La Loi du Plus Fort
Chapitre 9
Son rire se répercutait sur les murs, ricochant sur le béton et percutant son crâne vide de toute raison. Ses ultimes pensées ne se focalisaient plus que sur une chose, un but… La fin de ce couloir.
Il avançait en trébuchant légèrement à chaque pas.
A croire que ce manipulateur l'avait quand même amoché dans la bataille. Il rit encore au souvenir de son patron étendu et inerte, vaincu et blessé. Un son déchiré, plus animal qu'humain, s'échappait ainsi de sa poitrine ensanglantée et déchirait l'air pesant.
Il avait gagné.
Ses yeux fous roulaient dans leurs orbites et ses muscles tressautaient nerveusement sous sa peau.
Soudain, il aperçut un rai lumineux et rectangulaire. Il poussa un grondement sourd et victorieux. Sa laborieuse progression touchait à son terme… Finies les tortures, envolée la douleur… Il courut comme il put sur les derniers mètres. Son cœur était sur le point d'éclater et cognait furieusement dans sa poitrine, ses membres et sa tête. Une dernière porte. Il l'ouvrit à la volée et fut ébloui par la lumière…
Le noir. Tout n'était qu'obscurité et douleur. Etait-il mort ? Il se souvenait vaguement de l'eau s'engouffrant dans ses poumons, des mains sur ses épaules, des silhouettes floues qui se cachaient derrière le miroir trouble de l'eau. Il sentait encore la même douleur dans sa poitrine, dans son bras et sa jambe.
Etait-il encore en train d'agoniser ?
Ses derniers instants de conscience qui affluaient par vagues successives et douloureuses dans son crâne, l'empêchaient de se concentrer. Il était écrasé par la violence, par les détails gravés en lui. Pourtant… il devait écouter, tendre l'oreille… Se rappeler de tout…
Bon sang… Où se trouvait-il encore ?
D'où venait cette douleur dans ses membres ? Il avait l'impression d'avoir tout son corps rompu. Il tourna lentement la tête et essaya de se remémorer autre chose. Un éclair transperça son crâne quand le reste de l'histoire remonta à la surface. Il en eut le souffle coupé. Des larmes affluaient dans ses yeux et coulaient sur ses joues froides. Le sang, les coups de Morgan… la décision… La noyade. C'était trop.
Un mort ne pouvait pas ressentir ce genre de choses… A moins évidemment que l'idée absurde qu'il y ait un autre monde après se révèle exacte. Il poussa un gémissement qui bourdonna dans ses oreilles. Si cela était le cas, il préférait le néant à cette souffrance indicible.
Il était brisé...
Reid étouffa un sanglot… Respirer et pleurer faisaient bien trop mal… Il devait contenir ses larmes et découvrir ce qu'il s'était passé lorsqu'il était inconscient.
Il se fit violence pour ouvrir les yeux. Un plafond gris sale dansa sous son regard ébloui. Il fut pris de nausées… Les mouvements sporadiques et saccadés de son estomac rendaient la douleur insupportable. Il devait impérativement se calmer. Il était clairement vivant… La mort l'avait épargné… Ou plutôt, ses collègues ne l'avaient pas achevé. Il serra les dents à cette pensée et tourna brusquement la tête.
D'ailleurs où étaient-ils ?
La pièce semblait vide. La peur le rongeait doucement, entamant ses nerfs à vif. Angoissé, il balaya des yeux la pièce et poussa un hoquet surpris lorsqu'il aperçut le message écarlate qui couronnait deux portes scellées. Les larmes roulèrent de plus belle sur ses joues et son visage se crispa dans une grimace horrifiée.
« Nous menons au même endroit. Même difficulté de chaque côté…Nous sommes deux. Vous êtes trois. Faites le bon choix. Vous avez 15 minutes pour choisir, après le gaz sera lâché et vous mourrez tous. »
Ils étaient partis. Il était seul. Livré à une mort certaine.
Ebloui, il resta un moment dans l'entrée… Lorsqu'il recouvra la vue, la déception lui scia les membres… Une nouvelle pièce vivement éclairée. Il poussa un grognement et avança.
Soudain, il s'immobilisa brusquement en remarquant une silhouette sur sa gauche. Les yeux écarquillés, il fixa cette personne. Il vacilla un instant…
Quelqu'un ici ?... Etait-ce lui, le malade qui les avait enfermés ?
L'homme s'exprima d'une voix métallique et désormais familière.
-Bonjour Morgan…
Choqué, il recula d'un pas… Des souvenirs emmêlés lui revenaient… Rien de concret. Il n'arrivait pas à déterminer s'il connaissait ou non cette personne.
-Qui… Qui êtes-vous ?
Il lui lança un regard amusé.
-Peu importe... Je suis un anonyme, pour vous… Je suis quelqu'un qui voulait prouver que vous n'étiez pas des héros… Vous vous targuez d'arrêter les monstres… mais vous, par exemple, n'en êtes-vous pas un également ?
Derek sentit ses genoux céder sous son poids et s'écroula sur le sol. Il ne comprenait plus rien. Un mauvais pressentiment s'empara de lui.
