La Loi du Plus Fort
Chapitre 10
Une déflagration rompit l'air compact qui enveloppait son corps brisé. Ses muscles tressautèrent nerveusement, lui arrachant un gémissement étouffé. Ses paupières s'ouvrirent brusquement. La lumière l'éblouit légèrement. Instinctivement, il voulut lever ses bras qui pendaient, tels deux poids morts à côté de ses flancs, pour protéger ses yeux… Il reçut en retour une violente décharge électrique qui remonta dans sa nuque et qui se finit en picotements désagréables dans sa tête. Il serra les dents pour ne pas crier, étouffant une plainte étrangement aigüe. Une fois le murmure éteint, il écouta le silence perturbant qui régnait dans la pièce. Ses yeux glissèrent sur les barreaux d'une cage, sur une porte ouverte et finirent par s'attarder sur le sang qui maculait le sol et les murs d'un rouge poisseux et sombre.
Etait-ce le sien ? Il était certes couvert de sang mais étrangement, ne semblait pas avoir de plaies… Il tenta alors de réfléchir à sa situation, à ce qui venait de se passer.
Mais un brouillard épais pesait dans son crâne… Et la douleur phagocytait ses pensées et souvenirs. Il poussa un nouveau gémissement d'impuissance.
Il se sentait tellement vulnérable…
Il avait envie de se replier, de s'enfuir… Mais son corps semblait incapable de bouger. Pourquoi ? Que lui était-il arrivé ? Qu'allait-il lui arriver ? De violentes migraines faisaient échos à ses questions sans réponses.
Il se força à respirer plus lentement pour, d'une part, diminuer la douleur qui émanait de son torse et pour, d'autre part, recouvrer un semblant de calme.
Céder à la panique était la pire chose qui pouvait lui arriver. Il fallait rester organisé, ne pas perdre pied… Même s'il avait l'impression d'être en plein cauchemar, sans prises avec la réalité...
Il oublia donc momentanément ses questions, sa douleur et tout ce sang qui collait sa chemise trempée sur sa peau et se concentra. Un mur énorme et noir bloquait ses tentatives d'y voir un peu plus clair.
Tout se mêlait dans sa tête…
Soudain, une nouvelle douleur transperça son crâne. Hotch tourna brusquement la tête et vomit un mélange de sang et de bile. Il toussa et vomit encore, plié en deux et paralysé par ce poignard qui se plantait encore et encore dans sa tête.
La douleur lui rappela vaguement les coups reçus un peu auparavant… Puis une avalanche d'images s'abattit sur lui. Le poing de Morgan… Le marteau… Les membres brisés de Reid… La noyade… Le sang, la bile… La baignoire… L'abandon… La folie…
Il ferma les yeux et, malgré la souffrance engendrée quelques minutes auparavant par ce geste, leva les bras. Ses mains tordues et écorchées par les coups donnés et reçus se plaquèrent sur son crâne, tentant vainement de mettre un terme à ces souvenirs plus atroces les uns que les autres. La douleur rythmait toujours ce macabre festival et rendait impuissants ses efforts pour se maîtriser.
Un hurlement déchira sa cage thoracique.
Il tremblait de tout son corps, comme pris d'une forte fièvre.
Il avait honte. Il avait mal. Il avait peur.
Il rouvrit les yeux et balaya fébrilement l'endroit désert des yeux. Morgan avait gagné. Et lui, qu'allait-il lui arriver ? Allait-il mourir ici ? Cette question s'imprima lentement dans son corps rompu. Des larmes de désespoir roulèrent sur la crasse qui maculait ses joues.
Il resta cependant au sol, apathique.
Aaron Hotchner allait finir dans un trou, asphyxié par un gaz mortel… A moins qu'on ne le laissât crever de faim.
Il gémit doucement et ressembla quelques souvenirs... Les derniers qu'il avait de voir... Des réminicences d'une époque révolue et heureuse. Le vieux film usé de sa vie s'arrêta brusquement sur le plus beau moment de son existence. La naissance de Jack.
Son fils.
