From Vegas with love

Chapitre 22 : C22 : Wicked game

6201 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 24/08/2015 10:38

CHAPITRE XXII – Wicked game

H&S INVESTIGATIONS

Quand ils arrivèrent dans leurs locaux, une mauvaise surprise les attendait. Ils découvrirent que leurs serrures avaient été forcées, très proprement au demeurant. Presque rien n'avait été touché et tout semblait en ordre, ou en tous cas, dans l'état où ils l'avaient laissé en partant. Jack se dirigea vers son coffre et vit que celui-ci avait été intégralement retiré de son logement, laissant un trou béant. Il avait été embarqué tel quel, plutôt que forcé et ouvert sur place.

River revint de son propre bureau, qu'elle venait d'inspecter. Jack venait de se laisser tomber dans son fauteuil et elle lui posa sur la main sur l'épaule pour le réconforter.

— Si tu n'avais pas fait un crochet par la maison, peut-être que le coffre serait toujours là et les preuves avec… Je suis navrée !

Il prit sa main et l'embrassa avec un petit haussement d'épaule fataliste.

— Chut. Ne dis pas cela. Ils auraient tout aussi bien pu attendre cette nuit, ou balancer un gaz soporifique pendant que j'étais là… C'est très nettement exécuté. Et le message est relativement clair.

— Tu trouves ?

— Si on avait voulu nous intimider, nous aurions eu droit à la même chose que chez Kelnig… Mais là… tous nos autres dossiers sont là. Nos ordinateurs sont là…

Il prit son combiné téléphonique pour le démonter adroitement.

— … et on n'a même pas mis de mouchard pour nous écouter. Non. Cette fois, c'est juste qu'on veut que nous arrêtions de travailler sur cette affaire. Non pas en nous intimidant, mais en nous coupant l'herbe sous le pied. Ce ne sont pas des méthodes maffieuses, plutôt du renseignement ou du gouvernement, ils font le vide.

River soupira.

— C'est assez réussi. Nous n'avons strictement plus rien. Lena Kelnig : pas de corps. Anton Kelnig : le trouillomètre à zéro et disparu dans la nature. Nous pourrions certes le retrouver en cherchant bien, mais il m'a dit qu'il n'avait rien d'autre, et je tendrais à le croire. Le fait qu'il sache comment disparaître ne signifie pas forcément qu'il ment sur ses compétences comptables… Et enfin, les preuves de Lena : escamotées, probablement par Peterson. La piste s'assèche... Est-ce que tu crois qu'il aurait pu être renseigné par… Fielding ?

Jack fit pivoter son fauteuil pour la regarder en face, les mains croisées sous le menton.

— Fielding se serait servi de toi pour savoir ce que nous savions et tenir Peterson informé ?

— Reconnais que son assiduité pouvait paraître suspecte…

— Non, fit Jack dubitatif, pas tellement.

— Ce n'est pas ce que tu as dit hier…

— Ma chère, il y a bien d'autres raisons qui pourraient pousser un homme à vouloir te voir tous les jours que celles qui consistent à espionner nos progrès…

— On n'a jamais dit que c'était forcément pour lui une mission désagréable… répondit-elle avec un petit sourire. Et qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

— Techniquement, notre cliente n'a pas été retrouvée, ni déclarée morte, ce cas de figure nous contraindrait alors à arrêter. Mais pour certains aspects de l'enquête nous ne pouvons pas nous substituer à la police. Tant que nous enquêtions pour assurer sa protection, ça pouvait aller, mais là... Non je crois que la seule chose qui nous reste à faire, c'est d'aller porter plainte contre X pour vol avec effraction… Et si la police nous questionne, nous serons alors bien obligés de répondre sur ce que nous savons, n'est-ce pas ?

— Attention… C'est toi qui m'as dit que Perterson s'était montré au gala de charité pour les orphelins de la police. Et s'il avait des amis haut placés en son sein? Est-ce qu'il ne serait pas un peu dangereux d'abattre toutes nos cartes si en fait Peterson les tient aussi ?

— Ouais, reconnut Jack.

— Donc si dans les jours prochains Fielding fait le mort, nous saurons à quoi nous en tenir.

