Les neiges sanglantes de Meltomène

Chapitre 5 : C5 : Master... and Commander

5443 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 07:28

CHAPITRE V : Master... and Commander

KOSCHEI

Accoudé à sa table de travail, l'homme en peignoir de soie se massa les tempes. Il n'aimait pas ce que venait de lui dire l'interlocuteur qui lui faisait face. Ce Costopovitch en costume ostentatoire, la face grêlée de petite vérole, était une ordure mais de petite envergure – ce qui était décevant. Il n'aimait ni son ton, ni ses manières, ni l'air supérieur qu'il faisait mine de prendre avec lui comme s'il le prenait réellement pour son larbin.

― Est-ce que vous m'écoutez ? insista l'autre déplaisamment.

― Oui, je ne fais que ça ! répondit le Chinois plutôt sèchement.

Costopovich lissa la gomina de ses cheveux noirs du plat de la paume et le toisa d'un air suffisant.

― Dois-je vous rappeler que notre ami commun a expressément stipulé que vous deviez m'apporter toute l'aide que je pourrais réclamer et… que vous pouvez vous garder vos scrupules ? Vous n'êtes pas tellement en mesure de négocier avec lui, d'après ce que j'ai compris.

― Je suppose, pas plus que vous, grinça « Wu Tsi » avec un rictus plein de sous-entendus.

― C'est pourtant vous qui êtes à mes ordres et pas l'inverse. Il doit bien y avoir une raison à ça ! Vous pensez que c'est parce que vous avez plus d'importance que moi ?

Le faux magicien chinois trouva bon d'arborer un sourire aussi énigmatique que son déguisement l'y autorisait. Dans le temps, il aurait pu l'étrangler ou lui briser les vertèbres en deux secondes, simplement parce qu'il n'était pas drôle… Il soupira et pencha la tête sur le côté, comme s'il lui laissait marquer ce point. Qu'il croie ce qu'il voulait. C'était sûr qu'il était manipulé, mais lui était bien trop stupide pour s'en rendre compte.

― Bien, poursuivit Costopovich. J'aime mieux ça. Comment avancent vos… investissements dans la pierre ? demanda-t-il d'un ton désinvolte. S'il vous faut d'autres cobayes, je vous ai déjà dit que je pouvais vous en fournir…

― Nous verrons…

― Nous verrons ? Comme nous avons vu ce ratage déplorable qui s'est produit dans la chambre d'une cliente cette nuit ? Qu'est-ce que vous avez foutu ? Cet Archim Boldo est un fouille-merde à la solde de Mercator, c'est évident. Et s'il y avait une personne dont vous deviez détourner les soupçons, c'était bien lui ! Nous avons besoin qu'il décampe d'ici au plus vite.

― J'en suis bien conscient, répondit le Chinois entre ses dents. Il serait d'ailleurs parti, si sa fille avait trouvé la mort dans des circonstances tragiques...

Le directeur du casino balaya ses arguments d'un revers de la main.

― Faites-en sorte que je n'aie pas à vous le répéter deux fois !

― C'est très clair.

Propergol Costopovitch quitta la chambre du magicien non sans un dernier duel de regards, au cours duquel, il exprimait sans gêne les doutes qu'il avait à son propos. Et d'une certaine façon, Koschei ne pouvait pas complètement lui en vouloir, car il en avait aussi sur lui-même.

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Manifestement, il allait devoir reprendre les tests… Tout ceci était tellement ennuyeux ! Avec lassitude, il se leva pour aller jusqu'à la cage recouverte d'une couverture légère qui se trouvait dans un coin de la chambre de l'auberge locale où il logeait. Son prisonnier s'agita à l'intérieur comme s'il sentait sa présence. Soulevant une moitié de plaid pour le replier sur la prison de fer, il s'adressa au Reaper qui se trouvait là :

― Oh, mais tu as bien grandi toi. Allez, sois mignon maintenant, viens voir papa !