Qui allait s'occuper de lui maintenant ? Sa tante, sans doute… Mais comment prendrait-il ce nouvel abandon ?
De nouvelles larmes perlèrent aux coins de ses yeux.
Il tenta en vain d'occulter cette tristesse qui s'échouait en lui, lui laissant une écume amère dans la bouche…
Le goût de l'échec se répandit ainsi sur sa langue pâteuse.
Il avait échoué. Son équipe avait implosé. Reid était mort et lui ne tarderait plus à le rejoindre. Une colère sourde, un bref instant de révolte lui retourna les tripes.
Pourquoi leur avait-on infligé ça ? Qu'avaient-ils fait pour mériter ça ?
Malgré la douleur, il se redressa lentement, guidé par la rage et le désespoir. Il avait certes tout perdu, mais il refusait de mourir couché. Il ne devait pas laisser ce malade se nourrir de sa douleur et de sa résignation.
Il n'accepterait jamais cette mort.
Cette idée grandissait en lui. Stupide et vaine. Mais ce simple objectif lui donnait la force et le courage de se mettre debout. La douleur était toujours omniprésente, mais elle était tolérable tant qu'il avait encore une raison de se battre.
Enfin, plus ou moins droit sur ses jambes flageolantes, il tourna sur lui-même à la recherche de la seule sortie de la cage. Il la trouve rapidement et s'avança vers elle en titubant.
Une fois cette étape franchie, il se retrouva dans l'autre moitié de la pièce… Elle semblait plus petite que l'autre, comme si le tueur avait réservé deux tiers de la pièce pour le ring de la lutte finale.
Hotch vacilla un instant sur ses jambes.
Deux portes lui faisaient face… La première était maculée de sang et fermée. La seconde, couverte de cloques de rouille, était entrouverte. Un frisson parcourut son dos.
Les traces sur la première indiquaient clairement que Morgan était passé par là… Blessé.
Une légère euphorie suivit cette constatation avant que la douleur ne le sorte de cette folie passagère. Son sourire béat s'effaça automatiquement et il frissonna de plus belle.
Il ne devait pas céder comme Morgan. Pas maintenant. Pas devant le tueur.
Il se tourna lentement vers la porte qui se trouvait à sa droite. Malgré son état pitoyable et ses maux de tête, il se rendait parfaitement compte que cette issue était trop idyllique piège : le tueur avait ouvert cette porte pour lui, dans le but de l'attirer dans cette pièce précisément.
Il jouait avec lui… Le manipulait à distance.
Il était un pantin désarticulé que des mains habiles faisaient inexorablement avancer vers la mort. Un simple pion qui allait tomber d'ici peu.
Hotch fit un pas en arrière. Son cœur se mit à battre plus rapidement encore. Quelles étaient les nouvelles tortures qui l'attendaient derrière cette porte ? Etait-ce un endroit confiné où il serait gazé plus facilement ?
Le souffle court, il resta ainsi, immobile, à observer la porte attendant qu'il se passe quelque chose. Qu'elle se referme… Ou qu'une odeur âcre se dégage de la pièce.
Mais rien ne se produisit.
Enfin, Hotch sortit doucement de sa torpeur et fit quelques pas hésitants. Précautionneusement, il poussa le lourd battant, en se mordant la joue pour ne pas crier de douleur et jeta un coup d'œil.
La pièce était minuscule et s'allongeait vers la droite. Le plafond était assez bas une ampoule nue jetait une lueur blafarde sur cet endroit désert. Avec méfiance, l'agent scruta chaque pan de mur, chaque centimètre du sol et du plafond pour y déceler une bouche d'aération ou une caméra.
Rien...
Cette constatation le déstabilisa légèrement : ce tueur avait toujours été aux premières loges pour les observer en train de se massacrer… Que signifiait ce soudain déni ?
Il se sentait désorienté, perdu… Peut-être était-ce le but de ce malade, jouer avec ses nerfs ?
