La Loi du Plus Fort

Chapitre 3 : Sacrifices...

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Dernière mise à jour 08/11/2016 16:47

Chapitre 3

Parfaitement déconnecté, les yeux dans le vague, il suivit les deux autres en vacillant. Ses pensées tressautaient comme un vieux film usé. Passant tantôt de l'image de son ex-femme et de son fils, à celle de l'immonde réalité qu'il vivait aujourd'hui. Il tentait de se préserver au mieux de cette douleur lancinante, de cet atroce goût de mort qui s'était amèrement répandu dans sa gorge sèche… Mais il savait qu'il devait rester vigilant. Pour Reid, pour Morgan. Pour lui.

Il essuya lentement sa bouche dégoulinante d'un sang aussi noir que la nuit et s'appuya contre le mur pour avancer péniblement, comme un automate, vers la sortie.

Une porte. Un espoir. Y croyait-il vraiment ?

Plus rien ne semblait avoir de sens. Sa vie basculait inéluctablement vers un puits sans fond et, dans son esprit, son subconscient répétait inlassablement, d'une voix traînante et horriblement détachée, que tout ne faisait que commencer.

Un frisson d'horreur lui parcourut l'échine, tandis qu'il passait l'encadrement en acier… Il sentit ses jambes se courber sous son poids et dû se tenir au chambranle de la porte pour ne pas s'écrouler sur le sol.

Une phrase en lettres de sang les attendait, étalée sur les murs d'une pièce éclairée mais presqu'entièrement vide.

« Fermez la porte derrière vous »

Hotch sentit un désagréable picotement parcourir ses membres engourdis par l'atrocité de ce qu'ils avaient déjà dû faire. Un sentiment étrange et inexplicable s'infiltrait en lui. Il fixa, hébété, le mot qui leur faisait face, chaque lettre s'imprimant douloureusement dans ses pupilles dilatées. Cherchant une réponse, une explication à ce mot, il se tourna vers ses coéquipiers.

Debout, Reid fixait le fond de la pièce, perdu dans une souffrance sans nom tandis que Morgan, assis sur le sol froid, avait le visage tourné vers ces quelques mots, aussi abasourdi que lui.

Aaron tenta de rassembler ses pensées, faisant fi des crampes qui lui tordaient encore l'estomac, et détourna les yeux de ses collègues en état de choc.

Pourquoi fermer la porte ? Pour les enfermer ? Pourquoi obéir ?...

Soudain, les paroles de Reid affleurèrent doucement à la surface de sa conscience. Le picotement s'intensifia. Il eut soudainement l'impression que tout son corps allait s'embraser tandis que son esprit éclatait.

Le Zyklon B… Un gaz mortel… Dix minutes… LA PORTE !

Brusquement arraché à sa torpeur, il se retourna vivement et poussa la porte dans un cri de rage. Elle claqua dans un bruit sourd, telle une pierre tombale scellant à jamais un tombeau, avant d'émettre un cliquetis et de se fermer définitivement.

Le cœur battant, Hotch fit quelques pas en arrière, comme s'il avait été réveillé d'un affreux cauchemar pour tomber dans un autre.

Il lança un regard horrifié à Morgan qui le dévisageait, les traits tirés et les yeux écarquillés de surprise.

-Je… Le gaz… On allait…

Hotch s'arrêta un instant, incapable de continuer… Incapable de prononcer cette sentence irrévocable qui planait au-dessus de leurs têtes.

Morgan n'insista pas.

Les jambes d'Aaron tremblaient tandis que ses sens encore légèrement ankylosés se ranimaient, fouettés par l'adrénaline qui l'avait submergé. Il se laissa tomber au sol, à côté de Morgan qui avait fermé les yeux.

Aaron posa ses mains sur ses jambes, tentant de calmer les tressaillements qui le parcouraient de part en part. Il savait qu'il devait se reprendre, cacher sa peur aux deux autres. Après tout, il était leur patron et s'il ne voulait pas perdre son autorité, sa crédibilité, il devait rester fort et droit.

Immobile, l'homme au sol respira plusieurs fois profondément, avalant à chaque goulée des filets putrides et noirs d'air horriblement teinté de mort.

Soudain, une voix s'éleva dans la pièce, déchirant violemment le silence compact et menaçant qui pesait sur eux.

