La Loi du Plus Fort

Chapitre 5

Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 04:13

Chapitre 5

L'eau froide mordait son visage de ses dents aiguisées. Des milliers de piqûres plus ou moins vives parcouraient sa peau, ses lèvres, ses paupières et son front, telles de minuscules fourmis rouges.

Il retenait son souffle, avec l'impression étrange qu'il allait se passer une chose horrible d'une minute à l'autre. Allait-il avoir droit à une morsure fatale ? Il s'attendait presque à voir surgir de cette eau claire un monstre marin capable de le dévorer… Un frisson le parcourut, tandis qu'un poids alourdissait de plus en plus sa poitrine immobile. Sa tête elle-même semblait prise dans un étau de glace. Il serra légèrement ses poings refermés sur le bord glacial de la baignoire. Il devait tenir…

Soudain, Morgan tapota une fois son dos.

Première minute écoulée.

Une seule minute. L'évidence fut aussi limpide que le liquide dans lequel il trempait : il ne pourrait jamais tenir quatre minutes. Ses traits se crispèrent tandis que la réalité le frappait brusquement : pas de monstre, non... Mais l'obligation pour l'un d'eux de se noyer.

Une panique sans nom monta en lui : ce malade souhaitait qu'ils s'entretuent… Il avait envie de crier, de relever la tête, de fuir loin d'ici. Mais c'était impossible. Médusé, il ferma les yeux : il devait tenir encore un peu, essayer du moins !

Cependant, ses poumons s'embrasaient déjà lentement et semblaient hurler à son cerveau de réagir. Son corps entier se contractait et commençait à trembler sans qu'il ne le veuille.

Seulement une minute…

Sa tête tournait. Une pression étrange se forma autour de ses yeux comme s'ils allaient éclater.

Sa poigne sur la baignoire faiblissait. Il lâcha une partie de l'air qu'il avait dans les poumons dans un tourbillon de bulles. Le soulagement pour son corps fut de courte durée. Sa vie filait entre ses dents. Morgan posa ses mains sur son dos, sans doute inquiet de le voir se mettre à trembler.

Hotch secoua sa tête qui remontait contre son gré pour happer l'air indispensable. Soudain, son corps, dans un automatisme de survie, aspira une goulée d'eau qui pénétra directement dans ses poumons douloureux. Il hurla et tenta de la cracher, expulsant ses dernières réserves d'oxygène. Il avait l'impression qu'un brasier consumait sa poitrine écrasée de douleur.

Sa tête allait exploser. Les morsures s'étaient amplifiées et rongeait ses traits déformés.

Il n'en pouvait plus.

Il voulut alors se redresser, mais les mains de Morgan, sur son dos, l'en empêchèrent. De surprise, il lâcha le bord, avala de longues gorgées d'eau tandis que l'avant de son corps plongeait dans le liquide glacé. La panique et la terreur se mêlèrent désormais à la douleur.

Bordel. Morgan tentait de le noyer!

Il se mit à frapper l'air inconsistant que sa bouche et son nez ne pouvaient atteindre, tandis que les mains de Derek, étrangement chaudes par rapport à l'eau dans laquelle il était à moitié immergé, se plaçaient au niveau de sa nuque pour le maintenir dans la baignoire.

Il donna des ruades à son collègue, des coups de pieds qu'il espérait bien placés… Il planta ses ongles courts dans ses avant-bras, dans ses mains, et tenta désespérément de retenir sa bouche qui s'entrouvrait pour aspirer un peu d'oxygène…

Devant ses efforts vains et sa panique, ses poumons cédèrent alors tout à fait et se remplirent d'eau, pendant que son corps se contorsionnait dans cette lutte perdue d'avance.

Morgan ne cédait pas.

Il plongea ses mains dans l'eau et tenta de se propulser en s'appuyant vainement sur le fond. Désespéré, il griffa les bords de la baignoire, ne réussissant qu'à s'arracher un ongle… La douleur ne l'atteignit que très légèrement.