La bête tendit un bras maigre à travers la cage et le griffa vicieusement, en signe de mécontentement. Koschei porta son doigt légèrement coupé à la bouche pour sucer le coup de griffe qui perlait un peu.

― N'essaie pas de me refiler le tétanos ! prévint-il d'un ton hésitant entre menace et jovialité. Ça ne marchera pas !

Il alla fouiller dans sa malle de voyage pour en sortir d'abord une seringue neuve. Après avoir prélevé un peu de sang au Reaper – non sans y gagner deux ou trois estafilades de plus – il retourna ensuite chercher une boîte hermétiquement fermée, rangée tout au fond.

Il enfila prudemment des gants avant de l'ouvrir et de se saisir de la pierre qui s'y trouvait. A première vue, elle ne payait pas de mine. Elle était toute grise, légèrement friable… Il la frotta précautionneusement contre un petit polissoir recouvert d'un fin papier de verre, pour en détacher quelques fines particules qu'il fit tomber dans une petite soucoupe. Puis prélevant deux gouttes du sang du Reaper qu'il venait de soutirer à l'animal, il les versa sur la poudre de pierre…

Dans la porcelaine, les deux gouttes semblèrent tressaillir, se bomber et frémir bizarrement. Koschei sourit pourtant à cette vue, car l'expérience lui indiquait qu'il était près de trouver l'exact bon dosage. La beauté de tout cela était que le procédé était redoutablement puissant et tellement économe ! Quelques millilitres de sang de Reaper, un peu de poussière de Livingstone, et le tour était joué. Enfin, presque joué… en tous cas.

C'était un plan si élégant, si brillant et si drôle. Personne, et surtout pas cet imbécile poseur de Costopovitch, n'était en mesure de comprendre qu'il était un pur génie dans son genre. Avec amertume, il se dit qu'il y aurait pourtant bien eu quelqu'un qui aurait pu le pressentir… Le Docteur, s'il avait été toujours en vie.

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Pendant qu'il se débarrassait dans les toilettes du contenu de la soucoupe – fort heureusement soluble dans l'eau – et qu'il retirait ses gants, il repensa à la déception qu'il avait éprouvée lorsque dix minutes après être revenu très mystérieusement à la vie, son commanditaire l'insaisissable et insondable Achernar, lui avait dit qu'il devrait agir seul pour cette mission et malgré tout se montrer à la hauteur. Ce dernier n'avait pas daigné lui fournir d'autres explications, se permettant seulement de souligner qu'il pouvait très facilement lui retirer le cadeau de la vie retrouvée, s'il n'était pas content de son sort. En vérité, Achernar avait du flair. Car Koschei était loin d'être satisfait et entendait profiter de sa vie bien autrement que pour faire les quatre volontés d'un autre.

Revenant dans la chambre, il replaça la couverture sur la cage du Reaper et rangea son matériel le plus compromettant, en séparant bien chaque élément pour éviter les accidents. La pierre soigneusement enveloppée et protégée dans sa boîte, regagna le fond de la malle.

Puis s'asseyant à sa table, il sortit un cahier pour noter ses observations du jour. Tout en écrivant, il passait encore machinalement sa main sur son front douloureux. Achernar n'avait fait ça que pour le faire souffrir… Il s'en doutait sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi. Ressusciter comme simple humain était déjà suffisamment humiliant. Le seul côté positif qu'il y aurait vu, aurait été de se voir débarrassé de ces tambours permanents qui l'avaient rendu fou en tant que Seigneur du Temps.

A dire vrai, à strictement parler, ils ne l'incommodaient plus. Mais à la place, il avait ces migraines qui roulaient sans cesse moqueusement sous son front. Comme si les martèlements maudits que Rassilon avait égoïstement mis dans son crâne avaient pu imprégner toute son âme, et qu'ils resurgissaient de cette façon à la fois autres et pareillement horripilants, quelle que soit la forme sous laquelle il renaissait…

Après avoir fini de noter les résultats du jour, il jeta son crayon d'un geste dégoûté : les quantités, la durée de l'imprégnation… Il savait qu'il aurait normalement dû retenir tout ça aisément, et que cela n'aurait dû être qu'une précaution paranoïaque. Mais avec cette matière grise bas de gamme dont il avait hérité, la prudence était de mise.

