala sur le canapé, la tête en bas.
Ses cheveux bruns touchaient le sol.
— Euh, Nat, fis-je en tirant la chaise du bureau. Où est Piper ?
— Elle est partie à Goodneighbor. Elle m'a dit qu'elle réglait une affaire, dit-elle en tapant de ses jambes sur l'assise.
Elle tortillait son corps dans tous les sens. Les enfants sont parfois douloureux à observer.
— Et, euh. Elle allait bien ? Avant de partir ?
Sans regarder autre chose que le plafond - tiens -, elle pointa du doigt un endroit quelque part entre la bibliothèque et la cuisine.
Ah. Oui.
La pile de bouteilles vides de Nuka-Cola voulait sûrement dire que Piper ne s'était pas laissée mourir. Ce qui pouvait être une bonne nouvelle comme une très mauvaise nouvelle.
— Elle devrait rentrer bientôt, lança Nat. J'espère, en tout cas, parce que j'ai bientôt plus rien à manger.
Effectivement, plusieurs heures plus tard, Piper poussa la porte avec un grand soupir.
— Nat. File au lit. T'as vu l'heure ?
— T'as vu l'heure, répéta Nat avec une grimace.
Piper retira sa casquette avant de la poser violemment sur la table. C'eut l'air d'avoir l'effet escompté, puisque Nat courut dans sa chambre.
Au moment où elle était rentrée, je m'étais levée, lissant nerveusement ma combinaison d'Abri.
Elle ne m'avait toujours pas adressé un regard.
— Ça va, Blue ? demanda-t-elle en se frottant les tempes.
— Ça va. Et toi ?
— Ouais.
Typique.
Les humains ont ce don de répondre à des questions pleines de sens avec des phrases arbitraires. Mais peut-être que c'était aussi bien comme ça. On le savait bien, que la vérité était ailleurs.
On le savait toutes les deux.
— Qu'est-ce que tu foutais à Goodneighbor ? demandai-je en me tordant les mains.
Elle eut un petit rire équivoque.
— Viens, dit-elle en s'asseyant sur le canapé et en tapotant la place à côté d'elle. Tu veux un truc à boire ?
Sans attendre de réponse, elle me tendit une bière qui, vu comme elle était tiède, devait traîner par terre depuis des jours. Je restai silencieuse ; j'avais l'impression que le moindre mot de ma part allait faire péter quelque chose.
Quelque chose, du genre, ce qu'il s'était passé la semaine dernière, sur la place.
— J'étais en mission, dit alors Piper. Pour Ellie.
— Quoi ?
Mince. Un mot.
— Après que tu sois partie, l'autre jour. Tu te rappelles, commença Piper.
Oui.
— Je savais pas quoi faire. Et c'est pas souvent, que je sais pas quoi faire. Des idiots ont commencé à essayer de démonter la porte d'entrée. On s'est cassées par la fenêtre de derrière, avec Nat, et on s'est dit qu'on allait aller à l'agence, en attendant que ça se calme.
— Attends. Quoi ?
Je me relevai d'un bon.
— Qui a essayé de démonter la porte ?
— Probablement ces vieux schnocks qui passent leur vie à boire à la Maison Coloniale. Mais on s'en fout. Rassieds-toi, tu m'angoisses, là.
— ...
— Et donc on rentre, on tombe sur Ellie en larmes. Mais vraiment. Tu vois comment toi, tu pleures ? Bah, pareil.
— Quoi ?
— En larmes, je te dis, dit-elle en buvant sa bière. Elle a essayé de faire comme si c'était pas le cas, un peu comme toi aussi tiens. Mais bon, il fallait que je sache.
— Oui, j'imagine, puisque même moi, là, j'ai vraiment envie de savoir, fis-je en me rasseyant.
— C'était pas facile de la faire parler. Tu connais Ellie. Qui sait quoi que ce soit de cette nana ?
— Nick, probablement.
— Bah justement. Justement, on y vient, à Nick, répondit Piper.
Elle souriait. C'était rassurant, puisque c'était un vrai sourire, et pas une expression arbitraire.
— Au début, j'ai même pas compris ce qu'elle marmonnait. Vous veniez de partir, avec Valentine, mais je me suis demandé si elle venait pas d'apprendre sa mort, vu la réaction qu'elle avait. Ensuite, elle a parlé d'Irma... Et puis de toi, aussi, et là, j'ai commencé à relier les points.