« Vous avez réussi la première épreuve. Rassurez-vous, la deuxième est moins pénible. Je vous demande simplement d'aller vers le fond de la pièce et de ramasser ce qui se trouve au sol. Chacun d'entre vous choisira un seul objet et se l'attachera au poignet. Vous n'avez le droit qu'à un seul objet et vous ne pouvez faire d'échange ou prendre celui d'un autre sous peine de signer votre arrêt de mort. Choisissez bien. »

La voix se tut, rendant au silence son règne absolu.

Hotch leva ses yeux sombres vers le fond de la pièce et remarqua enfin l'amas de draps tachés de sang que Reid fixait depuis un moment. Ce dernier n'avait d'ailleurs pas bougé, figé dans une position raide et tendue… Insensible à cette réalité impalpable, si grotesque qui se déroulait sous leurs yeux.

Aaron se leva doucement et aida Morgan à faire de même. Il se sentait vide, dénué de toute raison. Il n'avait plus vraiment peur, à nouveau légèrement coupé de la réalité.

Il savait juste qu'il devait ramasser quelque chose… Qu'il devait s'attacher quelque chose au poignet…

C'était tout.

Il avança d'une démarche assez raide et passa à côté de Reid sans se soucier de lui. La pièce entière tournait, son sang battait dans ses tempes et ses oreilles bourdonnaient. Tout son corps souffrait et sa tête semblait incapable de réagir, de mettre un nom sur sa douleur ou de ressentir la moindre compassion pour Reid ou Morgan.

Lui et ce dernier arrivèrent devant l'amas de couvertures souillées et le soulevèrent d'un même geste.

Un marteau. Un tournevis. Une clé.

Chaque objet était relié à une menotte. Avant qu'il n'ait pu se pencher pour les examiner, Morgan s'empara du marteau, d'un geste brusque.

Forcément… Le marteau pouvait être une arme utile.

Aaron dut également admettre que s'ils avaient besoin d'un marteau, Morgan serait sans doute la personne la mieux qualifiée et la plus forte pour l'utiliser.

Il se pencha alors lentement et ramassa le tournevis, se disant qu'il s'agissait également d'une arme précieuse.

Méfiant, il examina l'objet qu'il tenait entre ses doigts et sentit quelqu'un le frôler. Il se crispa violemment avant de se rendre compte qu'il ne s'agissait que de Spencer qui, le regard absent, fixait la clé restante.

-C'est ce que vous me laissez… ?

Hotch se sentit mal à l'aise. La clé semblait désuète et minuscule à côté du marteau de Morgan et de son tournevis pointu.

Il ne répondit pas et laissa le jeune homme se baisser pour prendre la clé. Son visage pâle était fermé.

Hotch détourna les yeux et observa Morgan qui, indifférent au ton empli de reproches de Reid, s'attachait déjà le marteau autour du poignet droit.

Lui-même, décidant d'ignorer sa culpabilité vis-à-vis du jeune homme, se concentra sur le bracelet en acier, le fixant prudemment à son poignet gauche.

Après tout, l'important, c'était de s'en sortir… Et ils avaient plus de chances d'y arriver en faisant cette répartition. Reid était trop faible pour se servir de l'une de ces deux armes. Du moins, c'étaient l'excuse que se répétait inlassablement sa conscience pour se soulager.

Une autre voix s'éleva à nouveau en lui, cette voix qui annonçait toujours le pire… Cette voix qu'il voulait ignorer, mais dont les paroles fielleuses semblaient empreintes de vérité…

Le puits sans fond se dessinait… et les plus faibles y tomberaient les premiers.


La colère de cette injustice le réveillait peu à peu, le faisant momentanément oublier la douleur qui lui broyait les entrailles et qui lui soulevait l'estomac.

On ne lui avait rien laissé pour se défendre.

Comme deux vautours, ils s'étaient jetés sur ce qui pouvait être utile et ne lui avait laissé qu'une misérable clé.

L'amertume s'ajouta aux nombreux sentiments qui se mêlaient en lui. Il ramassa la clé et la détailla avec haine. Elle était rouillée, inutile, légère.

Il lança tout de même un regard vers la porte qui se trouvait à côté de lui et ne vit aucun verrou. Il sentit des larmes d'impuissance lui piquer les yeux, tandis qu'il attachait rageusement le bracelet à son poignet gauche.

