Le dernier mouvement de la danseuse perdue [ Ezarel ]

Chapitre 8 : Chapitre 7: L'Azuréenne

2459 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 11/07/2017 02:15

-Une autre, Karuto !

Le brouhaha assourdissant de la cantine ne faisait qu’aggraver la mauvaise humeur d’Ezarel. Des éclats de voix jaillissaient çà et là, des rires gutturaux, des mouvements de chaises frottant le sol, des cliquetis métalliques de couverts à la propreté douteuse, des odeurs d’huile brûlée, de plats bouillis à l’eau… rien de cela ne plaisait à l’elfe. Rien. En plus de cela, Karuto ne semblait pas l’apercevoir. Il allait donc devoir se lever par lui-même. Lui, chef de la garde Absynthe ! Il grommela une espèce de juron incompréhensible et se dirigea vers le comptoir. Lorsqu’il vit une jeune serveuse, Ezarel l’apostropha pour commander un nouveau breuvage.

-S’il vous plaît, un autre lacté mielleux.

Elle hocha la tête et lui sourit. Il ne réussit pas à lui sourire en retour. Il était de si mauvaise humeur ! Il se rendait compte d’un coup de tout ce qui l’agaçait ici. Le brun de la cantine, accompagné de ce bleu dur ne lui correspondaient pas du tout.

- Personne n’a donc pensé à rafraîchir ces murs ? dit-il à l’attention de la serveuse.

-Pourquoi ne pas faire cela vous-même ? répondit-elle, visiblement vexée de ne pas avoir reçu un sourire en retour tout à l’heure.

- A emporter.

-Pardon ? demanda-t-elle déroutée.

- La boisson.

La jeune serveuse fronça légèrement les sourcils de disgrâce. Celle-ci lui posa le verre, qu’Ezarel s’empressa de prendre. Il partit ensuite, traversant tant bien que mal la marée humaine que constituait la cantine. Il ne dénombra pas le nombre de coups de coude et de gouttes de sa boisson qui vinrent tâcher ses habits encore neufs, se contentant de pester.

- Fais attention, bordel ! cria-t-il après s’être fait bousculer.

- Ezarel ? Mais qu’est-ce qui te prend à être si vulgaire ?

Quand il se rendit compte de la personne qui lui faisait face, il se donna une gifle intérieurement. Sa température corporelle haussa sans limite, nourrie par la honte d’avoir été si impoli envers une femme.

-Désolé Eweleïn, je ne sais pas ce qui m’as pris, maugréa-t-il

-Tu n’es pas dans ton état normal ces temps cis, quelque chose ne va pas ?

Elle posa une main douce sur son épaule. Sans s’en rendre compte, il se dégagea brutalement. Eweleïn, surprise, recula d’un pas.

- Toi aussi, tu ne supportes pas qu’on te touche ?

Il comprit qu’elle faisait allusion à Lazuli. Depuis que lui et Lazuli étaient sortis de leur cage dans le champ des brigands, il ne l’avait vue que plongée dans un sommeil qui semblait sans fin. Il avait envie de demander à Eweleïn comment elle allait, si elle avait fini par se lever. La regarder dormir n’était plus suffisant. Il devait revoir ces beaux yeux bleus…Mais peut être étais-ce inapproprié de demander cela à Eweleïn maintenant. Car dans la voix de l’infirmière, Ezarel perçut qu’elle fut blessée. Blessée qu’on ne désire pas de son aide. De son toucher.

- Ce n’est pas ça Eweleïn, ne le prends pas mal. J’ai juste besoin d’être seul, tu vois ?

-Oui, bien sûr, mentit-elle. Je te laisse alors.

Ezarel se retourna quand elle ajouta :

-N’hésites pas à venir me voir si tu as besoin de quoi que ce soit.

Il ne répondit pas. « Peut-être qu’il ne m’a pas entendue » se dit Eweleïn.

Elle vit juste sa longue silhouette traîner de la salle des portes vers l’infirmerie. Marche rythmée par le brouhaha de la cantine typique des soirs à Eel.

- Ezarel, où vas-tu comme ça ?

C’était trop tard, il était déjà à l’intérieur.

Eweleïn soupira, puis se dirigea lentement vers le marché, quand soudain, elle sentit quelqu’un l’agripper par les épaules. Dans les yeux d’Ezarel elle lut clairement son désir. Celui de retrouver Lazuli.

***

-Comment sais-tu pour Kaléo ?! Comment ? Qui est au courant ? siffla Lazuli en mettant l’homme à Terre.

Des ronces sauvages vinrent s’accrocher à son cou, venant presque à l’étouffer.

- Moi… Miiko. C’est t-tout, réussit-il à dire.

La jeune femme le regarda avec dédain, en plissant son nez de manière féline. Elle vit le visage de l’homme bleuir à vue d’œil, puis se dit que ce ne serait pas judicieux de le tuer ici et maintenant. Elle avait besoin de lui. D’explications. Elle verrait après pour le reste.

