Le dernier mouvement de la danseuse perdue [ Ezarel ]
Ezarel se réveilla en sursaut par des cris de rage.
- Aaaah !!cria une voix inhumaine
Il se frotta les yeux, totalement déboussolé. Lorsque sa vision s’éclaircit, la première chose qu’il vit fut Lazuli, accroupie à ses côtés, tentant de défoncer la porte de ce qui semblait être une cage. Oui, c’était bien une cage… saisissante de par sa petitesse. Elle remplissait une surface d’à peine deux mètres carrés, et ayant un mètre pour hauteur.
- Qu’est-ce que… ? balbutia-t-il,
- Toi tu la fermes, ok ? lui cracha-t-elle alors qu’elle se lançait de plus belle sur la porte
Le jeune elfe écarquilla les yeux mais n’ajouta rien. Il n’avait jamais vu Lazuli dans cet état et il savait qu’à la moindre remarque elle allait s’embraser. Ezarel n’avait pas l’habitude d’agir de la sorte, et se surprit à opter pour l’option de la « maturité ». Pour se rassurer, il se dit qu’il aurait bien le temps de lui faire payer tout ça une fois arrivés au QG. S’ils s’en sortaient vivants…
Lazuli se remit en position accroupie, prit tout l’élan qu’elle pouvait et se jeta sur la porte. Toute la cage tressaillit sous l’impact mais la porte ne flanchât pas.
- Merde, merde, merde ! cria-t-elle. Merde !
La jeune femme passa ses doigts sauvagement sur sa chevelure de jais. On ne distinguait plus son visage, totalement caché par ses mèches obscures. Elle se colla au mur et de ses poings cogna de toutes ses forces cette porte. Elle frappa avec toute l’énergie qu’il lui restait, jusqu’à ce que ses mains si douces soient parsemées de tâches écarlates. Une tension incroyable palpitait en cet être. Une sorte de mélange de stress, d’angoisse, de colère et de rage. Ezarel observa avec horreur toutes les blessures sur la peau quasi translucide de la jeune elfe.
- Arrête Lazuli, ça ne sert à rien, tenta Ezarel
Il ne voulait pas brusquer cette femme si paniquée. Et en plus de cela il avait opté pour la maturité. Et il était évident que dans un si petit espace, il fallait qu’ils coopèrent.
- Tout ça c’est de ta faute, cria-t-elle les yeux pleins de larmes, rien de ça ne serait arrivé si tu n’étais pas venu. Je te hais, je te hais, je te hais…
Sa dernière phrase s’éteignit dans l’espace mais continuait à raisonner dans leurs esprits tel un leitmotiv. Ezarel ne prit pas au sérieux ce que Lazuli venait de dire. Elle n’était pas consciente. Elle ne faisait qu’obéir à ses instincts primaires.
- Tu ne peux que te faire mal en continuant ainsi. Un sort celle la cage. Ni toi ni moi pouvons faire quelque chose, posa Ezarel.
Lazuli se recroquevilla et commença à se balancer tel un enfant angoissé. Elle ne prêta pas attention à son corps parsemé de bleus, à ses mains écorchées jusqu’aux os. Prise au dépourvu, elle commença à pleurer en murmurant « Je veux sortir, je veux sortir ». Une phobie s’était emparée d’elle et la resserrait tel un étau mortel.
- Il y a bien un moyen de sortir de cette foutue cage ! lança-t-il en donnant un coup de pied sur les barreaux qui engendra un grincement métallique étouffé.
Ezarel, pragmatique, essayait de comprendre la situation. Hier il était à moitié endormi… et soudain plus rien. Une douleur atroce au crâne l’avait saisi au réveil. Il fit vite la corrélation : les brigands ! Ils l’ont assommé. Et il n’était pas si difficile de capturer Lazuli enchaînée comme elle l’était.
Ezarel s’en mordit les doigts. Ils n’ont pas été discrets et se sont fait repérer dans la clairière, si près du quartier général d’Eel. Ils étaient si près du but…
Pourtant…
Illumination.
-Oui c’est cela ! s’exclama Ezarel en accord avec lui-même. Lazuli, il y a peut-être un espoir !