— Quoi ?
Par quelle sorcellerie Piper était devenue journaliste ? C'était un comble, de raconter une histoire de façon si obscure.
— Irma, du Memory Den ? insistai-je. Et comment ça, moi ?
— T'as toujours pas compris, Blue ? fit Piper en ricanant.
Je me levai à nouveau, ma boisson à la main. Moi aussi, je commençais à relier les points, et je me demandais bien comment je les avais pas vus plus tôt, ces points.
— Elle est jalouse ? soufflai-je.
— C'est pas le mot que j'aurais employé, mais y'a un peu de ça. En tout cas, elle en pince pour Nick, et je pense qu'à chaque fois qu'il se barre, que ça soit avec toi ou pour aller voir cette Irma, elle se met dans tous ses états.
— Oh.
Je restai silencieuse un instant avant de faire les cent pas dans la pièce. Aucune conversation importante ne devrait se faire dans l'immobilité.
— Mais, attends, repris-je. T'es sûre que tu peux me raconter tout ça ? Je veux dire, c'est... Ça a l'air privé.
— T'es ma meilleure amie, Blue. La confidentialité, ça s'applique pas aux meilleurs amis.
Oh.
J'arrêtai de bouger. Je considérai sa révélation entre mes deux mains, soupesant la valeur des mots qu'elle venait de prononcer.
— Tu es ma meilleure amie aussi, Piper, fis-je dans un murmure en me rasseyant sur le canapé.
— Hé, t'en fais pas, Blue. C'est comme un "je t'aime". T'as pas besoin de le dire en retour.
— Non, mais. C'est vrai.
— Je sais, dit Piper en m'entourant les épaules de son bras. Je sais.
— Et donc, comment tu es arrivée à Goodneighbor ? fis-je après un moment de silence.
— Fallait bien que je fasse quelque chose. Et puis, j'avais besoin de rester occupée.
Sa voix s'éteignit avec son sourire. Elle regarda sur le côté.
— Peu importe, reprit-elle. Je l'ai rassurée à ton sujet, je lui ai répété que tu bossais avec Nick et rien d'autre. Et qu'en plus, ton genre, c'est plutôt les chanteuses de jazz.
— Quoi ?
— Ouais. On en apprend, des choses, au Troisième Rail, fit Piper avec un clin d'œil.
— Quoi ? répétai-je pour la quinzième fois, en manquant de renverser ma bière.
Je me levai vivement, encore. Qui nous avait vues ? Qui avait parlé à Piper ? Quoi.
— Mais détends-toi, Lily ! dit Piper en riant. C'est bon. Je m'en fous, c'était juste pour appuyer mon propos. J'allais bien le savoir un jour ou l'autre. C'est mon job.
Elle attrapa deux autres bières - qui étaient bien sur le sol - et ajouta :
— Et puis, on va pas se mentir, Magnolia, elle est drôlement jolie.
— Oui, soufflai-je en croisant les bras sur ma poitrine.
Je n'avais pas prévu de me rasseoir.
— Ensuite, je me suis dit qu'il fallait que j'aille vérifier ce qu'il en était avec cette Irma.
— Ils se passent sans doute quelque chose entre eux, marmonnai-je, les sourcils froncés.
— Bah, j'en suis pas si sûre, figure-toi. Ça a été compliqué de lui tirer les vers du nez, c'est une énigme, cette nana. Alors je suis allée voir la scientifique, là, Amari, je crois.
— Oui.
— Quand elle m'a reconnue, j'ai cru qu'elle allait se faire dessus, dit Piper avec une certaine fierté. Mais quand elle a compris ce qu'il en était réellement, elle a bien voulu ouvrir sa bouche. Et elle a été formelle : il ne se passe rien, entre eux.
— Hm, grommelai-je.
— Dis-le, si je t'emmerde, Blue.
— C'est pas ça, fis-je en lui tournant le dos.
Je décapsulai ma deuxième bière d'un geste sec. Je ne savais pas d'où venait ce poids, mais il était lourd, et pénible. C'était peut-être à cause de Magnolia, à cause du chasseur, ou simplement parce que ma tête aimait bien interrompre les moments pendant lesquels je me sentais bien ; et ce, sans prévenir.
— Qu'est-ce qu'elle va faire, Ellie, alors ? demandai-je sèchement sans cesser de regarder le mur d'en face.