Puis justement, ses yeux tombèrent sur la seringue qu'il avait… oubliée. Il ressentit une brève panique à l'idée que quelqu'un aurait pu la voir. C'était une intolérable erreur. Son cerveau humain était moins performant. Il se fatiguait. C'était épuisant d'être humain.Il se releva prestement pour aller jeter le restant de son contenu dans le lavabo de la salle d'eau, mais il était à peine entré qu'on frappa à sa porte.

Sans savoir pourquoi, il se prit à éprouver une intense frayeur. Ses gestes se firent brusques et ses mains tremblèrent. C'était tellement nouveau pour lui, ces sentiments désordonnés qui lui faisaient faire n'importe quoi…

― J'arrive ! cria-t-il plus fort pour qu'on l'entende de l'extérieur.

Il versa le sang dans le lavabo mais ce dernier ne voulait pas couler car il était très épais. Il tenta de le faire partir en démontant la seringue pour la nettoyer avec de l'eau mais ça ne marchait pas davantage. Les coups redoublèrent à la porte engendrant chez lui un pic d'adrénaline qui le fit grincer des dents.

C'est là qu'il fit quelque chose qu'il trouverait sans doute plus tard remarquablement stupide et dangereux. Il prit la seringue ouverte et aspira son contenu avant de fermer le robinet d'eau. Puis il ramassa une serviette pour la passer autour de son cou avant de venir ouvrir, en faisant mine de tapoter son visage mouillé.

Derrière la porte, Archim Boldo le considéra d'un œil revêche qui ne lui disait rien de bon.

― Oui ?

― Votre moustache se décolle, remarqua-t-il en faisant un pas en avant. Est-ce que je peux néanmoins entrer vous parler une minute ?

.°.

Koschei regarda la grande sauterelle maigre qui lui faisait face, et surtout le scarabée talmèque vivant et obèse qui ornait son épaule. Surprenant son regard, le Docteur répondit à la question implicite :

― Ne craignez rien, il est apprivoisé. Je l'entraîne pour un numéro…

Le Chinois s'effaça pour le laisser entrer, positivement ravi d'avoir eu le temps et la présence d'esprit de faire le ménage avant.

― Navré de vous déranger à une heure si matinale, fit poliment le Docteur en avisant la serviette mouillée qui parlait d'elle-même. Mais j'avais besoin de vous voir très vite.

― Et vous, comment faites-vous pour que la vôtre reste bien en place ? demanda le Chinois comme une boutade en lissant sa moustache pour la recoller à son visage.

― Elle est naturelle... Mais j'ai d'autres questions à vous poser sans rapport direct avec ces considérations capillaires…

― Bien sûr. Si elles peuvent attendre dix minutes, je finis de m'habiller et vous rejoins pour un petit-déjeuner ?

Le Docteur croisa les mains dans le dos et objecta avec une touche d'hésitation :

― Et bien, vu que nous allons parler « boutique », peut-être préférerez-vous qu'il n'y ait pas trop d'oreilles profanes pour nous écouter, ce qui gâterait vos illusions…

― Nous allons parler boutique ? Mhh ! Etes-vous bien sûr de ça ? Il vous faudra une très bonne raison pour m'amener à révéler quoi que ce soit de mon gagne-pain, s'amusa-t-il.

― J'en ai d'excellentes, répondit le Seigneur du Temps sans sourciller.

― Alors peut-être qu'une promenade au village nous permettrait de réunir les conditions idéales de confidentialité. Il a neigé cette nuit, mais on dirait que ça a commencé à fondre, ça devrait être praticable sur les allées…

― Je souhaiterais voir vos boîtes de transport en fait, déclara le Docteur.

