From Vegas with love

Chapitre 15 : C15 : Volcano Day

5725 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 21:30

CHAPITRE XV

CLARA OSWALD

Clara essayait de respirer tranquillement et doucement. Elle restait le plus concentrée possible sur ce qu'elle voyait tout autour d'elle. Dans le casque qu'elle portait, la voix de Dave lui donnait des instructions, mais les sensations qu'elle ressentait étaient si réalistes qu'elle avait du mal à se concentrer pour l'écouter.

— Pas si mal, l'encourageait-il. Avancez lentement dans le marché, concentrez-vous pour éviter les enfants qui jouent sans regarder, les volailles qui s'échappent brusquement et les fruits vicieux qui tombent des étals…

Elle regardait partout, sans comprendre la langue qui était parlée, émerveillée par la richesse des couleurs et du graphisme. Un petit enfant en tunique déboula soudain de nulle part et lui fonça dans les genoux. Elle partit à la renverse, et comme elle tombait, elle s'éjecta du système sans l'avoir voulu.

En clignant les yeux, elle se réhabitua à la luminosité extérieure du laboratoire de Dave, chez Cormack Industries, alors que le caisson où elle était allongée s'ouvrait de lui-même. Délaissant son poste de travail, il s'était approché d'elle et demandait si elle voulait réessayer, auquel cas il lui laissait les électrodes et programmerait une nouvelle session de simulation.

— Mais en quelle langue parlaient-ils ? demanda-t-elle

— En bas latin. Vous étiez censée vous promener sur un petit marché du sud de l'Italie, il y a des siècles et des siècles.

— Mais… vous avez programmé ça ? s'étonna-t-elle sincèrement.

Dave eut un sourire modeste et ne répondit pas directement.

— C'est une petite simulation pour tester des interfaces de pilotage. Rien de très original. Les enfants ont des jeux qui font mieux que ça.

— Pas là d'où je viens ! répondit Clara sincèrement impressionnée. Et comment se fait-il que dans le système de Portabaal les gens connaissent « l'Italie » ?

— Les gens cultivés seulement, nuança-t-il. Et pour beaucoup, c'est seulement un mythe.

— Oh, j'imagine ! Pensez donc, un pays où le ciel est « bleu », s'amusa-t-elle.

— Un dernier tour alors ? proposa-t-il tout en vérifiant les électrodes. Je n'ai pas beaucoup de cobayes pour tester mes interfaces. D'habitude c'est Matty qui s'y colle, mais depuis la mise route de Otto mark 2, il ne traîne plus trop par ici…

— Je le comprends, c'est presque incroyable cette machine. Comment Otto peut-il avoir le sens de l'humour ?...

— En trois mots ? Programmation, programmation, programmation ! dévoila Dave avec un sourire. Et souvent ce n'est pas forcément volontaire. Mais comme l'équipe y est assez réceptive et qu'il veut nous plaire… alors il apprend ! Réinstallez-vous dans le caisson, je vais réessayer au même endroit puisque vous êtes capable d'apprécier à sa juste valeur la beauté de cette simulation…

Clara s'allongea et la partie supérieure du caisson d'isolation se referma doucement.Elle trouvait pour sa part que cela ressemblait plutôt à une cabine à bronzer… le bronzage en moins. Mais lorsqu'elle y était, les électrodes connectaient son cerveau à une simulation virtuelle. Son intérêt était de valider les commandes et les impulsions qui permettraient ultérieurement au logiciel de piloter à distance un androïde dans des conditions dangereuses « comme si on y était »… Clara avait vu des films de science-fiction à ce sujet et trouvait formidable, et étrange, qu'il faille attendre si longtemps dans le futur pour que la réalisation soit à portée d'intelligence et de compétence.

Sans transition, elle se retrouva à nouveau dans le marché italien, avec ses étals de guingois et les cris retentissants des marchands interpellant les badauds. Les paniers en osier, les tissus, les olives… tout avait l'air vrai. Elle se sentit saliver.

— Ça sent vraiment les olives marinées ! dit-elle à l'attention de Dave.

