Le Dragon Noir
Rage. Faim.
Le dragon noir filait dans le ciel. Ses proies n'étaient pas loin. Il les sentait. Il sentait leur peur. Elle suintait hors de leurs pores, hors de leur corps. Elle se mêlait à l'air, elle voyageait sur le vent, elle les trahissait et signait leur arrêt de mort.
Pathétique.
Un éclair brunâtre traversa le ciel, au ras du sol, à la limite de son champ de vision. Le monstre grommela, en un son rauque assimilable à un petit rire sourd. Après tant de mois de lutte, après tant de pertes de leur coté, ils pensaient toujours qu'ils pouvaient l'esquiver, en volant bêtement là où il n'aurait finalement aucun mal à les rattraper. Les idiots. Pas étonnant qu'ils soient si peu nombreux maintenant. Incapables d'apprendre, incapables de s'adapter.
Il vira sur l'aile et, lame silencieuse dans le couchant, piqua vers le sol. Il humait l'air. Reconnu son adversaire. Un sourire sadique révéla ses impressionnantes dents, brillantes dans l'obscurité, qui avaient égorgées tant de ses pairs. Une proie de choix, qu'il aurait craint il y a encore peu - mais les temps avaient changés.
Un gros gibier, qui se déplaçait seul.
L'imprudent !
Le téméraire !
Le déjeuner !
Ombre ailée dans l'obscurité, il volait, invisible sous la dense couche de nuages. Le temps passait. La certitude laissa place à la surprise, puis la surprise à l'agacement. Personne ne lui avait encore jamais échappé. Jamais. Pas de cette manière. Pas si soudainement, pas avec autant de brio. La chasse s'annonçait longue.
Un craquement, infime, distant, lui parvint, de loin derrière une colline boisée. Il poussa un grognement de satisfaction, et changea de cap. Sa proie pensait se soustraire à sa vision en se fondant dans les bois ? Sa réputation d'ingéniosité était décidément largement immérité. Si la guerre lui avait appris à dissimuler son esprit, elle ne lui avait apparemment pas appris la discrétion.
Il forma un immense arc de cercle autour de l'obstacle, sûr de lui, sa silhouette sombre et terrifiante se découpant maintenant dans le clair de lune.
Mais il n'y avait pas un seul dragon de l'autre coté.
Il y en avait une quinzaine.
Il poussa un fantastique cri de rage en découvrant le piège. Ils croyaient être assez nombreux ? Ils pensaient qu'ils pourraient l'arrêter, le maitriser, le tuer ? Ils croyaient qu'ils avaient encore une chance de le vaincre comme ça, après tant de batailles, après tant de pertes, après tant de défaites ? Leur insouciance, leur insolence allaient les perdre !
Il piqua vers l'ennemi le plus proche, prêt aux premiers assauts magiques, aux premiers mouvements stratégiques, à la première réaction.
Elle ne vint pas.
Elle ne vint jamais. Immobiles, ils attendaient.
Il continuait sa descente, soudain en proie au doute. Et si il s'était trompé ? Et s'ils avaient enfin une vraie stratégie, un vrai plan, et s'ils avaient appris de leurs erreurs ?
Une flamme irréelle embrasa le flanc de colline, révélant un champ entier de masses marrons, encore indistinctes.
Alors qu'il descendait encore, les contours se tracèrent.
Son doute se mua en frayeur.
Devint de la terreur.
Des balistes. Des centaines de balistes, placées là pour une seule cible. Une seule proie.
Et la proie, cette fois, c'était lui.
Il vira de l'aile, tentant désespérément de sortir du traquenard dans lequel son orgueil l'avait poussé. Les cordes vibrèrent, les flammes ronflèrent, alors que les traits d'acier fendaient l'air, rendues mortellement précis par la magie, véritables promesses de mort.
Les premiers furent esquivés. La plupart furent bloqués par son bouclier magique.
Un se ficha profondément dans son épaule. Du feu liquide se répandit dans ses veines, alors que ses muscles se tétanisaient. Les lances étaient chargées ! Comment avaient-ils osés...
Immobilisé, les ailes gelées en plein ciel, il tomba. Dans la frondaison, l'impact forma une large plaie, béante.
Noven se réveilla en sursaut, paniqué, haletant, une main fermement plaqué contre son épaule gauche. Une douleur lancinante, aiguë, y pulsait dans sa chair. Il appuya son autre main sur le drap rêche du lit de camp, et posa ses pieds par terre. La douleur s'estompait peu à peu; il se sentait faible, faible et fatigué. Puis, alors qu'il promenait son regard dans la tente de toile blanche dressée autour de lui, ses esprits lui revinrent peu à peu. Il se souvenait de son arrivée au camp, de sa rencontre avec Trianna. Ensuite, tout était flou. Il se concentra.
Comme un éclair, la mémoire lui revint. Il s'affaissa contre le lit, abasourdi d'être encore vivant. La chance n'était apparemment pas prête à le lâcher. Il était vivant. Mais pour combien de temps encore ? Il n'en doutait pas, sa performance inconsciente ne resterait pas impunie.