— Je sais pas. Je suis pas encore allée la voir. J'irai quand tu seras repartie. Si tu repars ?
— Oui. Demain matin, je pense.
Le silence s'étira. Je me retournai. Piper me dévisageait, un sourcil relevé.
— On doit trouver un chasseur de l'Institut, le tuer, prendre une puce dans sa foutue tête et l'utiliser pour se téléporter à l'Institut, fis-je en ouvrant les bras.
Elle ne dit rien. Ça voulait tout dire.
— Donc je vais aller à Goodneighbor, continuai-je.
— Décidément, souffla Piper. Qu'est-ce que tu vas y foutre ?
Elle fronça les sourcils avant de demander :
— Tu vas voir Magnolia ?
— Non, fis-je en me frottant le front.
Cette question aggrava le poids que j'avais dans le ventre. Piper avait demandé ça comme s'il ne fallait pas que je gâche ma chance de passer une dernière nuit avec quelqu'un. Je bus la moitié de ma bière d'un trait, en songeant au fait que j'aurais bien aimé boire quelque chose de plus fort.
— La dernière fois que j'étais au Troisième Rail, j'ai croisé un mercenaire.
— Un mercenaire ? T'es sérieuse, Blue ? Tu vas quand même pas engager un de ces sales types ?
— C'est pas un sale type, fis-je en secouant la tête. Enfin, je crois pas.
Elle me dévisageait en clignant lentement des yeux.
— Je n'ai pas le choix, Piper, répondis-je après avoir fini ma bière. J'ai besoin d'aide. Je ne veux pas de la tienne, ajoutai-je rapidement.
— Et tu penses vraiment qu'il va accepter, ton mercenaire ? Bonjour, vous êtes d'accord pour m'accompagner dans une mission suicide pour tuer un chasseur de l'Institut ? C'est ça, ton plan ?
Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu cette envie de serrer une bouteille de bière si fort qu'elle se briserait dans ma main.
— Je n'avais pas prévu d'entrer dans les détails, soufflai-je.
La stupéfaction de Piper avait laissé place à bien pire. Elle était déçue.
*
Piper pouvait bien penser ce qu'elle voulait. Ce MacCready n'avait pas le luxe de choisir de ne pas risquer sa vie. Il avait choisi le seul métier dans lequel la seule qualification nécessaire était celle de bien vouloir risquer sa vie.
J'avais besoin de ses compétences, peu importe la façon dont je les obtenais.
Sur la route, je songeai à la personne que j'avais laissée quelques mois en arrière. Je connaissais désormais si bien le trajet entre Diamond City et Goodneighbor que mes pieds semblaient avancer seuls. Mais surtout, je n'avais plus peur. Je n'avais plus peur de ce qui se cachait dans l'ombre des ruines, je n'avais plus peur des rataupes qui jaillissaient du sol. Je n'avais plus peur de grand-chose.
Et puis, il y avait cette autre personne, celle que j'avais laissée avant les bombes.
Cette personne-là était morte et enterrée.
Arrivée au Troisième Rail, j'ignorai les têtes qui se tournèrent vers moi, je ne lançai aucun regard à Magnolia qui était déjà en train de chanter, et je marchai d'un pas vif jusqu'au salon VIP.
MacCready était toujours à son poste, avachi sur un fauteuil de velours, fumant tant bien que mal une cigarette tordue.
— Tiens, mais ça serait pas Juste Lily ? dit-il en relevant les yeux vers moi.
— Ouais. T'es embauché, fis-je en ouvrant mon sac avant de lui lancer une bourse sur les genoux.
Il haussa les sourcils. Pour moi aussi, c'est une surprise, MacCready.
— Ah ouais, ok, fit-il en se mettant à compter avec minutie les capsules. Ça y est, t'en as marre de te faire botter les fesses par le Commonwealth ? T'as besoin d'un protecteur ?
Comme pour appuyer son propos, il laissa vagabonder son regard le long de mon corps frêle. Je levai les yeux au ciel.
— Il faut que je règle son compte à quelqu'un.
Techniquement, ce n'était pas un mensonge.
— Régler son compte à quelqu'un, hein... dit MacCready en s'étirant.
Il se leva et lissa les pans de son long manteau de cuir.
— Je pensais pas que Juste Lily était du genre à se faire des ennemis. C'est qui, ce quelqu'un ?
