La Loi du Plus Fort

Chapitre 7

Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/08/2011 00:50

Chapitre 7

Il semblait si paisible maintenant. Endormi, loin de ce calvaire. L'image se brouilla. Une larme tomba sur son visage serein. Hotch leva la tête vers Morgan, lentement.

Cette situation ne pouvait pas être réelle.

La douleur qu'il ressentait dans chacune des fibres de son corps, phagocytait ses sens et toutes pensées rationnelles. Il avait mal partout et ses souffrances semblaient s'aggraver lorsqu'il regardait l'état de son jeune agent.

Reid. Brisé.

Il émit une plainte étranglée et sentit de nouvelles larmes couler sur ses joues. Il ne pouvait pas croire que chaque seconde les enfonçait de plus en plus dans un cauchemar dont aucun d'eux ne semblait pouvoir échapper… Pourtant, cette profonde souffrance qui se lovait dans ses muscles, sa nuque, sa tête, dans tout son être, le maintenait parfaitement conscient et lui prouvait que les horreurs vécues étaient loin d'être le fruit de son imagination.

Tout était incontestablement réel.

Il ferma lentement les yeux, au bord de la nausée, tremblant de la tête aux pieds.

L'envie d'abandonner, de rester là avec Reid, de se laisser crever, l'assaillait et l'étouffait lentement.

De son côté, Morgan tournait en rond comme une bête en cage. Il semblait fou furieux et totalement absorbé par une lutte intérieure et viscérale. Sans se soucier de lui, Hotch caressa le visage de Spencer, indécis, accablé et prostré.

Pouvait-il réellement continuer à vivre, s'il le laissait ici, seul face au gaz qui se répandrait pour l'achever ?

La vision de cette fumée rampante couvrant le corps de son ami le révulsait plus que tout.

Il essuya les perles salées qui traçaient des sillons humides sur le visage de Spencer. Hotch se frotta ensuite les yeux. Sa tête douloureuse bourdonnait comme jamais et sa tristesse alourdissait cette pesante impression de claustrophobie qu'il ressentait depuis un moment.

Il avait besoin d'air. Il avait besoin de soleil. Il avait besoin de voir son fils, son équipe…

Soudain, un bruit mat suivit d'un juron éclata sur sa droite et le sortit brusquement de ses pensées. Morgan venait de frapper un mur dans une tentative vaine et désespérée de trouver une nouvelle issue. Son agent tenait fermement son poignet blessé et vociférait de nombreuses insultes à l'égard de leur invisible bourreau.

Inutile.

Hotch soupira.

-Qu'allons-nous faire?

Sa voix qu'il espérait forte, s'envola dans l'air, chevrotante, et se brisa sur la dernière syllabe. Derek se laissa tomber au sol, en face de lui. Sa large poitrine se soulevait de manière erratique, au rythme de cette peur qu'il dissimulait derrière une colère féroce et explosive.

-Je… On… On doit continuer…

Hotch serra les dents.

-On ne peut pas le laisser ici… Il va…

Sa phrase s'était interrompue, coupée net par le chagrin. Morgan baissa la tête.

-Je sais… Mais c'est lui ou nous. Et il ne peut plus avancer. Il ne pourra même pas atteindre la pièce suivante…Enfin… Vous préférez rester avec lui ? Comme vous voulez. C'est dommage, mais moi je n'abandonnerai pas.

Aaron fixa avec intensité son collègue qui parlait d'une voix enrouée par la colère et la douleur… Il tentait de puiser un peu de son courage, de sa détermination pour pouvoir se défaire plus facilement de son jeune agent et de sa culpabilité… Il le fallait, non ?

-Je… je ne sais pas ce que je préfère, Morgan. Mais… comment… comment continuer si on le laisse derrière ?

Derek pencha un peu la tête et son regard dément se posa enfin sur Hotch.

-On a fait de notre mieux…Tant pis pour lui.

A cette phrase, Aaron sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale… Comment pouvait-il être si… détaché ? Le visage déformé de Morgan finissait de le glacer sur place.

Son collègue, sans se départir de cette expression étrange, se leva brusquement sous ses yeux, coupant court à la conversation, et se remit à arpenter la pièce.

Ils devenaient cinglés.

Mais l'était-il autant que Morgan ?

Derek, semblait rompu par la situation et totalement indifférent à toute morale… Mais lui-même se sentait encore assez rationnel, capable de réfléchir…

Capable de raisonner son agent et de l'apaiser.

Il se leva précautionneusement et s'approcha doucement de son collègue qui frappait les murs. Derek était visiblement plus touché par le fait de devoir laisser Reid derrière que ce qu'il ne voulait le laisser entendre.

-Morgan calme-toi…

Son agent se frotta vigoureusement le crâne. Il craquait totalement.

-Que je me calme ! On est dans un TROU ! On va tous crever comme lui !... Mais je promets que s'il doit y en avoir un pour s'en sortir, ce sera moi… ! MOI ! Je ne veux pas mourir !

