La Loi du Plus Fort

Chapitre 6

Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/11/2016 15:32

Chapitre 6

Ses yeux fatigués s'égarèrent un instant et lurent douloureusement l'expression du visage de Spencer juste au moment où celui-ci plongea dans l'eau. Sa main droite serra plus fort le chronomètre sur lequel les secondes semblaient s'étirer à l'infini.

Résolution, douleur, peur, désespoir.

Une boule se noua dans son ventre. Son ami, son frère. Il allait regarder mourir ce jeune homme pour survivre. Un tremblement horrible parcourut son dos pendant que les larmes montaient brutalement dans ses yeux.

La culpabilité le rongeait d'autant plus que son ami ne semblait plus vouloir se débattre. Il avait accepté la mise à mort si facilement…

Il était écœuré.

Ecœuré d'être impuissant, d'être si peu courageux, de fuir le danger et d'abandonner son frère à ce triste sort.

Morgan détourna les yeux de cette masse immobile que les mains tremblantes de son patron tenaient fermement. Il regrettait. Il aurait voulu se jeter dans l'eau froide, relever la tête de Spencer, le sauver et se sacrifier à sa place… Mais une autre part de lui, la plus sournoise, la plus affreuse, soufflait sans cesse à l'oreille de sa conscience que s'il se mettait à la place de ce dernier, Hotch finirait tout de même le travail plus tard.

Oui.

S'il prenait sa place et si Reid survivait, il serait tout de même éliminé au prochain tour par Hotch. Il était trop faible pour se battre, lui. Morgan se doutait qu'il n'y en aurait qu'un seul d'entre eux qui sortirait vivant de cet Enfer. Un seul gagnant, c'était ce que souhaitait le malade qui les avait enfermés.

Et il refusait de perdre.

Qui plus est, il fallait préserver les plus forts pour une prochaine épreuve sans doute plus pénible encore… Et Spencer était déjà si faible…

Ces excuses, imprimées tel un leitmotiv, au plus profond de sa conscience, lui permettaient légèrement d'accepter la réalité qui se noyait dans le fond d'une baignoire miteuse pendant que les secondes s'égrenaient trop lentement.

Cependant, il ne se rendait pas entièrement compte que ses propres soupçons à l'égard d'Hotch le déshumanisaient autant que ce dernier. Tous deux se méfiaient l'un de l'autre et tentaient de se préserver au mieux, jusqu'à l'ultime épreuve.

Leur amitié avait implosé dans l'adversité. Aveuglés par la peur de mourir, de perdre et par leur suspicion mutuelle, ils avaient engendré le droit à la trahison. Ainsi, doucement, la loi du plus fort avait commencé son règne impitoyable, sans règles, ni limites…

Et Spencer en était la première victime.

Morgan ferma les yeux un instant, tandis que ses jambes devenaient cotonneuses et que ses mains tremblaient plus fort.

Reid…

Il rouvrit ses paupières et posa son regard embrumé sur Hotch qui pleurait doucement, les mains dans l'eau.

Pleurerait-il également quand il tenterait de le tuer ?

Amer et pétrifié, Derek resta distant. Il ne pouvait supporter la vue de son ami immergé. S'approcher était trop difficile. Il devait absolument voiler une partie de la réalité.

Ce n'était pas Reid.

Non et il ne tuait pas. Il sauvait. Il SE sauvait. Il avait fait le bon choix. Spencer était condamné, de toute manière.

Soudain, l'eau se mit à bouillonner. Derek regarda le chronomètre : une minute dix. Le bras valide de Spencer sortit de l'eau et s'accrocha à celui d'Hotch qui pleurait maintenant à chaudes larmes. Le spectacle était tout simplement horrible. Les doigts diaphanes et bleuis par l'eau s'agrippaient fermement, imploraient, secouaient, griffaient.

Une jambe sortit à son tour, grotesquement, éclaboussant les murs, Hotch et même Morgan qui, désabusé, observait la scène quelques mètres plus loin. L'intensité de la lutte contrastait avec l'immobilité des bourreaux.