Il entra prudemment dans la pièce et remarqua aussitôt une porte à quelques mètres sur sa droite. Un message hâtivement tracé à la peinture rouge s'adressait à lui :
« Veuillez fermer la porte derrière vous. »…
L'agent déglutit difficilement. S'il fermait cette fichue porte, quelles seraient ses chances pour revenir en arrière ? Il trembla mais ses doigts poisseux et engourdis se refermèrent douloureusement sur la poignée.
Il ferma les yeux un instant. De toute manière, qu'y-avait-il derrière lui ? Rien. Mis à part de nombreux mauvais souvenirs…
Il s'adossa à la porte et la poussa, réprimant un cri de douleur. Il avait toujours ces dizaines de lames invisibles qui s'enfonçaient violemment dans sa cage thoracique, dans sa poitrine et ses épaules à chaque geste. Il devait avoir plusieurs os cassés… Mais l'adrénaline le maintenait debout.
Un grondement sourd suivi d'un monstrueux claquement résonna dans la pièce. Un déclic inquiétant fit écho à ces bruits.
Brusquement, un courant d'air froid emplit la pièce. Hotch sursauta et tourna vivement la tête vers la droite.
L'autre porte était ouverte… Une fumée blanche rampait à ses pieds. Il poussa un cri horrifié. Les yeux écarquillés il la vit se lover à ses pieds, glaciale comme la mort.
Etait-ce donc la fin ?
Des barres acérées brillaient d'un éclat menaçant... Au loin, derrière cet enfer, une porte le narguait. Déconnecté, il resta un long moment à fixer le vide.
Que cela pouvait-il bien signifier ? N'avait-il pas déjà gagné ?
Une phrase du tueur lui revint en mémoire :
« Prouvez-moi une dernière fois que vous êtes le plus fort, Derek… »
Soudain, il sortit de sa torpeur et poussa un cri inhumain. Il s'avança rageusement dans la pièce allongée et hurla devant les lames de rasoir qui bloquaient la sortie.
Il allait crever. Comme les autres…Mais pas sans se battre.
De longues secondes s'écoulèrent sans qu'il ne se passât quelque chose. Il respirait difficilement, mais seulement parce qu'il retenait son souffle. Pétrifié, il regarda le nuage blanc s'estomper. Son cœur battait à tout rompre dans ses tempes.
Pourquoi ne mourrait-il donc pas ?
Il osa jeter un coup d'œil à la porte ouverte… Et retint un hoquet de surprise en apercevant un halo bleu pâle. Fasciné, il frissonna doucement et, faisant fi du nuage blanc qui se lovait entre ses jambes maladroites, il avança, en trébuchant à chaque pas.
Une chambre froide… !
Cette fumée… C'était simplement dû à la différence de température. Sa respiration reprit un rythme moins erratique.
Il n'y avait pas de gaz.
Cependant, son soulagement fut rapidement remplacé par la suspicion : qu'est-ce qu'une chambre froide pouvait-elle faire en ce lieu ? Il fit encore quelques pas et se trouva à l'entrée de cet univers glacial.
Il poussa un sifflement surpris et horrifié en apercevant son contenu… Il vacilla et se tint au chambranle pour ne pas s'écrouler. La pièce faisait environ huit mètres de long pour deux de large. En son centre, une série de lames se dressaient et lui bloquaient l'accès à une autre porte.
Disposées horizontalement par rapport au sol, ces barres acérées étaient espacées d'environ vingt centimètres.
Hotch fixa, hébété, cet étrange store vénitien, avant de pénétrer plus profondément dans cette chambre. Il se tint légèrement au mur, réprimant de nouveaux gémissements.
Etait-il censé se glisser entre deux lames pour atteindre la prochaine porte ? Etait-il censé crever, exsangue d'avoir essayé ?
Rompu, il se laissa tomber au sol. Le choc se répercuta dans ses os. Hotch gémit pitoyablement et éclata en sanglots. Ses mains se posèrent sur l'une des lames effilées et le sang perla aussitôt.
Il n'avait aucune chance de s'en sortir. Aucune.
De rage, il serra les poings et sentit le métal glacial pénétrer dans sa chair.
Il n'en avait jamais eu une seule !