Il se mit à rugir, expulsant sa haine et sa folie. Hotch fit un pas en arrière, stupéfait de le voir ainsi. Il tenta à nouveau de l'apaiser : son agent devait impérativement recouvrer son bon sens.

-Morgan, on ne va pas mourir. On va se battre ensemble. Calme-toi… On va s'entraider.

Son agent fondit alors violemment sur lui et le poussa brutalement contre le mur.

-FERMEZ-LA! Je… je sais ce que vous voulez… Et si vous vous mettez en travers de mon chemin, je n'hésiterai pas un instant à vous dégager de là, compris ? Je ne suis pas idiot… Je le sais ! Je sais… que dés que j'aurai le dos tourné, vous me poignarderez pour passer devant… Donc… Arrêtez vos trémolos et votre compassion à la con pour Reid : c'est vous qui l'avez noyé il n'y a même pas dix minutes. Fermez votre clapet de merde et foutez-moi la paix… Je ne vous laisserai pas gagner, jamais... Je suis plus fort.

Ses poings s'enfonçaient dans sa cage thoracique et lui coupait le souffle. Hotch étouffait et, choqué, n'arrivait pas à réagir.

-Morg…

Le visage de son homme était à quelques centimètres du sien. Ses yeux tressautaient bizarrement dans leur orbite et sa bouche formait un triste rictus.

Morgan était déconnecté, ravagé… totalement cinglé.

C'était un animal qui l'écrasait contre le mur. C'était une bête dont le souffle pestilentiel et bruyant caressait son visage… Pas son agent. Pas Morgan.

-Arrête… C'est faux… Lâche-moi…Morgan…

C'était plus un sifflement qu'une phrase normale. Un grognement répondit à cet ordre et Morgan le laissa enfin tomber au sol, abasourdi.

Son agent s'éloigna à reculons, l'observa avec méfiance et se dirigea vers l'une des portes en agitant, d'un air menaçant, le marteau qu'il tenait maintenant fermement en main. Hotch, toujours à terre, le fixa, paralysé d'effroi et le vit s'engouffrer dans l'une des deux issues. Un raclement suivit d'un cliquetis désormais familier firent écho à son départ.

Un silence lourd et angoissé pesa sur la pièce. Figé, Hotch tentait de comprendre ce qui venait de se passer, de se réveiller de ce délire…

Hébété, il fixa Reid, toujours inconscient, toujours calme et éclata en sanglots…

Il avait l'impression de perdre le contrôle sur tout ce qui l'entourait…

La folie les rongeait, les usait et les rompait… Il posa son front sur ses genoux, terrifié à l'idée de perdre la raison. Il gémit doucement…

Combien de temps pourrait-il encore réfléchir, agir posément et ressentir des émotions ?

« Il est consolant de penser que si la folie ne gagne rien au contact de la raison, en revanche, la raison s'altère au contact de la folie. »Georges Courteline


L'obscurité s'abattit sur lui lorsqu'il referma la porte. Il se tint au mur, le souffle court, la tête sur le point d'exploser.

Reid n'était clairement plus dans la course.

Maintenant, c'était lui contre Hotch… Et il devait gagner. Il devait survivre. Plus rien n'avait de sens, à part ce mot : « survivre ». Ce terme le consumait, le brûlait mais lui permettait d'avancer, d'oublier ce qu'il venait de faire.

Condamner Reid…

Il s'en voulait, certes, mais il n'hésiterait cependant pas à abattre Hotch s'il le fallait puisqu'il était persuadé que son patron le doublerait si l'occasion se présentait…

Un rire lugubre secoua sa poitrine : Hotch le prenait-il pour un idiot avec ses «On va se battre ensemble. On va s'entraider ! » ? Il savait depuis les premières épreuves, que c'était chacun pour soi.

Que le plus fort gagne, donc!

Cet éclat sans joie, cette déchirure résonna un instant dans le couloir puis s'estompa dans l'air opaque, laissant place à une expression apathique sur le visage de Derek. Ses mains fébriles et tremblantes s'égarèrent sur les parois rugueuses qui s'enfonçaient plus profondément dans le cauchemar. Il avait déjà oublié ce bref instant de pure folie.

Morgan avança alors, prêt à détruire tout obstacle, obsédé par ce combat contre la mort. Après quelques secondes, ses jambes se cognèrent contre un bloc de béton. Il poussa un grognement satisfait, malgré la douleur à peine perçue par son esprit malade, et tâtonna les environs pour cerner la sortie obstruée. Il posa enfin ses mains sur le bloc.

Il survivrait, quoiqu'il arrive.

Il s'arcbouta et banda ses muscles. S'aidant de ses pieds, il arriva à déplacer le bloc dans un grondement sourd. Une odeur de poussière l'assaillit. Il continua, malgré la douleur fulgurante qui transperçait son poignet… La sortie fut rapidement dégagée et il s'engouffra dans une nouvelle pièce aussi sombre que le couloir.

A quatre pattes, avec prudence, soufflant bruyamment, il rampa dans l'obscurité et rencontra rapidement une barrière de fer. Ses doigts glissèrent sur les barreaux rouillés et tombèrent sur une poignée. Mais celle-ci ne céda pas.