Les ronces mortelles se détachèrent de l’homme, qui put enfin respirer. Il se leva, avec un grâce précieuse malgré son désavantage, et fit face à Lazuli. Il prit un instant pour retrouver son rythme respiratoire naturel.

- Tu ne pourras avoir les réponses que tu souhaites en agissant comme tu le fais, dit-il comme s’il avait lu dans ses pensées.

Au fond, Lazuli savait cela. Elle savait qu’elle ne pouvait pas se permettre d’agresser chaque personne qui souhaitait lui parler de son passé… mais elle avait l’impression que quelque chose la possédait. Qu’elle n’était plus maitresse de son corps, voire même de son esprit.

Mais plus pour longtemps. Elle allait changer cela.

- Je m’excuse.

Contre toute attente, l’homme lui sourit.

- Reprenons tout depuis le début alors.

La grâce de l’homme qui lui faisait face aurait dû agacer Lazuli. Mais cet homme incarnait une sorte de conscience tranquille apaisante, qui allait de pair avec sa grâce quasi aristocratique. Ils se regardèrent intensément dans les yeux, et l’homme réussit à trouver dans le regard cristallin une brèche qu’il s’empressa d’ouvrir : celle du désir de changement.

- Je me nomme Leiftan, posa-t-il, et je fais partie de la garde Etincelante. Je suis ici pour répondre à tes questions en toute transparence.

-Kaléo, souffla Lazuli.

Elle regarda ses pieds sans laisser transparaître sa tristesse.

- Savez-vous qui est-il pour moi ?

- Oui, nous savons.

-Nous ?

-Miiko et moi.

-Dites-moi tout ce que vous savez sur lui. Tout.

Dans le regard de la princesse sans royaume se lisait une sorte de détresse.  Combien de fois avait-elle pleuré cet être perdu ? Combien de fois… Mais elle refusait de laisser transparaître une quelconque émotion. Son corps était aussi sec que son cœur. Et personne ne pourrait jamais plus lui faire du mal. Elle ne voulait plus se remémorer la présence des larmes sur ses joues, cils, bouche, gorge. Leiftan, face à elle, sentait le mur invisible qui se dressait entre elle et lui. Il savait qu’aujourd’hui, il ne pourrait pas le franchir. Ni demain, ni dans une semaine… Il savait qu’il ne réussirait peut-être jamais à comprendre la personnalité de cette femme au destin particulier. Mais pour l’instant, il n’était pas là pour la comprendre. Mais pour faire d’elle une alliée.

-Nous ne savons rien de plus que vous ne sachiez pas.

- Je ne sais rien ! rugit-elle. Rien du tout.

Elle passa sauvagement une main sur sa chevelure de lionne, et attendit une réponse.

-Kaléo est ton fils.

Cette phrase raisonna drôlement dans la tête de Lazuli.

- Et le fils de Widar d’Azgar. L’un des hommes les plus puissants d’Eldarya.

Lazuli déglutit péniblement en repensant au visage meurtri de cet homme.

- C’est tout ?

-C’est tout.

Lapis Lazuli restait sur sa faim. Elle se méfiait de Leiftan. De son regard tranquille qui semblait cacher certaines choses.

-Es-tu sûr qu’il soit en vie ?

-Il était aux bras de son père lorsqu’il a rasé l’île des Kappas, il y a de cela une semaine…

Une soudaine envie de vomir secoua Lazuli, en pensant que son fils, être de lumière, avait assisté au massacre d’un des peuples les plus pacifiques d’Eldarya.

-Comment savez-vous que c’est bien mon fils ? Comment pouvez-vous en être sûrs ?

Leiftan sourit en la fixant avec une expression indescriptible.

- Les yeux Lazuli, les yeux qu’il possèdent ne peuvent venir que de toi.

Tel un glaive sur le cœur, cet phrase vint la scinder en deux. Son fils était en vie, aux mains sales de l’homme le plus dangereux de ce monde. Et elle ne le savait pas.

- Il avait promis de le tuer, il m’a dit cela avec le plus sincère des sourires, je ne comprends pas pourquoi ce monstre de Widar est revenu sur sa décision. Il n’a pas de cœur, le tuer n’aurait rien changé. J’ai porté le deuil de Kaléo depuis qu’il est né… Je ne comprends pas, dit-elle en se mordant la lèvre inférieure jusqu’au sang.

-Il a peut-être besoin d’une descendance pour assurer la perpétuité de ses gènes et assurer aux Hüns un futur chef.

L’idée de voir son fils reprendre l’entreprise paternelle lui fit froid dans le dos. Elle ne pouvait laisser cela se produire.

-Il hait les elfes ! Il les hait autant que je déteste son facies défiguré. Cela n’a aucun sens ! Pourquoi laisser sa place à un être moitié elfe, moitié… hün ? dit-elle en fronçant les sourcils.

