La Loi du Plus Fort

Chapitre 1

Un silence profond régnait sur les ténèbres opaques, tantôt entrecoupé par une respiration hachée, ou par un lointain bruit de canalisation. Un souffle rampant balaya un instant le visage paisible d'un homme, avant d'errer dans la pièce close, fermée sur trois corps inertes.

Doucement, cet homme prenait conscience du sol froid et rugueux contre sa joue, de la douleur qui battait dans ses tempes et qui se glaçait dans ses articulations endolories. Celui-ci tenta en vain de rassembler des souvenirs cohérents… Tout semblait emmêlé, noir… Son esprit était aussi insondable que l'air environnant.

Ses pensées furtives, ses craintes et sa douleur s'unissaient désormais à cet étrange champ de bataille qui avait investi son crâne. Il déplaça difficilement son bras jusqu'à son visage et glissa ses longs doigts sur son crâne rasé et humide. Aucune blessure.

Sa tête, cependant, semblait sur le point d'exploser… Il soupira et frotta doucement ses yeux.

Soudain, un couinement aigu trancha la brume opaque de la pièce. Morgan se retourna vivement vers la droite pour scruter l'obscurité dans laquelle il baignait. Il se tut et se força à retenir sa respiration qui s'emballait déjà. Un souffle rapide s'agitait à côté de lui, à quelques mètres. Quelqu'un… Ou quelque chose. Il se concentra un peu plus et entendit distinctement, sur sa gauche cette fois, une autre présence.

Ils étaient trois dans cette pièce.

Les battements frénétiques de son cœur se propagèrent dans tout son corps. Tendu à l'extrême, Derek resta sur ses gardes, prêt à riposter en cas d'attaque. Fébrile, il tenta tout de même de faire le point : s'il s'agissait de ses agresseurs, ne l'auraient-ils pas déjà attaqué, pendant qu'il gisait sur le sol, inconscient et vulnérable… ? Un gémissement éclata sur sa droite, déchirant à nouveau le silence.

Il sentit une veine tressauter nerveusement sur sa tempe et serra les poings, prêt à bondir sur tout adversaire.

Rien ne vint.

Il avança alors doucement vers la chose blessée, redoutant toujours un piège, et sentit bientôt une forme massive et chaude se dessiner sous ses paumes.

Quelqu'un.

Cette personne retint son souffle et se mit à trembler. Morgan chercha d'une oreille l'autre respiration qui semblait toujours se trouver à une distance respectable de lui. Il laissa alors courir ses doigts sur ce corps, à la recherche d'une arme. L'homme au sol était mince, grand et transpirait la peur par tous les pores de sa peau… Il était habillé d'une simple chemise et d'un pantalon. Il n'avait ni arme, ni portefeuille… Rien de particulièrement distinctif.

Craignant une morsure de la part de cet individu inoffensif mais terrorisé, Derek n'osa pas laisser trainer ses mains sur son visage pour pouvoir le détailler un peu mieux physiquement.

L'homme au sol gémit encore et se mit à pleurer.

Il s'agissait sans doute d'une autre victime… D'un pauvre type qui, comme lui, se retrouvait contre son gré, enfermé dans ce trou.

Morgan mit une main apaisante sur l'épaule secouée de sanglots de l'inconnu et tenta de le rassurer.

-Chut… Je ne vous veux aucun mal…

L'homme au sol arrêta brusquement de respirer et une petite voix mouillée de larmes s'éleva de son torse creux.

-M… Morgan ?

Derek le lâcha brutalement, surpris d'entendre son nom et cette voix qu'il connaissait si bien. Ce timbre cristallin, ces inflexions craintives allumèrent un souvenir fulgurant et douloureux dans son crâne.

-Reid ?

L'individu se redressa un peu et ses mains brassèrent l'air à la recherche d'un nouveau contact. Ses doigts tremblants s'accrochèrent violemment au t-shirt de Derek.

-Oui… Je… Morgan… J'ai peur… Il fait… tellement noir…

Morgan, bien qu'abasourdi, n'hésita pas une seconde et attira le frêle Spencer contre lui.

-Hey, kid… Ne t'inquiète pas… Calme-toi… Je suis là. On va trouver une issue.

Les bras maigres et chauds de son ami s'enroulèrent autour de lui et, aussitôt, ils refusèrent obstinément de le lâcher. Il le laissa un moment contre lui, dans l'espoir qu'il s'apaiserait... En vain.

-Spencer… Si tu veux qu'on sorte d'ici, je pense qu'il vaudrait mieux que tu me laisses un peu bouger…

Il l'avait dit sur un ton apaisant pour calmer la détresse de son ami.

-Me laisse pas… J'ai peur…

Morgan caressa doucement le dos de Reid.