Derek tomba au sol et se mit à gémir doucement, prononçant quelques mots d'une voix basse et rauque, recouverte par les tumultes furieux du jeune homme qui se noyait.

-Stop… On… peut pas… Spencer…

Il se leva brutalement, fit un pas, s'écroula de douleur, la tête en feu, éclaboussé par ces gouttes qui remplissaient les poumons de son petit frère.

Oui, son Frère

Il se releva encore, plus lentement et vacilla jusqu'à la baignoire. Derrière l'eau déchainée, se cambrait un corps qui se raccrochait désespérément à la vie.

-Reid… Reid…

Sa tête floue bougeait dans tous les sens, essayant d'atteindre l'air. Sans hésiter, pris d'une impulsion, Morgan jeta le chronomètre au sol et plongea sa main droite dans l'eau, en pleurant, sans se soucier de la douleur qui émanait toujours de son poignet blessé.

Ses doigts effleurèrent la peau douce et froide de son collègue. Il avait envie d'hurler, comme Reid… Le jeune homme se calma un instant à ce contact avant de recommencer cette lutte perdue d'avance, dictée par un instinct de survie qui suppléait sa paisible intelligence.

-Désolé, désolé…

Il fallut quelques secondes à Morgan pour se rendre compte que cette voix n'était pas la sienne mais celle d'Hotch. Effondré, griffé et paralysé d'effroi, il maintenait toujours Spencer sous l'eau.

Derek avait envie de le pousser, de tirer Reid de là, de serrer son fragile collègue contre lui… Il voulait qu'il vive. Mais il fallait que l'un d'eux se sacrifie. Il était trop tard pour faire machine arrière.

L'eau était devenue légèrement rosée…

Les ongles de Spencer qui étaient plantés dans les bras d'Hotch, relâchèrent lentement leur étreinte, leur prise, vaincus. Morgan rattrapa cette main qui lâchait prise et la serra dans la sienne. Il voulait au moins lui dire qu'il était là. Lui montrer qu'il ne l'abandonnait pas totalement… Il souhaitait tellement que Reid comprenne… Que Reid lui pardonne.

Derek dut se faire violence pour ne pas broyer ses doigts fragiles, tellement la douleur le sciait en deux.

La main de Reid serra légèrement la sienne, parcourue de spasmes, avant de s'éteindre et de s'immobiliser.

Le corps arrêta également de bouger. Un bruit mat retentit à côté de Morgan. Hotch était désormais à genoux. Le visage rouge et crispé dans une grimace étrange, il pleurait. Derek regarda encore la main si pâle dans la sienne. Elle était glacée.

Il était gelé.

En tremblant, il lança un regard hébété au chronomètre. Trois minute trente. Ses yeux hagards se posèrent encore sur cette foutue main qui gisait, flasque, dans la sienne. Il émit une longue plainte. Et sa vue se brouilla. Sa tête implosait.

Il se mordit la lèvre à sang pour retenir les sanglots qui secouaient déjà son torse. Délicatement, sa main immergée caressa le visage de Spencer.

Son frère. Son petit frère…qu'il avait tué.

Tout cela semblait si irréel… Reid ne pouvait pas… Non. Il ne pouvait pas être mort. Ils ne pouvaient pas l'avoir tué. Il était tellement brillant... Tellement fragile.

Trois minute cinquante.

Leurs vies s'étaient interrompues. Entre deux sanglots, Morgan tenta de faire réagir aussi bien la main que le visage de son collègue.

-Non… Ne pars pas… Reid... Je suis là… C'est bientôt fini…

Trois minutes cinquante-cinq.

Derek posa son front humide sur sa paume translucide. Ses lèvres teintées de désespoir l'embrassèrent ensuite doucement, dans un ultime au revoir.

Trois minutes cinquante-neuf.

Hotch se releva brusquement, les yeux fous de chagrin.

-Il… il y a… peut-être encore un espoir… Il ne peut pas être…Il faut le sortir de là !

Le mot était trop difficile à prononcer. Son unique syllabe sonnait comme une sentence irrévocable, dépareillée de solution. Un point final, bref et unique.