Il se releva, tant bien que mal, et s'approcha d'une petite commode, placée à l'autre bout de l'étroite tente. Dessus, des bandages, des cataplasmes, de l'eau, un peu de pain, un miroir. Noven saisi la cruche et la miche, et, affamé, les engouffra sans attendre. Puis, alors qu'il mangeait gloutonnement son maigre repas, affalé sur une chaise de camp, son regard croisa le reflet trouble de son visage dans le miroir. Le souvenir, fugace, d'un rêve, remonta presque à la surface, mais il fut incapable de le fixer, et la vision disparue, telle de l'eau coulant entre ses doigts. Il poussa un grognement, et, le pain avalé jusqu'à la dernière miette, s'arracha à son siège pour gagner l'ouverture de la tente sur l'extérieur. Alors qu'il s'apprêtait à la franchir, Eragon rentra, propre, rasé de près et vêtu d'une tunique bleu roi. Il jeta un regard sur le lit, s'étonna de le trouver vide, puis tourna la tête, et fut plus surpris encore de trouver le malade debout, marchant sans aides.
"Eh ben, tu récupères vite à ce que je vois. Plus vite que je ne l'aurai imaginé. - son regard se porta sur l'emplacement de la miche de pain, maintenant vide - Et tu as déjà mangé. Tant mieux, tant mieux. Mais tu devrais te ménager."
Noven poussa un grommellement qui ressemblait vaguement à un agrément, et retourna s'assoir sur son lit. Le jeune Dragonnier s'y assis à sa suite.
"Je suis resté combien de jours inconscient ?
- Plus de trois jours. Cela dit, compte tenu de ta ... dépense énergétique ... de l'autre jour, c'est un véritable miracle que tu sois encore en vie.
- Je suppose que je ne peux plus me présenter pour faire partie des Vardens, maintenant. Pas après une catastrophe pareille. Si je ne suis pas exécuté, d'ailleurs. Je ne sais pas comment marche votre système judiciaire.
- Ne t'inquiète pas pour ça. Personne n'est mort, personne n'est blessé, et tu as déjà été relaxé par Nasuada - la chef des Vardens. Ça n'a pas été une mince affaire, mais j'ai réussi à la convaincre que tu n'étais pour rien dans ce débordement d'énergie."
Noven eut un petit rire nerveux.
"Qu'est-ce qui vous fait dire que je ne suis pas un magicien de l'Empire ? Que je n'ai pas simplement tenté de vous tuer ?
- Eh bien... Plusieurs choses. Déjà, un magicien impérial se serait fait discret, et aurait évité les membres du Du Vrangr Gata. Ensuite, il se serait directement rendu au centre de commandement, au lieu de tourner en rond dans le camp, pour éliminer d'un coup tout l'Etat Major. Enfin, un lanceur de sort ennemi ne m'aurai pas attaqué comme ça, et se serait plutôt suicidé pour emporter ses secrets dans sa tombe. Et puis... j'ai profité de ton sommeil pour te sonder. J'espère que tu ne m'en veux pas, mais vu que Trianna m'avait affirmé qu'elle s'apprêtait à te tester, j'en ai pris la liberté.
- Alors, ca a donné quoi ?
- Rien que l'on ne savait déjà - à savoir que ta famille s'est fait tuée par l'Empire il y a peu, que tu vivais à quelques dizaines de lieues d'ici, que tu as trouvé le groupe de Roran presque par hasard, que tu lui as sauvé la vie pendant l'embuscade, que tu possède une pierre magique très puissante sans te souvenir d'où elle vient, et que tu as un potentiel de destruction incroyable que tu as utilisé jusque là de manière quasi-innée - même si ce n'était pas toujours contre les bonnes personnes. Ce qui m'amène à la condition que Nasuada a posé à ta liberté : tu dois jurer allégeance aux Vardens - apparemment, c'est ce que tu veux, ca tombe bien - et tu va subir un entrainement intensif afin de canaliser tes pouvoirs, de les maitriser correctement, dans le but de les utiliser contre l'Empire, dans des batailles notamment. C'est mieux que de rester enfermé, non ?"
Le jeune magicien n'en croyait pas ses oreilles. Non seulement il n'allait pas être châtié, non seulement il pourrait se venger des armées Impériales, mais en plus on lui proposait de l'entrainer !
"Ça me semble presque trop beau pour être vrai. Il y a anguille sous roche, n'est-ce pas ?"
Eragon sourit.
"On peut dire ça comme ça. Tu vas servir de cobaye."
Noven pâlit.
"Cobaye pour quoi ?"
Le Dragonnier éclata de rire, en voyant son air déconfit.
"Rien de bien méchant ! Tu vois, mon ... professeur de magie ... est mort très récemment, me laissant la dure tache de former la prochaine génération de Dragonnier."
Il s'arrêta, les yeux dans le vague, alors que de douloureux souvenirs refaisaient surface, puis reprit.
"Tu ne le sais peut-être pas, mais je ne suis Dragonnier que depuis peu, compte tenu de la longévité de ceux qui partagent un lien avec un dragon, et je n'ai pas encore eu l'occasion d'entrainer qui que se soit. Il me faut donc un cobaye, pour être prêt à enseigner mon savoir au prochain Dragonnier qui pointera son nez ici. Et j'ose espérer que ce sera bientôt, et pas pour mettre le campement à feu et à sang.
- En bref, tu propose d'être mon professeur ?