La douleur le fit perdre un instant la vue et il voulut desserrer son étreinte… En vain : ses mains étaient collées à cette fichue lame par le froid… Il tira brusquement, faisant craquer ses épaules couvertes d'hématomes. Un petit bruit sec claqua dans l'air. Une odeur d'hémoglobine titilla ses narines et une profonde brûlure s'imprima dans ses paumes.
En gémissant, il posa ses yeux remplis de larmes sur ses mains à vif… Deux énormes lambeaux de peau était restés incrusté sur la lame. Son sang coula paresseusement le long de ses avant-bras, tandis qu'il fixait la chair nue et rouge d'où le liquide incarnat suintait.
Il suivit un instant les trainées écarlates… Soudain, son regard s'arrêta sur un petit objet souillé de sang qui pendait le long de son bras.
Le tournevis.
Sa respiration s'emballa brutalement et il leva la tête vers les barres… Elles étaient fixées par des vis aux deux murs. Un espoir nouveau lui fit tourner la tête. En tremblant de tout son corps, il attrapa maladroite le tournevis, oubliant momentanément la douleur et l'état de ses mains, et se mit à gratter frénétiquement la fine couche de glace qui recouvrait les deux vis de la première lame.
Après quelques minutes, il introduisit le tournevis dans la fente prévue à cet effet et tourna, tout en priant pour que le froid n'ait pas bloqué la vis. Après quelques secondes, le petit bout de métal grinça et céda.
Hotch fit fébrilement valser la vis jusqu'à ce qu'elle tombe au sol et s'attaqua ensuite à la seconde. La douleur dans ses mains était semblable à une onde de choc, mais il n'en avait cure.
La deuxième ne résista pas plus que la première.
En tremblant, il continua sur sa lancée et entama la seconde barre. Une fois ce côté fait, il se releva en vacillant et s'élança vers l'autre mur. Sa respiration était sifflante d'excitation et d'espoir.
Après une dizaine de minutes, il arriva au bout de deux vis et la première lame s'écrasa sur le sol dans un bruit tonitruant. La seconde suivit, un quart d'heure plus tard.
Sans même se donner une seconde de répit, Hotch se mit à plat ventre. La douleur lui coupa un instant la respiration, mais il se mit à ramper sans attendre.
La porte était si proche.
Il n'avait plus de temps à perdre dans des considérations inutiles. Il fallait foncer…
Sortir de ce trou ou se laisser crever.
Il utilisa ses jambes pour se propulser, incapable de prendre appui sur ses bras. Le sol froid et rugueux écorcha sa joue droite. Il rampa encore un peu, en gémissant, puis se releva prudemment. Il avait mal partout…
Mais il était de l'autre côté !
Son cœur semblait sur le point d'éclater lorsqu'il tituba jusqu'à la porte et tomba à genoux devant elle. Il tourna la poignée, en vain. Hébété, il essaya une seconde fois. Son regard affolé parcourut le battant et s'arrêta sur un point précis…
Un cadenas fermait la porte.
Un putain de cadenas…
Un rire étranglé secoua sa poitrine, puis un haut-le-cœur le submergea et il se mit à hurler.
-NON ! PUTAIN DE MERDE ! SORTEZ-MOI DE LA ! STOP ! PITIE ! SALE ENFOIRE ! VA CREVER EN ENFER!
Il n'avait même plus la force de frapper sur cette foutue porte. Entre ses cris et ses sanglots apparut une image fugace…
Une clé.
Reid avait la clé. Il avait laissé Spencer et la CLE derrière. Ses doigts attrapèrent l'objet glacé qui le maintenait ici. Ses hurlements s'achevèrent en murmures rauques.
-Pourquoi… Pourquoi… ?… Non…
Le poids des tortures pesaient désormais plus lourdement sur ses épaules. Il tira doucement sur le cadenas.
-Ouvre-toi… Brise-toi…
Il psalmodiait inutilement cette phrase, les yeux fermés, à genoux devant cette porte close.
Le froid mordait chaque parcelle de sa peau, tandis que sa souffrance devenait à nouveau insupportable.
La fin arriverait… lente et douloureuse.
A suivre…