Ses pensées et ses forces le quittaient désormais rapidement. Il n'arrivait pas à croire que Morgan le tuait…Pourtant…

Une profonde haine éclaira d'un rouge pourpre ses yeux injectés de sang qui fixaient le fond écaillé de la baignoire. Son linceul.

Il allait mourir de la main d'un ami. Dans une baignoire rouillée. Sa vue se brouilla tout à fait, parsemée de tâche multicolores.

Il n'y avait plus d'espoir.Il arrêta de se débattre.

Brusquement, il se rappela alors de ce qu'il avait au poignet gauche… Et, sans comprendre d'où venait cette force sans doute tout droit sortie de sa colère et de son désespoir, il réussit à lever son bras gauche et à attraper le tournevis, en un seul geste… Il le planta alors violement dans le poignet de son collègue.

Un hurlement étouffé par l'eau résonna au-dessus de lui. Tout devenait noir pour Hotch… La pression sur sa nuque disparut. Dans un dernier effort, l'homme immergé appuya sa main poisseuse de sang sur le bord rouillé de la baignoire et réussit à s'extraire.

Il se laissa alors lourdement tomber sur le sol, en toussant et en crachant de l'eau. Ses poumons semblaient avoir été lacérés, écrasés et déchiquetés. Derek criait toujours, à quelques mètres de lui et poussait des jurons que même avec une imagination débordante, certains auraient du mal à comprendre.

Hotch rampa un peu plus loin, les yeux plissés et éclatés. Il craignait une seconde offensive de Morgan et savait qu'il n'était pas en position de se défendre après ça. Il serra le tournevis, tout de même prêt à lui infliger d'autres blessures s'il tentait de l'approcher.

Ses yeux se posèrent enfin sur le chronomètre qui était sur le sol. Trois minutes cinquante. Il n'avait même pas tenu quatre minutes. Tout cela n'avait servi à rien.

Morgan appuyait son poignet transpercé contre son torse et tournait dans la pièce en jurant. Il finit par se calmer et se laissa tomber au sol. Il resta un moment silencieux puis releva des yeux remplis de culpabilité vers Hotch.

-Hotch... Je... je suis... désolé. Il fallait que vous… teniez… J'ai… j'ai dérapé… J'ai perdu les pédales… C'est impossible de tenir quatre minutes... Mais on va crever ici... et j'ai pris peur... Désolé...

Aaron sentit une colère innommable éclater en lui, mais il resta impassible. Derek avait voulu le noyer. Il ne l'oublierait jamais. Il mentit donc calmement.

-Je comprends.

Il se tut et réfléchit un instant, froidement. S'il voulait lui aussi s'en sortir, il fallait devenir un allié de Morgan. L'empêcher de le poignarder dans le dos. Il posa alors ses yeux sombres sur son collègue et expliqua d'une voix un peu rauque :

-Je pense qu'il faudrait garder nos forces. Je veux dire, si on a une autre épreuve… physique… On aura peut-être besoin l'un de l'autre. Il vaudrait donc mieux qu'aucun de nous deux ne tombent dans l'inconscience à cause de cette épreuve.

Ses propres paroles le dégoûtaient… Mais s'il voulait espérer revoir sa famille, il devait impérativement laisser tomber quelques principes. Derek se frotta le front et baissa les yeux, honteux d'admettre qu'il était d'accord avec Hotch. De toute manière, comme son patron avait pu le remarquer, les coups bas étaient de son ressort depuis qu'ils étaient ici.

Un silence pesant s'installa dans la pièce pendant que les deux hommes reprenaient leur souffle.

Pas besoin de mots pour exprimer clairement l'idée qu'ils avaient derrière la tête. Tous deux comprenaient parfaitement où Aaron voulait en venir.

