La Loi du Plus Fort

Chapitre 4

Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/08/2011 00:44

Chapitre 4

Le hurlement le fit sursauter. Son cœur était sur le point d'éclater. Ses mains tremblaient… Sa confusion atteint son comble lorsqu'il remarqua que la jambe brisée se pliait sous ses doigts, à un endroit assez inhabituel. Reid hurlait à la mort.

Comment un être si fragile pouvait-il crier ainsi ?

Morgan, ne lâcha pas le mollet qui tentait encore de le repousser en vain. Une nausée lui retourna violemment l'estomac et il dut se faire violence pour ne pas dégueuler. Il venait de frapper son ami…

… Et il devait encore lui briser un membre et une côte.

Il tenta de rester raisonnable, de ne pas se laisser submerger par son dégoût : il savait que s'il ne finissait pas le boulot, ils mourraient tous. Il posa alors ses yeux injectés de sang sur son ami qui pleurait.

Il attendit quelques secondes, encore… Incapable de recommencer tout de suite, au bord de la crise de nerf. Il devait impérativement oublier qu'il s'agissait de Reid. Il devait être sourd à ses cris.

Il observa la jambe… Le tibia de Spencer avait été brisé net… Il pouvait voir sous la peau translucide une moitié d'os qui affleurait sur le côté.

Ecœuré, il posa doucement la jambe frémissante, pendant que Reid se tordait dans les bras puissants –et ô combien impuissants- d'Hotch. Son visage pâle semblait disparaître derrière des yeux implorants et baignés de larmes. Ses cris se calmèrent doucement, comme si même hurler était devenu dérisoire et trop douloureux.

Derek sentit ses nerfs se rompre et éclata en sanglots.

-Désolé Reid… Il le faut… Tu es le plus faible… Si on doit encore pousser un bloc de béton… Tu ne pourras pas… Désolé…

Il ne reçut pour réponse qu'un gémissement pitoyable.

Cependant, sa culpabilité n'entachait que légèrement sa détermination : il devait continuer. Péniblement, certes, mais ne valait-il pas mieux pour Reid, de souffrir un peu, plutôt que de mourir ?

En tremblant de la tête au pied, il attrapa le bras gauche de Spencer. Ce dernier essaya de lui échapper, de se retirer, de le frapper, en vain. Morgan le sentait trembler de peur, de douleur et de désespoir. Il crevait d'envie de rassurer Reid, de lui dire que tout irait mieux après… Mais il savait pertinemment que le calvaire allait durer encore un long moment. Il enroula ses doigts humides autour du manche en bois, serra les dents, leva le poing et abattit violemment le marteau sur l'avant-bras de Reid.

Son cri, plus proche, lui perça les tympans et le fit reculer en titubant. Sa tête lui tournait. Le hurlement s'interrompait juste pour reprendre de plus belle. Derek leva les yeux vers Hotch qui, livide, immobilisait leur si fragile collègue contre lui.

Il fallait avouer que la facilité de l'acte le rendait d'autant plus écœurant.

S'en prendre à Spencer, c'était bas, ignoble… Il en était parfaitement conscient. Mais il ne pouvait pas se résoudre à s'automutiler, surtout dans une telle situation. S'handicaper d'une fracture pouvait le condamner et il était prêt à tout faire pour s'en sortir vivant.

Il sortit doucement de ses pensées. Les hurlements s'étaient à nouveau taris. Le jeune homme ne se contorsionnait plus tant, il suppliait doucement, d'une voix éraillée par la douleur. D'une voix aussi brisée que ses os.

-Pitié… Stop… arrêtez… Je vous… en supplie… Morgan… Hotch…

Derek sentit de nouvelles larmes affluer dans ses yeux. C'était horrible. Ses jambes étaient cotonneuses et son esprit désorienté. Son regard roulait sur l'ignoble scène qui lui faisait face, tandis que sa main s'ankylosait sur le manche moite.

Il avait encore envie de vomir.

Il ne desserra cependant pas son poing et s'avança vers son ami secoué de légers spasmes douloureux. Hébété, Morgan posa les yeux sur le bras blessé qui pendait à côté du torse de Spencer, plié en trois. Il frissonna et tenta de ne pas imaginer ce que Reid pouvait penser et ressentir.

Il ne devait plus s'impliquer. Il leur sauvait la vie, après tout.

Il posa une main hésitante sur le torse du jeune homme, qui se soulevait de manière erratique. Celui-ci gémit plus fort, à bout de force, à limite de l'inconscience.

-Pitié… Non... Morgan…

Sa main qui l'avait rassuré, cherchait fébrilement l'endroit où frapper. Derek resta sourd aux implorations de Reid. Il n'avait plus beaucoup de temps devant lui pour effectuer ce « travail ».