― Tout le monde est dans votre cas ! railla l'autre en retirant sa serviette de son cou pour la plier.

Archim Boldo eut l'air de perdre patience.

― Ecoutez… je ne veux pas du tout ruiner vos numéros et je me fiche totalement de vos secrets de fabrication. J'ai les miens et ils me suffisent bien. Je voudrais juste m'assurer que… la façon dont vous les utilisez n'échappe pas à votre contrôle.

― Vous m'insultez maintenant ? Sous mon propre toit ?

Le Docteur arbora un air soucieux.

― Non, pas du tout. Je dois donc supposer que vous êtes parfaitement conscient que la façon dont vous les manipulez génère des anomalies qui suscitent des Reapers dans le voisinage ?

Koschei le regarda intensément. Et au fond de son cœur, il se maudit de ne pas l'avoir compris plus vite. Cet homme, qui le fusillait à moitié de son regard clair et inquisiteur, ça ne pouvait être qu'un Seigneur du Temps pour connaître les Reapers ! Il sentit son cœur se mettre à battre, rien moins que follement.

Ainsi Achernar, qui la lui jouait omnipotent et omniscient depuis le début, avait menti ! Il n'était pas tout seul ! Bon techniquement, il était loin d'être tout seul puisqu'il était censé être humain – et il n'arrivait pas à l'oublier une seule minute – mais… un Seigneur du Temps ! Ça changeait toute la donne ! Un Seigneur du Temps !

― Qu'est-ce qui vous arrive ? demanda le Docteur. Vous ne vous attendiez pas à être démasqué si vite ?

― Non, admit-il bien volontiers. Lequel êtes-vous ?

Le Docteur fut surpris à son tour et le masqua dans un bref sourire.

― Lequel quoi ?

― Seuls les Seigneurs du Temps connaissent l'existence des Reapers…

― Faux. Regardez-vous. Vous n'en êtes pas un et pourtant vous les connaissez, répondit le Docteur sans se laisser démonter le moins du monde mais extrêmement intéressé. Par ailleurs, l'extinction des Seigneurs du Temps est avérée depuis des siècles…

Les deux faux magiciens se toisèrent. Dans le regard de son vis-à-vis, le Docteur lut de l'excitation mais aussi une forme… d'espoir. Le Chinois sauta bien vite sur ses pieds et sortit de son armoire un grand manteau de fourrure qu'il enfila avec empressement.

― Venez, sortons. Nous ne pouvons pas rester parler ici. Allons-voir les boîtes, comme vous l'avez proposé.

.°.

 

PROPERGOL COSTOPOVITCH

En attendant patiemment son rendez-vous dans son immense bureau très chic aux murs crème et aux meubles acajou, Propergol Costopovitch n'avait pas cessé de retourner les paroles du magicien chinois dans sa tête. Bien sûr, le fait qu'on lui ait imposé ce partenariat n'avait rien pour lui plaire. Pourtant il devait reconnaître que dans son genre, cet individu s'avérait plutôt efficace. Achernar lui avait toutefois bien recommandé de le traiter avec hauteur en lui expliquant qu'il en tirerait davantage de cette façon. Il lui avait dit qu'il parlait d'expérience, mais le directeur du casino n'était pas sûr que ce soit vrai : le Chinois avait l'air aussi perdu que lui quand il était question de leur « bienfaiteur »…

« Le fouineur serait parti si sa fille était morte dans des circonstances tragiques ». Plus il y pensait, plus il trouvait que ça se tenait. Le chagrin allait lui faire prendre en grippe toute cette affaire, certainement, et il n'aurait rien de plus pressé que de quitter ce maudit trou. La possibilité de quitter ce maudit trou était d'ailleurs justement l'une des principales motivations qu'il avait lui-même. Et à ce niveau, Achernar n'avait pas lésiné sur les promesses.