Ce dernier posa d'ailleurs ses yeux sur Reid qui les fixait de ses grands yeux écarquillés de douleur. Il semblait les supplier de l'oublier…

Apparemment, lui aussi avait compris où il voulait en venir…


Un cauchemar. Pourtant la douleur était tellement présente. Elle irradiait de ses blessures et galopait dans chaque fibre de son corps, faisant vibrer ses nerfs à vif. Chaque respiration était un calvaire et même l'immobilité ne le préservait pas de douleurs intenses au niveau de son bras et de sa jambe fracturés. Il avait tellement envie de pleurer, d'hurler, de fuir, de crever… Il ne pouvait pas croire ce qu'il avait vécu, ce qu'il avait vu à l'instant…

Ces collègues étaient des monstres.

Malgré son état, il avait rapidement compris ce que sous-entendait Hotch. Mais son cerveau ne pouvait pas l'admettre… Tout comme il n'acceptait pas ce qu'ils lui avaient déjà fait. Il posa un regard suintant de peur sur ses membres brisés.

Non, ils ne pouvaient pas. Pas encore.

Morgan lui avait tenu la main… L'avait aidé durant l'enquête sur son père… Hotch lui avait appris à tirer… Lui avait essuyé le visage avec une tendresse presque paternelle, il y a quelques minutes.

Et ils allaient le noyer ?

Le jeune homme éclata en sanglots, rapidement entrecoupés de gémissement : il avait trop mal pour pleurer… Et pourtant, il ne pouvait s'arrêter.

-Pi… tié… C'est ce… qu'il… souhaite… Nous divi… ser… Il y… a… sans… doute… une… autre… solution…

Parler, articuler sans hurler était un calvaire. Hotch s'était levé, menace inéluctable.

-Reid, calme-toi. Tu vas prendre de grandes bouffées d'air…

Le jeune homme au sol en aurait bien ri s'il ne pleurait pas déjà. Comment, avec une côte brisée, pouvait-il prendre de « grandes bouffées d'air » ?

-Non…

Morgan se leva à son tour.

-Reid… On va tous crever si tu ne fais pas un effort.

Son culot rendait le désespoir de Reid encore plus grand… Quel effort, lui, avait-il fourni jusqu'à présent ? Il n'avait fait que le tabasser et avait tenté de noyer son patron pour ne pas devoir endurer les tortures imposées par le psychopathe qui les avait enfermés ici ! Le jeune homme secoua la tête.

-Ne m'approchez pas… Stop… J'en peux… plus… et… j'ai… déjà… tellement mal…

Chaque mot lui arrachait des souffrances supplémentaires… Mais il espérait toujours pouvoir les convaincre, les empêcher de commettre l'irréparable. Il s'accrochait à l'idée qu'ils devaient encore avoir une conscience en eux. Hotch avança et se posta à côté de lui.

-Désolé, Reid.

Il passa ses mains sous ses bras. Le jeune homme esquissa un mouvement pour qu'il le lâche mais ne put qu'en tirer l'impression d'un poignard planté dans son torse. Il hurla, amplifiant la douleur. Ses yeux embués de larmes ne virent pas Morgan s'avancer à son tour. Il sentit sa poigne ferme sur ses jambes, au niveau des genoux.

Ignorant ses cris, les deux hommes au-dessus de lui échangèrent des propos dénués d'émotion… Du moins, en surface... car derrière leur terrible détermination, on pouvait voir poindre des larmes et une épouvantable souffrance morale.

-Je pense que si on le couche entièrement dans la baignoire, il aura moins mal.

Il se préoccupait de ne pas lui faire trop mal… La meilleure ! Il allait mourir : autant que ce soit dans le confort d'une eau qu'il imaginait glaciale, n'est-ce pas ? L'ironie de la situation l'accablait.

Spencer gémit alors doucement, rompu, brisé et désespéré. Il avait l'impression d'être déjà mort, de n'être qu'un corps condamné à souffrir éternellement… Le fait qu'ils parlent de lui à la troisième personne renforçait cette idée.

Un monde le séparait déjà d'eux.