— Attention, vous ne pouvez pas les manger ! prévint-il.

— Et… de quoi j'ai l'air ? Est-ce que les « gens » peuvent me voir ? demanda-t-elle. Peut-être pas, si des enfants me rentrent dedans…

— Vous avez l'air d'une servante tout ce qu'il y a de plus ordinaire qui fait les courses pour ses maîtres… Vous pouvez faire semblant d'acheter quelque chose si vous voulez…

— Je ne comprends pas le latin… comment saurais-je si le commerçant veut m'arnaquer ? protesta-t-elle.

Elle se demandait si elle pouvait trouver un étal où quelque chose serait facile à acheter, quand dans son dos, elle entendit distinctement parler une langue qu'elle comprenait très bien. Était-ce dû à la force de l'habitude ? Elle n'osa pas se retourner aussitôt mais le fit lentement et prudemment.

— Oi, l'homme de l'espace, trois quart d'heure qu'on tourne dans ce fichu trou à rats sans la trouver… Dites-le franchement : vous ne savez plus où vous vous êtes garé et on est perdus ! fit une voix de femme plutôt railleuse.

— Non pas du tout. C'était juste là ! protesta une voix qu'elle connaissait.

— Elle n'y est PAS, « petit génie »…

— Je vois bien qu'elle n'y est pas, mais on n'est pas perdus ! Les Seigneurs du Temps ne se perdent pas. Éventuellement, ils opèrent une légère recalibration flottante de leurs repères spatiaux qui...

— Moui, ça c'est le mot Seigneur du Temps pour « perdus »…

Clara tourna très légèrement la tête, à peine, en rajustant son voile et son cœur se mit à bondir. C'était le Docteur ! Celui qui l'avait aidée après la régénération. Le jeune dixième Docteur. Il était accompagné d'une femme rousse qui, les poings impatients posés sur les hanches, le toisait d'un œil à la fois moqueur et tendre, pendant qu'il s'approchait d'un marchand d'un air dégagé, un large sourire plaqué sur son visage.

— Excusez-moi mon brave, il y avait ici une grande boite bleue…

Le cœur de Clara battait à tout rompre. Elle entendit la voix de Dave dans ses écouteurs qui lui demandait ce qui n'allait pas.

— Ça va, chuchota-t-elle, attendez !

— Votre cœur s'emballe, vous allez être éjectée de la simulation par la sécurité automatique…

Espionnant toujours, le plus discrètement possible, Clara vit le Docteur revenir à pas étrangement cadencés et comiques vers la femme rousse qu'il regarda de haut, les mains dans les poches mais une moue amusée et satisfaite.

— Ha-ha, femme de peu de foi ! La boîte était bien là, mais c'est le marchand Caecilius qui l'a prise ! Demi-tour, on va chez lui ! Et c'est par là, parce que je sais très bien où nous sommes…

Elle vit la femme lui adresser un regard mi-dubitatif mi-amusé, et puis tenter de marcher à sa hauteur, ce qui n'avait pas l'air facile parce qu'il avait de grandes jambes…

Sans réfléchir, elle voulut les suivre, mais comme prévu le système l'éjecta.

.°.

Dave s'empressa auprès d'elle, il prit sa main pour l'aider à se rasseoir et débrancha les électrodes.

Vous allez bien ? Que s'est-il passé ? Vos constantes avaient l'air bien et soudain tout est allé de travers… dit-il d'un ton à la fois curieux et inquiet.

Clara regarda le jeune homme qui était grand et mal rasé, mais avec un regard étincelant d'intelligence et un sourire dont il aurait été bien avisé de se servir plus souvent.Il lui mentait manifestement. Ce n'était pas une simulation. Pas du tout.

Vous n'avez pas répondu tout à l'heure quand je vous ai demandé si vous aviez programmé cette simulation. C'était pour ne pas avoir à mentir davantage ? Pourquoi essayer de faire croire que c'est un programme alors que ça n'en est pas un ?

L'expression de son visage se troubla un peu.