- Oui, c'est ça. Mais ne te leurre pas. Ce que Nasuada a en tête - et je partage son opinion - est que tu es trop dangereux pour être laissé tout seul te balader par ici, et je suis la personne la plus apte à te contrôler si, malgré tous nos examens, nous nous étions trompé sur ton compte. Des objections ?
- Aucune. Je ne pouvais pas espérer meilleure proposition, et meilleure chance de faire preuve de ma bonne foi. On commence quand ?
- Doucement ! Pas de leçons avant que tu sois complètement rétabli. De toute façon, avec l'hiver qui arrive, il n'y aura pas de batailles d'envergure avant plusieurs mois. Tu as tout ton temps.
- Mmrph. Je vais prendre un peu l'air. Cette tente m'oppresse."
Noven se releva difficilement, et boitilla vers la sortie. La lumière vive de la fin de matinée l'éblouit alors qu'il écartait la toile grossière. Dehors, il faisait frais; le ciel était d'un bleu pur, sans nuage. La tente, placée, avec une petite douzaine d'autres, sur une minuscule protubérance, qui permettait de dominer du regard le campement tout entier, ses allées, ses remparts, et, au delà, jusqu'à l'horizon. Une place isolée du reste; tous les Vardens semblaient l'éviter, la contourner. Qui pouvait bien habiter ici ?
Eragon l'avait rejoint, et, contemplant le panorama, perçu la question muette de son nouvel apprenti.
"C'est simple. Ici sont installés tous les membres du Du Vrangr Gata. C'est aussi ici que tu dormiras."
Il tendit le bras, et pointa une zone plus dégagée du camp.
"Là, ce sont mes quartiers, et ceux de Saphira. Vu sa taille, il est normal que nous ne puissions pas être avec le gros des troupes. Elle ne pourrait pas s'asseoir sans écraser quelque chose. En ce moment, elle est partie chasser, quelque part au sud.
- J'imagine que ses rations alimentaires sont en relation directe avec son poids.
- Tu l'as dit. Elle vient de s'avaler un cerf entier, et elle a encore faim.
- Vous êtes toujours en contact ?
- Toujours. Nos esprits sont en permanence liés, partageant nos pensées, nos impressions.
- C'est pour ça que tu n'as plus une apparence très... humaine, non ? Ce lien finit par vous transformer ?"
Le jeune Dragonnier arqua un sourcil, et lui jeta un regard interrogateur.
"Tu comprends très vite. Je pense que nous ne sommes pas au bouts de nos surprises avec toi."
Noven hocha la tête, et commençait à rentrer, lorsqu'il aperçut Arya. Cette dernière, arrêtée au milieu du chemin, semblait avoir stoppé net en l'apercevant, et, maintenant, le fixait des yeux, immobile. Puis, au bout de quelques longues secondes, sa lèvre inférieure trembla, elle s'empourpra, ses sourcils se froncèrent, et, sans un mot, elle tourna rageusement les talons, retournant d'où elle venait.
Eragon n'avait rien raté de la scène, et murmura, si bas qu'il fut le seul à s'entendre.
"Oui... on n'est pas au bout de nos surprises..."
Son apprenti passa devant lui, retournant dans sa tente, puis, aussitôt allongé sur son lit, s'endormit, déjà épuisé par le peu d'efforts qu'il avait du faire.
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"La magie est la plus simple des choses. Mais même les choses les plus simples peuvent soigner ou tuer, sauver des vies ou en détruire, faire des merveilles ou les faire disparaitre. Lors de ton apprentissage, tu apprendras beaucoup, mais il te faudra une vie de pratique pour découvrir tes limites, et, pourquoi pas, de nouvelles techniques, de nouveaux chemins, de nouvelles opportunités. Les possibilités sont infinies, mais le prix à payer peut être ta vie, ne l'oublie jamais."
Son apprentissage avait commencé. A sa grande déception, les travaux pratiques ne seraient pas au programme avant plusieurs longues semaines de théorie. Mais, selon son professeur improvisé, même s'il était évident que son potentiel était important, il restait nécessaire de connaitre l'ancien langage, et les grands principes de fonctionnements de la magie, avant de ne serait-ce qu'envisager les sorts les plus basiques.
Alors, Noven avait écouté, assis sur une pierre, les leçons, les unes après les autres. Hélas, si les cours sur la magie en elle-même n'avaient pas posés de problème, ceux d'anciens langage, quant à eux, refusaient obstinément de s'inscrire dans la mémoire de l'élève. A un tel point qu'Eragon, après une énième combinaison 'faute de prononciation/faute de conjugaison/faute de vocabulaire', commençait à désespérer.
"Non, non, NON ! Ce n'est pas ça du tout ! Comment fais-tu pour ne PAS comprendre, c'est pourtant SIMPLISSIME !
- Je ne sais pas, je n'arrive pas à m'en souvenir, c'est tout.
- C'est tout ? C'EST TOUT ? Mais non ce n'est pas tout, c'est une véritable catastrophe ! Comment veux-tu contrôler tes sorts, si tu n'es pas capable de ne serait-ce que baragouiner trois mots d'ancien langage ?
- Mais, si la magie est indépendante de la parole - comme tu me l'as encore dit hier -, ca ne pose pas de problème, non ? Après tout, c'est la volonté qui compte."