Il laissa ses doigts courir sur les côtes à fleur de peau… Il pouvait sentir le sillon se creuser entre elles à chaque inspiration du jeune homme. Il s'arrêta sur la dernière, à gauche.

Le corps, dans un dernier effort tenta de se retourner, mais les bras d'Hotch renforcèrent leur prise et le mouvement à peine entamé se finit en léger sursaut.

Spencer se mit à sangloter sous la paume de Morgan. Ce dernier tenta de recouvrer un minimum de distance pour frapper une dernière fois.

-C'est bientôt fini… Shhht…

Il leva une ultime fois le marteau et frappa le corps de Reid. Un craquement sinistre accompagna la côte qui cédait.

La cage thoracique de Spencer se souleva brutalement. Des constellations pourpres éclaboussèrent le visage de Morgan, tandis que le braillement de Spencer se finissait en une toux inquiétante.

Horrifié, Derek vit le jeune homme encore cracher du sang et se tordre, les yeux révulsés par la douleur.

Hotch posa le jeune homme estropié au sol et Morgan lui tourna le visage pour qu'il puisse éjecter le sang qui lui remplissait lentement la bouche.

Une angoisse innommable lui rongeait les tripes. Spencer avait-il un poumon perforé ? Etait-ce grave ? Et surtout…

Allait-il peut-être mourir par sa faute ?

Avant qu'il n'ait pu s'en rendre compte, il pleurait à nouveau et s'excusait entre deux sanglots.

-Reid… Accroche-toi… Ca va… ! C'est fini !

Reid se calma lentement. Derek se demanda un instant si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle… Mais le jeune homme, malgré son visage creusé par la douleur et ses lèvres constellées de sang ne semblait pas vouloir partir. Se plonger dans ses grands yeux marron revenait à plonger dans un bain d'horreur, de terreur et de souffrance où toute confiance et tout espoir s'étaient éteints.

Soudain, un raclement les fit tressaillir et les sortit de leur torpeur. Morgan leva brusquement la tête et vit qu'une porte s'était entrouverte.

Une profonde lassitude se répandit dans sa tête. L'amertûme remonta lentement dans sa bouche.

L'Enfer continuait.


Ses mains tenaient toujours les épaules de Reid. Il les sentait trembler, il sentait la douleur irradier par vagues successives de ce corps frêle.

Et lui-même se sentait coupable.

Une partie de lui était cependant soulagée de ne pas avoir dû frapper… Tenir le jeune homme avait été pénible, mais il n'osait pas imaginer ce qu'avait dû ressentir et vivre Morgan qui l'avait frappé de face, qui l'avait brisé… qui avait sentit les os craquer et se rompre sous son marteau.

Il frémit et lâcha Reid au moment où la porte s'ouvrit.

Il la regarda un instant et, presque indifférent désormais, préféra reporter son attention sur Spencer.

Le jeune agent ressemblait à une poupée cassée, jetée à même le sol. Ses membres formaient des angles étranges avec son corps et ses yeux fixes étaient rivés sur le plafond gris sale.

De profondes cernes soulignaient son regard vide et douloureux.

Hotch se releva doucement et s'adressa d'une voix qu'il espérait assez posée, à Morgan.

-Tu le prends par les jambes ?

La douceur de son ton contrastait avec la violence des sentiments qui l'assaillaient. Derek acquiesça, abruti.

Hotch prit délicatement les épaules du jeune homme. Reid gémit aussitôt et ferma enfin les yeux, le visage plissé.

Morgan souleva prudemment ses jambes, à partir du genou, pour ne pas toucher la fracture, mais cela n'empêcha pas Spencer de souffrir.

Ils le portèrent lentement hors de cette salle de torture. Il restait assez léger pour un homme. C'est sans difficulté qu'ils passèrent la porte. Ils posèrent leur collègue sur le sol, doucement. Hotch se pencha au-dessus de lui.

Il sortit un mouchoir de sa poche et essuya presqu'avec tendresse le visage ensanglanté et baigné de larmes de Reid.

Dérisoire moyen de se racheter.

Spencer rouvrit des yeux fatigués et implorants. Sa bouche resta close. S'il l'avait ouverte, il n'aurait pu que crier.

Et il n'avait plus la force de crier.

Hotch entendit Morgan fermer la porte derrière eux. Il n'osait pas vraiment lever les yeux, regarder autour de lui. L'ignorance était tellement douce.

Et il devait s'occuper de Reid.

Il sentit Derek passer à côté de lui, s'enfoncer dans la pièce… Un très mauvais pressentiment s'insinua alors en lui.

Il continua pourtant à regarder Reid qui le fixait avec intensité. Il devait abominablement souffrir… Pourtant, il se taisait, ne pleurait plus. Il s'accrochait.