A partir du moment où ils avaient choisi la facilité et non l'amitié… A partir du moment où ils avaient dépassé la fragile limite qu'ils s'étaient toujours imposés… Tout était fini pour lui. Il n'y avait pas de retour à ce genre d'actes. Le premier coup de marteau avait signé sa fin. Après cela, ils étaient capables de tout lui faire. De lui faire mal encore et encore...

Et de trouver ça normal, banal...

Pour survivre, les plus forts écrasaient les plus faibles. C'était ainsi dans la nature… Spencer avait espéré qu'ils se battraient contre cet instinct animal, au nom de leur amitié. Mais clairement, ils préféraient largement le sacrifier plutôt que de souffrir eux-mêmes.

La voix de Morgan le sortit de ses pensées et de la torture constante qui s'opérait dans ses membres et sa poitrine.

-Vous avez raison… Si on l'appuyait contre le bord, il risquerait d'avoir trop mal, avec sa côté fêlé.

« Il »… Toujours « il »… Plus de « Reid » ou de « Spencer »… Plus de « tu », aussi. Spencer lança un ultime regard à ses bourreaux qui ne lui jetaient même pas un coup d'œil. Sans doute par crainte de ne pouvoir continuer cette sordide mise à mort qu'ils avaient entamée… Car le jeune agent savait qu'il ne survivrait pas à la noyade… Pas dans son état.

Ils le soulevèrent plus haut, toujours en l'ignorant, et le plongèrent dans l'eau. Il poussa un cri que lui seul sembla entendre. Le liquide était glacial.

Son bras gauche et ses jambes cognèrent le fond de la baignoire. Une décharge électrique parcourut tout son corps et il poussa un nouveau cri avant de se mettre à pleurer.

Ses deux collègues évitaient soigneusement de le regarder. Pourtant, il avait besoin, puisque tout était perdu d'avance, d'un peu de courage à puiser dans leurs yeux, de sentir que quelque part, ses amis avaient un jour été sincères avec lui.

Il allait mourir, après tout...Lui insuffler un peu de courage pour le grand saut aurait été la moindre des choses...

Il se sentait trop fatigué pour se rebeller contre cette idée, d'ailleurs. Il les laisserait faire… Puisqu'il ne pouvait les faire plier, autant ne pas se faire plus mal… La noyade serait déjà assez douloureuse… Il allait sentir l'eau s'engouffrer lentement dans ses poumons, son corps allait alors se battre contre son gré, puis il allait mourir asphyxié, dans un silence glacé.

Il ferma les yeux et, pour oublier toutes ces images qui défilaient dans sa tête, pensa à sa mère, même si la douleur et la peur l'empêchaient de réellement se concentrer.

Il sentit les mains d'Hotch se poser sur ses épaules.

Il respira alors une dernière fois…

Il aurait tant aimé pouvoir capter l'air sec et chaud saupoudré de sable de Las Vegas... Une brise tout droit venue du désert, réchauffée par le soleil infini qui baignait toujours la ville d'une clarté inoubliable… Il aurait tant aimé sentir autre chose que le froid qui enveloppait à cet instant son corps…

L'air humide aux relents de putréfaction emplit ses poumons.

Une dernière inspiration. Une douleur immense.

Des larmes glissaient encore sur ses joues, sans un bruit. Doucement, les mains froides qui l'avaient guidé, aidé, félicité le poussèrent dans l'eau. Il y glissa lentement.

Il se sentait bien trop jeune pour mourir. Il avait encore tant de choses à faire !

Il entendit le déclic du chronomètre que Morgan remettait à zéro.

Pourquoi ne le tuaient-ils pas avant ? Pourquoi ne l'assommaient-ils pas pour qu'il puisse être enfin délivré de ses souffrances et mourir en paix –vu qu'il semblait certain que ses collègues ne reculeraient désormais plus-… ?

Il arrêta là ses questions… Il n'avait aucune réponse, de toute manière.

Son visage plongea ensuite dans cet univers glacé et oppressant.

C'était la fin...

A suivre…

 

 
 

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