Ezarel se leva d’un coup. La précipitation lui fit oublier la hauteur de la cage, et tel un oiseau maladroit, percuta le plafond avec violence. Il tournoya un instant sur lui-même, étourdi. Le chef de garde poussa un juron monstrueux en se frottant la tête.
- Je déteste cette mission, pesta-t-il
Alors qu’il se grattait la tête, Ezarel réalisa quelque chose d’horrible. Il réalisa qu’il venait… oui c’est cela : il venait d’oublier son illumination à l’instant même où sa tête avait cogné le plafond. Ça lui soutira une nouvelle plainte, suivie d’une cascade de jurons. Lazuli, elle, n’écoutait rien à ce que lui disait Ezarel depuis un bon moment. Elle avait perdu la notion du temps, de l’espace, et continuait à psalmodier des lamentations digne d’une mauvaise tragédie.
-Que nous veulent-ils ? sanglota-t-elle. Qu’ai-je fait pour mériter un sort pareil ?
Ezarel, sa douleur au crâne lui lancinant toujours, faillit s’emporter en entendant les gémissements plaintifs de Lazuli.
« Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, se dit-il intérieurement, ce n’est pas comme si j’étais avec une folle dans une cage ensorcelée avec pour unique soutient un manche à balais. Un manche à balais… ? Mais qu’est-ce que je raconte ?! »
Ezarel s’asséna une gifle mentale et tenta de se centrer sur l’instant présent. Il aurait le temps de se soucier de sa santé mentale après. Le but majeur étant de fuir. A travers les barreaux, il put observer en détail l’environnement extérieur. Ils étaient encore dans la forêt. Leur cellule était une sorte de cage en bois, d’un volume d’à peu près quatre mètres cube. Cette cage se déplaçait, et était tirée par un cheval. Le QG était vers l’Est, et là ils se dirigeaient vers l’Ouest. « Ce n’est pas bon du tout ça… » se dit-il intérieurement. Il tenta de repérer et dénombrer les brigands. « Je peux deviner qu’il y a un cocher, mais où sont les autres ? » soupira le chef de garde. Il ne voyait personne, et ce n’était pas bon signe. Ezarel gardait son calme malgré les gémissements de Lazuli. Il avait envie de partir, mais il se devait de la rassurer.
- Ça va ? demanda-t-il tout de même
« Elle souffre le martyr est tout ce que tu trouves à dire c’est : ça va ? Pitoyable Ezarel, pitoyable… » se dit-il en s’assénant une gifle mentale.
- Non.
Devant tant de froideur, Ezarel ne put s’empêcher de lui dire :
- On est tous les deux dans la même galère, tu sais.
- C’est sûr que toi tu sais ce que ça fait de vivre dans une cage pendant deux ans sans jamais plus voir le soleil.
Ezarel se tut. C’est lui-même qui l’avait délivré de sa cage. Il n’aurait pas dû manquer d’autant de tact.
- Hé, Lazuli…
- Ne dis rien Ezarel. Parler ça te réussis pas.
Il se tut de nouveau.
- Tu es trop dur avec moi. Si on doit mourir ce sera ensemble. Ne rends pas ma mission plus difficile qu’elle ne l’est déjà avec tes ondes négatives, je me sens projeté dans une mauvaise tragédie grecque.
Soudain, de manière brusque, le cocher arrêta le chariot. Sous l’impact Ezarel et Lazuli furent propulsés l’un contre l’autre. Ils se dégagèrent tous les deux comme pris de dégoût. Ezarel sentit sa mâchoire s’affaisser lentement, pris de stupeur.
- Qu’est-ce que tu regardes comme ça ? demanda Lazuli
- Ils sont là ! Ils arrivent ! cria-t-il de joie en désignant l’horizon
- Mais de quoi parles-tu ?!
- Regarde !!
La joie se lisait dans la voix d’Ezarel. Lazuli jeta un coup d’œil dehors à travers les barreaux, et ce qu’elle vit la pétrifia. Tous ses muscles se tétanisèrent. Des centaines d’hommes, à la barbe mal rasée, au corps musculeux, au faciès étrangement masculin, se ruaient vers des chevaliers à l’armure resplendissante, qui arboraient fièrement l’épaulière de leur garde. Ils étaient si loin ! Pourtant, elle distinguait sans peine les muscles de ces hommes se tendre et se détendre, la sueur perler sur leurs fronts, les stries couvrir leurs corps chauds, leurs armures gravées de la marque des nomades d’un côté, et les épaulières de la garde Obsidienne luire, de l’autre. Son cœur se mit à battre la chamade. Des souvenirs vinrent hanter son esprit.
