La Loi du Plus Fort

Chapitre 2 : Soif de Sang

Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/11/2016 18:12

Chapitre 2

Son cœur battait de manière erratique tandis que les bruits de pas s'estompaient dans l'obscurité de cette nuit artificielle… Ses mains tremblaient, serrées en petites griffes dans celles de ses collègues.

Quelqu'un les observait, les suivait depuis le début…

Il se concentra sur la main moite de Morgan, et sur la poigne ferme d'Hotch. Le silence revint, ils restèrent ainsi, sans bouger, dans l'attente d'un signe, d'une attaque, de tout…

De rien.

Spencer cala un peu mieux ses mains dans les leurs. Il savait qu'il devait les lâcher, il savait qu'il devait se calmer… Mais c'était plus fort que lui. Il était pétrifié par la peur.

Comme un enfant.

Spencer gémit un peu, honteux de son propre comportement. Il savait parfaitement que ce qu'il ressentait était irrationnel, que le noir n'était que l'absence inhérente de lumière, et qu'il était censé savoir vivre avec cette angoisse… Mais sentir et entendre une quatrième présence tapie dans cette obscurité le paralysait… Ses jambes étaient cotonneuses, flageolantes, son esprit était tourné vers le moindre bruit, le moindre courant d'air, à l'affut du monstre qui se voilait dans ces limbes, et sa tête bourdonnait encore, douloureuse et vide.

Il lui était impossible –malgré tous les mots qu'il connaissait- de déterminer avec exactitude ce qui le poussait à redouter les ténèbres. Il se sentait oppressé, traqué, brûlé de toutes parts par ce voile aveuglant.

Il étouffait.

Il avait besoin de lumière, d'air… Sa respiration devint sifflante, asthmatique et résonnait dans la pièce trop vide. Il tourna un peu la tête et une odeur désagréable lui agressa les narines.

Une odeur de putréfaction, de sang…

Il détourna la tête, dégoûté et horrifié. Englouti dans ce cauchemar, il ne se rassurait que par le contact de ces mains chaudes… Il savait que s'il les lâchait, que s'ils se séparaient, un malheur arriverait.

Absurde… Irrationnel….

Il se força à respirer plus calmement pour se donner une certaine contenance. Il ne devait pas se laisser gagner par ses penchants déraisonnables. Un courant d'air le fit frissonner.

Putréfaction, sang.

Il se remit à trembler et son souffle s'emballa encore. Il devait être fort. Plus question de se tenir aux mains des autres, plus question de jouer au gamin. Il desserra doucement son étreinte… Soudain, un bruit métallique résonna au loin et il sentit deux poignes fermes écraser ses doigts avant qu'il n'ait pu esquisser un geste. Il poussa un petit cri étouffé de peur et de douleur.

Ils allaient mourir.

Sa certitude était renforcée par les odeurs putrides de la pièce : ils allaient tous crever ici, dans le noir. Ses membres furent parcourus par un spasme de désespoir. Il avait envie de crier, mais aucun son ne pouvait sortir de sa gorge… Il sentait presque des filets noirs se presser dans sa bouche entrouverte pour l'étouffer. Il ne voulait pas mourir, pas maintenant… Pas dans le noir !

Brusquement, un nouveau bruit se fit entendre et un flash lui brûla violemment les yeux. Poussant un cri de douleur, il lâcha automatiquement les mains de ses collègues pour les porter à ses yeux.

La lumière.

Il ferma les paupières, aveuglé… Et chercha d'une main les autres qui s'étaient écartés de lui. Il avait du mal à comprendre ce qui venait de se passer. La panique monta en lui lorsqu'il brassa l'air inconsistant... Ayant la sordide impression qu'on lui avait tiré deux balles dans les yeux, il était incapable de décoller ses paupières colmatées sur ses pupilles éclatées. Le sol se dérobait sous lui, ses oreilles sifflaient et ses bras chassaient les mouches.

L'avaient-ils abandonné ? Leur avait-on tiré dessus ? Etait-il seul ?

Malgré ses angoisses, il s'immobilisa enfin, essayant de rester sensé, et sonda la pièce. Très vite, il entendit Morgan qui vociférait un tas d'insultes à quelques mètres de lui et Hotch qui grognait un peu plus loin.

Reid poussa un long soupir de soulagement : ils étaient toujours là

Plus calme, il laissa tomber ses bras raidis par la peur. Après quelques secondes, il osa doucement entrouvrir les paupières et balaya la pièce du regard.