— Je serais lui, je continuerais à t'appeler pour donner le change… Il n'est pas si stupide…

— Est-ce que tu crois que ça vaut la peine de le tester ? Est-ce que je pourrais faire comme si de rien n'était et le rappeler comme prévu pour essayer de le faire parler de Transmat System ?

— Je ne suis pas sûr. Peut-être que nous devrions essayer de les contacter par nous-mêmes pour nous faire une idée. Je vote pour que tu lui laisses croire que nous n'abandonnons pas tout à fait l'affaire, mais sans rien dévoiler.

— Mhh, si je fais ça, il va définitivement croire que c'est un rendez-vous si je ne parle pas boutique…

— Et… ce serait moins agréable qu'avec Cormack ?

— Qu'est-ce que c'est que cette question ?

Jack se tourna vers son poste de travail et lui lut le message de Quentin qui était arrivé le matin.

— Ce « million de remerciements » au lendemain d'une « délicieuse soirée » me semble franchement suspect…

— Hmf. Quentin est un homme subtil, ce n'est qu'une petite allusion fine à ce que je venais de lui demander justement. Un million, comme le montant d'une téléportation ! Avec les cinq cent mille de plus pour une téléportation sans délai d'attente. C'est donc le montant minimum qu'aurait payé Peterson s'il avait voulu revenir à temps vers le centre-ville jusqu'aux studios d'enregistrement, parce qu'il se serait trouvé ailleurs pour les raisons que nous croyons…

— Ce type est franchement plus doué que je ne le croyais s'il arrive à transformer un rendez-vous de travail en « délicieuse soirée » qui le laisse parfaitement « dévoué » à ta cause…

— Tu as conscience que ta jalousie est atrocement peu crédible ?

— Pour mon malheur, oui.

— A d'autres… Dis-moi plutôt ce que tu as fait de ton petit monstre sexy ? Tu as osé le laisser tout seul, sans surveillance, dans une ville pleine d'honnêtes gens qu'il va s'empresser de plumer à la première occasion ?

— J'en ai bien peur : je voulais l'emmener avec moi aujourd'hui mais il ne voulait absolument pas te croiser.

— Que de progrès accomplis en si peu de temps ! dit-elle d'un ton faussement admiratif.

— Et bien, je crois qu'il s'attendait, plus ou moins, à un accueil un peu plus chaleureux de ta part…

 Et bien ça dépend… Est-ce que tu as par exemple la moindre idée de ce qu'il entend par « une petite bise de bienvenue » ? demanda-t-elle avec une petite moue irritée.

Jack repensa à la première fois où John et lui avaient été remis en présence, il y avait des années pour lui, sur Terre, quand il commandait encore Torchwood avec sa première équipe. Elle vit à son regard brillant et à son sourire flou, qu'il en avait peut-être une vague idée.

 Je vais enquêter là-dessus, répondit Jack malicieusement. Mais avant peut-être pourrions-nous coordonner nos versions au cas où la police nous interrogerait après la déclaration de vol ? Il faudrait faire remplacer les serrures rapidement. John n'aurait pas été là, j'aurais carrément veillé ici pour éviter les visites.

 Je peux m'occuper du serrurier et travailler un peu ici en l'attendant. Mais ce qui me dérange, vu le contexte de menace actuel, ce serait de laisser Amy-Leigh seule à la maison. Pour ma part, même avec un seul bras, j'ai des moyens de défense… mais pas elle ! Si Peterson veut nous intimider en s'en prenant à elle…

 Oh, je n'aime pas du tout ce que tu es en train de me dessiner là ! Je préférerais au moins vous savoir toutes les deux…

 Si je n'arrive pas à me libérer assez tôt, je pense que Matthew sera ravi de jouer les baby-sitters, proposa River.

 J'aurais volontiers envisagé quelqu'un de plus affûté en combat rapproché que le jeune Cormack !

 Mhh, je constate que tu ne l'as jamais vu tirer avantage de son exosquelette… Il se fait passer pour un handicapé mais en réalité, je te conseille d'éviter d'entrer en contact avec son coup de pied lancé…

Jack haussa un sourcil.

 River, il faut vraiment que tu arrêtes de me dire de telles choses, avec ce genre de sourire.