Eragon arrêta de tourner en rond, et se tourna vers Noven, tachant de reprendre le contrôle de lui-même. Le souvenir de sa bénédiction ratée, alors qu'il était encore à la place de son apprenti, lui revint à l'esprit. Il fallait qu'il évite une autre catastrophe de ce genre !
"Tu es là depuis combien de temps, déjà ? Deux mois ? Tu dois avoir entendu d'Elva, alors.
- Elva ? La petite capable de deviner les peurs des gens ? Je ne l'ai jamais vue, et je ne la connais que par les rumeurs que propagent quelques soldats. Je pensais qu'elle était une légende, une sorte de croque-mitaine.
- Elle existe. Et tu sais pourquoi elle est comme ça ? Pourquoi elle a du souffrir pour les autres pendant toute son enfance ? Sais-tu qui lui a infligé pareil supplice ?
- Non.
- C'est moi. Parce qu'avant, j'étais comme toi, insouciant, utilisant la magie à tord et à travers, pensant faire bien et provoquant des catastrophes à la place. Ça aurait du être une bénédiction. Mais il a suffit d'un mot, mal prononcé, mal connu, pour changer la bénédiction la plus anodine en la malédiction la plus cruelle. Et on est encore loin des erreurs de langue que toi, tu fais ! Au lieu de "Soulève cette pierre", tu as réussi à dire "Retourne cette tente" ! Je ne sais même pas où tu as appris ces deux mots !"
Il se tut, pensif. Son élève, soucieux et gêné d'avoir forcé son tuteur à faire son mea culpa, proposa une idée qui lui trottait en tête depuis quelques jours.
"Mais... Si l'ancien langage en lui-même n'a rien à voir avec la magie, mais que ce sont les intentions et le sens de la parole du lanceur de sort qui déterminent ses effets... pourquoi ne pas lancer les sorts en langage commun ? Ou, plus simplement, sans parler, afin d'éviter les erreurs de prononciation ou de vocabulaire, et surprendre l'adversaire ?
- La deuxième solution existe, mais je te la déconseille fortement. Même les elfes les plus aguerris et les plus sages l'utilisent avec parcimonie. Il suffit d'une pensée parasite pour que le sort n'atteigne pas la bonne cible. Quant à la première... je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
- Pourquoi ?
- Es-tu capable de penser à autre chose que ce que tu dis, lorsque tu parles à quelqu'un ?"
La question prit Noven au dépourvu.
"Euh... Oui, bien sur. Comme tout le monde.
- Alors que aucun humain ne peut réellement penser à autre chose que ce qu'il dit en ancien langage, à cause de ses particularités magiques, et surtout parce que ce n'est pas notre langage maternel. Ainsi, quoi qu'il arrive, nous lancons le sort que nous disons en ancien langage. Et, si jamais tu acquiers assez de pratique pour le parler couramment, tu sera assez chevronné en magie pour te permettre de faire plusieurs choses à la fois. En attendant, tu dois te concentrer sur ton sort, et uniquement sur lui."
Le jeune apprenti triturait machinalement un caillou, pensif, et inquiet pour la suite de son apprentissage. Son maitre reprit.
"Bien, je pense cependant que je peux commencer à te faire faire quelques exercices pratiques de base. Ne jette pas ce caillou, tu vas en avoir besoin. Prend en soin, - un sourire se dessina sur son visage -, car il va devenir ton nouvel ami. Lève toi, et mets-toi face à moi."
Il s'exécutât, curieux de savoir ce que le petit bout de roche sale avait de particulier.
"Le premier exercice de magie généralement enseigné est parfaitement anodin, ses effets, complètement dénués d'intérêts. Mais il a l'avantage d'être simple à mettre en place, et de fournir des résultats rapides.
Cet exercice est la lévitation d'un caillou."
L'enthousiasme de Noven retomba sur le champ. Il n'aurait pas dû douter qu'aucune pratique ne pouvait être encore plus ennuyeuse que la théorie. Maintenant il était fixé, et le résultat n'était pas vraiment celui qu'il avait espéré.
"La lévitation d'un ... caillou ? Ça, c'est sur, plus dénué d'intérêt, ca doit être difficile à trouver.
- Tu rigoleras moins tout à l'heure, petit impertinent, lorsque tu seras mort de fatigue après l'avoir déplacé sur un pouce et demi de distance. Bien. Tout d'abord, tend ta main directrice.
- Laquelle ?
- Celle avec laquelle tu écris, quoi.
- Mais je ne sais pas écrire, moi !"
Eragon secoua la tête de découragement.
"Tu me rappelle quelqu'un. Un paysan illettré comme un lapin, qui a apprit la magie sur le tas et sur la route, courant pour aller se battre contre l'Empire. Tu sais ce qu'il est devenu ?
- Laisse-moi deviner. Il est mort, dans d'atroces souffrances, marchant sur ses intestins et glissant dans la boue maculée de son sang ?
- Non. Pire. Il est devenu Dragonnier au coté des Vardens, et il doit maintenant apprendre la magie à des têtes à claques qui ne se souviennent jamais de rien. Maintenant, concentre-toi. Cherche dans ton esprit la force qui t'as envahie l'autre jour. Puis, lorsque tu l'auras trouvée, répète après moi, sans te tromper cette fois : Ste..."
