La Loi du Plus Fort
Chapitre 11
"Cet amoncellement de douleurs, de souffrances et de sang les avait sans doute usés plus qu'ils ne l'auraient jamais cru. Côtoyer la mort la rend peut-être plus horrible et plus douloureuse… En effet, n'est-il pas terrible de connaître à l'avance le masque torturé qui recouvrira son visage après le grand saut ?
Comprendre les victimes, palper la douleur et imaginer cet ultime moment où le sang chaud délaisse un corps bientôt froid… Cela ne les avait-il pas conditionnés à se rebeller contre cette fin inéluctable ?
Ce savoir n'a-t-il pas joué en leur défaveur ?
Ils avaient pourtant toujours enduré les épreuves sans broncher, ils avaient suivi les traces des pires criminels et ce, pour finir dans les filets de l'un d'eux. Connaître le bout du tunnel, les affres dans lesquels vous guident certains tueurs ne vous aident apparemment pas vraiment à rationnaliser la situation lorsqu'elle empire.
Au contraire…
Par ailleurs, il est tellement difficile de se sacrifier, de baisser sa garde –même pour les autres… surtout pour les autres- lorsque l'on a passé sa vie à traquer les monstres, sans relâche.
Sans avoir l'habitude d'abandonner son poste. Jamais.
Et il est d'autant plus compliqué d'accepter cette violente chute, ce choc frontal avec la douleur et la mort en se soumettant aux désirs pervers d'un autre… La peur du vide, du néant, de la souffrance éternelle se mêlant à une dignité orgueilleuse peut faire éclater toute raison bien assise.
Ils avaient cependant jusqu'à présent tout supporté, me diriez-vous. Tortures, images insoutenables,…
Mais cette réalité-ci a surpassé de loin leurs pires cauchemars… Leur avenir était déjà usé jusqu'à la trame, vieux haillon plein de trous qui ne tenait plus sur leurs maigres épaules. Ils ne vivaient que pour un travail qui les minait.
Et peut-être un peu pour la gloire conférée par leur statut d'agent de la BAU.
Ils pensaient survivre, être préparé au pire, être « meilleur », plus fort que les victimes qui défilaient sur leurs grands écrans noirs. Ils pensaient être humains, avoir été capables de cloisonner le mal dans un coin bien scellé de leur crâne… Mais ils étaient déjà souillés et brisés par ce qu'ils vivaient au quotidien.
Et le mal a rapidement été lâché.
Bien sûr, c'est le dilemme de mourir tous ou de mutiler le plus faible qui les a anéantis. Une fois le pas franchi, une fois le « mal » engendré, plus rien ne pouvait contenir l'animal qui sommeillait en eux, comme en chacun de nous.
Le barrage, déjà abîmé par de nombreuses épreuves, a cédé.
La folie a gagné leurs yeux et leurs pensées. Ils se sont empoignés dans l'espoir de s'en sortir… De survivre, en se battant désespérément contre l'inéluctable.
Comme des animaux…
J'ai ainsi eu la preuve qu'ils n'étaient ni des « surhommes », ni des héros. Comme tout un chacun, ils étaient faibles et loin d'être meilleurs que les tueurs qu'ils arrêtaient… Peut-être étaient-ils même pires…
La loi du plus fort l'a emporté, comme toujours…Pour le bien de tous.
Cordialement.
PS : Dans quelques minutes vous sera envoyée l'adresse où trouver vos collègues.»
Une légère douleur s'imprimait dans son épaule, tandis que des larmes perlaient dans ses yeux. Son mascara avait déjà laissé de longues traces noires sur ses joues roses et rebondies. Ses lèvres tressautaient violemment pendant qu'elle retenait des sanglots violents.
La main de David Rossi, crispée, lui faisait de plus en plus mal, mais elle s'en fichait comme de la troisième édition du jeu Pac-man.
-Ca… ça veut dire… qu'ils sont… ?
La voix de JJ était tremblante et s'éteignit dans un souffle angoissé. Cela faisait maintenant deux jours qu'Hotch, Reid et Morgan avaient disparu. Deux jours qu'ils n'avaient plus fermé les yeux, incapables de trouver le sommeil sans rêver du pire.
Après plus de vingt-huit heures de crise et de questions sans réponse, la réalité avait enfin éclaté, remplaçant les sordides déboires de leur imagination nourrie par les horreurs qui défilaient chaque jour devant eux.