Si vous y tenez, appelons-le « protocole d'entrainement ». Je vous ai expliqué à quoi il était destiné.

Oui, j'ai bien compris. Mais votre « protocole » n'utilise pas une simulation informatique pour collecter les données nécessaires à la réalisation de votre interface homme-machine…

Comment l'avez-vous compris ? demanda-t-il avec un timide petit sourire penaud. Personne ne s'en est jamais aperçu.

Je ne l'aurais jamais soupçonné sans le deuxième essai que vous avez voulu faire. J'y ai vu quelque chose de très précis. Quelque chose qui n'aurait pas dû se trouver là et que vous ne pourriez pas programmer…

Elle se leva du caisson et se planta devant lui, juste sous son nez. Il recula d'un pas.

Car si vous étiez capable de programmer cela, vous seriez un cerveau plus brillant que le Docteur. Et définitivement pas assez payé pour ce que vous faites.

Heu… je peux vous envoyer négocier une augmentation dans le bureau de Paul pour moi ? demanda-t-il un peu confus d'être démasqué.

Dites-moi plutôt comment vous faites pour envoyer vos cobayes dans le temps et dans l'espace…

Shhh ! fit-il alarmé. Parlez un ton plus bas, s'il vous plait !

Derrière eux, la voix du Docteur qui revenait enfin de chez Quentin, s'éleva :

Trop tard, j'ai entendu. Et la réponse m'intéresse aussi au plus haut point. Voudriez-vous nous éclairer ?

.°.

AMY LEIGH WATTS

De : Quentin CormackA : Amy-Leigh Watts

« Chère Miss Watts,

Vous trouverez certainement ma démarche étrange, et je vous prie de m'en excuser par avance. Je suis mandaté pour vous fournir l'accès à un compte spécial où une petite réserve financière est tenue à votre disposition par un donateur qui préfère rester anonyme.

Vous trouverez joints à ce message les différents codes vous permettant d'activer d'abord, puis d'accéder à votre convenance, à votre épargne, ainsi que la carte de paiement qui y est associée.

Pour toute difficulté relative à ce compte, je serai votre intermédiaire. Vous pourrez me joindre au numéro indiqué sur ma carte.

Je vous souhaite bonne réception de ces éléments.Bien sincèrementQuentin Cormack »

Amy Leigh replia le courrier en fronçant les sourcils d'un air perplexe. Elle avait quitté Modarkand il y avait à peine quelques jours et ne se souvenait pas bien de sa conversation avec Quentin Cormack. La seule chose dont elle était à peu près sûre, c'est qu'elle n'avait aucune envie de lui être redevable en aucune façon. Le « généreux donateur anonyme » avait toutes les chances de n'être autre que lui-même. Pourquoi il souhaitait jouer ce jeu ? Elle l'ignorait et n'en avait cure. Mais il découvrirait que ce n'était pas son genre de se laisser acheter.

Elle froissa la feuille de papier et la jeta à la poubelle, ce qui lui permit de se sentir mieux presque instantanément. Son prochain contrat était toujours dans le système de Portabaal sur Salkinagh, une petite lune habitée qui orbitait autour de la plus grosse planète – et aussi la plus inhospitalière. Elle avait hâte de s'y rendre et puis d'en finir avec ce système où elle s'était sentie si malheureuse et mal à son aise.

Elle ferma la porte de sa chambre pour descendre dans les cuisines du nouvel hôtel qui l'accueillait. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle avait une faim de loup.

.°.

RIVER SONG

De : Quentin Cormack – Cormack Industries – Velquesh / PortabaalA : River Song – Feldman Lux Corporation

« Cher Professeur Song,

Conformément à vos instructions, j'ai fait le nécessaire pour transmettre à Miss Watts les éléments qui lui permettront de puiser dans le pécule que vous mettez de côté pour elle.

Si vous le souhaitez, je peux confier ces sommes à mes analystes financiers afin qu'ils l'investissent de façon sûre sans dévaluation. J'ai confié les codes à Miss Watts il y a plus de trois semaines, toutefois elle n'a pas cherché à les activer. Peut-être prendrai-je – si vous êtes d'accord – la liberté de lui réécrire avant qu'elle ne quitte définitivement notre système, car il reste possible qu'elle n'ait pas eu mon premier message.