Elle quitta le bureau où elle était assise.

 Ok, je vais m'occuper des serrures, tu vas faire la déclaration de vol avec effraction. On se voit demain ?

Il sourit sans répondre, inexplicablement partagé, comme retenu par un pressentiment étrange qui lui serrait le cœur.

.°.

Jour J.

Il était sept heures le lendemain matin quand il rentra chez lui. John avait fait la tête parce que les horaires du Capitaine n'étaient définitivement pas les siens. Mais Jack se sentait irrationnellement inquiet et avait besoin d'être rassuré sur le fait qu'Amy et River allaient parfaitement bien. Aussi fut-il heureux de les trouver debout à la maison, en train de petit déjeuner.

Quand elle le vit, River lui tendit le nouveau jeu de clés d'H&S et il la remercia en les empochant.

 Tu ne dors plus jamais ici alors ? lui demanda Amy-Leigh.

 Ça n'a rien d'aussi officiel, répondit-il avec un sourire, ravi de constater qu'il lui manquait. Et ça ne fait que deux fois…

 Donc tu ne vas pas déménager pour aller habiter avec ton ami blond ?

 Oh, j'aime bien mieux habiter avec vous deux !

 Pourquoi ?

 Parce que nous partageons équitablement tout ce qu'i faire, et que c'est agréable de vivre avec deux aussi jolies dames…

 Mais qu'entends-tu par « vivre » si tu n'es pas là de la journée et que tu ne rentres pas le soir ?

River qui était restée silencieuse pendant leur conversation, piqua du nez dans son mug de thé pour cacher un fou rire.

 C'est temporaire, se justifia maladroitement Jack. C'est comme s'il était en vacances dans cette ville. Mais un de ces jours, il en aura assez de me voir tous les jours.

 Moi je ne pourrais jamais en avoir assez de voir Matty…

 Oui. Et est-ce que tu diras la même chose dans dix ans ? Dans vingt ? Dans cinquante ?

Amy-Leigh resta silencieuse. Elle n'avait probablement jamais réfléchi à la question.

.°.

River était assise sur le canapé rouge du salon, les jambes repliées sous elle, et plongée dans la lecture de l'édito d'Oscar Fielding.

 Qu'est-ce qu'on fait alors aujourd'hui ? demanda-t-elle sans lever le nez du journal.

 Normalement, il faudrait retourner à la pêche au client…

 Mhh, Cormack dirait qu'il faudrait que nous nous montrions en ville, ou que nous répondions à une invitation en soirée. Il me dit que les gens jasent sur nous et que nous les rendons très curieux… C'est sûr qu'il aurait été bien meilleur de pouvoir répondre à des interviews après une enquête couronnée de succès, mais là…

 Jasent sur nous ? releva-t-il d'un air amusé.

 Oui. Mais ça c'était avant que les médias ne te repèrent en train de faire la tournée des clubs interlopes avec John, fit-elle en lui tendant une page de journal avec un clin d'œil.

Il l'attrapa et jeta un coup d'œil sur l'article qu'il commença à lire à haute voix.

 « Quel est donc le mystérieux ami de la seconde moitié de H&S ? Monada soir, le séduisant détective a été vu dans la ville basse en compagnie d'un inconnu dont il avait l'air très 'complice'… les photos exclusives en page 12 ». Mais on est devenu des people ou quoi ?

 Mhh, attends, tu as loupé le passage où je suis censée me consoler de tes frasques dans les bras du riche industriel que tu sais… J'ai perdu la page…

 Rien que pour ça, il faudrait que je t'invite dans un endroit très chic et très cher, où l'on pourrait danser et entretenir les ragots en flirtant toute la nuit…

 Oh, j'imagine sans peine les titres du lendemain… Mais... est-ce qu'on n'avait pas plus ou moins évoqué le terme de discrétion au départ ?…

 Tu as raison. En fait, je danse vraiment trop bien pour que ça reste vraiment discret…

Elle lui jeta un coussin du canapé à la tête, puis continua sa lecture avant de froncer les sourcils en tombant sur un entrefilet.

 Jack, attends, j'ai trouvé quelque chose… Ça dit qu'on a retrouvé un corps dans le parc, du côté de la promenade du lac… ça pourrait être Lena Kelnig ?