Il essaya de se rassurer en se disant que Morgan et Hotch le protègeraient avec leurs « armes ». Il tenta d'accepter le fait qu'effectivement, ces deux aînés avaient plus de force pour ce servir de ce genre d'objets… Mais la colère semblait enracinée dans chacun des fibres de son corps.

C'était injuste.

Il garda les yeux baissés et les dents serrées pour ne pas éclater en sanglots. Il ne voulait pas craquer, pas maintenant. Il devait oublier ce qui venait de se passer. Il n'avait jamais bu de sang. Il n'était pas enfermé. Personne n'allait lui faire du mal… et même, si ça arrivait, Morgan et Hotch viendraient à son secours.

Il renifla un peu et fit quelques pas pour s'éloigner de ses collègues mal à l'aise.

D'un geste nerveux, pour oublier, il se mit à frotter ses bras couvert de sang séché. Il refusait obstinément de regarder plus loin que ses mains, s'occupant à faire tomber les croûtes brunes... Tout en essayant de ne plus penser à leur origine. Il s'appliqua avec ardeur, jusqu'à ce que cette anodine action devienne une obsession. Il gratta sa peau, ignorant les regards perplexes posés sur lui…

Soudainement, un inquiétant cliquetis interrompit son geste et l'arracha à cette manie qui le préservait merveilleusement bien de l'angoisse.

Il leva brusquement les yeux, le cœur battant à tout rompre, et chercha l'origine du bruit. Tout son corps se tendit à l'extrême. Chacune de ses articulations semblaient être sur le point de rupture. Il embrassa d'un regard fébrile la pièce, immensité gris sale seulement pourvue de deux portes. Il remarqua que l'une d'entre elles s'était entrouverte.

Ou plutôt… Que quelqu'un l'avait ouverte.

Il leva les yeux et aperçut une caméra, dans un coin de la pièce, à sa droite. La tension était montée d'un cran. Spencer lança un regard plein de détresse à ses collègues : devaient-ils avancer, franchir cette porte ?

L'angoisse l'empêchait de réfléchir correctement… Et les questions sans réponses qui fusaient dans son esprit étaient stériles… A quoi leur serviraient-ils de savoir comment cette foutue porte s'était ouverte s'ils n'avaient plus que quelques minutes à vivre ?

Reid se sentait oppressé, en suspension au-dessus d'un abyme. Il happa difficilement l'air fétide.

Que leur voulait-on, à la fin ? Fallait-il obéir ? Fallait-il prendre des initiatives ?

Ses yeux s'embrumèrent à nouveau et se main se referma sur l'insignifiante clé, comme s'il s'agissait d'une réponse.

Serrer ce petit objet froid et rugueux ne lui apporta aucun réconfort, au contraire… Sentir la rouille se désagréger sous ses doigts était plutôt désagréable. Il la lâcha et sentit une main se poser sur son épaule.

Il se retourna d'un bond vers un Hotch livide.

-Tu viens ?…

Reid observa les traits durs de son patron et laissa sa volonté se plier à la sienne… Il n'avait pas envie d'agir, juste de suivre, d'obéir. Son esprit était incapable de prendre la moindre décision… Il était soulagé d'être guidé.

-Ok…

Il reconnut à peine sa propre voix et se demanda même un instant s'il avait vraiment parlé ou s'il avait juste répondu dans sa tête. Se détachant de ces considérations inutiles, il se tourna vers la porte et vit que Morgan avait déjà tourné la poignée pour l'ouvrir entièrement.

Une douleur lancinante fit vibrer ses entrailles…

Il crevait de trouille.

La main d'Hotch le lâcha enfin et il suivit les deux autres. Il ferma les yeux en passant l'encadrement en acier. Il s'attendait au pire. Violemment, les souvenirs, le sang et la douleur remontèrent en lui. Il trembla de tout son corps et se remit à gratter ses avant-bras avec dégoût, le ventre secoué de nausées.

Et si tout recommençait ?

Il gémit un peu et se força à se plonger dans le présent, dans cette situation. Il rouvrit les paupières en entendant Morgan fermer la porte derrière eux… Définitivement.