Il fut coupé en pleine phrase par le vol vertical d'un galet, fusant vers les nuages.
"Noven...
- C'est accidentel ! Promis !
- Mais c'est justement ça que je te reproche ! Tu utilises la magie complètement inconsciemment, sans la contrôler ! Imagine qu'elle soit partie vers le camp, et qu'elle ait touchée quelqu'un a la tête, tu te rend compte ? Ça aurait fait de la bouillie sous le casque !"
Il s'arrêta. Puis, plus posément, il ramassa un autre caillou, gros comme le poing, et le donna à son élève :
"Tiens, on va recommencer. Mais cette fois, écoute moi bien, et répète après moi : Stenr reisa.
- Stenr reisa !"
La pierre se souleva lentement de sa paume, et, sans se presser, arriva à la hauteur de leurs têtes.
"Oui ! OUI ! C'est ça ! Continue, retient-la autant que tu peux !"
La main, puis le bras du jeune magicien commencèrent à trembler. La pierre semblait s'illuminer de l'intérieur d'une lumière violacée, de plus en plus intense. Et, sous leurs yeux fascinés, alors que les tremblements atteignaient leur paroxysme, le bloc rocheux se disloqua, lentement, comme dans un rêve, et les morceaux commencèrent à redescendre.
Lorsqu'ils atteignirent le sol, ils n'étaient plus que poussière.
Eragon s'assit sur un rocher et, la tête dans les mains, se lamentait :
"Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ?"
Toujours debout, et admirant la fine poussière de roche qui maculait maintenant le sol devant lui, Noven constata :
"Je ne sais pas. En tout cas, je ne ferais pas un bon tailleur de pierre."
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Le lendemain, Noven fut dispensé d'entrainement magique. A la place, son mentor l'amena dans un coin isolé du champ d'entrainement du camp.
"Prend ta hache avec toi. Je veux voir ce que tu vaux, en combat physique."
Ainsi, ils s'étaient isolés, amenant avec eux différentes sortes d'armes, de l'épée courte à une lourde épée bâtarde, en passant par l'épée longue, une dague d'archer, une hache à une main, et l'étrange hache de bataille à deux mains du jeune homme.
Eragon examina l'arme atypique, alors que son apprenti curieux testait les différentes lames, toutes nouvelles pour lui. La tête était composée de deux lourds tranchants d'acier plein, de plus d'un pouce et demi en son point le plus épais, et formant deux demi-lunes acérées, qui se rejoignaient en une pointe permettant une éventuelle frappe d'estoc. Le manche semblait être de chêne, mais l'usure et les batailles avaient noircit le bois. L'arme, si elle était en bon état, n'en était de toute évidence pas à son premier propriétaire. En bout, un bricoleur astucieux avait rajouté au montage d'origine un masse de fer grossièrement polie, permettant de très lourdes frappes et rendant inutile même les armures de plates les plus épaisses, que portaient les nobles qui en avaient les moyens. Le tout formait un ensemble performant et mortel, imparable une fois projeté, mais qui avait d'importantes lacunes quant aux possibilités défensives de son propriétaire. Efficace en bataille, mais très peu en combat singulier. Eragon se redressa, et interpela son apprenti en lui montrant la hache.
"Dis-moi, où tu as trouvé un engin comme ça ?"
Noven se redressa, et jeta un coup d'œil à l'objet.
"Je ne sais pas trop. Je l'ai récupérée lors d'une escarmouche avec l'Empire, juste après avoir rejoint le groupe de Roran. J'avais commencé à me battre avec une épée courte comme celle là - il désigna l'arme à quelques pas de lui -, mais elle m'a rapidement sautée des mains, et j'ai trébuché sur un morceau de soldat, je crois que c'était un bras. Et, à coté, il y avait cette hache, dans la boue, sans propriétaire. Donc je me suis servi, et il s'est trouvé que j'aimais bien me battre avec, donc je l'ai gardée. Pourquoi ?
- C'est la première fois que je vois une arme comme celle-là. C'est très atypique, parce que, tu vois, ce type de hache n'offre absolument aucune protection à la personne qui s'en sert.
- Ça ne m'a pas trop dérangé, le bouclier de mon pendentif a très bien fait son travail, j'ai pu donc découper les gens en toute sécurité.
- J'ai vu ça, lorsque je suis passé par le champ de bataille. Il y avait une bonne vingtaine de soldats a qui il manquait un membre - Saphira avait trouvé ça très artistique."
Pour la première fois, Eragon vit Noven sourire franchement, sans cet air narquois qu'il se baladait d'habitude.
"Vraiment ? Remarque, vu la taille de ses griffes, de ses crocs et de ses piquants, de tels gouts pour la séparation de corps des ennemis ne m'étonne pas trop. Tous les dragons sont comme ça ?
- Plus ou moins. Remarque que je n'en ai jamais rencontré que trois jusqu'ici : Saphira, Glaedr - le dragon de mon mentor, maintenant décédé - et Thorn.
- C'est le nom du dragon de Murtagh ?
- Oui. Épine. Il n'est pas allé cherché l'inspiration très loin, hein ?
- Ça doit être de famille.
- Surement."