Morgan se tenait aux barreaux de la porte qui les avait amenés ici… Hotch faisait face à une seconde porte en acier, apparemment verrouillée… Il tourna sur lui-même et vit que l'air qu'ils sentaient depuis un moment sortait d'une petite bouche d'aération de la taille de sa main.

Aucune autre issue, rien.

Ses yeux à vif se posèrent enfin sur un bac en pierre à quelques mètres de lui. Découragé, il s'en approcha doucement, légèrement rassuré par la lumière et par la présence des deux autres.

Il se pencha au dessus de celui-ci et son estomac se retourna violemment. Il recula prestement : l'infâme odeur déjà perçue dans l'obscurité s'élevait de ce récipient.

Retenant un peu sa respiration, Spencer tenta une seconde approche et chancela au dessus du bac…

Du sang… Presque noir.


Les barreaux froids se pressaient contre ses paupières closes. Ses yeux semblaient avoir été arrachés.

-Putain de merd…

Il grommelait en boucle des insultes inutiles envers le fils de pute qui avait allumé cette foutue lampe. Evidemment, les malades ne connaissaient pas les bonnes manières et leur but n'était pas forcément de ménager leurs hôtes… Morgan maugréa encore quelques injures et retira son visage.

L'agent lâcha également la porte qui s'était refermée sur eux et, à travers ses cils et des tâches multicolores, il aperçut Spencer penché sur une bassine en pierre, livide.

Il avait cependant l'air mieux que dans le noir.

Derek, vacillant, s'avança droit vers lui, lançant un regard voilé à Hotch qui le fixait, appuyé contre une porte en acier.

Morgan se pencha sur le bac et émit un nouveau juron.

-Bordel… Mais qu'est-ce… ?

Métallique, Reid répondit, même si son collègue connaissait sans doute déjà la réponse.

-Du sang.

Hotch les avait rejoint et inspecta l'immonde liquide. Derek le vit s'abaisser à côté de lui.

-Je ne comprends rien…. Mais… attendez…

Le patron se pencha et ramassa trois petits objets posés au sol, à côté de la bassine. Morgan eut un énorme haut-le-cœur.

Des pailles.

Son esprit refusa obstinément de comprendre ce que ça laissait sous-entendre. Il regarda le sang, perdit son regard dans son reflet horrifié et dégoûté. Il releva enfin les yeux vers ses collègues dans l'espoir d'y voir une once de sourire : c'était une mauvaise blague… Ce n'étaient pas des pailles, ce n'était pas du sang, ils n'étaient pas réellement enfermés.

Et pourtant…Le cauchemar était réel, palpable…

Soudain, une voix perçante s'éleva d'une petite bouche d'aération et le sortit de ses pensées…

-Buvez ça et la porte s'ouvrira. Vous avez le droit de vomir. Mais pas de recracher directement. Si vous ne faites pas ce que je vous demande, dans dix minutes, la conduite d'aération vous enverra du Zyklon B, un gaz mortel…

La voix se tut. Morgan eut un vertige et se tourna vers un Hotch déstabilisé, incapable de réaliser ce qui se passait. Comme lui.

- Le Zyklon B est un hémotoxique ; il bloque l'utilisation de l'oxygène par la cellule. La mort est provoquée par asphyxie, accompagnée de vertiges et de vomissements… le Zyklon B a été utilisé dans les camps de concentration nazis…

Reid avait une voie aiguë, paniquée et vomissait comme un automate déréglé ce qu'il savait sur ce produit.

-Le Zyklon B est un pesticide à base d'acide cyanhydrique... Il est obtenu par réaction de l'ammoniac sur le méthane, en présence d'un catalyseur de platine, à une température de 1200 °C…

Derek réprima son envie de secouer Spencer pour qu'il la ferme enfin. Il laissa ses yeux glisser sur le récipient en pierre.

Ils n'avaient que dix minutes.

Morgan se tourna vers Hotch qui respirait difficilement. Ce dernier posa ses yeux sombres sur lui et lui tendit une paille. Reid, quant à lui, n'en finissait plus de débiter son savoir sur le sujet :

-La mort survient généralement entre trois et dix minutes…

C'était insupportable… Derek l'empoigna brusquement.

-TA GUEULE, REID ! MERDE !

Il le secoua brutalement pour qu'il se taise, qu'il arrête de dire ces vérités qu'il ne voulait pas entendre et qui le désespéraient au plus haut point. Il s'arrêta un instant et fixa le jeune homme tendu qu'il soulevait presque du sol.