Parallèlement, je vous remercie pour le don en espèces que vous m'avez fait parvenir. Nous sommes en train de travailler sur la seconde évolution d'Otto. Je ne vous suggère pas encore de venir la voir car le Docteur – que vous ne tenez pas spécialement à rencontrer – est encore avec nous.

Bien à vous,Quentin Cormack »

.°.

Une nouvelle fois, l'esprit de River fut totalement émerveillé de constater qu'il s'était seulement passé trois semaines depuis sa dernière et si désastreuse excursion. Le courrier de Quentin Cormack lui faisait plaisir car il venait interrompre la monotonie de son travail : elle s'était attelée à rechercher plus d'information pour un futur ouvrage et compilait des notes car elle se doutait que ses éditeurs n'allaient pas tarder à la relancer.

Elle espérait que Miss Watts allait bien et qu'elle savait désormais qu'elle était enceinte. Que le retour à une existence plus calme, loin du catalyseur agitateur qu'elle représentait lui offrait la possibilité de se remettre. Mais elle n'avait pas bonne conscience. Elle aurait voulu pouvoir faire plus et mieux, mais reconnaissait que dès qu'elle s'en mêlait, c'était pire que jamais.

En ces circonstances, elle découvrait qu'elle aurait aimé pouvoir parler à sa propre mère. Elle aurait aimé simplement pouvoir envoyer Amy-Leigh à ses parents pour qu'ils prennent soin d'elle dans la mesure où elle se sentait responsable de la grossesse de la blonde jeune femme. Jamais Amy et Rory n'auront connu le bonheur d'élever leur fille, ni même de connaître ce qui serait d'une certaine façon un peu étrange leur petit-fils ou leur petite-fille. Elle rêva éveillée d'eux tous, vivant sur Terre à une époque lointaine. Miss Watts chantant pour gagner sa vie, pendant que ses parents garderaient le bébé, Amy Williams rêvant qu'elle pourrait faire du cinéma, son père disant que ce n'était pas ce qu'elle souhaitait, berçant l'enfant dans ses bras…

Pourtant, il n'y avait aucun moyen de mettre Miss Watts en sécurité, si ce n'était en restant loin d'elle, ce qui rendait la possibilité de l'aider compliquée. Mais la manœuvre éviterait aussi que John ne se manifeste à nouveau. Là encore, elle espérait qu'il était parti de Portabaal, avec le Capitaine Harkness, afin qu'il ne vienne pas réactiver les traumatismes d'Amy-Leigh, mais elle ne pouvait pas en être sûre. Pas sans réactiver sa connexion avec lui, qu'elle avait eu soin de ne pas dissoudre complètement la dernière fois… Mais pour le coup alors, il aurait raison de penser qu'elle s'attardait trop auprès de lui. Et sans motif valable.

Elle aurait désespérément voulu parler à quelqu'un de tout cela. Et savoir quoi faire, mais elle n'avait pas d'amis pour l'écouter ou la conseiller. Elle n'avait même pas de vie.

Face à ces idées noires, elle décida de sortir se changer les idées au sein de la Bibliothèque. Elle emprunta une borne mobile pour s'y glisser, ce qui était facile et pratique et alla se mettre dans un coin fréquenté où elle espérait que beaucoup de visiteurs auraient des questions à poser. CAL serait heureux de voir qu'elle participait de nouveau à la vie du lieu plutôt que de rester retirée entre deux paquets de données...

Elle resta là et attendit que la foule s'empare de sa borne. Où sont les œuvres de Dickens ? Où peut-on trouver Agatha Christie ? Peut-on consulter des ouvrages sur Van Gogh ? Elle s'étonna de constater que les questions ne tournent que sur des auteurs concernant la Terre. Intriguée, elle se composa un visage, le sien propre (que la borne connaissait) pour voir qui posait ce genre de questions. Où peut-on lire les rapports de thèse du Professeur River Song ?