Eragon posa la hache contre une pierre, et sortit sa propre épée, Brisingr. Comprenant le message muet, Noven attrapa une autre épée bâtarde, et se mit en garde - enfin, ce qu'il considérait comme une garde.
Alors que son jeune apprenti lançait une charge sauvage, aisément esquivée, le jeune Dragonnier eut une étrange impression, comme s'il passait - encore ! - à coté de quelque chose d'important. Ça doit être de famille ? Mais de qui il parlait ?
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Le talent inné de Noven pour le découpage de soldats à coup de hache à deux mains ne se retrouva pas sur les armes conventionnelles. Les épées courtes glissaient de ses mains, les épées longues rataient leurs cibles (et pas qu'un peu !), les bâtardes semblaient trop lourdes, les fauchons recevaient la lame ennemie systématiquement sur le tranchant. Quel que soit le domaine, la jeune recrue des Vardens semblait complètement incapable de travailler comme tout le monde ! Heureusement pour lui, ses capacités magiques - déjà éprouvées en combat - lui permettait d'utiliser en quasi-permanence sa hache de guerre. Un sort, habilement jeté sur le manche, lui permettait maintenant de bloquer des frappes de taille en toute impunité avec le bois, sans risque de séparer l'arme en deux. De plus, les échardes appartenaient maintenant au passé, permettant à Noven de laisser glisser ses mains le long du manche poli lorsqu'il frappait, ce qui rallongeait considérablement la distance à laquelle il pouvait atteindre une cible insouciante, et l'envoyer ad patres. Sur une idée du jeune magicien, Eragon avait aussi rajouté à son sort une innovation particulière, qui permettait au propriétaire de l'arme de toujours savoir, à peu près, où elle se trouvait. Pratique si elle lui échappait des mains dans la mêlée, ce qui ne manquerait certainement pas d'arriver.
Le Dragonnier enveloppa la lame d'une protection magique, destinée à éviter les blessures accidentelles, et lança la lourde hache à son apprenti, qui l'attrapa, à l'aise, d'une seule main. Puis, il dégaina Brisingr, lança un second sort de protection, et se mit en garde.
"Maintenant que ton arme est quasiment indestructible, bats-toi comme si ta vie était en jeu. Je veux voir tes capacités de combat réelles.
- Même avec les protections, la hache est assez lourde pour te briser les os.
- Ne t'inquiète pas pour moi. N'oublie pas que j'ai la force et les réflexes d'un elfe, et que j'ai, moi aussi, un bouclier magique. Frappe sans retenir tes coups, n'hésite pas."
L'acier fendit l'air. D'un habile mouvement de l'épée, le Dragonnier para le coup, et contre-attaqua. Son premier assaut, de taille, fut bloqué par le manche. Le second, également de taille, ripa sur la hampe. Le troisième perça la garde, et le pointe de Brisingr appuya délicatement sur la carotide de Noven, désemparé.
"Très drôle. Je suis censé faire quoi, face quelqu'un de plus fort, plus rapide et plus expérimenté que moi, équipé d'une lame beaucoup plus adaptée à un duel que ma hache ?
- Tu es mauvais joueur. Un petit effort, imagine que je suis un soldat de l'Empire, voire Galbatorix en personne. Je te sais capable d'une grande capacité à imaginer, alors utilise-là.
- Je vais essayer.
- Arrête d'essayer et fais-le, au lieu de râler."
Noven ferma les yeux. Quelques secondes s'écoulèrent.
Lorsqu'il les rouvrit, Eragon remarqua qu'ils avaient légèrement changés. Un peu plus... violets. Un peu moins humains. Son apprenti repris la parole, avec une voix rauque qu'il ne lui connaissait pas.
"C'est parti."
L'acier siffla, invisible, droit à la tête. Surpris par la vitesse de l'assaut, Eragon para in extremis, et amorça l'esquisse d'une contre-attaque. Elle ne vit jamais le jour.
D'un mouvement inhumain, il parvint à esquiver le talon qui filait vers son menton.
Le lourd tranchant de la lame revenait déjà. Le Dragonnier se baissa. Le fil lui ôta quelques cheveux retardataires.
Brisingr fusa, vers la garde grande ouverte. Un coup d'estoc, imparable, qui saignerai l'imprudent.
Le vif-acier claqua contre le bois enchanté. La lame s'emmêla contre le manche. La hampe et le lourd contrepoids l'entrainait.
L'épée lui échappa des mains, pour la première fois depuis très longtemps. Elle vola, et atterrit dans la poussière, loin derrière son propriétaire.
Noven ne voyait plus rien, n'entendait plus rien. Seule en lui subsistait en lui une fureur incontrôlable, l'appel de la violence et du sang.
La hache tournait, en un cercle mortel, alors que l'apprenti avançait vers son maître. Le Dragonnier fit un saut inhumain en arrière, se réceptionna sur les mains. Attrapa Brisingr.
Ses pieds retouchèrent le sol. Déjà il chargeait, soucieux d'arrêter le combat avant qu'il n'y ait un blessé.
L'épée esquiva la hache. Une frappe chirurgicale, droit sur le bras droit, vulnérable.
Les armes s'emmêlèrent encore, les deux trouèrent le ciel de leurs reflets d'acier.