Derek sentit un espoir faible déchirer sa peine. Il se leva à son tour, sans un mot, lâcha avec difficulté la frêle main et attrapa les genoux de Spencer, délicatement, comme s'il pouvait encore lui faire mal. Hotch passa ses bras sous les aisselles de son agent et ils le soulevèrent ensemble, d'un accord tacite.

Ils le posèrent sur le sol crasseux. Hotch écarta vivement les cheveux trop longs de Reid et découvrit son visage étrangement paisible. Il posa ses mains sur la poitrine de l'agent et entama une réanimation rapide. Il entrouvrit les lèvres bleues et posa sur elles les siennes pour insuffler un peu de vie à son agent.

Morgan, hébété, tentait de se souvenir des statistiques de Reid…

« Après quatre minutes d'immersion le taux de survie est de 25%. Mais la température de l'eau peut faire augmenter ce pourcentage. En effet, si la température est basse la victime aura plus de chance d'être réanimée car le froid fait office de protection cérébrale. Par conséquent les risques de séqulles neurologiques sur la victime seront minimisés. ».

La voie de Spencer résonnait, limpide dans sa tête. Il posa à nouveau les yeux sur Hotch qui se battait pour faire revenir le jeune homme. Il fatiguait. Morgan sortit enfin de sa torpeur.

-Je… Je vais reprendre.

Il rampa à côté de son ami, le corps endolori et remplaça Hotch pour le massage cardiaque, doucement, pour éviter de planter la côté brisée dans son poumon gauche.

-Reid… Reviens. Pitié… Pitié…

Il ne savait pas s'il était vraiment utile de le sauver maintenant si la prochaine étape le condamnait à nouveau… mais il ne pouvait pas le laisser mourir.

Non. C'était Reid. C'était son ami.

Hotch continua le bouche-à-bouche, fébrilement. Morgan pleurait doucement. Le chronomètre affichait six minutes trente.

Soudain, le corps au sol se cambra et Hotch tourna la tête de Spencer qui cracha de l'eau avant de vomir.

-Reid ! Oh… !

Morgan laissa tomber le massage cardiaque et posa sa tête sur la poitrine de son collègue. Son cœur battait faiblement. Mais il battait. Le jeune homme au sol, les yeux fermés, gémissait de douleur. Hotch tremblait et sanglotait de joie, de peur et de honte.

-Désolé… Désolé…

Morgan ne savait pas si Reid pouvait ou non les entendre... Ces gémissements s'étaient taris. Il gisait désormais, inconscient, à leurs pieds.

Mais il respirait.

Jamais de sa vie, il n'avait été aussi soulagé de voir un torse se soulever de manière régulière. Derek leva des yeux emplis de larmes vers son patron qui caressait les cheveux bouclés de Reid, l'esprit torturé par ce qu'ils venaient de faire. Il savait parfaitement ce que ressentait Hotch en ce moment… La souffrance diffuse qui stagnait dans le ventre, qui devenait agressive dans la tête et qui broyait la moindre tentative pour y échapper… Il l'endurait, lui aussi.

La culpabilité était trop forte.

Morgan contempla encore le corps trempé de son ami.

Ils restèrent quelques minutes comme ça. Savourant la miraculeuse respiration de leur ami. Enfin, la voix d'Hotch brisa le silence.

-La porte s'est ouverte.

Morgan détacha ses yeux du corps de son ami et lança un regard apathique à ladite porte. Sans un mot, vidé de sa substance et écrasé de douleur, il se leva et souleva les genoux de Spencer avec une délicatesse infinie. Hotch prit le jeune homme par les épaules et tous les trois traversèrent la porte.

Derek déposa Reid au sol et la ferma sur leur cauchemar...


Hotchner s'assit sur le sol, à côté de Reid, le souffle court. Il avait l'impression d'étouffer. Il n'arrivait pas à réaliser ce qu'il venait de faire. Il posa un regard vide sur ses mains glacées, celles qui avaient maintenu son agent sous l'eau.