Garcia avait reçu plusieurs liens menant à des vidéos partagées sur un réseau privé. Ils avaient ainsi suivi en direct la lente déchéance de leurs amis. Ils avaient pleuré et crié avec eux… Ils avaient souffert et prié pour que tout s'arrête enfin. Ils les avaient vus sombrer dans la folie, se battre les uns contre les autres.
Ils avaient regardé Morgan briser les membres de Reid et Hotch le noyer. Ils s'étaient effondrés lorsque leurs deux coéquipiers l'avaient abandonné à une mort certaine.
En parallèle, ils avaient tous cherché - en vain - des indices capables de les mener à leurs collègues. Penelope avait essayé de trouver l'adresse IP du tueur, sans résultat…
Impuissants, ils avaient assisté au massacre… Jusqu'à ce combat final, opposant Hotch et Morgan. L'image trouble s'était étrangement interrompue au moment fatidique où Derek semblait sur le point d'achever leur patron. Depuis plus d'images …
Une nouvelle attente fiévreuse avait commencé... Jusqu'à ce message.
Les yeux humides de Garcia se posèrent sur les jointures blanches de Rossi qui ne semblait tenir debout que par cet appui.
Ils se serraient les coudes pour tenir, dans cette épreuve… Comme une équipe.
Elle regarda à nouveau l'écran qui lui faisait face. Elle avait reçu un mail, il y a maintenant quelques minutes… Une lettre écrite par l'unsub.
La voix d'Emily Prentiss la fit sursauter. Elle répondait enfin à la question posée par JJ.
-Pas forcément…
Son ton sonnait faux. Sa voix fêlée transpirait la tristesse et la peur. Un hoquet douloureux souleva la poitrine de Garcia.
-Mes chéris… Ils ne peuvent pas être morts…Non… Dites-le-moi… Faites-le-moi croire… Pitié…Dites-moi qu'ils sont vivants…
Elle tourna son visage livide vers Rossi qui regardait droit devant lui, dans le vide, puis vers Emily qui affichait une mine dépitée et finit par fixer JJ qui pleurait doucement dans ses mains… Personne ne lui répondit.
Garcia éclata en sanglots…
La rage soulevait son torse de manière erratique, tandis qu'il tournait furieusement en rond devant les lames acérées.
Il devait impérativement se concentrer sur sa tâche, sur un moyen de s'en sortir… Mais à chaque fois, il laissait ses pensées vagabonder et elles revenaient toujours aux visages de ses collègues qui le fixaient avec sévérité…
Il pleurait tout en marchant inutilement devant cet obstacle.
Il devait oublier. Les oublier…
Mais pourquoi donc n'avaient-ils pas avancé ensemble ? Pourquoi étaient-ils tombés dans le panneau ? Pourquoi et pour quoi les avait-il tués ?
Les remords le rongeaient.
Il gémit doucement et appuya son front couvert de sueur et de saleté sur le mur. Sa tête allait éclater. Il pleura silencieusement, exténué. Il avait toujours été impulsif mais pas au point de foncer dans le tas, tête baissée. Ici, pour une raison inconnue, son bon sens s'était envolé. Pourtant, il connaissait déjà la peur et la mort… Il n'aurait pas dû craquer, il n'aurait pas dû se laisser piéger, manipuler par la panique et par ce malade.
Il avait été faible.
Oui, très faible, même… Il avait été submergé par les évènements. Tout s'était enchaîné. Lui qui n'avait en général pas froid aux yeux s'était senti acculé, obligé de vendre la peau des autres pour se sauver.
Pour ne pas perdre et pour éviter la souffrance. Pour ne pas mourir.
Il poussa une plainte lugubre. Il réalisait doucement que des trois, il n'avait pas été le plus fort… Au contraire. Il avait été dépassé par la terreur et la situation, lui.
Il tourna lentement les yeux vers les lames acérées… Elles étaient maintenues aux murs par des vis.
Douloureusement, l'image d'un objet s'imposa à lui… Le tournevis d'Hotch.
La profonde plaie qui meurtrissait son être se rouvrit brutalement. S'ils avaient été tous les trois ici, ils auraient pu s'en sortir.
Il n'eut pas la force de hurler son désespoir… Aucun son ne put sortir de ses lèvres figées en un rictus triste et dégoûté.