Il fallait dire ce qui était : il en avait soupé de la « Ludocratie » de Meltomène qui n'avait de ludique que le nom. Le système s'apparentait plutôt à une bureaucratie fondée sur la tyrannie du jeu obligatoire, et nivelait de surcroit toute possibilité de s'enrichir individuellement… Or la nature humaine était ainsi faite qu'elle ne réclamait l'égalité que lorsqu'elle était envieuse ! Et elle était malheureusement nourrie depuis trop de siècles et de siècles, du poison de la comparaison qui mesure en permanence ce que l'on a de mieux ou de moins bien que les autres… L'expérience de Meltomène ne prenait simplement pas sur lui. Historiquement, ce pays avait toujours été enclin aux expériences de masse au nom de grandes idéologies impraticables...

Alors, bien sûr, la station était pittoresque, et compte tenu du climat très rigoureux de la région, c'était déjà ça. Bien sûr, le casino municipal était décoré avec goût, à l'intérieur du moins. Mais tout ceci appartenait à la Ludocratie et lui-même n'en était que le gestionnaire-fonctionnaire chichement rémunéré pour faire tourner cette entreprise. Il estimait anormal qu'une femme de ménage soit payée du même salaire que lui, et à cela Achernar avait opiné en souriant. Enfin peut-être qu'il avait souri. On ne savait jamais très bien avec ces visiophones à l'image neigeuse, trahissant les appels à très longue distance. C'était là la seule et unique raison pour laquelle Progergol avait testé les petites billes brillantes et bizarres du Chinois sur les membres du personnel les plus modestes. Par pure frustration.

Il moisissait dans ce coin depuis tellement longtemps qu'il se fichait aujourd'hui totalement du pourquoi et du comment, à partir du moment où cet Achernar était en mesure de tenir les promesses qu'il lui avait faites. Le directeur n'avait pas lieu d'en douter. Il s'était vu promettre d'être riche, et il avait reçu en même temps que les codes bancaires d'un compte secret dans la Nébuleuse Caïman, la pierre mystérieuse qu'il devait transmettre au Chinois.Livingstone*, que c'était censé s'appeler. « Livingstone, je présume ? » avait ricané stupidement l'abruti de chimiste sous couverture en la recevant, alors que ça ne voulait rien dire… Propergol s'était promis à cet instant qu'il allait lui faire passer l'envie de faire des blagues obtuses à ses dépends.

Il avait bien essayé ultérieurement de se faire expliquer un minimum ce que c'était, mais l'autre s'était lancé dans un galimatias pseudo scientifique qui l'avait instantanément ennuyé à mourir. Il avait préféré couper court.

Il lui en restait encore une de ces billes et il savait comment l'utiliser de la façon la plus utile qui soit. En faisant disparaître la jeune assistante du second magicien, il porterait également un coup fatal aux visées politiques de ce vieil Halbek qui s'obstinait à briguer le Municipat année après année, sans doute pour s'agripper au vague semblant de prestige que ce poste lui accordait… Mais maintenant, c'était son tour ! Après un retentissant échec du Municipe sortant dans la résolution de cette affaire, il se trouverait certainement des voix bienveillantes pour suggérer que les rênes soient alors confiées à des mains plus jeunes, plus dynamiques et plus efficaces !… Non vraiment, il trouvait que tout ceci s'emboîtait à merveille.

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De petits coups furent frappés à sa porte et elle livra le passage à la jeune femme qui devait mourir. Quel dommage ! soupirait-il en son for intérieur. Elle était plutôt jolie dans son genre et il voyait beaucoup d'autres choses plus intéressantes à faire avec elle que de l'atomiser avec ce redoutable produit…

― Bonjour, monsieur le directeur. Vous vouliez me parler d'une irrégularité que vous aviez trouvée dans les fichiers du personnel ? demanda Clara d'un ton neutre.

― Oui, je vous en prie, asseyez-vous. Désirez-vous boire quelque chose de chaud ? Une tisane ?

― Oh oui merci, je vois que vous avez compris que je m'acclimate difficilement ! plaisanta-t-elle un peu.

