Le dernier mouvement de la danseuse perdue [ Ezarel ]

Chapitre 6 : Chapitre 5: La peine de l'homme statue

2476 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/06/2017 00:36

 

 

     Des effluves médicinales, des cliquetis métalliques ainsi que des murmures étouffés, constituaient l’ambiance particulière de l’infirmerie de la Garde d’Eel. Eweleïn, l’infirmière de la Garde, était chargée de s’occuper de la Princesse d’Elefia. Cela faisait déjà deux jours qu’elle dormait à poing fermé. Deux jours qu’elle la surveillait, qu’elle la soignait, qu’elle s’occupait de son énergie vitale et évitait sa dégradation. Deux jours qu’elle toisait avec curiosité cette femme de la même espèce, mais avec qui elle n’avait rien en commun. Deux jours qu’elle attendait impatiemment son réveil, pour enfin découvrir ces yeux qui lui ont valu tant de gloire. Lazuli. Tant de beauté et de tourments caractérisaient ce prénom.


Eweleïn se retourna un instant, pour préparer une potion revigorante. Elle commença à infuser le la menthe, des melons épicés, et des fruits rouges… quand une voix murmura :

- Ezarel ?

La jeune infirmière se retourna instantanément, puis s’approcha de sa patiente le cœur battant. Quand, après avoir tant attendu, Eweleïn croisa le regard si bleu de Lazuli, elle se pétrifia un instant. Comme saisie de douleur. Reprenant ses esprits, elle s’assied au pied de son lit puis lui dit d’une voix claire :

- Heureuse de vous voir réveillé Princesse Lazuli d’Elefia. Ezarel n’est pas ici, mais si vous le demandez nous pouvons le faire venir.

Lazuli posa un bras las sur son front, en fronçant les sourcils. « Que de circonlocutions ! » se dit-elle prise d’un mal de tête soudain.

- Non, non, ne vous donnez pas cette peine. Ou est-il ? Va-t-il bien ? La dernière fois que je l’ai vu il était sur le champ de bataille…

- Il va bien, la rassura l’infirmière.

Lazuli ferma les yeux un instant, rassurée.

- Pouvez-vous m’expliquer maintenant où suis-je, et pour quelles raisons je suis en votre présence ?

- Vous êtes actuellement dans l’infirmerie de la Garde d’Eel, où vous avez dormi près de deux jours.

Lazuli ne sembla pas tiquer et donc Eweleïn poursuivi :

- Vous et Ezarel avez étés enlevés par des brigands près de la plaine de l’Est. Mais ces brigands n’étaient pas en effet de simples brigands… mais des Hüns. Sachant qu’Ezarel avait des jours de retard, la Garde envoya un soldat en éclaireur pour comprendre ce qui se passait. Notre sentinelle découvrit la horde de Hüns qui se baladait dangereusement trop près du Quartier Général. Furent alors envoyés Nevra et Valkyon, chefs respectifs de la garde de l’Ombre et la garde Obsidienne, pour contrer l’avancée de ces Hüns. La bataille fut rude mais se solda par le retrait de ces monstres.

- Vous ne répondez pas à ma question, dit Lazuli. Je ne sais toujours pas pour quelles raisons je suis en votre présence.

Eweleïn fut déstabilisée.

- Vous étiez blessée et fatiguée, c’était de mon devoir de vous soigner. Vous aviez les mains creusées de blessures jusqu’aux os. Maintenant il ne vous reste plus qu’à cicatriser.

- Vous ne comprenez toujours pas, soupira Lazuli. Qu’est-ce que je fais ici ? Pourquoi m’avoir emmené jusqu’ici ? Par simple charité ? Je m’en doute. Quel rôle est-ce que je joue dans ce brouhaha que vous me décrivez. Les Hüns, la guerre, les brigands… quel lien de près ou de loin existe-t-il entre eux et moi ?

Eweleïn se crispa, ne s’attendant pas à ce qu’une princesse puisse formuler ce genre de propos.

- Miiko souhaitait justement vous en parler. Elle est à la salle de cristal. Je vous y accompagne.

- Non, ça ira, assura Lazuli en se levant.

Celle-ci tituba, et Eweleïn se précipita pour la rattraper.

- Ne me touche PAS ! cria-t-elle

L’infirmière recula, effrayée.

- Je… j’y vais toute seule, maugréa Lazuli


Lazuli descendit les marches qui menaient vers la salle des portes. Il y avait beaucoup trop de monde, et la fatigue était encore présente dans son corps. Elle arriva sans trop d’encombres face à la salle de cristal, en évitant un maximum de personnes.


Une montagne de muscles surveillait l’entrée de la salle de cristal. Apparemment on l’avait averti de sa potentielle visite, car on la fit rentrer sans encombres. Lorsqu’elle entra, elle vit une jeune kitsune au regard flamboyant de vivacité se dresser devant elle. De longs cheveux volumineux, une queue à l’effigie de son espèce, et des flammes bleutées qui menaçaient de s’embraser à n’importe quel moment semblaient représenter parfaitement le personnage de Miiko.