-Je ne t'abandonnerai pas… Tiens-moi la main, veux-tu ? On pourra bouger et tu sauras que je suis toujours là…

Reid, méfiant, laissa glisser une main hésitante sur son bras et s'agrippa vivement à sa main, avant de desserrer son étreinte.

-Me lâche pas…

Derek serra légèrement les fins doigts qui reposaient dans sa paume.

-N'aie pas peur…

Spencer semblait un peu rassuré : il tremblait moins.

Morgan soupira doucement, se demandant silencieusement dans quel bordel ils avaient atterri… Pourquoi Reid et lui se trouvaient-ils ici ? Comment s'y étaient-ils retrouvés ? Y avait-il une issue ?

Il passa une main sur son visage las : il ne trouverait aucune réponse pour l'instant. Il sonda alors attentivement la pièce, faisant fi de la respiration erratique de Spencer, et capta rapidement le souffle de la troisième personne.

-Il y a quelqu'un d'autre.

Spencer lui renvoya un gémissement apeuré. Morgan serra à nouveau sa main pour le rassurer.

-Je suis là, Reid… Je te protègerai.

Il avança doucement vers la troisième personne, se frayant d'une main un passage dans l'obscurité, et tirant de l'autre un Spencer terrifié.

Morgan s'attendait au pire… Il essaya cependant d'arrêter les flots continus de questions qui s'entassaient et revenaient tels des boomerangs dans son esprit. Pourquoi ? Comment ? Il lui semblait impératif de laisser tomber ces interrogations : il fallait d'abord survivre, ensuite réfléchir.

Soudain, le souffle s'arrêta brusquement et se confondit dans l'obscurité de la pièce.

Morgan se retourna vivement, cherchant à capter un mouvement. La respiration de Reid était sifflante, trop rapide : il sentait sans doute la tension dans l'étau qui lui serait la main.

Aussitôt, deux mains agiles se plaquèrent violemment contre son cou. Derek émit un cri surpris et tenta de lâcher la main de Reid pour se protéger.

Trop tard…

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Péniblement, il avait ouvert les yeux pour découvrir une pièce lugubre et plongée dans l'obscurité… Puis, rapidement, il les avait entendus parler, sans pourtant arriver à comprendre leurs paroles. Les bruits résonnaient dans sa tête vide et douloureuse. Chaque mot martelait son crâne et l'empêchait d'y voir clair.

Il n'avait cependant pas bougé.

Pas tout de suite, pas maintenant… Ils étaient trop loin… Il fallait attendre le bon moment.

Leurs pas s'étaient dangereusement rapprochés de lui et il s'était relevé sans faire de bruit, habitué à se fondre dans le décor quel que soit l'endroit. Il avait alors retenu son souffle afin de les perdre…

Ses proies étaient bruyantes, mal ou peu entrainées. Il put sans difficulté se rapprocher d'elles sans être remarqué. Il plaça ses mains avec agilité sur la nuque de celui qui semblait être le plus fort des deux et tourna brutalement sa tête. Il sentit sa colonne vertébrale résister, sur le point de rupture.

Il demanda d'une voix éraillée et profonde :

-Qui êtes-vous ?

L'homme entre ses mains sursauta légèrement et émit un hoquet surpris et douloureux. L'autre, à environ un mètre, balbutia son nom d'une voix incertaine et tremblante.

-Hotch… ? Qu'est-ce que… Morgan ?... Morgan ?

Aaron fit un pas en arrière et lâcha la nuque de sa victime qui tomba lourdement sur le sol en toussant.

-Reid… Mais…

Il toucha les épaules de l'homme au sol.

-Morgan…

Aaron eut un vertige. Rêvait-il ? Etait-il réellement enfermé avec deux de ses agents ? Avait-il vraiment tenté de tuer l'un d'entre eux ?

Il fit un pas en arrière et entendit des sanglots étouffés. Spencer semblait se traîner au sol, à la recherche de quelque chose, tandis que Morgan tentait de retrouver une respiration correcte. Hotch sortit de sa torpeur et s'avança vers Reid qui gémissait doucement.

-Reid ?Reid !... Tu es blessé ?

L'agent au sol s'immobilisa et seule la respiration de Morgan fit écho aux paroles inquiètes d'Hotch. Après quelques longues secondes, Spencer répondit enfin.

-Sa main… j'ai… J'avais perdu sa main…

Aaron soupira et se laissa tomber au sol à côté de ses deux hommes.

-Ok, Reid… Ok… Tout va bien…

Hotch avança une main hésitante et toucha le bras de Morgan -du moins, ce qu'il prenait pour son bras-…

-Désolé… Je pensais que tu… Enfin…

Il se racla la gorge.

-Désolé.

Morgan lui répondit d'une voix enrouée :

-Ce n'est rien… Plus de peur que de mal…

Un silence inquiétant suivit cette dernière phrase qui résonna encore quelques secondes dans la pièce vide. Ils semblaient être seuls au monde. Chacune des fibres de leur corps était écrasée par ce calme étouffant.