L'union faisait la force…
Il se décolla cependant du mur, étourdi… Il avait l'impression d'avoir du coton dans la tête et dans les membres. La douleur physique était toujours présente mais si loin déjà. Il avait bien plus mal à l'intérieur.
Sa main droite agrippa le marteau, symbole de sa faiblesse… Il fixa l'une des barres. Il était conscient qu'il n'arriverait pas à grand-chose, mais se laisser mourir après ce qu'il avait fait aux deux autres pour survivre semblait inacceptable.
Il visa un instant et lança violemment le marteau contre l'une des lames. Le bruit assourdissant se répercuta dans tout son corps. La douleur remonta brusquement dans son bras et le fit vaciller.
Malgré la puissance du coup, la barre était à peine pliée.
Morgan tremblait et gémissait de douleur… Toutes ses pensées étaient tournées vers la souffrance qui le frappait de toutes parts. Cet anesthésiant douloureux occultait temporairement ses souvenirs.
Sans réfléchir, il frappa à nouveau, soudainement en hurlant.
Plus rien ne comptait. Plus rien ne franchissait le mur de douleur qu'il bâtissait. Les larmes se mêlaient à ses cris. Il frappait encore et encore cette lame, dans un funeste vacarme.
Soudain, un bruit mat suivit le froissement métallique. Le manche devint étrangement plus léger. Abasourdi, Derek s'arrêta de cogner et fixa ses doigts poisseux qui entouraient un morceau de bois écarlate.
Son marteau était décapité.
La tête, brisée en deux, gisait à ses pieds. Hébété, il observa cet étrange cadavre. Il détacha difficilement ses yeux de ce pitoyable spectacle et lâcha le manche moite… Il remarqua à peine que ses plaies s'étaient rouvertes.
Il avança comme un automate vers les lames. Il avait réussi à dégager un espace d'environ quarante centimètres, à un peu plus d'un demi-mètre du sol.
Il posa une main hésitante sur une lame et enjamba difficilement les barres. Ses plaies tiraient douloureusement. Il réussit cependant à poser le pied droit de l'autre côté.
Lentement, comme dans un mauvais rêve, il se pencha en avant et tenta de passer son buste. Il n'arrivait plus à avoir peur. Il se sentait vide… Il allait de l'avant parce qu'il fallait avancer.
Brusquement, il sentit une douleur sourde et froide pénétrer son dos. Un liquide chaud se mit à couler sur sa peau, sa nuque et son cou. Il ne fit rien pour l'empêcher… Au contraire, il accéléra le mouvement pour passer de l'autre côté.
Sa peau arrachée glissa sur son dos et tomba au sol, dans un bruit répugnant. Un vertige et un haut-le-cœur le submergèrent. Ses mains entaillées qui se tenaient aux lames lâchèrent prises et Derek se sentit tomber vers l'avant.
Trois lames s'imprimèrent violemment dans sa jambe gauche. Il se réveilla brutalement de cette étrange léthargie et poussa un hurlement. Paniqué il retira sa jambe et la passa de l'autre côté. Le sang coulait abondamment, désormais.
Il s'écroula sur le sol et retint un hoquet de douleur. Les larmes lui montaient aux yeux. Ses mains comprimèrent la large et profonde coupure qui saignait sa cuisse, la blessure la plus inquiétante selon lui. Il se traîna doucement vers la porte, écrasé par la douleur, faisant fi de la flaque de sang qui rampait autour de son corps meurtri.
La sortie était là… Il tendit la main et tourna la poignée. A plusieurs reprises.
Avec horreur, il comprit qu'elle était fermée à clé.
Un hurlement inhumain transperça l'air empli d'hémoglobine.
La clé de Reid…
Le froid. Tout se résumait à cela. Il congelait ses pensées, ses membres... Il le faisait trembler contre cette porte fermée pendant qu'il secouait lentement ce cadenas sur lequel ses doigts étaient désormais collés. Un murmure indistinct franchissait ses lèvres, un mélange d'excuses et de prières.
Il était prêt à se laisser sombrer pour de bon.
Soudain, un cri éloigné retentit dans la pièce et le fit sursauter. Le mouvement fut douloureux. Toutes ses articulations étaient ankylosées, engourdies par le froid et cette position figée qu'il conservait depuis un moment… Et ses fractures n'adoucissaient en rien son calvaire.