Il eut un bref sourire et un haussement de sourcil fataliste.

― Ma chère, ne croyez pas que quiconque s'acclimate ici… même si nous y sommes depuis plusieurs années !… Nous compatissons seulement avec les visiteurs.

― Il fait un froid proprement sibérien ! acquiesça-t-elle.

Il décrocha son téléphone pour commander et pendant qu'il le faisait, en gardant son interlocuteur en suspens au bout du fil, il lui demanda si elle avait pris un petit-déjeuner. Elle secoua la tête et il lui proposa de faire ajouter une part de cake. C'était excellent le cake. Ils étaient décorés de billes de sucre argenté qui offriraient une couverture parfaite pour y cacher la pilule presque identique qui… l'enverrait rejoindre… hum… l'éternité.Ah, c'était tellement poétiquement formulé. Quel esthète, il faisait ! En attendant, il devrait quand même se résoudre à lui faire un petit brin de conversation…

― Vous êtes si cultivée, c'est rare pour une aussi jeune personne ! commenta-t-il, charmeur. Ils ne sont pas nombreux ceux qui connaissent le nom antique de Meltomène…

Clara écarquilla brusquement les yeux mais essaya de masquer sa surprise. L'ancien nom de Meltomène ? Est-ce que le Docteur était allé jusqu'à la conduire dans un lointain futur de la Terre sans le lui dire, en lui faisant croire qu'ils étaient sur une mystérieuse nouvelle planète, au fond d'une galaxie inconnue ? Alors qu'ils étaient en Russie ?

Le directeur du casino poursuivait son bavardage poli :

― Je suis terriblement navré de l'incident arrivé dans votre chambre hier soir, déclara-t-il d'un air contrit. Le gérant de l'auberge ne mérite pas sa place vraiment, c'est un incompétent. Ses stabilisateurs inertiels ont dû décompenser. Ils sont trop vieux, c'est tout. Depuis le temps que je dis qu'il faut les changer…

― Les stabilisateurs inertiels ? releva Clara.

― Oh, je ne veux pas vous embêter avec la technique, tout ce que vous réclamez, vous – et c'est normal ! – c'est d'avoir une chambre saine et sans danger, n'est-ce pas ?

― Bien sûr, répondit-elle en posant ses mais sur ses genoux croisés qui révélaient de jolies jambes fines. De quelle autre anomalie plus… administrative vouliez-vous me parler ?

Il cligna des yeux en comprenant qu'elle venait de le recadrer subtilement et puis enchaîna avec un sourire et un hochement de tête. Il s'était un tout petit peu laissé emporter dans le rodage de son discours de campagne…

― Oh oui pardon, les fichiers du personnel ! Tenez, j'ai fait venir les dossiers… Et je dois vous dire que je nourris quelques soupçons à l'égard de Bambalaya, le chef du personnel… fit-il en les lui tendant.

― Tout le monde soupçonne tout le monde, mais je suppose que c'est inévitable lorsque des catastrophes aussi terribles se produisent dans une aussi petite communauté… répondit-elle en les acceptant gracieusement.

Costopovitch se sentit soulagé en entendant à nouveau frapper à sa porte. On apportait la collation de la jeune femme. Il se sentait mieux, car à dire la vérité, les dossiers du personnel ne révélaient rien de compromettant. Par contre, il allait pouvoir faire diversion deux minutes sur la mise en place de ce petit goûter…

― Ah votre petit-déjeuner arrive ! se réjouit-il avec une vraie sincérité.

Il la regarda d'un air satisfait comme elle acceptait la soucoupe et la tasse de tisane en remerciant le serveur.

― Laissez-cela mon brave, dit-il au serveur en voyant qu'il voulait mettre une assiette, nous n'allons pas faire de manières, une petite serviette pour le morceau de gâteau, ça ira bien… Tenez, je vous en débarrasse un instant, proposa-t-il galamment.