Son angoisse s'apaisa légèrement lorsqu'il remarqua que la seule menace dans la pièce était un petit bout de papier froissé, déjà ramassé par Hotch.

Brusquement, le jeune homme sentit la pression qu'il ressentait depuis un moment, chuter violemment et se laissa tomber sur le sol, la tête en feu. Il se sentait assommé…

Il écouta d'une oreille distraite ce qui lisait Hotch, d'une voix étrangement éloignée de lui.

« Je vous donne dix minutes pour me présenter une jambe, un bras et une côte cassés. »

Reid leva une tête chancelante vers ses collègues, pris d'un rire nerveux, à la limite de la folie.

Ils allaient devoir se mutiler.

L'idée même lui semblait quasiment banale, désormais… La phrase résonna encore dans sa tête, sans qu'il puisse mesurer la gravité de la situation. Son corps insensible, rompu et groggy ne pouvait plus avoir mal… N'est-ce pas ?

Il lança un regard vide au reste de la pièce et remarqua la porte qui menait à la suivante, scellée tant qu'ils ne seraient pas estropiés.

La voix de Morgan, tout aussi lointaine que celle qui l'avait précédée, fit enfin écho à celle d'Hotch.

-Bon… Il faut réfléchir… Il faut… bien choisir… Nous ne savons pas quelles épreuves nous attendent encore… Ce que nous devrons encore faire… C'est pourquoi…Je pense que nous devrions préserver… euh… les personnes utiles.

Doucement, l'euphorie délirante de Reid s'estompa au fur et à mesure que Morgan parlait d'une voix hésitante mais ferme. Une sorte d'intuition en lui mesurait doucement la portée des paroles de Morgan.

-Si on doit encore pousser un bloc de béton… Il faudra qu'au moins deux d'entre nous ne soient pas blessés…

Reid sentit doucement son éphémère soulagement se muer en panique.

Non… Morgan ne pouvait pas insinuer que…

Il leva des yeux effarés vers son ami, celui qui lui avait tenu la main quelques minutes auparavant… Celui qui avait déjà un marteau fermement calé dans sa paume… Marteau censé être utilisé pour LE protéger. Morgan avait les yeux baissés. Le lâche ne le regardait plus…

Reid recula doucement jusqu'à la porte fermée qu'il venait de franchir et poussa un gémissement pitoyable avant de fixer Hotch avec intensité. Ses grands yeux se noyèrent de désespoir en voyant la mine coupable et fermée de son patron.

Il semblait d'accord avec les paroles de Derek !

La voix de Morgan s'éleva encore, trop proche, cette fois.

-Reid… Il faut que tu sois fort… Je te promets… que… qu'après, on te protègera… Mais il faut faire des sacrifices…

Son ton voulu rassurant, fit éclater Reid en sanglots.

-Ne m'approche pas !… Dégage ! On peut se partager… Pas me… Je ne veux pas…

Il se pressa contre la porte en voyant son « ami » se diriger lentement vers lui, le visage désolé mais résolu.

-On n'a pas le choix Reid… Nous avons moins de dix minutes… Ne rends pas les choses plus difficiles…

Spencer se leva vivement pour échapper au marteau. Il fit quelques pas avant d'être brusquement arrêté par Hotch et sa poigne de fer… Par ces mains qui l'avaient rassuré et guidé.

-Non… Pitié…Nous sommes une équipe… Lâchez-moi, Hotch… Ne le laissez pas me… Non… !

Il tremblait de tout son corps et tenta en vain de se dégager, de frapper son patron, mais celui-ci l'immobilisa aisément. Il se sentait abandonné, trahi… Il lança un regard effaré à Morgan qui lui faisait face. Ce dernier attrapa sa jambe gauche, secouée de tremblements incontrôlables.

-Ferme les yeux Spencer…

Reid soutint son regard, les yeux écarquillés de terreur, espérant que la conscience de Morgan se réveille enfin… Qu'il arrête ce geste déjà entamé… Qu'il se rappelle qu'ils étaient amis !

Mais l'instinct de survie et la peur de souffrir semblaient plus fortes que les liens qui les unissaient depuis plus de cinq ans.

La poigne d'Hotch ne se desserra pas, la volonté de Morgan ne scia pas… Un craquement fouetta l'air, suivi d'un long hurlement.

La loi du plus fort prenait ses droits.

A suivre...

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