Son cœur pulsa son sang rapidement et battit violemment dans ses tempes. Il n'était pas sûr d'avoir réellement entendu du bruit. Etait-ce son imagination, les hallucinations d'un mourant ?
Il tendit l'oreille et retint son souffle. Ses mains bleues et rendues étincelantes par le givre se mirent à trembler de plus belle.
Brusquement, les cris reprirent, clairement suivis par un bruit métallique et assourdissant. Un bruit d'impact. Tout semblait venir de sa gauche. Il n'était pas seul !
Quelqu'un d'autre se battait comme lui, de l'autre côté de ce mur.
Un soupçon d'espoir le fit frissonner. Il regarda ses mains abimées et les arracha brutalement du cadenas. Il retint un cri et ignora le sang qui perlait sur la pulpe de ses doigts. Il releva ses bras, en gémissant de douleur, et força ses paumes couvertes d'un mélange de croutes, de sang et de glace à se fermer sur le petit objet.
Il tira une fois violemment et hurla.
Ses épaules semblaient sur le point de s'arracher… Et le cadenas ne bougeait toujours pas. Il reprit sa respiration et écouta les cris qui continuaient à côté. Il se nourrit un moment du courage de son voisin. Il fallait qu'il se batte, lui aussi. Il regarda fébrilement autour de lui pour trouver un objet capable de briser le cadenas.
Le tournevis…
Ses mains se décollèrent du cadenas poisseux et écarlate et attrapèrent difficilement le petit objet pointu. Avec le gel, il avait peut-être une chance… Il visa un instant et projeta la pointe sur l'anneau métallique. Une douleur aigüe remonta dans son bras, mais il l'ignora. La pointe glissa mais entailla légèrement sa cible. Il répéta l'opération et se régla sur le rythme des coups et des hurlements de l'autre personne, en étouffant ses plaintes.
Soudain, le silence se fit entendre à côté. Hotch s'arrêta brutalement. Il en profita pour regarder l'anneau couvert d'entailles plus ou moins profondes.
Ca marchait.
La pointe de son tournevis était salement ébréchée, mais avec quelques coups bien placés, il pourrait briser l'anneau avant qu'elle ne se casse.
Il écouta le silence revenu, en reprenant son souffle et en rassemblant ses forces. Il se sentait rompu, mais capable de continuer. Etrangement, il avait trouvé une énergie nouvelle et inespérée.
Il ne cherchait pas à savoir qui souffrait avec lui, à côté… Peut-être Morgan… Peu importait. Il n'était plus seul et il devait aussi se battre.
Il leva les yeux vers le cadenas, visa une entaille et lança son tournevis. Un craquement suivit ce geste. Confus, il regarda le tournevis toujours entier puis le cadenas qui oscilla un moment avant de tomber au sol.
Il resta un moment pétrifié, contemplatif... Il ne pouvait pas croire qu'il y était arrivé. Une bouffée de joie et fierté l'envahit.
Soudain, un terrible hurlement le fit sursauter et sortir de sa béatitude. Il fit glisser la petite barre de fer qui verrouillait la porte, posa la main sur la poignée et l'ouvrit. La lumière l'éblouit.
L'air frais frappa son visage… Même les cris désordonnés et paniqués de la pièce d'à côté ne l'empêchèrent pas de savourer cet ultime moment de liberté.
Il osa poser les yeux sur l'étendue de bitume cerclée d'un grillage qui s'étendait devant lui.
Il était dehors… !
Les larmes affluèrent dans ses yeux, pendant que son regard se perdait dans le ciel rougeâtre qui annonçait un magnifique coucher de soleil…
Il avait survécu.
Il balaya l'horizon et vit une route, derrière le grillage… De vieilles maisons, aussi. Les cris à côté se tarirent, mais Hotch ne le remarqua pas, trop heureux de sentir l'air frais emplir ses poumons.
Il se leva en s'appuyant au chambranle et tituba pour franchir la porte, la dernière... Il regarda à sa gauche et, entre ses larmes, vit le prolongement du vieux bâtiment qui semblait abandonné… Son regard se perdit ensuite vers la gauche.
Il sursauta brusquement. A une cinquantaine de mètres de lui, une masse sombre et rampante avançait péniblement vers ce qui semblait être une barrière. Une issue.
Son cœur rata un battement. Il lâcha brusquement la porte et clopina rapidement jusqu'à cette forme.
Impossible… Mais il devait en être sûr.