- Princesse, vous êtes déjà réveillée ? s’exclama Miiko

Lazuli fit tout l’effort du monde pour ne pas lever les yeux au ciel. Elle inspira puis dit posément :

- Avant que la discussion n’aille plus loin, serait-il possible de me tutoyer ? Et de dire à toutes les personnes que je croise depuis le début de me tutoyer également ?

Miiko écarquilla les yeux de surprise puis répondit :

- On ne souhaiterai pas manquer de respect à notre invitée,

- Alors tutoyez-moi. Et arrêtez de me traiter comme une personne que je ne suis pas.

L’atmosphère s’électrisa. La conversation ne tournait pas du tout comme l’aurait souhaité la chef de garde.

- Si tel est votre… ton désir, dit Miiko en arrachant de sa gorge ce tutoiement, qui la mettait visiblement mal à l’aise.

Lazuli sourit d’un air provocateur, puis dit :

- Maintenant que l’essentiel a été posé, je souhaiterai des explications. Pourquoi m’avoir ramenée ? N’étais-je pas morte à vos yeux ? Deux ans que vous oubliez tous mon existence et vous me ramenez ici en espérant que je vais coopérer ?

Miiko comprit vite fait que Lazuli gardait énormément de rancœur en elle, et qu’aujourd’hui c’était l’occasion pour elle de se défouler. Et que c’était elle qui voulait diriger le dialogue… mais cela ne se passera pas comme ça.

- Lorsqu’on a appris le triste sort qu’Elefia a subi, nous avons envoyé nos meilleurs troupes pour sauver le peu qu’il restait. Inutile de rappeler que les pertes du côté des elfes étaient lourdes, et que le lieu avait été totalement détruit. Pourtant, nous avions espoir de retrouver la princesse…c'est-à-dire toi. Sauf que tu t’entêtes à renier ce titre, pour je ne sais quelles raisons. Bref, après inspection des lieux et des environs pendant des jours, nous avons dû porter le deuil de ta disparition. On a continué les recherches mais sans réelle conviction pendant deux ans. Deux ans qu’on te cherche Lazuli. Mais tout changea lorsqu’un homme vint nous rapporter t’avoir vue dans une taverne à des lieues d’ici. Dès que l’on a appris cette nouvelle, on a envoyé Ezarel pour te ramener, te soigner, et te voilà aujourd’hui auprès de nous.

Lazuli réfléchissait à toute allure, la tête baissée, le cœur en miettes à la simple évocation de son royaume…détruit. « On ne m’a donc pas oubliée ?... On m’a juste perdue. » se disait-elle intérieurement. Pouvait-elle vraiment faire confiance à Miiko ? Après tout, elle ne connaissait toujours pas ses intentions. Mais son discours collait à celui d’Ezarel, ce qui montrait qu’il y avait une certaine cohérence.

- Suis-je donc ici uniquement pour me rétablir, comme tu le sous-entends ? demanda Lazuli avec méfiance.

Miiko se racla la gorge, signe que cette partie du dialogue allait être difficile à manipuler.

- Comme tu peux le voir, tes mains sont libres.

« Mais oui !! » s’exclama intérieurement Lazuli. Des feux d’artifices bouillonnaient en elle, mais son visage restait de marbre.

-C'est-à-dire que tu es libre, poursuivit Miiko. Mais nous aurions un service à te demander, une sorte de requête.

« Ça y est je la vois venir. La charité n’existe pas à la garde d’Eel. » se dit Lazuli.

-Quelle requête.

- Eldarya vit une crise majeure sur tous les domaines. Pénurie alimentaire, affaiblissement des manaas et perte des morceaux du cristal. Nous savons que tes pouvoirs sont démesurés, Lazuli, et nous aurions besoin que tu rejoignes la garde de ton choix pour nous aider à reconstituer le cristal.

-Qu’est-ce que j’y gagne ?

- La reconnaissance, ainsi que de relever ton nom, ton statut, et honorer l’image de ton royaume.

Les racines les plus profondes cachées dans les méandres terrestres commencèrent à se tordre de manière effrayante. Dans la salle de cristal, les poutres commencèrent à trembler sous le mouvement des racines.

- Qui es-tu pour faire des jugements de valeur ? Estimer ce qui est bon ou pas pour mon royaume ? Oser parler au nom de ce que tu ne sais pas ? dit une voix inhumaine sortie de la gorge si féminine de l’elfe.

Miiko regarda avec effarement le grand cristal trembler en priant l’Oracle pour qu’il ne lui arrive rien. Lazuli poussa un cri déchirant en se tordant les poignets. Les racines commencèrent à bouger vers la surface.