Eragon se jeta sur Noven et, profitant de sa plus grande force physique, le plaqua au sol.
Ils restèrent là, sans bouger, de longues secondes.
Puis, autant que leur position inconfortable le leur permettait, éclatèrent de rire.
Une semaine de plus avait passé. Eragon s'était finalement résigné à ne plus tenter d'apprendre à son jeune apprenti à parler parfaitement l'ancien langage, et de plutôt lui faire directement maitriser parfaitement les sorts informulés qu'il pouvait lancer.
Mais, après quelques tests et exercices poussés, il apparu que l'incompréhension totale du jeune magicien du dialecte des elfes n'était pas sa seule lacune apparemment insurmontable.
S'il avait fini, après quelques heures de dur labeur, par parfaitement maitriser le déplacement des objets dans l'espace; même si ses défenses mentales étaient bonnes, et ses offensives, bien que barbares et peu réfléchies, tout à fait correctes; même s'il semblait doué dans le contrôle des éléments, et même particulièrement exceller dans tous les sorts où le spectaculaire se mêlait à la destruction; Noven était définitivement incapable de faire dans la finesse. Pire encore, certains de ses sorts, pour des raisons totalement inconnues et incompréhensibles, avaient tendance à ne pas faire du tout ce pour quoi ils avaient été lancés. C'est ainsi que le soin d'une simple égratignure, sur un soldat Varden volontaire, s'était soldée par l'intervention musclée d'Eragon pour rapidement stopper l'hémorragie avant qu'elle ne tue le pauvre homme; que la suppression d'un simple grain de beauté avait provoqué la brulure au troisième degrés des mains du soigneur et d'une partie du dos du patient, ou encore, dans le meilleur des cas, le sort ne faisait strictement rien.
Mais l'obstacle le plus problématique apparut lorsque Noven dû participer à un exercice simple organisé par et pour le Du Vrangr Gata, et où les esprits des lanceurs de sorts, maillés en un étroit réseau mental, devait être capable de véhiculer instantanément une information d'un bout à l'autre du camp, sans que l'émetteur ni le destinataire ne soient en contact. Procédé enfantin, qui forme la base du système offensif et défensif des mages de bataille. Hélas, lorsque l'apprenti du Dragonnier joignit son esprit aux autres, il fut immédiatement éjecté du réseau - littéralement, il fit un bond de plusieurs pieds en arrière -, ainsi qu'une bonne moitié des magiciens participants parmi les moins puissants, en assommant trois et jetant au sol les autres. Il devint dès lors évident qu'en plus d'être incapable de maitriser parfaitement ses sorts, de soigner les blessés, de faire du travail de précision, il était aussi inapte à travailler en groupe contre l'Empire, le rayant d'office des listes des mages de bataille.
Moins gênant, le jeune homme refusait catégoriquement de quitter la terre ferme, que ce soit par magie, ou même sur Saphira, alors qu'il n'était pas sujet au vertige en temps normal.
Ainsi, lorsqu'Eragon dû faire son rapport sur son protégé à sa supérieure hiérarchique, il eut beaucoup de mal à simplement expliquer à quoi un magicien aussi instable pouvait bien servir dans une armée.
"Eragon, franchement, réponds-moi : à quoi il sert ? Depuis qu'il est ici, il n'a provoqué que des catastrophes, et maintenant tu m'apprend qu'il ne pourra probablement jamais rejoindre les rangs du Du Vrangr Gata comme mage de bataille ? Ah, il est beau l'enseignement des Dragonniers, tiens !
- Nasuada, ma Dame, il n'est pas complètement inutile. Il est un combattant chevronné - même si ses techniques de combat barbares sont très violentes et atypiques, elles sont efficaces -, et peut efficacement protéger un important groupe de soldat, plus qu'aucun autre magicien humain ici ne peut le faire."
La chef des Vardens se leva de sa chaise, et, attrapant Eragon par le bras, l'attira vers une carte fixée à un panneau de bois. De près, le Dragonnier put constater qu'elle représentait l'Alagaësia, avec, en prime, les emplacements des principales troupes rebelles, Impériales et elfiques. Nasuada montra Uru'baen :
"Ici, la capitale de l'Empire. Peux-tu seulement imaginer quels sont les effectifs des Impériaux là-bas ?
- Si je ne trompe pas, il y a là le gros de l'armée de Galbatorix, comprenant les troupes régulières et les régiments d'élite.
- Avance un chiffre.
- Mmh, au moins soixante mille hommes réquisitionnés pour la guerre, peu entrainés et sans volonté de se battre, peut-être quinze mille soldats de métier, de l'armée régulière que nous n'avons pas encore eu à affronter, et un ou deux milliers d'hommes de la garde d'élite de Galbatorix, surentrainés et, d'après la rumeur, ensorcelés pour ne plus subir ni douleur, ni peur. Le roi nous a déjà montré que ce genre de pratiques ne le dérangeaient pas le moins du monde, donc ce n'est peut-être pas complètement infondé. Au total, entre soixante-quinze et quatre-vingt mille hommes autour de la capitale. Je ne me trompe pas trop ?