Il courait presque… Et plus il s'approchait, plus son cœur semblait sur le point d'exploser. Il reconnaissait cette forme… Et ce t-shirt. C'était bien le sien. La chose au sol s'arrêta de bouger en l'entendant s'approcher et se retourna lentement - en tremblant - pour lui faire face. Abasourdi, Hotch s'arrêta à un mètre de lui. Il le dévisagea et sentit peu à peu ses forces fondre sous son poids.
-Reid… Tu…tu es…
Ses jambes cédèrent. Il tomba à genoux à côté de son frêle agent et éclata en sanglots. Il toucha avidement ses cheveux, son visage crispé par la douleur et la panique, puis son torse, pour s'assurer que son cœur battait toujours. Spencer releva péniblement la tête et le regarda avec horreur. Hotch articula quelques mots :
-Désolé… pour tout… Je…
Il était incapable de parler. Il avait juste envie de le prendre dans ses bras pour le palper, pour sentir sa respiration discrète… mais toujours présente !
Soudain, un hurlement pitoyable déchira l'air. Hotch se retourna vivement et observa l'énorme bâtiment gris duquel ils venaient de sortir. Le mur qui leur faisait face était percé de trois portes… Deux étaient ouvertes. La troisième était close.
Les cris… Morgan…
Il se releva brusquement et faillit s'écrouler. Sa tête tournait horriblement. Il avança pourtant vers la troisième porte, essayant de courir. Il avait l'impression que ses jambes allaient au ralenti.
Il s'arrêta enfin devant la porte et regarda avec horreur la flaque de sang qui grandissait sous ses semelles. Le liquide incarnat glissait sournoisement sous la porte.
-Morgan… ?
Les hurlements s'interrompirent brusquement. Une voix diminuée lui répondit.
-Hotch ?... Pitié… Venez… m'aider… Pitié…
Aaron posa sa main sur la poignée et la tourna en vain.
La clé de Reid.
-Je reviens tout de suite… Tiens le coup… !
Sans réfléchir et sans attendre une réponse, Hotch repartit en arrière. Il courut quelques mètres et trébucha. Il tomba lourdement sur le sol. Ses os claquèrent et s'entrechoquèrent. Il poussa un cri de douleur mais se releva aussitôt en chancelant. Il se remit à courir et arriva près de Reid qui l'observait, allongé sur le dos.
-Ta… Ta clé… !
Spencer lui lança un regard empli de lassitude et souleva son poignet. La clé y était solidement attachée.
Le ton d'Hotch trahissait sa détresse.
-Tu peux venir ? Te lever… ?
Une voix faible et mécanique franchit le seuil de ses lèvres, tandis qu'il secouait la tête.
-Vous… m'avez brisé une jambe…Je… ne sais plus marcher…
Hotch éclata en sanglots et attrapa violemment le poignet de Reid. Il tira sur la clé pour la détacher… Puis se ravisa et passa ses mains sous les aisselles de son agent. Celui-ci se raidit violemment et gémit de douleur.
-Qu'est-ce que… Non ! Arrêtez… J'ai mal, stop…
Son patron ne l'écouta pas et se mordit la joue pour ne pas hurler à son tour. Il avait des poignards d'acier enfoncés dans les épaules et dans la poitrine. Il tira alors Reid qui, lui, ne se retint pas de crier de douleur lorsque sa jambe cassée traîna sur le sol.
Il avança comme il put et Spencer finit par utiliser sa jambe valide pour l'aider.
Ils n'étaient plus qu'à quelques mètres… Mais tout ce sang…
-Morgan ! Tiens bon… S'il te plaît… Accroche-toi !
Un gémissement pitoyable et à peine perceptible lui répondit. Il tira encore Reid puis tomba dans la flaque écarlate. Un hoquet de douleur suivit cette nouvelle chute. Il ne s'arrêta pas pour autant. Il attrapa le poignet de Reid, le souleva et introduisit la clé dans la serrure.
Un déclic…
Brusquement, la porte s'ouvrit toute seule et Morgan, à moitié inconscient, tomba sur lui. Il le rattrapa avec peine et lâcha le bras de Reid. Son ami et collègue était couvert de sang. Il le serra dans ses bras.
-Morgan… Tiens bon…
Son regard fébrile chercha l'origine de tout ce sang. Il la localisait rapidement et ses mains fondirent vers la cuisse droite de son agent. Une profonde entaille semblait avoir sectionné une artère. Il chercha de quoi lui faire un garrot.