- Vous avez cédé, comme des animaux, à la loi du plus fort… Vous vous êtes entretués… Vous n'êtes que des égoïstes. Pourtant, vous auriez pu arriver jusqu'à moi, tous les trois… Tout d'abord, vous auriez pu partager les fractures, à la place de les infliger à une seule et unique personne… Par ailleurs mon message lors duquel « Je souhaitais voir une tête immergée sous cette eau durant quatre minutes. » ne vous interdisait pas de vous relayer…
Il soupira et secoua lentement la tête d'un air réprobateur.
-Mais vous et Hotch n'avez pas réfléchi ou essayé d'autres alternatives... Evidemment, puisque vous deux, vous n'étiez pas personnellement en danger, à ce moment précis… C'était au plus faible de souffrir, pas à vous, n'est-ce pas Derek… ? C'était tellement plus simple de mettre à mort l'agent Spencer Reid, plutôt que de s'arrêter une seconde pour tenter de vous en sortir ensemble ! Pareil avec les deux dernières « épreuves »… Jamais, je n'ai indiqué qu'il fallait que vous ne soyez qu'un par porte… Cependant, vous deviez effectivement faire un choix… L'instinct ou la raison… Et je crois sincèrement que votre côté bestial l'a emporté. Etait-ce le bon choix ? J'en doute…
Morgan, paralysé, fixait cet étranger. Sa douleur se réveillait au fur et à mesure que ce type parlait. Il poussa un gémissement et plaqua ses mains sur son visage.
-Non… NON !
L'homme sourit cruellement.
-Si. Vous avez tué deux de vos amis pour… rien. Simplement parce que comme nous, comme les tueurs en série… vous n'êtes qu'un animal, Morgan. Cependant, félicitations et bienvenue dans notre confrérie. La sortie est sur votre droite. Prouvez-moi une dernière fois que vous êtes le plus fort, Derek…
Avant que Morgan n'ait pu esquisser un geste, le tueur sortit un glock de sa poche et pressa le canon contre sa tempe.
-Adieu Morgan… et bonne chance.
Un coup de feu, suivi d'une pluie incarnate, s'éparpilla dans l'air lourd. Morgan tremblait convulsivement, tout en regardant le corps inerte… Ce crâne éclaté… Cette mélasse d'os et de cervelle qui s'étendait sur le sol.
-N… non… Reid… Hotch…
Il se tourna brusquement vers la porte qu'il venait de franchir… Mais il savait qu'il n'y avait pas de retour possible. Ses collègues étaient morts… à cause de lui. Sa conscience lui revenait brutalement. Il palpait le sang sur ses mains… Il hurla de douleur.
-MERDE ! MERDE ! MERDE !
A genoux, il se balançait violemment, d'avant en arrière en pleurant et criant. Sa voix se brisait dans sa gorge étrangement serrée. Il psalmodiait des excuses pitoyables, déchiré :
-Pardon… Non… désolée… Oh mon Dieu…
Il n'avait jamais eu aussi mal de toute sa vie. Il n'avait qu'une seule envie : en finir, arrêter d'exister. Il rampa lentement vers le cadavre qui semblait déjà jaunir sous ses yeux et attrapa le pistolet. Il enfonça le canon souillé dans sa bouche. Il sentit le métal froid cogner son palais. Un dernier « désolé » résonna dans sa tête.
Il appuya sur la détente…
Hébété, il regarda le sol, prêt à voir un gaz rampant le couvrir… Mais il n'aperçut que sa chemise trempée, abandonnée à un mètre de lui. Il portait un t-shirt inconnu… Mais quelle importance ? Un gaz mortel risquait de le tuer d'ici quelques secondes…
Ses mots martelaient son crâne.
Brusquement, la panique fondit sur lui et Reid se redressa brusquement, malgré ses blessures, perdu et affolé. Le gaz… ! Il allait crever ! Combien de temps lui restait-il ? Comment avaient-ils pu l'abandonner ainsi ?
Il étouffait déjà et lançait de petits cris désordonnés et perçants. Et sa mère ! Comment allait-on lui annoncer la nouvelle ? Retrouverait-on son corps ? Comment allait-elle faire toute seule ?
Et cette mort qui arrivait à grands pas… Serait-elle douloureuse ?
Il gémissait et se tenait la tête.
-Pitié… Non… Non… Pitié… STOP ! Je veux vivre… Pitié…
Il aurait presque aimé être déjà mort… Il ne voulait pas étouffer une seconde fois, sentir la vie quitter son corps, l'oxygène manquer… Il poussa un lugubre hurlement.
Il ne voulait pas crever !
Il balaya une seconde fois la pièce des yeux, assis sur le sol froid. Son cœur rata un battement lorsqu'il aperçut une porte rouillée entrouverte…
C'était trop beau pour être vrai.
Il s'agissait sans doute d'un traquenard… D'une autre pièce où il serait proprement gazé. Mais c'était également là que résidait son seul espoir de ne pas l'être… Il devait s'y rendre.
Incapable de se relever, il se laissa retomber au sol, sur le dos, et étouffa un cri de douleur. Faisant fi des couteaux dans sa poitrine, il prit une grande inspiration.