Soudain Hotch entendit Morgan frapper quelque chose. Il se retourna vivement et vit son collègue cogner désespérément une nouvelle porte en acier.

Ils étaient à nouveau enfermés.

Hotch, impassible, se demanda quelles horreurs ils allaient à nouveau devoir accomplir pour pouvoir passer à la pièce suivante où la torture recommencerait, sans fin.

Il laissa son regard s'égarer dans la pièce et aperçut une baignoire sale dans le fond de la pièce, à sa droite. Il ferma les yeux, incapable d'imaginer ce qu'il y avait dedans.

Mais il devait être fort.

Il devait s'accrocher, comme Reid… Il devait faire face, survivre. Il était prêt à commettre le pire pour ça.

Il ne pouvait pas perdre.

Il lâcha Spencer qui resta seul au sol, délaissé par ses « amis », et s'approcha de la baignoire, avec une certaine appréhension. Morgan était assis contre la porte et jurait. Hotch ne s'intéressa pas à lui. Si Derek avait besoin de laisser exploser sa colère, qu'il le fasse. Chacun sa manière de réagir.

Et chacun pour soi.

Hotch se pencha doucement au-dessus de la bassine et fut presque surpris d'y découvrir ce qui ressemblait à de l'eau.

Simplement de l'eau. C'était tellement inoffensif. Etait-ce vraiment tout ?

Un vertige l'assomma un instant et sa vue se brouilla. Des taches multicolores dansaient sous ses yeux. Sa tête lui tournait et les crampes l'assaillirent encore pendant un moment.

Il dut s'asseoir à terre pour ne pas s'écrouler. Son corps était rompu, son esprit déconnecté et pourtant tellement éveillé à la souffrance… Il resta au sol et mit sa tête entre ses genoux pour ne pas s'évanouir. Il sentit Morgan venir à côté de lui.

Sans se soucier de lui.

Soudain, la voix tellement redoutée s'éleva à nouveau.

« Je souhaite voir une tête immergée sous cette eau durant quatre minutes. Vous trouverez un chronomètre sous la baignoire. Vous avez 30 minutes… »

La voix inhumaine se mit doucement à fredonner :

« T'arrive-t-il de vibrer pour un autre que toi,

Et retenir ton souffle pour qu'il respire à ta place ?...

Bonne chance. »

Hotch leva un regard éteint vers l'arête de la pièce et remarqua le voyant rouge de la caméra qui filmait leur déchéance.

-Morgan, tu es fort en apnée ?

Il se tourna vers son collègue qui secoua la tête.

-Je ne pense pas. Mais il va bien falloir qu'on le soit, non ?

Hotch laissa glisser sa main sous la baignoire et en sortit un chronomètre poussiéreux.

-Oui, il va bien falloir…

Il se releva doucement, en vacillant. Il observa son reflet dans l'eau lisse et si inoffensive. Ses traits étaient tirés, son visage recouvert d'éclaboussures de sang… Il avait l'air pitoyable et déjà vaincu… Mais ses yeux brillaient toujours d'une certaine vigueur, d'un besoin de gagner, d'avoir le dernier mot…

Il trouverait un moyen pour réussir cette épreuve. Pour son ex-femme et son fils. Il ne pouvait pas mourir ici. Il avait trop à perdre. Tant de gens comptaient sur lui…

Il observa le chrono et fit quelques essais.

-Tu y vas ou j'y vais ?

Il espérait que Morgan se propose, mais tous les deux redoutaient une mauvaise surprise. Ca semblait presque facile, cette épreuve. Cette eau paisible ne cachait-elle donc rien de terrible ?

-Après vous, Hotch.

Il soupira et lui tendit alors le chronomètre. Précautionneusement, il trempa un doigt dans le liquide limpide.

Aucune brûlure mis à part celle du froid.

Il n'y avait rien dans la baignoire qui aurait pu laisser suggérer qu'il allait lui arriver un malheur… Mais la méfiance dans ce genre de situation était de mise. Il immergea son bras et suivit de la main les parois rugueuse, sentant l'émail écaillé se désagréger sous ses doigts.

Rien de terrible en l'occurrence.

En dernier, il posa une goutte d'eau sur sa langue. A part un léger goût de fer, elle n'avait aucune saveur.

Passablement rassuré, il prit de longues inspirations pour remplir ses poumons d'oxygène.

Il ne voulait pas trembler, faillir ou reculer devant le sadique qui les observait. Il inspira encore profondément et plongea sa tête dans l'eau glacée. Il était persuadé d'une chose, au moment précis où son visage fut frappé par le froid… Par n'importe quel moyen…

Il gagnerait.

A suivre…

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