En jetant un œil sur ce qu'elle avait en face d'elle, elle eut la surprise de découvrir le visage avenant du Capitaine Harkness.

.°.

A l'aide de la borne, elle lui indiqua d'un ton monocorde les coordonnées d'une section de la Bibliothèque : bâtiment, étage, numéro de salle, travée… Il demanda ce qu'il y trouverait et elle répondit simplement : rapports de thèse du Pr Song. Là elle le vit, lever les yeux, soudain plus intéressé, les commissures de ses lèvres s'arquant plus franchement.

Elle n'avait absolument aucun besoin de l'accompagner durant son trajet : elle pouvait s'y rendre instantanément. Une autre borne de consultation se trouvait dans une salle voisine restée vide – les haïkus torlonguis n'intéressant pas grand monde – elle la réquisitionna pour aller se poster devant la porte qu'elle avait indiquée à Jack.

C'était un coin de la Bibliothèque qu'elle aimait bien : cette salle était spacieuse, une lumière blonde y pénétrait tout le jour par de grandes baies en forme de demi-lune donnant sur des jardins artificiels mais paisibles. Entre les baies et les jardins, des terrasses de bois comportaient quelques tables d'étude assez grandes pour y étaler plusieurs livres et écrire. Il n'y avait pas grand monde et l'atmosphère était sereine. Elle avait calqué ce recoin pour en faire les extérieurs de sa « maison » virtuelle à l'intérieur de CAL. Elle s'y sentait chez elle.

Jack arrivait d'un pas alerte qui trahissait sa bonne humeur. Il s'approcha et elle déclara seulement :

Installez-vous à l'une des tables à l'extérieur. Je vous apporte les dossiers que vous voulez consulter.

Il obtempéra docilement mais la suivit du regard à chaque instant. Lorsqu'elle revint en flottant vers la table où il avait pris place, pour y déposer une tablette de consultation, elle annonça :

Œuvres complètes de Charles Dickens, Agatha Christie, documentation sur Van Gogh, rapports du Pr Song préchargés. Vous en avez pour trois semaines, dix jours, huit heures et six minutes pour tout terminer, Jack.

Il la regarda d'un air ravi et curieux.

Vous êtes River Song ?!

Je l'étais, corrigea-t-elle avec un battement de paupières.

Je vous cherche depuis deux jours entiers sur cette planète ! déclara-t-il sans préambule. Plus longtemps si l'on considère le temps que j'ai mis à vous pister jusque dans ce secteur.

Comme c'est aimable. Je n'ai jamais de visites.

Ma compagnie n'est donc pas forcément malvenue ? Pouvons-nous parler ou êtes-vous… euh... en service ?

Nous pouvons parler. Avec tout le chemin que vous avez fait, vous méritez bien un brin de conversation… D'ailleurs, comment m'avez-vous trouvée ?

Vous avez accédé au dossier de John chez Torchwood. Comme j'y ai conservé quelques entrées informatiques, j'ai pu remonter jusqu'à vous ici.

Et moi qui pensais avoir été discrète… commenta-t-elle avec un rien de dépit.

Vous l'avez été. Ils ne se sont rendus compte de rien.

Et vous si ?

Éludant la réponse, il lui sourit encore sans savoir si cela marchait. Il tenta plutôt la franchise :

Vous êtes très intimidante comme cela : cette machine reste debout alors que je suis assis, et ce visage ne réussit pas totalement à l'humaniser… fit-il remarquer.

Avant que vous ne le critiquiez davantage, je dois vous avertir que ce visage était le mien…

Il étouffa un rire et secoua la tête.

Ce n'est pas ce que je voulais dire… Pouvez-vous emprunter un autre modèle ? Je suis obligé de me casser le cou pour vous parler car cette tête culmine à 2m50…

Pourquoi ? Vous avez l'intention de rester ici longtemps ?

Et vous ?

Non, la fermeture est dans moins d'une heure…

Il se leva pour être face à elle.