Il était devenu un monstre.

Il toucha délicatement le visage de Reid, les larmes aux yeux, priant silencieusement pour qu'il leur pardonne un jour… S'il en avait l'occasion. Morgan s'assit de l'autre côté. Tous les deux restaient indifférents à la pièce dans laquelle ils venaient d'entrer.

Il leur fallait du temps pour digérer l'acte qu'ils venaient de commettre.

Hotch avait beau réfléchir, il ne comprenait pas comment ils avaient pu en arriver là. Mais il devait absolument rester impassible, ne pas montrer ses faiblesses : Morgan s'y engouffrerait sans pitié. Il savait que Derek voulait à tout prix survivre.

Même au prix de leur vie.

Il passa une main lasse sur sa nuque encore douloureuse. Derek n'avait pas hésité à tenter de le noyer... Il était clairement dénué de compassion, d'empathie. Il baissa les yeux et regarda Reid qui semblait profondément endormi.

Mais était-il vraiment meilleur que Morgan?

Il se mordit la lèvre, rongé par la culpabilité, et avança une main tremblante qui effleura la peau translucide de Reid.

-Il est glacé et trempé.

Avant que Morgan ne puisse réagir ou proposer une solution, il commença à déshabiller le jeune agent. Il enleva délicatement sa chemise trempée et découvrit un torse maigre et pâle sur lequel dénotait un énorme bleu d'une couleur légèrement inquiétante. Il la jeta plus loin et enleva la sienne, puis son t-shirt. Il utilisa sa chemise pour essuyer un peu le corps de Reid puis lui enfila précautionneusement le t-shirt plus ou moins sec, trop grand pour lui.

-Voilà… Ca aidera un peu. Il aura moins froid...

Derek, prostré, l'observait sans dire un mot. Hotch recula un peu pour contempler Spencer qui gisait sur le sol, mortellement pâle, et éclata brusquement en sanglots. Ca ne lui ressemblait pas de craquer comme ça. Mais il ne pouvait plus supporter cette situation, cette peine, cette culpabilité, cette pression…

Il se sentait dépassé par les évènements. Il ne contrôlait plus rien… Pas même ses actes, vu ce qu'il avait fait à Reid… Il baissa la tête et continua à pleurer, silencieusement. Une colère sans nom suppléait lentement son désespoir.

Quelqu'un tirait les rênes de ce macabre jeu. Cette personne souhaitait qu'ils s'entretuent et gagnait à chaque fois qu'ils s'en prenaient à l'un d'entre eux… Mais quelle autre solution avaient-ils, sinon obéir aux règles ? Valait-il mieux se laisser mourir avec les autres ? Ou était-il préférable de crever sous le poids de la culpabilité après avoir tiré son épingle du jeu ?

Mourir…N'était-ce pas une manière décente d'en finir avec ces sinistres tortures ?...

Hotch gémit doucement. Seulement, il avait tellement peur de mourir. Comment ferait son fils, Jack, tout seul s'il mourait ici ? Il avait tant à perdre. Il ne pouvait pas se laisser abattre ainsi. Il devait cependant se promettre de ne jamais refaire ce qu'il avait infligé à Spencer.

Quoi qu'il arrive.Il devait se promettre de ne pas tuer pour survivre… Ils étaient une équipe après tout.

Fatigué, il releva enfin la tête et se frotta les yeux. Ils devaient continuer et se battre ensemble. Pas les uns contre les autres.

Il regarda enfin autour de lui et remarqua trois portes. Une qui semblait rouillée et inutilisée depuis un long moment… Et deux autres, plus basses, munies de poignées. Un message était grossièrement écrit avec de la peinture rouge au-dessus d'elles.

« Nous menons au même endroit. Même difficulté de chaque côté…Nous sommes deux. Vous êtes trois. Faites le bon choix. Vous avez 15 minutes pour choisir, après le gaz sera lâché et vous mourrez tous. »

Hotch gémit doucement. Reid ne pouvait plus continuer.

Sa promesse s'effaçait déjà…

A suivre…

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