Jack sourit et dit d'un air coupable :

 Je sais que je ne devrais pas sourire… Montre, dit-il en tendant la main pour avoir la feuille.

 Finalement, on va avoir un truc à faire ce matin… releva-t-elle. Je vais vérifier ça, et tu vas chez Transmat ?

 Et pourquoi aujourd'hui on n'enquêterait pas ensemble pour une fois ?

 Parce que depuis que tu as prononcé « flirter toute la nuit » tu me regardes comme si tu n'arrivais à penser à rien d'autre…

Il ferma les yeux un instant et répondit en mentant mal :

 Pas du tout !

Elle se leva d'un mouvement fluide et se coula contre lui. Il sentit son propre cœur battre comme un possédé et sa peau friser sous l'onde de plaisir qu'elle déclenchait rien qu'à se trouver appuyée sur son flanc.

 Et maintenant, tu maintiens que tu n'y penses pas ?

Le ton de sa voix caressante l'électrisa et il se surprit à éprouver un peu plus de réelle compassion pour John. D'habitude, elle était plutôt froide. Mais si de temps en temps, elle ne l'était pas du tout ?...

 Qu'est-ce que tu essaies de prouver ? Que tu es trop désirable pour que je puisse travailler avec toi ? C'est parfaitement ridicule…

 Parce que tu me trouves désirable ? murmura-t-elle dans son cou en enlaçant sa taille.

 Ok, ça c'est la question piège à laquelle il n'y a pas de bonne réponse… que je dise oui, ou que je dise non ! Alors disons… un tout petit peu ?

Elle rit et ses cheveux bouclés le chatouillèrent. L'excitation le gagnait vraiment vite.

 Alors embrasse-moi, demanda-t-elle.

 Non, dit-il dans ses cheveux d'un ton qu'il voulait assuré, en la serrant pourtant un peu plus fort.

 Non ? s'étonna-t-elle en jouant avec les boutons nacrés de sa chemise.

 River, je ne veux pas que tu te serves des sentiments que j'ai pour toi comme d'une excuse pour me repousser ensuite.

 Est-ce que j'ai donc l'air de te repousser, là maintenant ? demanda-telle d'un ton léger de reproche en inclinant la tête vers lui. Et de quels sentiments parle donc Jack Harkness, l'homme aux innombrables conquêtes…

 Très tendres et très réels. Assez pour voir que tu ne les partages pas. Tu ne jouerais pas ainsi avec moi si c'était le cas. En plus à te voir faire, je commence à supposer que John ne se vantait peut-être pas complètement…

Elle soupira en s'écartant de lui.

 Ok, tu gagnes… Si tu arrives à supporter ça sans broncher, alors je suppose que ça ira.

Elle quitta le salon. Il resta désorienté pendant un instant. "Sans broncher" n'était peut-être pas tout à fait le terme qui convenait... Il n'avait plus aucun mal à imaginer comment elle avait rendu John à moitié dingue. D'un simple contact passif.

Pourtant, quand elle réapparut vingt minutes plus tard, habillée et maquillée, il fit machine arrière :

 Ecoute, dit-il avec un sourire d'excuse, je crois que j'ai compris ce que tu voulais me dire. Je vais chez Transmat, et tu vas au lac, c'est d'accord ?

Elle inclina la tête sans insister.

.°.

RIVER SONG

Lorsqu'elle était arrivée dans le parc de la ville qui comportait un joli petit lac artificiel, les dernières voitures de police étaient en train de partir, et la voiture de la morgue n'était plus là non plus.

Elle réussit à s'approcher de l'une des voitures, et présenta sa carte professionnelle. Deux policières en uniforme voulurent bien lui répondre et elle se sentit assez chanceuse. Elle expliqua qu'elle était là parce que sa cliente, Lena Kelnig avait disparu depuis trente-six heures et qu'elle avait lu dans le journal qu'un corps avait été trouvé. Les deux policières confirmèrent que le légiste avait bien dit qu'il s'agissait d'une femme, mais pas moyen d'en tirer d'autres précisions. Elles n'étaient pas chargées de l'enquête, juste de la sécurité du périmètre.River envoya un court message à Jack sur son téléphone pour lui résumer cela en indiquant qu'elle se rendait au commissariat à leur suite, où elle en profiterait pour faire sa propre déclaration pour le vol de leur coffre-fort.