Que devrais-je dire ou faire pour que vous acceptiez de quitter cet endroit avec moi ?

Si cette vilaine borne avait des bras, je serais en train de croiser les bras, répondit-elle… Et où voudriez-vous que j'aille ? La Bibliothèque est mon tombeau et la matrice de ma survie dans cet état. Je ne peux pas la quitter longtemps.

Il serra les mâchoires sous la déception. Il avait fait des recherches sur elle. Dans son imagination, il la retrouvait sous la forme d'une belle femme, qu'il pouvait regarder sans se dévisser la tête… Il avait besoin de lui parler de John, entre autres, et ce qu'il avait à demander était délicat. Pour cela, pouvoir converser en tête-à-tête sur un joli petit banc à l'ombre d'un grand arbre, aurait été parfait. Elle avait l'air si peu humaine sur cette statue abstraite informe. Il ne savait pas si sa séduction fonctionnait sur elle car il ne pouvait pas lire le langage du corps.

Si le bâtiment ferme bientôt, je voulais vous emmener à l'extérieur avec moi. Je voulais vous parler de John qui a… disparu.

Vous voulez dire qu'il vous a faussé compagnie sans vous dire où il allait ?

A peu près.

Mais est-ce que ce n'est pas son habitude d'agir ainsi ?

Oh bien sûr que si…

Et alors quoi ?

Il inclina la tête et demanda alors d'un ton différent, plus concerné et peut-être légèrement déçu :

Est-ce que j'ai tort de considérer que vous pourriez être une amie ?

Elle eut un petit rire étrange et mécanique, comme si la borne n'était pas programmée pour cela.

Capitaine Harkness, reprit-elle d'un ton patient, le fait que John et moi ayons couché ensemble ne fait pas de moi une « amie ». Lui et moi avons… disons… rapproché nos solitudes respectives… Mais ce n'était qu'une fois. Pour être très honnête, je pense bien qu'il avait quelqu'un d'autre en tête, et à dire vrai, moi aussi. Ce terrain n'est pas propice au…

Il l'arrêta d'un geste avec l'air de trouver cela comique.

Je pense avoir une idée assez claire de ce que peut signifier l'expression « coup d'un soir », merci. Ce que je me demandais, c'est si vous pourriez considérer que vous pourriez être une amie pour moi. Car nous avons certaines choses en commun : nous sommes tous deux rejetés par le Docteur que notre sort indiffère, alors que nous sommes devenus tous les deux devenus des monstres improbables pour l'avoir fréquenté… Nous sommes aujourd'hui tous les deux dans une situation assez inconfortable pour que nous souhaitions vivement la modifier dans un sens nettement plus favorable et plus vivable... Et accessoirement, nous avons croisé John tous les deux… ajouta-t-il en souriant. De par la force des choses, vous n'avez ni appuis, ni soutiens, et moi non plus. Et je dois reconnaître – bien volontiers du reste – que je n'ai jamais vraiment beaucoup aimé fonctionner en solo. Est-ce que vous comprenez ce que ma pesante démonstration essaie de vous dire ?...

« Chers visiteurs, ronronna une voix dans les hauts-parleurs et en même temps de la borne qu'occupait River, nous vous informons que la Bibliothèque fermera ses portes dans quinze minutes. Veuillez enregistrer le suivi de vos consultations et commencer à vous diriger vers les sorties les plus proches de votre position ».

River sourit moqueusement. Son timing était très malchanceux. Comment allait-il s'en débrouiller ?

La Bibliothèque vous met à la porte, dit-elle. Laissez-moi réfléchir à votre proposition et revenez demain.