O miseras hominum mentes ! O pectora caeca ! s’exclama Lazuli

Ce n’est pas la salle de cristal, mais tout le quartier général qui commença à trembler sous l’impact. Tout le monde était pris de panique, et l’on entendait ici et là des « qu’est-ce qui se passe ? », des « c’est un tremblement de terre ? » et des « on va tous mourir jeunes ! ».

- Lazuli écoute moi, écoute moi ! cria Miiko.

Au même instant, Nevra, Valkyon et Ezarel entrèrent dans la salle de Cristal, et restèrent bouche bée face au spectacle qui se dressait devant eux.

- Encore ? râla Ezarel qui avait vraisemblablement eu sa dose

Lazuli se tenait debout, les bras tordus de colère, de frustration, criant à s’en arracher les poumons. Ses cheveux de jais volaient dans tous les sens avec violence, créant une sorte de bouclier protecteur.

- Ezarel Oracle du ciel tu es là ! Fais quelque chose pour la raisonner, elle est totalement inconsciente ! cria Miiko pour se faire entendre. Vite ou bien c’est tout le QG qui s’effondre.

- Ou sont les chaînes ?! Celles qui absorbent son énergie ? dit-il de sa voix la plus haute

- Je ne sais pas, mais tente quelque chose !

- On ne peut rien faire Miiko, il faut qu’elle se calme par elle-même.

Miiko fusilla Ezarel du regard et s’accrocha à une poutre pour ne pas être transportée par le vent. Valkyon et Nevra regardaient toujours la scène avec stupéfaction. Valkyon ressentait avec tellement de puissance les émotions de Lazuli que sans même s’en rendre compte, ses jambes se dirigeaient vers elle. Il se sentait comme happé par la force de ces sentiments. Il fut arrêté un instant par une main agrippée fermement à sa veste.

- Mais tu es fou, qu’est-ce que tu fais ?!

- Lâche-moi Nevra, ordonna Valkyon.

Quelques longues secondes s’écoulèrent.

- Lâche !

Nevra se résigna à libérer son ami à regrets.

Valkyon marchait lentement vers Lazuli, tant le vent était fort. Il réussit néanmoins à arriver assez près pour qu’elle puisse voir son visage, et l’entendre parler. Valkyon s’approcha encore et tenta de lui attraper la main. De ses doigts, il l’effleura.

- Mais qu’est-ce qu’il a fait… ?! sermonna Ezarel en se frappant le front.

Lazuli n’est pas une femme que l’on peut se permettre de toucher.

Au contact, son cri fut décuplé, et évoluait désormais sur une échelle logarithmique. 

Valkyon recula instantanément, pris de panique. Aucune stratégie n’était planifiée. Il ne faisait que suivre son instinct. Et son instinct lui disait de faire autre chose. De s’allonger.

Oui c’était cela.

Il s’allongea par terre, et commença à parler.

A parler de lui.

Presque en murmurant.

- Je viens d’une famille nombreuse. Grandir et se faire une place dans la famille, tu vois, ce n’était pas si facile… J’ai appris à me contenter d’un rien… d’un sourire. Après tout, c’était la seule chose qu’il nous restait, sourire. J’avais faim certains soirs. Et parfois, j’étais frustré. Oui, je me sentais de trop. Et je n’avais personne…

Au loin, Miiko, Ezarel et Nevra observaient la scène avec panique.

- Vous pensez qu’il est mort ? demanda Ezarel

- Tais-toi Ez, ce n’est pas le moment de plaisanter, cria Nevra pour se faire entendre.

- Mais je suis sérieux il ne bouge pas depuis des heures !!

- Taisez-vous et allez chercher les chaînes, ordonna Miiko

- Les quoi ? On ne t’entends pas Miiko

Loin de tous ces tourments, Valkyon continuait à raconter son histoire.

-J’aimais beaucoup mes parents, ils ont tout fait pour qu’on puisse, moi et mes frères, grandir normalement. Mon père était un homme fort. Froid, c’est vrai. Mais avec un cœur de lion. Il travaillait à la mine, et rentrait fatigué le soir. Ce travail l’a forgé, et l’a rendu ce qu’il était. C'est-à-dire un homme fatigué. Un homme indisposé à nous donner son amour. Quand je pense à lui, je suis triste. Parce qu’avant je l’avais lui et ma famille, mais sans argent. Aujourd’hui, j’ai l’argent mais je n’ai plus ma famille. Je n’ai pas eu le temps de lui offrir ne serait-ce qu’un an de tranquillité. Il a travaillé jusqu’au dernier jour, Lazuli.

Lazuli se tut.

Le temps s’arrêta.

Nevra, Miiko et Ezarel retinrent leurs souffles

- On est seuls aussi chez les hommes, chuchota tout bas Lazuli.

Mais le silence était tellement pesant que le chuchotement fut pareil à une exclamation.

Elle ferma les yeux puis s’effondra sur l’homme statue.

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