Il se noya un instant dans les yeux de Reid, grands comme des soucoupes. Son corps était fragile et léger, comme un fétu de paille, entre ses doigts… Il sentit un sanglot naître dans la poitrine maigre de son collègue terrifié et choqué. La main implacable d'Hotch se posa sur son bras droit.

-Morgan… ! Lâche-le !

Son esprit lui rappela à nouveau les dernières paroles de Reid « La mort survient généralement entre trois et dix minutes… »…

-Morgan ?!

Il retira vivement ses mains et Reid tomba au sol, comme une poupée désarticulée. Il fit un pas en arrière, hagard.

Spencer resta à ses pieds un instant, aussi hébété que lui. Hotch rompit rapidement le silence assourdissant qui commençait à régner dans la pièce.

-Prenez votre paille… On n'a pas le temps.

Il prenait heureusement les choses en main, comme d'habitude… Morgan lança un regard choqué à Spencer qui plongea sans dire un mot sa paille dans le liquide nauséabond. Il avait l'air déconnecté.

Derek se mordit la lèvre : lui avait-il fait mal ?

Mais il n'avait pas le temps de soulager sa conscience et sa culpabilité… Il avait certes pété un cable, mais vu la situation, c'était plus ou moins normal qu'il ait des sautes d'humeur… Non? Et puis, de toute manière, il fallait se concentrer sur la pénible tâche à venir… Il fallait impérativement oublier ce qu'il venait de faire. Oui, tout oublier. Il s'excuserait plus tard, quand ils seraient sortis d'ici. Quand ils seraient en sécurité.

"La mort survient généralement entre trois et dix minutes…"

A son tour, Derek trempa rapidement sa paille dans le bac, coupable et nauséeux. Il estima qu'il devait y avoir plus ou moins un litre et demi de sang dans le récipient. Hotch les rejoignit.

Morgan ferma les yeux et arrêta de respirer. Il aspira doucement le liquide froid et rempli de grumeaux.

Sang caillé.

Il se demanda furtivement, en aspirant, s'il s'agissait de sang humain. Il sentit une série de nausées lui étreindre l'estomac à cette pensée. Il ouvrit les yeux pour chercher un peu de courage dans le regard de ses collègues et vit le visage tordu d'Hotch à quelques centimètres du sien… Ainsi que Reid, sur sa droite, les yeux vides, qui buvait en tremblant.

Morgan respira une bouffé d'air et le goût éclata dans sa bouche. Il se retira vivement et vomit violemment le sang sur le sol. Bientôt suivi par Reid.

Ses yeux pleuraient de douleur et de dégoût. Il entendit Hotch vomir plus loin.

« Vous n'avez que dix minutes. »

Derek s'essuya prestement la bouche et retourna à sa paille. Il aspira encore, les yeux fermés, sans respirer. Il sentit Reid se poster à nouveau à côté de lui.

Du sang… peut-être humain.

Il faillit dégueuler dans la bassine mais réussit à détourner la tête et aspergea copieusement le sol.

Des relents âcres de bile et de putréfaction s'élevaient dans la pièce. Derek garda les yeux fermés, s'accrochant à d'autres souvenirs, à un autre endroit… Il n'était pas ici, il ne buvait pas du sang.

Il ne s'intéressa plus aux autres, il se concentra sur sa tâche.

Aspirer, avaler, aspirer… Ne pas respirer !

Il entendit vaguement ses amis et collègues vomir à côté de lui, tandis que ses oreilles grésillaient, que sa tête tournait et que son estomac valsait sous sa peau… La bile remontait sans cesse, noyée par le sang ingurgité.

Enfin, un bruit ignoble de succion résonna dans l'espace clos.

Ils avaient atteint le fond. Ils avaient réussi. Derek ouvrit les yeux, s'éloigna du bac, les bras tremblants, à quatre pattes et eut un renvoi dégoûtant avant de laisser son estomac se vider. Après de longues secondes, il put enfin relever la tête.

Ils pataugeaient tous les trois dans le vomi et le sang. La bouche ensanglantée de Reid dénotait étrangement avec le teint blafard de sa peau. Il semblait au bord de l'agonie, secoué de spasmes horrifiés. Hotch observait ses agents, égaré.

Morgan lança un regard à la porte en acier… Elle était entrouverte. Son cœur rata un battement et il rampa vers elle, sans un mot. Les autres le virent faire et finirent par sortir de leur torpeur pour le suivre.

Il fallait survivre.

Il se releva en s'appuyant contre le mur, sonné. Il avait du mal à tenir debout, comme Reid et Hotch. Il poussa la porte et ils entrèrent dans la pièce suivante.

Pour de nouvelles horreurs.

A suivre…

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