Lorsqu'elle en était sortie, les choses avaient considérablement progressé et la confirmation du décès de Lena Kelnig était tombée rapidement, ce qui avait fait qu'elle avait été gardée un peu plus longuement pour être interrogée. Comme convenu avec Jack, elle s'était montrée fort prudente dans ses déclarations, pour le cas où Peterson aurait bien tué leur cliente pour l'empêcher de révéler ce qu'elle savait sur son compte, et pour le cas où il aurait eu des amis très haut placés dans cette institution.

Comme l'heure du déjeuner était passée depuis longtemps, elle se contenta d'aller prendre un grand café très sucré au pied de l'immeuble où elle travaillait. Le lieu n'était pas très fréquenté au milieu de l'après-midi. Elle avait pris place à une table entourée de deux banquettes et était en train de le boire tranquillement quand elle eut la surprise de voir arriver John qui prit place en face d'elle.

 Bonjour River.

 Salut John, je croyais que tu voulais éviter de me voir…

 Je n'ai jamais dit que j'y arriverai vite… répondit-il avec un sourire. Est-ce que tu envisagerais de faire l'amour avec moi… ce soir ?

Elle le dévisagea d'un air surpris et vaguement amusé.

 Et bien, c'est direct… Pourquoi particulièrement ce soir ?

 Parce que Jack m'a dit que tu l'avais allumé à mort ce matin… Donc si par hasard, il se trouvait que nous soyons dans l'une des rares périodes du mois, ou qui sait de l'année, où tu pourrais envisager des relations sexuelles, je tiens fermement à avoir ma chance…

 Vous avez vraiment des conversations invraisemblables !… Vous n'avez donc aucune pudeur ?

 Plus que tu ne crois ! Mais en l'occurrence, il m'a juste dit qu'il commençait à me comprendre un peu plus à la lumière de ton comportement de ce matin – dont il ne m'a d'ailleurs rien dit de précis hélas. Mais le simple fait qu'il l'évoque me laisse supposer que ce n'était pas rien…

 Je m'en excuserai auprès de lui quand je le reverrai. Rien d'autre ?

Il secoua la tête.

 Oh, non non, tu ne classes pas le sujet comme ça… Réponds-moi. Seras-tu à moi ce soir ? Dis : « Oh oui John, car j'en meurs d'envie moi aussi, mais je suis trop fière pour le reconnaître, maintenant que je suis juste moi et que je ne peux pas me cacher impunément derrière quelqu'un d'autre… »

Elle le regarda en plissant les yeux, avant de jeter un coup d'œil mal à l'aise aux alentours, et prit une autre gorgée de café.

 Baisse d'un ton, s'il te plait. Entre toi et Jack, ma réputation sera en miettes dans tous les journaux demain matin…

Il reprit d'une voix plus basse et plus murmurée.

 Dis : « Oui, John, je serai toute à toi et je veux te sentir défaillir encore entre mes… »

Elle lui posa vivement la main sur la bouche.

 Bras ! termina-t-elle pour lui avec un coup d'œil alarmé.

Il prit sa main entre les siennes et fit non de la tête en riant.

 Non, ce n'était pas du tout à tes bras que je pensais…

Il vint d'un mouvement souple s'asseoir sur la banquette tout près d'elle, à la toucher, jambe contre jambe, cuisse contre cuisse, flanc contre flanc, et reprit de son ton caressant :

 Dis oui, parce que je meurs d'envie de ta peau contre la mienne parce qu'elle est incroyablement douce, comment peut-elle être aussi douce ? et sucrée ? et sentir si bon ? Dis oui parce que je meurs d'envie de ressentir encore la façon dont tu te rues sous la mienne... Oh, ça fait des mois maintenant et j'y pense encore, j'en rêve encore quand j'arrive à dormir… de toi et moi…

Elle baissa les yeux, passablement rose et l'air d'être extrêmement concentrée sur son gobelet de café. Elle poussa un soupir, puis dit d'un ton hésitant :