Demain vous direz non et vous m'enverrez paître. Venez avec moi ce soir, nous irons sur une planète voisine d'un côté où il fait jour, je n'ai pas sommeil. Avouez que vous vous ennuyez affreusement toute seule ici et que ma proposition est délicieusement tentante et inespérée à la fois…

Capitaine, je veux bien avouer que je m'ennuie ici et que votre proposition est tout à fait alléchante, mais j'essaie de tirer des leçons de mes erreurs. Si je viens avec vous – et j'ai une idée de ce à quoi vous pensez quand vous dites « avec » – et si vous avez en tête que je puisse vous parler et que vous soyez conscient de ma présence, vous allez ressentir rapidement les effets collatéraux dommageables que vous avez pu voir à l'œuvre chez John…

Votre argument n'est pas recevable. Vous ne pouvez pas pronostiquer que je me comporterai comme lui ou que je réagirai comme lui. Miss Watts a-t-elle un ressenti identique ? Pas du tout, pour ce que j'en sais. Ceux avec qui vous faites « du stop » ont-ils un ressenti identique ? Non plus. En fait vous pouvez décider entièrement de votre propre impact sur vos hôtes… Après, je peux comprendre que vous craigniez – ou que vous ayez envie, selon – que je me comporte comme lui… Mais actuellement, je pense que ce ne serait pas très malin, car il est si entiché de vous que je crois bien qu'il essaierait de m'étrangler lentement si j'avais le malheur de lui reparler un peu trop précisément de vos délicieux "effets collatéraux"…

Elle fronça encore les sourcils.

Voilà qui m'étonnerait. John peut être obsessionnel, mais jaloux ?... Je crois qu'il considérerait plutôt la jalousie comme une perte fatale d'opportunités !…

Elle vit Jack se fendre d'un sourire approbateur mais reprit très sérieusement :

Quand je l'ai trouvé, il était au bord du gouffre, ravagé par des excès de toutes sortes, mais surtout obsédé par la pensée de vous retrouver. Je n'avais d'intérêt à ses yeux que parce qu'il pensait que j'étais une sorte de créature surnaturelle bien plus puissante que lui – et il fallait bien que ça lui arrive un jour – contre laquelle, il n'avait pas les moyens de mentir, ni de tricher, ni de faire aboutir la moindre menace… Il a été éduqué très jeune par la peur et l'intimidation. Il a grandi en mentant à tous sur ce qu'il ressentait et d'une certaine façon sa survie a été associée à la capacité qu'il a eue de se dissocier presque complètement de ses émotions. Et il en a même tiré une certaine fierté. Une grande partie de son côté extrême et excessif vient d'ailleurs de cette scission artificielle. Il a tellement peu l'habitude de ressentir quoi que ce soit qu'il lui faut des doses massives pour commencer à éprouver quelque chose…

« Chers visiteurs, nous vous informons que la Bibliothèque ferme ses portes dans dix minutes. Veuillez vous diriger vers les sorties les plus proches de votre position ».

Que lui avez-vous fait ? demanda Jack. Il a l'air si mal, si terriblement changé à votre bref et si déterminant contact…

Vous vous montrez étrangement protecteur envers lui, observa-t-elle. J'ai fait… quelque chose d'impitoyable ! répondit-elle avec un triste sourire. Il était si près de la mort, avant tant de choses qui n'allaient plus chez lui… que j'ai eu la curiosité d'essayer de le réparer. Enfin dans un second temps, car ça n'a jamais été mon objectif. Si je ne faisais rien, il mourait. Si j'échouais, il mourait tout autant.

Le réparer ?

Oui, c'est ça. Excusez la formule, mon nouvel état me fait voir les choses sous un aspect plutôt mécaniste… Comprenez qu'il était presque mort et suicidaire. Dysfonctionnel au dernier degré. Il a menacé le Docteur, il a presque tué son amie pour un motif stupide... J'ai promis que j'allais le retenir et j'ai tenu parole. Qu'est-ce que je pouvais faire de cette petite chose égoïste, sauvage et nuisible à force d'être complètement inconsciente ? Il fallait l'arrêter.

Définitivement ?

Hem, ce n'est pas passé loin… Mais comme j'ai réalisé qu'il était vraiment très près de mourir sans mon concours, je me suis dit que je n'avais pas besoin de m'en occuper, du moment que Clara était hors de danger.

Alors qu'est-ce qui a mal tourné dans vos plans ?

A peu près tout !

.°.

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