Elle marqua une pause. Leiftan quant à lui tentait de trouver le pourquoi du comment.

- Je dois le retrouver. Mais je ne pourrais pas le faire toute seule.

Lazuli réfléchit à toute vitesse.

- Leiftan, j’ai une proposition à vous faire.

Celui-ci écarquilla les sourcils en voyant l’inversion des pouvoirs de force.

- Et deux conditions à poser.

Leiftan hocha la tête.

- Je veux bien vous aider à repousser les Hüns. A les détruire tous un par un. A sauver Eldarya. Mais avec pour objectif final de retrouver Kaléo vivant. Si Kaléo ne sort pas indemne de cet affrontement, je détruirais le Quartier Général d’Eel, et je sais que tu es conscient de la véracité de mes propos.

Leiftan hocha la tête, avec un sérieux incroyable.

- Mais il y a deux conditions à cela. Toi et Miiko ne direz à personne, je dis bien personne, que Kaléo existe. C’est mon affaire personnelle. Et personne ne doit être au courant que c’est mon fils. Si j’entends ce prénom voler un peu partout dans le QG, je saurais d’où vient la faille et n’hésiterai pas à faire de vous ce que je souhaite.

Leiftan pâlit légèrement mais continua à hocher la tête, comme si c’était devenu un automatisme.

- Et finalement une dernière petite chose. Je connais assez bien chaque garde, pour savoir qu’aucune ne me correspond. Ni la garde de l’Ombre, ni l’Obsidienne, ni l’Absynthe. Encore moins l’Etincelante. Aucune. Alors je souhaiterai lancer un appel au recrutement pour la nouvelle garde d’Eel, dirigée par moi-même : la garde Azuréenne.

Leiftan arrêta de hocher la tête, et tenta tant bien que mal de rester posé et gracieux comme à son habitude.

- Je crois que ça va être difficile à réaliser… L’équilibre des gardes est ancestral. En créer une nouvelle serait du jamais vu, peut être que ça ne fera que créer qu’une instabilité supplémentaire et…

- Tant pis, le coupa-t-elle. Passez le bonjour à Widar de ma part, et évitez de mourir au combat.

Lazuli se retourna puis se dirigea vers la sortie en laissant ses longs cheveux noirs voler derrière elle.

-Lazuli ! cria Leiftan.

-Hm ?

- Laisse-moi en parler à Miiko.

-Je vous donne cinq minutes Leiftan. Dans cinq minutes, vous ne me retrouverez pas.

-Votre devise ?

-Pardon ?

-Quelle serait la devise de votre garde ?

Lazuli réfléchit.

- Vous avez dix secondes pour répondre.

Lazuli ouvrit grand les yeux, puis sourit malicieusement de ces lèvres écarlates. Elle aimait les gens qui se prêtaient à son jeu.

-Diversité, Indépendance et Puissance.

Leiftan hocha la tête, puis se précipita vers la salle de Cristal. Il y trouva Miiko. Sans hésiter, il lui présenta la situation, ainsi que le désir de Lazuli de présenter une nouvelle garde au QG d’Eel.

-Leiftan, comment peux-tu me rapporter ça ? C’est insensé ! s’exclama Miiko en écarquillant les yeux.

-C’est notre unique chance de pourvoir vaincre les Hüns, et tu le sais très bien. Ne vois-tu pas qu’Azgar la chérie comme si c’était une partie de lui-même.

-Cesse de dire cela. Sottises.

Miiko agacée, posa un doigt sur chacun de ses sourcils.

-Il l’a envoyée dans une taverne perdue, où elle a été exploitée comme danseuse…Du pur esclavagisme. S’il tenait autant à elle, il ne l’aurait jamais envoyée là où elle a vécu deux ans de sa vie. Cet homme n’a pas de cœur.

- Je n’ai que cinq minutes Miiko. Laisse-là faire ses preuves. Je suis sure que ce Lazuli est la personne qu’il nous faut pour faire que les choses évoluent.

-Non ! On organisera nos missions sans elle, c’est hors de question !

Leiftan, toujours debout, baissa la tête.

Miiko pensait qu’il souhaitait capituler, mais…

Il n’en était rien.

Sa jambe se fléchit.

Son genou se cogna.

Sa nuque s’affaissa.

Son dos se courba.

Et c’est ainsi qu’il s’agenouilla.

- Je ne pourrai insister plus que cela, Miiko. Laisse-lui sa chance. Aux moindres pertes, j’en assumerai la totale responsabilité.

Miiko eut le souffle coupé. Elle n’avait jamais vu Leiftan s’agenouiller pour une quelconque cause. Ce geste était synonyme de soumission totale, et a une valeur inestimable pour les êtres de la lune. Face à tant d’assurance et de dévotion, Miiko répondit en un soupir:

- Elle a deux mois. Deux mois pour constituer sa garde. Deux mois pour être fin prête au combat.

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