Avec soulagement, Hotch entendit Morgan briser le pesant silence.

-Vous savez comment… nous sommes arrivés ici ?

Reid répondit doucement, comme si l'obscurité l'étouffait :

-Je me souviens juste d'être rentré chez moi… Je me vois poser mes clés… Mon arme… Et puis, plus rien.

Hotch soupira : il avait exactement les mêmes souvenirs. Le silence de Morgan confirma également cette commune réminiscence. On les avait sans doute agressés chez eux, quand, fatigués, ils étaient rentrés de l'aéroport après cette difficile enquête à Miami.

Hotch laissa ses pensées vagabonder vers le ciel bleu et ensoleillé de cette ville, pour oublier momentanément le froid et l'obscurité… Il aurait donné cher pour se retrouver à nouveau dehors.

Soudain, un courant d'air froid traversa la pièce. Aaron se redressa vivement, suivi de Morgan, puis de Reid, à moitié arraché du sol par Derek.

A l'aveuglette et sans dire un mot, l'agent avança rapidement droit devant lui jusqu'à un mur froid. Il laissa glisser ses mains le long de la paroi inégale : il devait y avoir une issue quelque part. Un trou qui laissait passer l'air… A tâtons, il parcourut la surface, de haut en bas. Il savait que Morgan et Reid faisaient de même, dans le sens contraire, sans qu'il puisse cependant les voir.

Son cœur battait à tout rompre. Un espoir mince se profilait devant lui. Assez rapidement, ses mains fébriles butèrent sur un énorme bloc de béton, au niveau du sol. Il glissa ses doigts dans l'interstice et sentit l'air frais glisser entre ses doigts avides.

-J'ai trouvé !

Des pas résonnèrent bruyamment derrière lui et s'arrêtèrent à un bon mètre, perdus.

-Ici…

Il tendit un bras et rencontra une chemise qu'il tira vivement jusqu'à lui. Vu la docilité et les tremblements, il s'agissait de Reid, toujours fermement accroché à Morgan.

-Il y a… une… une issue, je pense… Mais elle est bloquée…

La main de Derek s'insinua dans la fente, à côté de la sienne et suivit le tracé rectangulaire. Aaron se retourna vers l'écran noir à sa droite.

-On peut essayer de le dégager, non ?

Il fut surpris de sentir l'haleine sucrée de Morgan à quelques centimètres de son visage.

-Ouais… Je crois qu'on peut y arriver… Reid ?

Un murmure suspicieux s'éleva sur leur droite.

-Je vais te lâcher la main… Ok ? Je la reprendrai après si il faut.

Un glapissement angoissé leur répondit… Mais Hotch sentit la deuxième main de Morgan rejoindre la première. Reid avait capitulé rapidement, pressé par la nécessité de sortir d'ici. Aaron reporta son attention sur ce qui scellait la pièce et plaça un peu mieux ses mains et ses pieds.

-A trois, on pousse… Un, deux, trois… !

Ils poussèrent violemment le bloc, s'aidant de leurs pieds, et celui-ci se déplaça lentement dans un bruit sinistre. Après quelques secondes d'effort, ils se laissèrent retomber, le souffle court.

Ils avaient gagné trente centimètres.

D'un accord tacite, ils se remirent en place et unirent à nouveau leur force pour déplacer le bloc. Dans un bruit sourd, la pierre avança à nouveau de trente bons centimètres, leur laissant assez de place pour atteindre la pièce suivante. Essoufflé, Hotch entra dans la seconde pièce aussi sombre que la première. Il entendit Reid puis Morgan le rejoindre.

Il s'aventura de quelques pas et se cogna violemment la tête contre des barreaux.

Des barreaux ?

Il toucha lentement ceux-ci et sentit une poignée se matérialiser sous ses doigts. Il la tourna lentement et tira. Un grincement lugubre résonna dans l'endroit et ses deux agents arrêtèrent de respirer.

-Par ici… Une porte…

Du moins, ça y ressemblait… Il entra dans cette troisième pièce. Une odeur étrange l'assaillit et lui donna la nausée. Les deux autres agents le rejoignirent. Brusquement, la porte claqua derrière eux. Un cliquetis métallique et alarmant suivi ce coup de tonnerre. Hotch essaya de garder son calme, même si la panique le gagnait doucement.

Le courant d'air.

C'était ce qui avait refermé cette foutue porte. Il l'espérait, du moins. La main inoccupée de Reid chercha la sienne et s'y agrippa. Aaron n'eut pas la force de le repousser : il était lui-même très anxieux, incapable de comprendre ce qui se passait.

Aaron tendit l'oreille et perçut un bruit de pas qui s'éloignait d'eux.

Et ce n'était ni Reid, ni Morgan.

A suivre…