 John… J'ai eu entre-temps l'occasion de parler avec mon mari. Une longue discussion pour faire le point sur notre mariage… Il est ressorti de tout cela que nous avons toujours des sentiments l'un pour l'autre, et qu'en ce qui me concerne, j'ai pu ressentir la douleur qui a été la sienne quand il a compris… enfin quand je l'ai… déçu. C'est très difficile pour moi d'envisager de lui infliger ça de nouveau… Je veux bien reconnaître que je suis pas faite en bois, et depuis que j'ai repris forme, je capte en permanence le flot constant des pensées et du désir qui s'adresse à moi. Ce n'est pas seulement toi, ici et maintenant, c'est beaucoup de monde, tous les jours… Et c'est fatigant. Avant que je ne meure, c'était facile de l'ignorer, ou simplement de ne même pas l'imaginer, de faire comme si ça n'existait pas et de ne jamais m'en préoccuper... Mais aujourd'hui, et avec ce clone hypersensible, ça atteint des proportions ridicules…D'un autre côté, j'ai voulu vivre encore, plutôt que de me laisser disparaître. Et je me sentirais mal venue de me plaindre à présent alors qu'il a fait tout cela pour moi… Je ne veux pas non plus perdre mes souvenirs de lui, je ne veux pas qu'ils s'effacent, parce que j'ai vécu presque toute ma vie par rapport à lui. Et si on me retire cela alors que je me suis construite autour, que va-t-il rester de moi au bout du compte ?

 Tu t'adresses à quelqu'un qui se demande chaque jour la même chose… Il n'y a que toi pour savoir à peu près qui je suis maintenant… Mais pourquoi penses-tu que tu vas l'oublier ?

 Je ne vais pas te faire un cours sur les modalités du mariage gallifréen.

 J'adorerais, pourtant. C'est quoi gallifréen ?

 C'est le nom de son peuple.

 Je te suggérerais plutôt d'apprendre du peuple qui vit dans ce système. Les natifs, pas les colons. Ils disent que l'amour ajoute et ne retranche pas. Qu'il n'a ni pudeur ni honte parce qu'il est sincère, sans arrière-pensée et généreux… Ils disent que l'amour que nous avons fait est sacré parce qu'il n'avait pas d'autre but que le don de soi, le partage et le plaisir…

Elle haussa brièvement les sourcils et sourit un peu.

 C'est complètement invraisemblable d'entendre ces mots dans ta bouche.

 Non, dis : « John, c'est invraisemblablement érotique d'entendre ces mots dans ta bouche et je ne sais pas ce qui me retient de me donner à toi, là tout de suite, plutôt que ce soir ».

Elle put s'empêcher de rire face à son âpre sens de la négociation, et aussi parce que c'était vrai que c'était très érotique, parce qu'il avait l'air d'y croire lui-même. Elle dit pourtant :

 Mais si ! Je sais bien ce qui me retient ! A la base, tu n'étais pas venu pour quémander des faveurs sexuelles mais bien parce que Jack n'a donné aucun signe de vie depuis des heures ! Et aussi inconcevable que ça puisse me paraître, surtout après ces brûlantes avances de ta part, parce que tu t'inquiètes de lui.

 Je ne les « quémande » pas, je les sollicite avec respect et ferveur… grommela-t-il. Quel était son programme du jour ?

Elle sortit son téléphone pour vérifier ses messages, elle n'en avait reçu aucun de Jack non plus.

 Il devait aller voir une compagnie de transport en centre-ville, répondit-elle.

 Est-ce qu'il est normal qu'il n'ait toujours pas refait surface ?

 Absolument pas. J'y vais. Tu m'accompagnes ?

.°.

JOHN HART

John regretta d'autant plus par la suite qu'ils ne se soient rien dit d'autre pendant le trajet. C'était une situation terriblement excitante de se dire qu'il avait peut-être réussi à la faire fléchir. Elle pouvait être si dure quand elle n'était pas si douce… Il ne tenait pas à briser la note et le ton sur lequel ils avaient quitté le petit café. Mais comment pouvait-il imaginer une seule seconde, alors qu'ils étaient également tendus à l'idée que Jack ait peut-être été retenu contre sa volonté, ou simplement abattu parce qu'il était trop fouineur, qu'en l'espace d'une heure, il éprouverait des sentiments bien plus violents et plus radicaux ?