Il n'avait peut-être plus beaucoup de temps devant lui.
En gémissant, il rampa dans cette étrange position, s'aidant de son bras et de sa jambe valides. Il sentit le sol rugueux limer son dos, mais peu lui importait désormais… Il savait qu'il devait atteindre cette foutue porte. Il se sentait si faible… Chacun de ses mouvements était maladroit, douloureux presqu'insupportable… Mais chaque mouvement le rapprochait de sa seule issue et lui prouvait qu'il n'était pas encore mort.
Sans faire de pause, le souffle court, il parcourut ces quelques mètres. La transpiration perlait sur son front, se mêlant à ses larmes.
Il avait des poignards dans le torse, le bras et la jambe… Ainsi qu'un feu ardent dans son dos qui s'érodait sur le sol raboteux.
Il atteignit enfin la porte et l'ouvrit d'une main tremblante. Il découvrit une nouvelle pièce… Plus petite et vide. Elle aboutissait sur une nouvelle porte. Il poussa un glapissement étranglé, tout en cherchant une bouche d'aération d'où pourrait sortir le gaz. Après une inspection scrupuleuse et vaine, il se détendit un peu.
Il n'y avait rien de dangereux, là-bas. Du moins, rien de visiblement dangereux. Il se traina encore et entra complètement… De sa jambe, il repoussa le battant rouillé qui claqua derrière lui. Le bruit le fit sursauter et frémir. Il s'autorisa une brève pause.
Sa respiration haletante résonnait autour de lui, parfois entrecoupée par un gémissement.
Il ne savait pas ce qu'il faisait ici… Vers quoi il rampait… De nouvelles tortures ? Echappait-il au gaz pour endurer une mort plus douloureuse et plus cruelle encore ? Il se mordit la lèvre, à bout.
Plus que quelques mètres et il aurait au moins quelques réponses à ses questions.
Il serra les dents, plia sa jambe droite et poussa son corps blessé. Il recommença cette opération plusieurs fois… jusqu'à ce qu'il sente la nouvelle porte contre sa tête. Un courant d'air frais. Un frisson parcourut son corps…
Etait-ce possible que…
Il se redressa vivement à l'aide se son bras valide et chercha la poignée de la porte. Il la tourna en vain. Un étau se resserra autour de sa gorge. De l'air… L'extérieur… La vie… Derrière cette porte.
Mais elle était fermée !
Il poussa un cri étranglé… Il envoya son poing valide contre le battant. C'était fini… Il allait crever contre cette porte, si près de la liberté… Il ferma les yeux. Quelque chose de léger et de froid effleura son avant-bras. Un éclair de lucidité le traversa.
La clé.
Brusquement, il releva la tête attrapa d'une main tremblante le petit objet qui pendait à son poignet. Il dut s'y reprendre deux fois avant de réussir à l'introduire dans la serrure. Il tourna. Un déclic se fit entendre. Il recula lentement et tira la porte.
De l'air…
Un déclic métallique. Pas de déflagration… Aucune douleur. Il gémit et appuya une nouvelle fois sur la gâchette.
Rien.
Il retira l'arme couverte de sang, en pleurant. Il n'y avait plus de balle. Il poussa un cri pitoyable et lança le glock à travers la pièce.
Même la mort refusait de l'accueillir dans ses limbes d'oubli.
Morgan resta prostré, à terre, à côté du corps. Il ne savait pas comment arrêter la douleur. Il ne savait pas comment se racheter…
Reid et Hotch étaient morts à cause de son égoïsme.
Il resta ainsi un long moment, incapable de bouger. Sa culpabilité phagocytait ses pensées. Il se sentait vide… Horriblement faible, aussi.
Après de longues minutes, il se releva lentement et regarda sur sa droite. Une porte sur la sortie… Il n'avait espéré que ça… Mais cette victoire avait un goût amer.
Il tituba jusqu'à elle, tel un automate.
Plus rien n'avait de sens.
Il n'était plus qu'un assassin, un paria… Mais il devait sortir d'ici… Pour ne pas que ce sang sur ses mains ait vainement coulé.
Une partie de lui refusait toujours de mourir… Il devait l'admettre.
La partie irrationnelle qui l'avait emporté depuis un moment, restait ancrée en lui… Sa voix doucereuse le poussait à avancer. Après tout, Hotch aussi avait cédé à la loi du plus fort, non ? Il s'était aussi battu contre lui et avait abandonné Reid. Derek n'était donc pas plus monstrueux que lui. Cette idée l'aidait à sortir de sa douloureuse torpeur.
Ses muscles ankylosés et ses blessures corporelles n'étaient pas comparables aux tourments qu'il endurait à l'intérieur… Cette voix fielleuse pansait ces profondes « plaies », lui permettait de ne pas sombrer.
De continuer à lutter.
Son instinct le forçait à progresser, à ne pas se laisser abattre. Il ne pouvait pas se laisser crever ici, comme un rat… Pas après tout ce qu'il avait enduré.
Il arriva enfin à la porte, prit une profonde inspiration et l'ouvrit.
Ses yeux s'écarquillèrent.
A suivre…