Ils n'avaient rien…
Il lança un regard vers Reid qui pleurait doucement à côté de lui. Il pressa la plaie et se mit à hurler. Mais sa voix semblait se perdre dans ce grand ciel qui s'assombrissait.
Quelqu'un, dans les vieilles maisons, devrait les entendre, non ?
Il continua à comprimer la plaie, retenant comme il le pouvait la vie de son ami. Il regarda autour de lui.
Soudain, une main se posa sur les siennes. Il sursauta et se tourna vers le visage de Morgan. Ses yeux le dévisageaient sans vraiment le voir. Les larmes coulaient sur son visage crispé par la douleur. Ses lèvres tremblaient violemment.
-Je suis désolé… pour tout... J'ai… été horrible… avec Reid… avec vous… Désolé… J'ai… je ne sais pas… ce qui m'a pris…
Hotch pleurait sans s'en rendre compte.
-Shht… Garde tes forces…
Les yeux de son collègue se fermaient doucement.
-Hotch… J'ai été… le plus faible… Dans sa logique… j'ai perdu… Ca ne sert… à rien que je me… batte… Tout était… joué d'avance…
Aaron sentait le sang couler entre ses doigts.
-Ne dis pas ça… Tu vas t'en sortir… On va te sortir de là…Bats-toi encore un peu…
Lui-même n'y croyait plus. La voix enrouée de Morgan s'éleva doucement… Ce n'était plus qu'un léger murmure qu'une bourrasque de vent pouvait aisément couvrir.
-On aurait… pu tous s'en sortir… On ne devait pas… se séparer… On devait rester une équipe…
Hotch ferma un instant les yeux.
-Calme-toi… Tout est fini… Garde tes forces, Morgan…
Les pupilles dilatée de Derek se mirent à trembler.
-Les secours arrivent ?...
Hotch acquiesça doucement, même s'il savait pertinemment que personne n'était en route. Il voulait juste le rassurer.
-Au cas où…ils n'arriveraient pas à temps… Promettez-moi… de dire à ma mère…et à mes sœurs… que je… les aime…
Un sanglot douloureux secoua le torse d'Hotch et il acquiesça encore. Il essuya ses larmes sur son bras et regarda à nouveau le visage de Morgan. Les yeux de son collègue étaient fixes et ses lèvres entrouvertes ne tremblaient plus.
Ses mains quittèrent doucement sa cuisse encore chaude et se posèrent dans le cou de son ami. Plus de pouls.
Un cri étranglé fit écho à cette constatation mentale.
Derek Morgan était mort.
Au loin, des sirènes se mirent à battre les rues sinistrement calmes. La nuit continuait de tomber devant les yeux aveugles de son ami...
Quelques instants après, des portières claquaient autour d'eux. Des cris et des larmes se joignaient à sa peine.
Il sentit à peine les mains de Rossi l'éloigner du cadavre qu'il tenait toujours contre lui. Il ne vit pas JJ et Prentiss entourer Reid… Ni les ambulanciers les examiner. Ni les lumières dansantes des sirènes.
Ils avaient tous perdu, ce soir… Même si lui et Spencer avaient été les plus forts, il n'y avait pas de victoire à savourer.
Tout était fini. Tout était mort. Tout était vide de sens.
Il avait tout perdu en gagnant, ce « jeu ». Que lui restait-il à part un profond dégoût de lui-même et un immense vide ? Y-avait-il une place dans ce monde pour ceux qui souhaitaient oublier ? Oublier ses démons et le visage des morts… Voilà ce qu'il souhaitait.
Les larmes affluèrent dans ses yeux. Le ciel noir se brouilla et les visages confus de Rossi et Prentiss se mêlèrent et disparurent derrière ses paupières.
Leur amitié avait implosé. Ils n'avaient pas su rester unis… Ils s'étaient laissé emporter par leurs peurs. Ils s'étaient laissé broyer par la loi du plus fort.
Désormais, personne ne le sauverait de ce qu'il avait fait. Personne ne pourrait effacer ses actes. Personne ne pourrait reconstruire sa vie, ni celle de Reid.
Jamais.
Fin.
« Il y a une chose plus triste à perdre que la vie, c'est la raison de vivre, plus triste que de perdre ses biens, c'est de perdre son espérance. » Paul Claudel
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