Je soupirai bruyamment en lui faisant signe de sortir d'ici. J'aurais aimé pouvoir contrôler mon audition à loisir ; il était vraiment compliqué de ne pas regarder Magnolia.
— Ok, ok, on la joue top secret, je vois le délire... marmonna MacCready derrière-moi.
Les têtes se tournèrent à nouveau dans ma direction, me fixant plus longuement qu'à mon arrivée dans le bar. Qu'est-ce qu'ils avaient, tous ? Oh. C'était MacCready, qu'ils fixaient. Certains applaudirent, en ricanant.
— Hé, bah, alors, la mascotte du salon VIP a trouvé un job ? Oh, mais, attends, je te reconnais, toi, c'est toi qui...
— Hancock, soufflai-je en m'arrêtant d'un coup devant le maire, accoudé au bar.
— Ma goule préférée, lança MacCready.
Hancock posa une main sur l'épaule de MacCready, et le secoua, avec un rire.
— C'est toi qui était en balade avec ce bon vieux Nick, reprit Hancock de sa voix légèrement éraillée.
— Hm, répondis-je en hochant la tête.
— Et maintenant, tu embauches MacCready. Intéressant, dit Hancock, faussement impressionné.
Il sortit de la poche de sa redingote rouge une boîte métallique, l'ouvrit, puis fourra ce qui ressemblait à un petit bonbon, rouge aussi. Il rangea ensuite la boîte aussi vite qu'il l'avait sortie.
Pour une raison étrange, ma confiance - qui était étrange, elle aussi-, semblait s'être envolée. Comme si Hancock, en plantant ses yeux presque totalement noirs dans les miens, était en train de me passer au scanner et de m'empêcher de partir.
— Et donc, où est-ce que tu emmènes mon petit MacCready, hein ?
— Euh, je, enfin, on...
— Elle m'a dit qu'on allait régler son compte à quelqu'un, dit MacCready en bombant presque imperceptiblement le torse.
Hancock fronça les sourcils. Ce qui n'était pas rien, puisque lui non plus n'avait pas de sourcils. Il m'attrapa le bras.
— Tu sais, reprit-il à voix basse, j'en ai entendu, des trucs sur toi. T'es dans beaucoup de ragots, en ce moment. Des ragots sur des grands mercenaires de l'Institut qui disparaissent sur ton passage, sur ton nez qui se fourre dans des endroits où il devrait vraiment pas se fourrer. Tu vois ce que je veux dire ?
Les yeux de MacCready se posèrent sur moi, puis sur Hancock, et à nouveau sur moi. Ses neurones semblaient lutter à plein régime.
— Alors je suis un peu surpris que soudain, tu embarques avec toi un des résidents de Goodneighbor, souffla Hancock dans un murmure à peine audible.
Une vague sensation de panique parcourut mon échine. Il savait. Ma tête me hurlait qu'il savait. N'était-ce pas Piper qui m'avait dit que c'était au Troisième Rail qu'on se faisait poignarder ? Poignarder par Hancock, peut-être ? Ce n'est pas comme si je ne l'avais pas déjà vu poignarder quelqu'un. Pour rien. Pour pas grand-chose.
— Attends. C'est quoi, le job, Lily ? demanda MacCready.
Il avait parlé fort. Bien plus fort que le brouhaha ambiant des gens dans le bar qui, sans rien d'autre à faire dans ce monde, passaient le temps qu'il leur restait à boire de la mauvaise bière.
— Le job, commençai-je avec la sensation d'avoir avalé du sable, le job, c'est de tuer un chasseur de l'Institut.
Le bruit s'éteignit comme une flamme que l'on souffle.
MacCready laissa échapper un long soupir irrité. Il s'écrasa sur le tabouret à côté du maire avant de prendre sa tête dans ses mains.
— Vous allez me... hésitai-je en dansant d'un pied sur l'autre.
Hancock porta la main à sa poche et, dans un sursaut, je fis un bond en arrière. Il releva la tête, en tenant sa boîte de bonbons, et éclata de rire.
— Hé, relax. Je vais pas te descendre.
Il fourra à nouveau une petite pastille rouge dans sa bouche, hésita, en prit une deuxième, puis referma lentement la boîte.
— Je vais pas te descendre, répéta-t-il. Je vais venir te filer un coup de main, plutôt.