- Tu sous-estime ses forces. Galbatorix a amassé ici plus de cent mille hommes - les chiffres viennent d'arriver. Soixante-quinze mille paysans venu de tout l'Empire, vingt-cinq mille soldats de métier - plus que dans nos pires estimations - et, plus inquiétant encore, au moins cinq milles hommes de la Septième Légion. C'est dans cette dernière que sont regroupés la fine fleur de l'armée Impériale, tous immunisés à la souffrance et à la crainte, tous protégés contre les moyens magique conventionnels utilisés par nos magiciens. A eux seuls, ils pourraient balayer la moitié des forces de notre rébellion. Mais ce n'est pas tout. Ici - Nasuada montra Dras-Leona -, la seconde ville de l'Empire est défendue par, outre ses remparts, une garnison qui nous dépasse largement en nombre. Et, si nos soldats, entrainés et motivés, sont capables de miracles, je ne nous donnerais pas gagnant si jamais nous donnions l'assaut sur une citadelle avec deux fois plus de défenseurs que nous n'avons d'attaquants. Notre seul espoir est réellement qu'ils nous sur-estiment, et qu'ils se rendent pour grossir nos rangs. Le cas échéant, tous nos espoirs reposent sur toi et le Du Vrangr Gata, d'annihiler assez de troupes d'un coup pour faire la différence.
Maintenant, explique moi à quoi peut me servir un magicien qui ne peut ni soigner, ni servir dans les batailles.
- Il peut servir dans les batailles, ma Dame, mais sans être connecté aux autres lanceurs de sorts. C'est pourquoi j'ai parlé de protection d'un groupe : toutes les batailles ne mobilisent pas des milliers d'hommes, et ses capacités sont suffisantes pour couvrir une troupe réduite d'une centaine de soldats, pour, par exemple, attaquer des convois, ou encore saboter des installations militaires relativement bien défendues."
Pensive, Nasuada fixait Eragon. Mal à l'aise, il ne parvint pas à soutenir le regard de sa chef, de plus en plus inquiétante. De larges cernes s'était dessinées sous ses yeux, des rides étaient apparus prématurément sur son front, et, alors qu'elle n'était pas beaucoup plus âgée que son vassal, elle paraissait avoir dix ans de plus. Elle plissa les yeux, et eut un petit sourire sadique, presque imperceptible, alors qu'une idée lui venait à l'esprit.
"Il pourrait servir dans une compagnie d'une centaine d'hommes, donc ? A une place où ses capacités de combattant pourraient donner leur pleine mesure ?"
Eragon sentait venir un piège mais, ignorant encore sa nature, répondit par l'affirmative.
"Alors, il accompagnera ton cousin dans ses expéditions. Mettre tous les éléments qui attirent les ennuis ensemble, et les envoyer en mission, n'est-ce pas là une idée de génie ? Peut-être qu'à eux deux, ils forgeront une légende qui servira les Vardens, comme celle que Roran est déjà en train de former pour son propre compte ?
- Je ne pense pas que Roran veuille former...
- Tais toi ! Tu n'es pas là pour penser, tu es là pour tuer les agents de l'Empire en période de guerre, et former les notre le reste du temps. Allez, au travail ! Mon temps n'est pas illimité, et j'ai beaucoup de choses à faire avant ce soir."
Furieux, Eragon sorti de la tente sans dire un mot. Saphira ressenti sa colère et le récupéra au milieu d'une allée - préalablement vidée de ses occupants par la crainte de finir écraser.
Dix minutes plus tard, ils volaient haut dans le ciel, loin des troubles des hommes.
"Ne lui en veut pas, Petit Homme. La charge est titanesque, même pour une personne robuste comme elle. Il est normal qu'elle soit plus sèche que d'habitude, surtout après avoir eu connaissance du détail de la composition de l'armée qui nous fait face.
- Je sais. La situation est désespérée. Il y a quelques temps, j'aurai encore cru qu'une armée de cent mille hommes était impensable, et voila que l'Empire en réunit au total plus de cent cinquante mille ! Mais ce n'est pas trop ça qui m'a énervé. C'est plutôt la façon dont elle parle de Roran, comme si...
- ...il cherchait à prendre sa place, j'ai vu. Elle devient paranoïaque, depuis l'attentat manqué à Aberon.
- Et depuis la trahison de Murtagh, aussi.
- Surtout depuis, en effet. J'ai comme l'impression qu'elle tenait beaucoup plus à lui qu'elle ne nous l'a avoué.
- Je la comprend un peu. Je n'arrive pas à imaginer ce que je ferais, si j'étais... trahis, comme ça. Aussi soudainement, aussi affreusement, sans aucune possibilité de tout réparer.
- C'est simple, tu n'as qu'à imaginer Arya changeant de camp, devenant une nouvelle Dragonnière au service de l'Empire.
- Ah, ah, ah. Très drôle. Je t'ai connue plus spirituelle.
- La guerre émousse ton sens de l'humour, on dirait. Il est grand temps que la paix revienne. Le sang n'a que trop coulé.
- Il n'a pas fini de couler, Saphira. Tu le sais. Nous en ferons couler des hectolitres avant que les premières lueurs de la victoire ne commencent à apparaitre. Nous allons faire des massacres, tuer des innocents et des pères de famille. Et tu sais le pire, dans toute cette histoire ?
- Non.
- On va nous aimer pour ça. Ça me rend malade rien que d'y penser."