Cris.
Pleurs.
Gémissements.
Odeur de soufre et de sueur.
Des appels à l’aide mouraient dans l’espace.
Des hommes forts, si forts, scindaient des corps en deux sans s’arrêter.
Ils étaient si attirants, si masculins, si virils, si meurtriers, si dangereux…
Les Hüns.
-Juste un baiser… susurra-t-il
-Non !!! Non lâchez-moi ! cria-t-elle en pleurant.
- Je ne vous veux aucun mal…
Cris,
Pleurs,
Gémissements.
- Je ne veux pas ... !
La voix qui prononça ces quelques mots avait un timbre si doux et sombre à la fois. Lazuli réalisa qu’elle avait fermé les yeux sans s’en rendre compte. Depuis combien de temps déjà ?... Elle se résolut à les rouvrir. Des larmes brouillaient sa vue. Un visage inconnu, à quelques centimètres du sien, lui sourit avec confiance. Un arc de lumière encadrait ce visage inconnu, teinté d’une aura divine.
- Ne vous inquiétez pas princesse, vous êtes en sécurité, dit-il. Laissez-vous faire.
Le visage de cet inconnu était si doux. De longs cheveux nacrés encadraient son visage, et créaient une harmonie avec son teint basané.
- Puis-je ? demanda-t-il en s’apprêtant à la porter.
Lazuli mit du temps à répondre, puis hocha la tête, et essuya les larmes qui s’écoulaient de ses yeux si bleus. Elle se retrouva, d’un coup, pressée contre le corps chaleureux de cet homme qui lui promettais la sureté. De ses deux mètres de haut, et avec cette masse musculaire impressionnante, il la portait comme si elle était de plume. Autrefois, approcher un corps aussi massif lui aurait paru impossible, inimaginable. Et voici qu’elle se retrouvait contre cet homme si fort, comme s’il avait laissé agir une potion persuasive sur elle.
- Nous allons vous emmener à la garde d’Eel. Ezarel, reste au front auprès de Nevra.
« Ezarel ? Il va rester ? » se demanda intérieurement Lazuli, non sans ressentir un peu de culpabilité.
- Ne t’inquiètes pas Valkyon, je consoliderai le front. Fais attention à elle, répondit-il sans me regarder
Le jeune elfe baissa les yeux, timidement. L’inconnu hocha la tête de manière solennelle, puis se détourna, Lazuli toujours blottie dans ses bras. La jeune elfe, toujours sous le choc, tremblait de tous ses membres. Il faisait peut-être trente degrés à l’ombre, mais elle frissonnait sans s’arrêter. L’homme au teint basané ressentait le moindre de ses mouvements, et tenta de la calmer en lui adressant un regard plein de compassion.
- Eweleïn va bien s’occuper de toi, ne t’inquiètes pas.
Lazuli hocha la tête, sans cesser de trembler. Elle se résolut à fermer les yeux et évita de penser à quoi que ce soit. Etrangement, Lazuli se sentait en sécurité auprès de lui, malgré le fait qu’il pouvait la briser en moins d’une seconde de ses bras musculeux.
- Merci beaucoup de m’avoir sauvée, Valkyon.
Le dénommé Valkyon n’esquissa même pas un sourire, comme protégé par un masque inexpressif.
- Ces remerciements devraient être adressés à Ezarel. Je n’assure que la fin de la mission.
Sa voix était posée, toujours aussi sombre, et Lazuli ne put s’empêcher de frissonner. Cet homme était-il aussi froid qu’il n’en avait l’air ? Elle ne dit rien, respectant son silence.
Elle tremblait de tous ses membres, et son teint était encore plus pâle que d’habitude. Elle ferma les yeux un instant. Les rouvrit quelques minutes plus tard. Ou bien étais-ce une heure ?
- Nous sommes bientôt arrivés, dit l’homme statue, la berçant de sa voix sombre
Elle ne voyait plus rien de toute façon…