Clara se mit à sourire devant les efforts qu'il déployait pour se mettre en quatre pour elle. Il devait vraiment avoir quelque chose sur la conscience… Elle se promit de le signaler dûment au Docteur car elle pensait que ça donnerait du poids aux soupçons qu'il avait déjà et dont ils avaient parlé en attendant le jour.

.°.

 

CLARA OSWALD

Par un fait extraordinaire, au moment juste où elle pensait à lui, le Docteur passa une tête par la porte du bureau, légèrement essoufflé. Avait-il couru ?

― Désolé de vous interrompre, bonjour monsieur le directeur. Clara, tu viens tout de suite, s'il te plait, dit-il d'un ton sans réplique avec un claquement de doigts. J'ai besoin de toi pour répéter.

Elle ouvrit la bouche un instant, pas sûre d'apprécier vraiment le fait qu'ils doivent se tutoyer pour leur couverture, ni même son imitation merveilleusement réaliste de patriarche autoritaire… Elle lui darda une prunelle un peu furieuse.

― Mais… c'est-à-dire que le directeur allait me montrer…

― J'ai dit tout de suite ! fit-il en fronçant ses deux monstrueux sourcils gris.

Elle se tourna vers le directeur avec un sourire d'excuse contrit puis se leva pour suivre docilement son tyran favori.

Costopovitch resta seul avec sa part de gâteau dans la main, positivement furieux de ce qui venait de se passer et se sentant confusément floué de sa future brillante réussite politique par un événement désagréablement imprévu.

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Le Docteur avait empoigné sa main pour marcher à vive allure le long des couloirs verts aux motifs dorés surchargés, en direction de la sortie.

― J'allais le faire parler ! Qu'est-ce qui vous a pris ? résista-t-elle un peu.

Il jeta un coup d'œil alentours pour vérifier qu'il n'y avait personne d'autre et puis sans prévenir, il passa ses mains autour de sa taille et l'attira contre lui pour l'étreindre avec force.

― Quoi ? Arrêtez maintenant ! protesta-t-elle. Vous m'écrasez !

― J'ai eu peur pour vous, dit-il comme si ça justifiait tout.

Ah, elle regrettait de s'être plainte de son aversion pour le contact ! Voilà qu'il n'arrêtait plus ! Le souvenir du dixième Docteur qui plastronnait qu'il était plus fort qu'il en avait l'air lui revint en mémoire… Elle le repoussa doucement mais fermement.

― Je vais très bien. Vous pouvez me lâcher ? Dites-moi plutôt pourquoi vous m'avez empêchée de savoir ce que manigançait ce directeur au nom ridicule ?

Il obtempéra mais avec un rien de mauvaise grâce, le regard toujours fixé à elle, en proie à une préoccupation inhabituelle.

― Le magicien chinois m'a informé que vous risquiez probablement d'être tuée. Je ne pouvais pas tolérer cela.

― Par le directeur ? s'étonna-t-elle. Et puis d'ailleurs, depuis quand vous êtes copain avec Wu Tsi ?

― On n'est pas « copains ».

― Mais qui est-il alors ? Ami ou ennemi ?

Derrière elle, une autre voix au ton légèrement caustique lui répondit – la faisant sursauter de frayeur parce qu'elle ne s'y attendait pas :

― Et bien : pour tout dire, un peu les deux !

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[*] Littéralement « la pierre vivante ».

 

Note de l'auteur : pour ceux qui me lisent sans être du fandom (si, il y en a) "Le Maître" (The Master) était un Seigneur du Temps, et un de ceux qu'on pourrait appeler un "ennemi intime" du Docteur (joué dans les nouveaux épisodes par John Simm). Koshei est son surnom d'enfant comme Theta Sigma est celui du Docteur. Ici, il est temporairement incarné par Colin Firth tel qu'il apparait en magicien chinois bidon, dans le film de Woody Allen, Magic in the Moonlight. Je mets qui je veux au cast de mes fics, j'ai le budget pour.

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