Morgan émit un sifflement rageur et la secoua, ébranlant la structure de fer et décuplant la douleur qui émanait de son poignet. Du sang se mit à couler entre ses doigts pendant qu'il hurlait à mort.

Pour la vie.


Il posa un ultime baiser sur le front de son ami. Lentement, profitant de la douceur de sa peau. Il se leva ensuite, en chancelant, les larmes aux yeux. Il inspira profondément et avança vers la deuxième porte qui s'ouvrait béatement sur l'obscurité.

Il se fit violence pour ne pas se retourner, pour ne pas céder…Pour l'abandonner… Le dos bien droit, il fit encore quelques pas… Après tout, il restait Aaron Hotchner, l'homme inflexible, l'homme sans sentiment qui supportait toutes les épreuves.

Mais pas celle-ci.

Il arriva enfin devant la porte et se tint un instant au chambranle, incapable de la fermer. Pourtant les quinze minutes allaient sans doute bientôt s'achever… Et emporter sa vie avec elles.

Il se sentait vide et impuissant.

Il craignait de laisser sa raison derrière lui, une fois cette porte franchie et refermée à jamais sur son ami. Il craignait cette mort absolue qui allait faucher l'avenir prometteur du jeune homme inconscient.

Ses jambes ployèrent sous son poids et il tomba à genoux. Il se souvenait de la première fois qu'il avait vu Spencer. Son esprit vif et son innocence l'avaient frappé. Aujourd'hui, sa vulnérabilité le fouettait davantage.

C'était la fin.

Il pleura doucement et un compte à rebours aux inflexions implacables se fit entendre dans la pièce, l'étonnant à peine.

-10… 9… 8…

En sanglotant, il rampa et pénétra dans le couloir, se retourna une dernière fois, déchiré et terrassé par les remords. Observa Spencer Reid, étendu.

-…7…6…5…

Il poussa la porte qui claqua violemment derrière lui. Ce bruit tonitruant emporta toutes ses considérations. Hotch resta au sol. Il ne pensait à rien. Il ne voyait rien. Il souffrait. Il émit un long gémissement qui griffa les murs et ses propres tympans.

Il entendit le décompte se terminer.

Il imagina le gaz emplir la pièce et tuer lentement son agent. Il avait l'impression d'étouffer avec lui… Il pria pour que Reid ne se réveille pas, qu'il soit endormi jusqu'au bout, qu'il ne sente rien… Que sa vie s'échappe sans qu'il en ait conscience.

Hotch resta un long moment derrière la porte, à gémir et pleurer. Enfin, il sortit lentement de sa torpeur et se releva, ébranlé.

Après le choc et les larmes, venait ce moment d'accalmie et d'apathie. Cette période qui précédait la douleur lors de laquelle on décidait de la marche à suivre… La mort était passée. Il fallait combler ce manque, ce vide, occuper son esprit, oublier…

Survivre.

Hotch posa une main maladroite sur le mur de droite et avança en titubant. Il arrivait étrangement à faire abstraction de ce qui venait probablement de se passer dans la pièce précédente, comme si son subconscient tentait de le protéger de cette ultime souffrance… Il se sentait mis en quarantaine, écarté de la réalité, une fois de plus.

Mais il préférait, pour une fois, être épargné.

Il progressa lentement. Soudain, l'un de ses pieds rencontra une masse dure. Un bloc de béton. Sa respiration s'emballa légèrement, même s'il restait assez insensible à ce qui l'entourait, comme si tout son corps était recouvert par un voile épais et assourdissant.

La peur s'éveillait cependant doucement.

Il se mit à quatre pattes et prit une longue inspiration avant de pousser le bloc qui se déplaça difficilement. Une fois un trou assez grand dégagé, il passa avec précaution sa tête puis son corps. Un souffle rauque et furieux résonnait dans cette nouvelle pièce.

Le voile qui recouvrait ses sens se déchira un peu plus.

Il se releva silencieusement. Son cœur battait dans ses tempes. Il frissonna d'anxiété. La personne ou la chose était assez loin de lui. Il restait cependant sur ses gardes, prêt à riposter, à se battre.

Brusquement, la lumière foudroya la pièce et Aaron se retrouva aussitôt au sol, les mains plaquées sur ses paupières closes. Après quelques secondes d'intense douleur rythmée par ses propres cris, il rouvrit légèrement les yeux et vit Morgan, étalé, un peu plus loin qui grognait rageusement.

Une voix familière s'éleva.

« Il y a une porte. Vous êtes deux. Elle est fermée pour l'instant. Elle s'ouvrira dans dix minutes. Bonne chance. ».

Hotch resta pétrifié au sol. Sa main gauche attrapa inconsciemment le tournevis toujours accroché à son poignet.

Il savait qu'il ne pourrait pas raisonner Morgan : il baignait dans la folie et l'irrationnel. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était lutter…

Se battre contre lui. Jusqu'au bout.

A suivre…

 

 

 
 

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