Lorsqu'ils se rendirent dans les locaux de Transmat System, ils furent introduits dans une salle d'attente où ils patientèrent à peine quelques minutes avant qu'une grande femme aux longs cheveux bruns attachés, au visage lisse et aux yeux anormalement fendus ne vienne les chercher.

 Bonjour à vous et bienvenue. M. Harkness a demandé à ce que vous le rejoigniez en salle de conférence. Suivez-moi, s'il vous plait.

Les bureaux étaient très agréables et très lumineux avec de grandes baies et beaucoup de bois pour rendre l'ensemble chaleureux. Apparemment, la société soignait son image. Ils empruntèrent deux couloirs recouverts de moquette blanche et éclairés par de grandes appliques latérales imitant la lumière du jour, suivant toujours leur guide qui les conduisit vers une petite salle nantie d'un portique assez étroit, assez semblable à une antichambre.

 S'il vous plait, nous souhaitons nous assurer que vous ne portez pas d'armes métalliques avant de franchir le seuil. Remettez-les-moi si c'est le cas, vous les récupérerez en sortant. Elles peuvent endommager le portique et le système transmat est sensible. Les petites pièces métalliques comme les fermetures et les boutons ne vous causeront pas de dommages.

River donna son mini revolver à flèches et elle vit John sortir pas moins de quatre couteaux, deux grenades, quelques poings américains et divers petits objets qu'elle ne sut pas identifier. L'hôtesse posa un œil dénué de tout jugement sur l'attirail de John et leur fit signe d'avancer.

 Je passe le premier, prévint-il, sans doute peu convaincu de l'innocuité du système.

Il s'approcha et le portique se mit à sonner avant qu'il ne l'ait franchi. Il recula d'un pas. La grande femme montra son poignet.

 Puis-je ? C'est un manipulateur de vortex, dit-elle. Le deuxième aujourd'hui.

John acquiesça et répondit :

 Comme vous pouvez le constater, je ne peux pas le retirer aisément… Est-ce un problème ? Il y a du cuir et un peu d'électronique…

 Non, il est hors service lui aussi et ne devrait pas plus causer d'interférence que l'autre. Je vais demander au système de le prendre en compte comme pour M. Harkness, et vous pourrez passer.

La grande femme pianota quelque chose sur un petit terminal et parut envoyer les données vers le portique. John ressentit une étrange appréhension lorsqu'il traversa dans une faible lumière blanche. Il venait d'être zappé de l'autre côté du portique dans ce qui devait être la salle de réunion où Jack venait d'entrer en compagnie d'autres gens avec lesquels il discutait.

Selon toute vraisemblance, cette salle de réunion n'était pas du tout en centre-ville… L'intérêt de la téléportation ou du voyage transmatique était bien évidemment de pouvoir délocaliser un certain nombre de lieux tout en les faisant cohabiter grâce à des raccourcis, en un point unique. Il était fort probable que les dirigeants de Transmat System ne se soient même pas sur Velquesh… et que l'ensemble de cette compagnie soit répartie aux quatre coins de l'univers.

Cela expliquait sans doute aussi pourquoi les messages n'arrivaient pas jusqu'à Jack, s'il se trouvait en réalité sur une autre planète.

Il se retourna pour regarder River qu'il apercevait de l'autre côté.

 Madame ? l'interpelait l'hôtesse aux yeux étranges. C'est à vous.

River se présenta devant le portique qui, fort heureusement, ne sonna pas.

Elle traversa mais ne réapparut pas.

John vit uniquement le regard jaune de l'hôtesse agrandi par la stupéfaction, et mêlé d'une pointe d'horreur. Ses chaussures et ses jambes étaient éclaboussées par plusieurs dizaines de litres d'un liquide épais blanchâtre où surnageaient en tas les vêtements que portait River à l'instant. Toutes les cellules de son clone de Chair venaient de se désolidariser d'un coup pour reprendre leur forme originelle, réduisant en une seconde son corps sculptural, qu'il avait tant rêvé d'étreindre, à l'état terrible et choquant de simple flaque.

.°. 

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